Communication scientifique
Session of 10 novembre 2009

L’évolution de la réglementation : la nouvelle directive européenne remplaçant la 86/609

MOTS-CLÉS : animaux de laboratoire. droits animaux. réglementation gouvernementale
Replacing EC directive 86/609
KEY-WORDS : animal rights. animals, laboratory. government regulation

François Lachapelle

Résumé

La directive 86/609 régissant dans la Communauté européenne la protection des animaux utilisés à des fins expérimentales est en cours de révision. Bien que ce texte ne soit pas totalement finalisé, quelques tendances fortes se sont faites jour dans le nouveau texte. Elles concernent en particulier : — La généralisation d’une procédure d’autorisation a priori des projets scientifiques — La consécration du processus d’évaluation éthique comme fondement de la procédure d’autorisation des projets — L’intégration formelle de la doctrine des ‘‘3R’’ et sa mise en application dans le processus — La reconnaissance des comités d’éthiques comme composantes de l’autorité. Le champ d’application, la méthodologie et le contrôle de la conformité de mise en œuvre des protocoles font également l’objet de lignes directrices claires. Enfin une meilleure communication vis-à-vis du public ainsi que dans certains cas une évaluation à posteriori seront exigées. La mise en œuvre en droit national aboutira à une plus grande uniformisation des pratiques, une généralisation de la prise en compte de la dimension éthique dans l’élaboration des projets scientifiques et un contrôle en interne de la mise en œuvre éthique des protocoles. Les conséquences sur la compétitivité de la recherche européenne seront discutées.

Summary

EC Directive 86/609, governing the protection of animals used for scientific purposes, is currently under review. The new text remains to be finalized but will likely include the following measures : — prior authorization will be required for all scientific projects, — authorization will include on an ethical evaluation, — the 3Rs doctrine will be formally integrated, — ethical committees will be officially recognized. Clear guidelines are also provided on the scope, methodology and compliance monitoring of the protocols. Better public communication and, in some cases, retrospective assessment will be required. Implementation in national legislation will lead to a better integration of ethical considerations in scientific projects. The new Directive will also help to harmonize practices between the public and private sectors, with integrated internal controls during the implementation of ethical protocols. The impact of these new rules on the competitiveness of European research is discussed

Les grandes lignes du texte fondateur : Directive 86/609 CEE et Convention européenne STE123

Publiée le 24 novembre 2006 la Directive du conseil (86/609/CEE) concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres, relatives à la protection des animaux utilisés à des fins expérimentales ou à d’autres fins scientifiques se donnait pour premier objectif d’assurer l’harmonisation des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la protection desdits animaux. Elle a constitué le premier texte communautaire sur lequel se sont élaborés dans les pays de la Communauté les réglementations nationales encadrant les pratiques expérimentales sur l’animal. Ce texte concis clair et logique comprenant 27 articles, définit :

— les types d’animaux concernés (vertébrés y compris les cyclostomes, ainsi que les formes embryonnaires autonomes) — l’expérimentation : toute utilisation d’un animal à des fins expérimentales ou à d’autres fins scientifiques susceptibles de causer à cet animal des douleurs, des souffrances, de l’angoisse ou des dommages durables, y compris toute intervention visant à aboutir à la naissance d’un animal dans ces conditions ou susceptible d’aboutir à une telle naissance, mais à l’exception des méthodes les moins douloureuses acceptées par la pratique moderne (c’est-à-dire des méthodes « humaines ») pour le sacrifice ou le marquage des animaux ;

— l’expérience qui commence au moment où un animal est préparé pour la première fois aux fins d’utilisation et se termine lorsqu’aucune observation ne doit plus être faite ; la suppression des douleurs, des souffrances, de l’angoisse ou des dommages durables du fait de l’utilisation efficace d’un anesthésique, d’un analgésique ou d’autres méthodes ne place pas l’utilisation d’un animal en dehors du champ d’application de la présente définition — les notions d’autorité responsable, de personne compétente, d’établissements d’élevage, fournisseurs et utilisateurs.

Le texte contient également des obligations concernant les conditions de la mise en œuvre d’une étude chez l’animal (obligation de ne recourir à l’animal que s’il n’existe pas d’autre méthode, de rechercher l’espèce la moins sensible et de diminuer, autant que faire se peut, la taille des lots expérimentaux, la contrainte ou la douleur et enfin l’anesthésie est la règle générale avec des éléments dérogatoires (incompatibilité avec l’objet de l’étude, effet de l’anesthésie plus délétère que le protocole lui-même).

