Communication scientifique
Séance du 16 février 2010

Les petits ARN non codant, nouvelles cibles et nouvelles approches thérapeutiques

MOTS-CLÉS : épigénétique. microarn. petit arn d’interférence
Small non-coding RNAs : new targets and new therapeutic possibilities
KEY-WORDS : epigenesis, genetic. micrornas. rna, small interfering

Annick Harel-Bellan, Maya Ameyar, Anna Poleskaya, Cindy Degerny

Résumé

La découverte des petits ARN non codant régulateurs a révolutionné les concepts en matière de régulation de l’expression des gènes. Ces petits ARN non codants sont des outils exceptionnels pour explorer les mécanismes du vivant et pour manipuler artificiellement l’expression des gènes. Les petits ARNs naturels représentent également eux-mêmes des cibles thérapeutiques potentielles.

Summary

The discovery of regulatory small non-coding RNAs represents a revolution in our understanding of gene regulation. These small non-coding RNAs are powerful tools for exploring cellular pathways and for artificially controlling gene expression. Natural small RNAs also represent potential therapeutic targets.

L’épigénétique, dont le concept est relativement ancien, a pris une importance considérable au cours de la dernière décennie. Il est, en effet, clairement apparu, que l’information génétique ne suffisait pas pour expliquer la complexité des mécanismes régissant l’expression, normale ou pathologique, des gènes, et que d’autres éléments avaient un rôle non moins essentiel dans ce processus. De fait, il ne suffit pas de posséder une information, encore faut-il pouvoir la lire. Les phénomènes épigénétiques contrôlent la lecture de l’information. Ces phénomènes interviennent au niveau transcriptionnel et au niveau post-transcriptionnel. Au niveau transcriptionnel, la structure de la chromatine, qui dépend des modifications de ses composantes, ADN et protéines, joue un rôle de verrou pour l’activité des gènes : plus la structure est condensée et moins l’ADN est accessible aux protéines de la transcription. Le degré de condensation de la chromatine est donc un élément primordial du contrôle de l’expression des gènes. Mais ce n’est pas le seul niveau du contrôle épigénétique. En effet, même lorsqu’un gène est transcrit, il faut encore que l’ARN messager correspondant soit traduit pour que le gène soit exprimé. Les dernières années ont, là aussi, vu exploser ce domaine de la régulation post-transcriptionnelle avec la révolution des petits ARNs non codant.

Dans le domaine de l’épigénétique, on assiste à une accélération impressionnante de la « translation » des connaissances fondamentales vers les applications médicales, en particulier en cancérologie. Ainsi, l’implication des histone-désacétylases dans la prolifération des cellules de leucémies aiguës promyélocytiques a été démontrée en 1998 [3], les premiers essais précliniques avec des inhibiteurs de ces enzymes ont suivi très rapidement, en 2001 [5]. La translation vers la clinique s’est ensuite faite extrêmement vite (en 2003), même si ce passage a été facilité par le fait que des essais empiriques de composés similaires avaient été réalisés bien avant (dès 1983). Il en est de même pour la régulation par les petits ARNs et l’ARN interférence, avec une découverte en 1998 [2] et des premiers essais cliniques en… 2005. A noter, d’ailleurs que le couronnement de cette découverte par le prix Nobel de médecine a aussi été très rapide (2006, moins de dix ans après la publication princeps).

L’utilisation de drogues influant sur la structure de la chromatine est maintenant une pratique de routine en cancérologie. Cet exposé se concentrera donc sur les petits-ARNs, plus nouveaux et qui représentent une révolution beaucoup plus importante.

Les petits (quelques dizaines de nucléotides) ARNs non codants et leur implication dans l’expression des gènes sont connus depuis très longtemps. Cependant, seules des fonctions dites « ménagères » leur étaient associées. Ainsi, des petits ARNs non codants participent à l’épissage des gènes ou à la traduction des ARN messagers.

Mais l’activité « noble » de contrôle de l’expression des gènes était réservée à l’ADN qui porte l’information, et aux protéines qui permettent l’expression de cette information et la régulent.

En 1997, Victor Ambros, qui réalisait un crible génétique pour mettre en évidence des gènes impliqués dans le déroulement du développement du vers C. elegans, a découvert que l’un des « gènes » qu’il avait sorti de ce crible ne codait pour aucun cadre de lecture, mais plutôt pour un ARN non-codant de 700 nucléotides (nt) [7]).

Cet ARN régulait négativement Lin 28, une protéine également impliquée dans le déroulement du développement (et dont il a été montré ensuite que c’est une protéine essentielle des cellules souches multipotentes). Une analyse plus fine a montré que dans cette séquence ARN de 700 nt, la partie active était une très courte séquence, environ 20 nucléotides, partiellement complémentaire de la région 3′ non traduite de l’ARN messager de Lin 28 qu’elle régule. Le mécanisme de cette régulation a été fourni par la découverte chez le vers C elegans , de l’ARN interfé- rence, publiée la même année par Craig Mello et Andrew Fire (ce qui leur a valu le prix Nobel). Cette découverte [2], fortuite, est intéressante à plus d’un égard.