Plus restrictive que la Convention européenne STE 123 publiée la même année et dont elle s’inspire elle s’applique a un champ restreint de l’activité scientifique incluant :

— la mise au point, la production et les essais de qualité, d’efficacité et d’innocuité de médicaments, de denrées alimentaires et d’autres substances ou produits : en vue de la prévention, de la prophylaxie, du diagnostic ou du traitement de maladies, de mauvais états de santé ou d’autres anomalies ou de leurs effets chez l’homme, les animaux ou les plantes ; en vue de l’évaluation, de la détection, du contrôle ou de la modification des caractéristiques physiologiques chez l’homme, les animaux ou les plantes ;

— la protection de l’environnement naturel dans l’intérêt de la santé ou du bien-être de l’homme et de l’animal. On notera à cette occasion que le champ de la directive ne s’étend pas à la recherche fondamentale et qu’une des motivations de sa révision a été que seul sept des vingt-cinq États membres (dont la France) appliquaient ses disposition dans ce domaine.

Dans le texte de 1986, l’Autorité a en charge d’identifier, enregistrer et autoriser les personnes compétentes ou les projets, d’agréer ou d’enregistrer les différents types d’établissements, de mener une mission d’inspectorat dans ce domaine.

Le texte établit également des obligations concernant la traçabilités des animaux et des expériences (registres). Les conditions d’organisation de fonctionnement ainsi que d’hébergement des animaux, des recommandations concernant le bien être des animaux sont également incluses dans le texte et s’appuient sur un ensemble d’annexes, directement reprises des annexes de la convention STE 123 donnant des lignes directrices dans ce domaine. Enfin le texte oblige les états à fournir à la Commission un ensemble d’informations statistiques sur le nombre d’animaux utilisés dans les différentes espèces ainsi que les domaines d’utilisation de ces animaux.

La traduction en droit français à travers le décret 87-848 puis 2001-454 et 2001-486 conduit au choix d’interpréter l’article 12-1 : Les États membres instaurent des procédures permettant de notifier préalablement à l’autorité les expériences qui seront effectuées ou les données relatives aux personnes qui les effectueront sous la forme d’une procédure d’autorisation des personnes incluant implicitement une autorisation des projets proposés par cette personne comme le stipule l’arrêté :

AGRG8800566A du 19 Avril 1988.

De même la France choisit la procédure déclarative sans autorisation pour la mise en œuvre de l’article 12-2 (Lorsqu’il est prévu de soumettre un animal à une expérience dans laquelle il subira ou risque de subir des douleurs intenses susceptibles de se prolonger, cette expérience doit être expressément déclarée à l’autorité et justifiée ou être expressément autorisée par elle).

|La révision de la Directive 86-609 : le contexte politique et social

La mise en œuvre de la directive 86/609 a permis d’obtenir des progrès remarquables : mise en place de cadres réglementaires nationaux aboutissant entre autre à une amélioration considérable des conditions d’hébergement, de réalisation des expérimentations. Mais surtout sa mise en œuvre a conduit à une diminution de près de la moitié du nombre d’animaux utilisés en Europe entre 1984 et 1999, puis à une stabilisation de ce nombre entre 1999 et 2007. Alors qu’on observe un doublement de la publications scientifique tous les trois ans pour la même période.

Cependant cette directive a fait l’objet dès sa mise en application d’une remise en cause permanente de la part de groupes de pression fortement minoritaires mais très actifs auprès du Parlement comme de la Commission européenne : — leur argumentaire mélange des éléments pseudo scientifiques (l’expérimentation animal est une méthodologie obsolète, inutile, voire dangereuse qui se doit de disparaître. Il existe dans tous les domaines des méthodes substitutives qui permettent de se passer de l’animal, le texte vieux de vingt ans ne répond plus aux exigences de la pratique actuelle). — à des argumentaires politiques (l’expérimentation animale est une source de revenus pour les grands groupes industriels), écologiques (l’utilisation de certaines espèces comme les primates contribue à leur disparition), antispécistes : (il n’y a ni hiérarchie des espèces, ni légitimité biologique pour l’homme à user de son intelligence). On observe pendant la même période un glissement de la sensibilité des opposants : fortement centrée à l’origine sur le sort des espèces de compagnies (carnivores domestiques) la préoccupation de ces groupes se recentre progressivement sur les primates dont les traits anthropomorphiques et le double caractère d‘espèces sauvages et, éventuellement, menacées évoque fortement dans l’inconscient collectif le mythe de l’homme sauvage et du paradis perdu par la faute de la cupidité humaine. Fondant leur action sur des motivations très variées mêlant antiscientisme, théorie du complot et anti-specisme, le discours de ces groupes finit par faire émerger l’idée d’une suppression (qu’ils nomment abolition) de l’expérimentation animale en Europe, et dans un premier temps et de façon urgente de l’utilisation des primates à des fins scientifiques. Se fondant sur l’exemple de la directive cosmétique (76/768 qui stipule que les tests des ingrédients sur animaux doivent cesser au fur et à mesure de l’émergence de méthodes alternatives avec une date limite en 2009 ) ils espèrent faire poser le principe d’une abolition liée à l’émergence et la validation rapide de méthodes alternatives dans tous les domaines de la recherche, sous la pression des obligation réglementaires. Ils oublient bien entendu que cette date limite a été repoussée à 2013 ignorant par là même que, même dans un domaine aussi limité, l’avancée des méthodes alternatives reste soumise à l’avancée des connaissances et que rien ne montre que la pression législative favorise l’émergence de telles méthodes.

Dès 2002 la Commission s’empare donc d’un projet de révision de la directive. La rédaction du projet échoit à la Direction Environnement, elle-même fort peu concernée par le problème (elle n’est en charge ni du bien être animal, ni de la recherche, ni du médicament) mais par contre fortement engagée dans tous les domaines alternatifs de société et à ce titre particulièrement sensible au discours des détracteurs de l’expérimentation animale. Préparée dans l’indifférence générale, la révision se nourrit d’informations partiales, tendancieuses et parfois même dépassant les limites d’une déontologie élémentaire comme on peut le voir dans l’étude commandée au cabinet Prognos, ou l’étude d’opinion menée en juillet 2007 sur le sujet. En parallèle des actions répétées auprès du Parlement européen conduisent le 5 septembre 2007, 418 eurodéputés sur les 785 qui composent le Parlement à approuver une déclaration condamnant l’utilisation de primates lors d’expériences scientifiques. Ce texte qui invite la Commission à élaborer une directive européenne sur la question constitue un élément de pression considérable au moment où le texte nouveau s’élabore. Présenté aux autres directions puis, au Parlement en novembre 2008, le texte soulève une réprobation quasi unanime des directions concernées (Agriculture, Recherche, Santé/consommation) et fait surtout l’objet, bien que tardivement, d’une réaction aussi vive qu’inattendue non seulement des industriels concernés mais surtout de la Communauté scientifique académique qui prend enfin fortement position en faveur de la défense de la recherche et des chercheurs. Des prises de position mais également des actions d’information systématique émanent de nombreux organes représentatifs de la recherche européenne (European Sciences Fondation, European Medical Research Council) et nationaux tels que le MRC anglais, la réunion du CEA/CNRS/INRA/INSERM/Institut Pasteur ou les Acadé- mies de médecine, pharmacie et vétérinaire françaises, jointes à des études commandées par certaines directions (étude du groupe SCHER du 13 janvier 2009 sur l’impact de l’interdiction d’utilisation des primates en recherche) ont permis de faire entendre un autre point de vue que celui de la minorité activiste auprès des instances européennes. En parallèle des études menées dans différents pays de la Communauté (Grande-Bretagne, France, Suède, Confédération helvétique) montrent systématiquement qu’une majorité de l’opinion publique comprend le bien fondé de l’expé- rimentation animale et considère que le cadre réglementaire existant est efficace et suffisant. Confiée à la commission AGRI du Parlement, l’instruction de la directive a abouti à un rapport structuré et à la proposition d’un ensemble d’amendements modifiant considérablement le texte original et le ramenant à une meilleure réalité des pratiques. Très largement approuvé (plus de 550 voix) par le parlement le 31 mars, puis (540 voix) le 5 mai 2009 c’est entre ce texte amendé et les exigences de la direction environnement que la Présidence suédoise essaye de parvenir à un compromis qu’elle voudrait faire adopter avant la fin de sa mandature, soit avant fin décembre 2009.

La nouvelle directive (09/586) : les principales nouveautés du texte original

Telle qu’elle apparaît en première lecture, la nouvelle directive est un texte hypertrophié (60 articles au lieu de 27 dans la précédente) confus, hyperbolique, et contradictoire sur de nombreux points.