D’abord elle montre l’importance des études sur des organismes modèles qui n’ont, à priori, rien à voir avec la recherche médicale, comme le ver C elegans . D’autre part, c’est en imitant artificiellement le phénomène, mais par hasard, sans le connaître, que Mello et Fire ont mis le doigt sur cet important mécanisme. En effet, ces auteurs réalisaient des expériences d’inhibition par RNA antisens, très en vogue à cette époque, et qui consistaient en l’expression d’un ARN antisens complémentaire d’un ARN d’intérêt, pour inhiber spécifiquement un gène. En contrôlant leurs expériences par l’introduction d’un ARN double brin dans lequel le brin antisens est « bloqué » par l’association avec le brin sens, ce qui aurait du l’inactiver, ils ont observé, au contraire, une excellente activité d’inhibition. Une analyse approfondie du phénomène a montré que l’ARN double brin était clivé par Dicer, une endoRNAse en courtes séquences (une vingtaine de nt) qu’ils ont appelé siRNA. Les siRNA recrutent un complexe de plusieurs protéines dont un membre de la famille Argonaute et des RNA hélicases. Le complexe élimine le brin non utile du petit ARN double brin, et le brin utile guide le complexe protéique vers l’ARN messager cible auquel il s’associe par reconnaissance de séquence. Le résultat est le clivage, par Argonaute, de l’ARN messager cible, aboutissant à l’inhibition, au niveau traductionnel, de l’expression du gène correspondant.

Ces siRNAs artificiels utilisent, en fait, une voie naturelle, la voie des microARN ou miARN (Figure 1), également utilisée par le petit ARN découvert par Victor Ambros et qui régule la protéine Lin 28.

Les miARN [4] sont codés par les régions inter-géniques ou introniques, souvent sous forme de long transcrit primaire (pri ARN) qui code pour plusieurs miARN.

Ces transcrits primaires sont clivés par une endoRNAse nucléaire (l’enzyme Drosha) en précurseurs d’environ 70 nt (pre-miARN), qui à leur tour, recrutent un complexe de protéines comportant un membre de la famille Argonaute (AGO). Le brin complémentaire du miARN est éliminé, et le miARN guide le complexe protéique vers des ARN messagers cibles avec lesquels ils présentent un certain degré d’homologie. Cette voie est également utilisée par les siARNs artificiels, qui peuvent être soit exprimés de manière ectopique à partir de plasmides introduits dans les cellules, soit synthétisés chimiquement.

La découverte des petits ARN non codant a des retombées importantes en thérapeutique humaine, potentielles ou déjà avérées. Ce qui est d’ores et déjà évident c’est l’apport des ARN artificiels, les siRNA synthétiques, qui permettent d’explorer la fonction des gènes et donc de découvrir de nouvelles cibles thérapeutiques. Mais potentiellement, les petits ARN non codant représentent eux-mêmes des cibles thérapeutiques intéressantes.

 

Fig. 1. — La voie des miARN (naturels à gauche) et des siARN (artificiels, à droite). Pri-miARN = transcrit primaire des miARN ; pre-miARN = précurseur des miARN ; miARNdb = miARN double brin ; shRNA = RNA en tige boucle (short hairpin RNA) ; RISC = complexe de répression (RNA induced silencing complex) ; Dicer = endonucléase Dicer ; AGO = protéine Argonaute.

Les siARN sont de puissants outils de « génétique réverse », puisqu’ils permettent l’inhibition très sélective d’un gène. Ils peuvent être utilisés pour explorer la ou les fonctions d’un gène d’intérêt individuel. Mais ils peuvent aussi être utilisés de manière systématique pour faire le catalogue de tous les gènes impliqués dans une fonction biologique. Dans cette approche globale, une banque ordonnée de petits

ARNs, de taille variable pouvant être pangénomiques, est criblée sur des cellules en culture. Une variété de grandes fonctions biologiques peuvent ainsi être explorées, allant de la prolifération ou la différenciation cellulaire à l’infection virale ou bactérienne. Les siRNA permettent donc d’ores et déjà, de valider, mais aussi et peut-être surtout, de découvrir, de nouvelles cibles thérapeutiques dans divers domaines médicaux. Ils représentent potentiellement également des outils thérapeutiques très puissants, dont la qualité principale est la sélectivité. En effet, chaque fois qu’une séquence nucléotidique est impliquée, mutation à effet transdominant, infection par un parasite, un virus etc., un siARN ciblant spécifiquement cette séquence nocive peut être mis au point. La sélectivité des siARN a, bien sûr, ses limites, et des effets dits « off target » ont été observés dans certains cas. Cependant, ces aspects négatifs peuvent être contrôlés. Un autre problème important à résoudre est celui de la vectorisation. Les siARN peuvent être transcrits in situ , à partir de plasmides. Les problèmes sont alors les mêmes que ceux associés à l’utilisation de la thérapie génique, même si dans ce cas, il s ‘agit plutôt de thérapie antigénique. Les siARN peuvent aussi être synthétisés chimiquement. C’est cette dernière approche qui a été translatée le plus rapidement vers la médecine, et dès 2005, les premiers essais cliniques étaient mis en place avec des siARN synthétiques et une application locale. Il est très probable que cet outil va monter en puissance dans un futur proche.