 

De façon claire l’objectif du nouveau texte est de précipiter la fin de l’expérimentation animale : ainsi, en accord avec le préambule et les attendus, l’article 1 pose comme objectif de la directive d’établir entre autres les règles favorisant le remplacement et la réduction du nombre d’animaux utilisés, l’optimisation des conditions de l’hébergement de l’élevage et de l’expérimentation, ainsi que l’évaluation et l’autorisation des projets.

De façon générale le projet contient un ensemble de propositions visant à créer un cadre plus contraignant que celui que proposait le texte de 1986.

Suit un catalogue assez confus de propositions ayant toutes pour conséquence d’accentuer la pression sur les expérimentateurs a travers diverses mesures. En premier lieu on observe une extension du domaine de compétence de la directive qui désormais s’étendrait au-delà des vertébrés, aux céphalopodes et aux crustacés ainsi qu’aux formes embryonnaires de toutes les espèces concernées à partir du troisième tiers de leur développement.

Concernant les domaines d’activité, seules sont admises les procédures qui ont pour objet :

— la recherche fondamentale pour l’avancement des connaissances dans les sciences biologiques ou comportementales ;

— la recherche translationnelle ou appliquée menée à l’une des fins suivantes :

• la prévention, la prophylaxie, le diagnostic ou le traitement de maladies, de mauvais états de santé ou d’autres anomalies ou de leurs effets chez l’homme ou les animaux ;

• l’évaluation, la détection, le contrôle ou la modification des caractéristiques physiologiques chez l’homme ou l’animal ;

— la mise au point, la production et les essais de qualité, d’efficacité et d’innocuité de médicaments, de denrées alimentaires, d’aliments pour animaux et d’autres substances ou produits répondant à l’une des finalités visées au point 2 ;

— la protection de l’environnement naturel dans l’intérêt de la santé ou du bien-être de l’homme et de l’animal ;

— la recherche en vue de la conservation des espèces ;

— l’enseignement supérieur ou la formation en vue de l’acquisition ou de l’amélioration de compétences professionnelles ;

— les enquêtes médicolégales.

On a donc une double démarche : extension de la protection à de nouveaux groupes d’espèces et extension du domaine de compétence de la directive à de nouvelles catégories d’activités dont la recherche fondamentale et la formation professionnelle.

À ceci s’ajoute dès l’article 8 une restriction considérable des domaines d’utilisation des primates : ainsi en serait exclue la recherche fondamentale lorsqu’elle ne concerne pas l’étude ou la mise au point de pathologies gravement invalidantes ou mortelles pour l’homme, et exclut à priori la possibilité d’utiliser des grands singes sauf dans des circonstances exceptionnelles (urgence sanitaire grave sans alternative).

La protection s’étend à l’origine des animaux utilisés et en particulier des primates pour lesquels le texte original prévoit l’obligation de ne recourir qu’à des animaux issus de seconde génération en élevage, et oblige les établissements fournisseurs à mettre en place une stratégie d’élevage de ce type (article 27). Cette disposition crée bien sûr une situation particulièrement défavorable pour les chercheurs européens dans le contexte concurrentiel de l’acquisition des animaux auprès de fournisseurs de pays tiers non soumis par conséquent aux règlements communautaires. Au total on retrouve dans ce texte la réponse à une des demandes les plus pressantes des opposants à l’expérimentation animale, qui est la mise en œuvre de moyens conduisant à l’arrêt de l’utilisation des primates en recherche. On verra qu’un ensemble de propositions complémentaires complètent ce dispositif visant toutes à précipiter l’arrêt de l‘utilisation des primates en recherche.

Le second axe de régulation choisi est le durcissement de la pression administrative et sociale à travers un ensemble de dispositifs de contrôles ajoutant aux dispositions antérieures une procédure d’autorisation à priori des projets, et une extension de l’obligation d’autorisation des personnes à celle qui sont en charge des soins aux animaux ou de la gestion des établissements. Cette autorisation étant conditionnée à des formations spécifiques. La procédure d’autorisation des projets s’appuie sur une triple évaluation (scientifique, éthique et administrative) l’évaluation éthique se fondant sur une classification du degré de gravité des procédures énoncé dans l’article 15 :

— Les États membres veillent à ce que toutes les procédures soient classées comme étant d’une gravité ‘‘ nulle à légère ’’, ‘‘ modérée ’’, ‘‘ sévère ’’ ou ‘‘ sans réanimation ’’, sur la base de la durée et de l’intensité de la douleur, de la souffrance, de l’angoisse et du dommage durable potentiels, de la fréquence d’intervention, de la privation de la capacité de l’animal à satisfaire ses besoins éthologiques et du recours à l’anesthésie ou à l’analgésie ou aux deux.

— Les États membres veillent à ce que les procédures classées ‘‘ sévères ’’ ne soient pas appliquées si la douleur, la souffrance ou l’angoisse est susceptible de se prolonger.

— Les procédures menées sous anesthésie générale au terme desquelles l’animal est mis à mort au moyen d’une méthode d’euthanasie appropriée sans avoir la possibilité de reprendre conscience sont classées ‘‘ sans réanimation ’’.

— La Commission établit les critères de classification des procédures.

Des dispositions précises sont ensuite établies concernant le sort des animaux en fin de protocole et en particulier en cas de réutilisation. De plus et c’est une nouveauté positive, le texte prévoit et encadre les procédures de « réhabilitation » des animaux en fin de protocole.

 

Concernant le contrôle des établissements, le texte prévoit au moins deux inspections annuelles pour les établissements (dont une inopinée), mais c’est la procédure d’autorisation qui constitue le principal frein à la compétitivité de la recherche européenne. L’autorisation comme on l’a vu se fonde sur trois éléments :

— la validité scientifique du projet dans laquelle intervient la notion d’expérience « indispensable » notion dangereuse et sujette à caution quand on sait l’usage qu’en font certains tribunaux helvétiques ou allemand. Cette vision utilitariste va à l’encontre de la sérendipité comme élément fondateur de nombreuses découvertes fondamentales : qui autoriserait dans ce contexte les travaux de Nottebohm et ses collaborateurs sur le chant des canaris [1] aboutissant à la mise en évidence de la présence de cellules souches, d’une neurogénèse et de la plasticité neuronale des cellules souches dans le cerveau adulte ?

— l’évaluation éthique réalisée par un comité d’éthique composé d’experts dont au moins un vétérinaire et une « personne n’appartenant pas à l’établissement (au sens d’établissement d’expérimentation) et portant un intérêt au sort des animaux ». L’évaluation éthique doit être réalisée dans la perspective de la règle des « 3R » fondement d’une éthique utilitariste appliquée à l’expérimentation animale et issue du monde de la recherche.

— Une évaluation de la conformité réglementaire des demandeurs (en terme d’autorisation des personnes) et des établissements (en terme d’agrément).

Cette triple évaluation fonde la possibilité pour les États membres d’individualiser les trois composantes de l’autorité : l’autorité scientifique, l’autorité éthique et enfin l’autorité administrative, reconnaissant ainsi toute la valeur potentielle des comités d’éthiques comme composante de l’autorité ce que confirme l’article 54.

Cette méthodologie est complétée par une obligation de publier un résumé destiné au public et réunissant les éléments quantitatifs et qualitatifs du projet autorisé . Enfin le texte établit l’obligation d’une évaluation rétrospective des projets . Au total ces dispositions, au prétexte de rassurer l’opinion, auraient pour principal effet de contribuer à stigmatiser les pratiques en donnant une image réductrice de l’expérimentation animale en recherche uniquement axèe sur la pondération « bien être animal ».

La règle des ‘‘3 R’’ (Replace, Reduce and Refine — remplacer, réduire et perfectionner l’utilisation d’animaux dans les expériences) est largement admise comme principe directeur pour l’utilisation d’animaux à des fins expérimentales, tant à l’échelon national qu’au niveau international (par ex. OCDE, OIE). Elle a été formulée en 1959 par W.M.S. Russell et R.L. Burch dans The Principles of Humane Experimental Technique.

Le dispositif d’encadrement éthique est complété enfin par l’obligation de mettre en place un comité local d’éthique en charge de vérifier la conformité de la mise en œuvre des protocoles avec les recommandations de l’évaluation éthique liée à l’autorisation du projet. Ce comité local a le pouvoir de suspendre la réalisation d’un projet, mais aussi d’évaluer la nécessité ou non de resoumettre ce projet au comité d’éthique, en cas de modification mineure des protocoles.

Mais c’est dans les délais, proposés à l’origine pour la décision d’autorisation (article 43) (60 jours pouvant être portés à 90 jours s’il s’agit de projets complexes ou faisant appel à des primates), que se trouve le principal frein à la compétitivité de la recherche européenne.

La rigidification du dispositif se fait ensuite sentir à travers l’introduction dans la directive de différentes annexes incluant les annexes révisées et adoptées en 2006 de la convention STE 123 qui concernent les conditions d’hébergement des animaux mais aussi les méthodes d’euthanasie applicables, la liste étendue des espèces protégées par la directive, celle des espèces devant provenir d’élevages spécifiques, et fixant les délais pour parvenir à ne plus utiliser que des primates issus de F2 en élevage. Le contenu des formations spécifiques, la méthodologie de l’évaluation éthique sont également décrites dans ces annexes. L’aspect le plus négatif de ces dispositions étant de proposer ces éléments comme des règles obligatoires alors qu’elles étaient conçues à l’origine comme des lignes directrices.

Le dispositif de contrainte se trouve enfin complété par un ensemble de recommandations et d’obligations faites aux États membres de mettre en place un laboratoire de référence pour la validation des méthodes alternatives, ainsi que des lignes de financement pour le développement de ces méthodes mais aussi de faciliter la communication des résultats négatifs.

Les évolutions proposées par la Commission agriculture et votées par le Parlement

La lecture attentive qu’en a faite la commission agriculture du Parlement européen a permis de clarifier le texte, de le ramener dans un cadre plus raisonnable : par 540 voix contre 66 (et 34 abstentions), les députés européens ont adopté le 5 mai, en première lecture, une proposition de directive fortement amendée et revenant à des dispositions plus raisonnables. Les principaux amendements introduits concernent :

— le champ de l’utilisation des primates qui peuvent à nouveau être utilisés dans tous les domaines de la recherche fondamentale, — la soumission de l’exigence de n’utiliser des primates issus de F2 qu’à une étude de faisabilité, — L’exclusion des procédures « nulles à légères » du champ de la procédure d’autorisation, — La limitation de la procédure d’évaluation rétrospective aux projets « sévères » ou fondés sur l’utilisation de primates, — La réduction du délai de réponse de l’administration dans les procédures d’autorisation (45 jours), — La clarification du rôle relatif du comité d’éthique et de la cellule de bien être animal (remplaçant le comité local), — L’établissement de critères de classification du degré de gravité des protocoles, — La clarification des notions de protocoles et de projets, — La possibilité d’adapter les recommandations des différentes annexes aux exigences du protocole scientifique.

Le processus législatif en cours devrait s’achever sur un compromis élaboré sous l’égide de la présidence suédoise avant la fin 2009.

Au-delà des contraintes liées à l’extension du champ de la directive, à la rigidification des procédures administratives et aux obligations de publicité, le texte présente un ensemble d’avancées intéressantes : en plaçant l’évaluation éthique fondée sur la règle des ‘‘3R’’ au cœur de la procédure d’autorisation, il favorise l’émergence d’une méthodologie d’évaluation fondée sur des valeurs issues de la Communauté scientifiques et susceptibles de contribuer à l’amélioration de la qualité des protocoles : la réflexion sur le choix des espèces, la pertinence des modèles, le choix des témoins sont souvent des démarches routinières exclues de la réflexion scientifique ; il offre également aux États membres la possibilité de reconnaître les comités d’éthiques comme une composante à part entière de l’autorité, tout comme l’autorité scientifique. Enfin il place les États membres devant leurs responsabilités en les obligeant à mettre en place des structures propres à accélérer le développement et la validation de méthodes alternatives scientifiquement reconnues. On peut craindre cependant que, ajouté à la charge que représente la mise en œuvre des nouvelles normes d’hébergement, ce texte contribue à entraver la compétitivité de la recherche européenne et favorise les délocalisations industrielles dans des zones à réglementation moins contraignante.

BIBLIOGRAPHIE [1] Neuronal production, migration, and differentiation in a vocal control nucleus of the adult female canary brain. Goldman SA, Nottebohm F. Proc. Natl Acad. Sci. USA, 1983, Apr ;

80(8) , 2390-4.

 

<p>* BEA Inserm, Faculté de Médecine Pitié-Salpêtrière, 91 boulevard de l’Hôpital — 75634 Paris Cedex 13 et e-mail : francois.lachapelle@umpc.fr Tirés-à-part : Professeur François Lachapelle, même adresse Article reçu et accepté le 9 novembre 2009</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2009, 193, no 8, 1793-1802, séance du 10 novembre 2009