De manière peut-être plus lointaine, mais certainement tout aussi prometteuse, les petits ARN physiologiques représentent eux-mêmes des cibles thérapeutiques potentielles. C’est, en tous cas, certainement vrai pour les miARN. Les miARN jouet un rôle dans toutes les grandes fonctions du vivant, depuis la prolifération, différenciation ou mort cellulaire jusqu’à l’infection virale (il existe d’ailleurs des miARN viraux qui peuvent être pris comme cible) [1]. La dérégulation de leur expression participe à l’établissement de nombreuses situations pathologiques. De plus, les miARN sont des nœuds dans les réseaux de régulation puisqu’en général ils contrôlent plusieurs cibles, qui elles-mêmes contrôlent des voies entières dans les cellules. Les miARN représentent donc, au moins au même titre que les gènes, des cibles thérapeutiques intéressantes. Comme pour les gènes, des essais pertes de fonction peuvent être utilisés pour valider ou découvrir des cibles thérapeutiques intéressantes. En effet, un essai perte de fonction a été mis au point qui permet de bloquer spécifiquement l’activité d’un miARN. Il est basé sur des oligonucleotides antisens [6, 8]. Utilisés au niveau pangénomique, ils permettent de faire le catalogue de tous les miARN impliqués dans une fonction donnée. De plus, comme pour les gènes, un essai « gain de fonction des miARN » est aussi disponible. Cette approche permet d’exprimer de manière ectopique un petit ARN déficient dans une cellule donnée. Ainsi, on peut envisager de corriger des défauts pathologiques des miARN, avec des stratégies similaires à celles utilisées pour les siARN puisque, dans les deux cas, il s’agit d’introduire dans les cellules cibles un petit ARN non codant.

En conclusion, la découverte, chez le vers C elegans , de l’ARN interférence a révolutionné la biologie moderne, et est en passe de faire évoluer de manière significative les approches thérapeutiques modernes.

 

BIBLIOGRAPHIE [1] Cullen B.R. — Derivation and function of small interfering RNAs and microRNAs.

Virus

Res. , 2004, 102 , 3-9.

[2] Fire A., Xu S., Montgomery M.K., Kostas S.A., Driver S.E. and Mello C.C. — Potent and specific genetic interference by double-stranded RNA in Caenorhabditis elegans. Nature, 1998, 391 , 806-811.

[3] Lin R.J., Nagy L., Inoue S., Shao W., Miller W.H., Evans R.M. — Role of the histone deacetylase complex in acute promyelocytic leukaemia. Nature, 1998, 391 , 811-814.

[4] Liu X., Fortin K. and Mourelatos Z. — (2008). MicroRNAs : biogenesis and molecular functions. Brain Pathol ., 2008, 18 , 113-121.

[5] Marks P., Rifkind R.A., Richon V.M., Breslow R., Miler T. and Kelly W.K. — (2001).

Histone deacetylases and cancer: causes and therapies. Nat. Rev. Cancer , 2001, 1, 194-202.

[6] Meister G., Landthaler M., Dorsett Y. and Tuschl T. — Sequence-specific inhibition of microRNA- and siRNA-induced RNA silencing. RNA , 2004, 10 , 544-550.

[7] Moss E.G., Lee R.C. and Ambros V. — oss, E.G., Lee, R.C., and Ambros, V. — The cold shock domain protein LIN-28 controls developmental timing in C. elegans and is regulated by the lin-4 RNA. Cell , 1997, 88, 637-646.

[8] Naguibneva I., Ameyar-Zazoua M., Nonne N., Polesskaya A., Ait-Si-Ali S., Groisman R., Souidi M., Pritchard L.L. and Harel-Bellan A. An LNA-based loss-of-function assay for micro-RNAs. Biomed. Pharmacother, 2006.

 

DISCUSSION

M. Raymond ARDAILLOU

L’inhibition de Dicer et de Drosha pourrait-elle être utile pour surexprimer les gènes que les ARN éteignent ?

Cela aboutirait à des effets non spécifiques généraux sur la cellule.

M. Jean-Jacques HAUW

Qu’en est-il de l’hypothèse selon laquelle les petits ARN pourraient jouer le rôle de protéines chaperonnes, qui transformeraient la forme d’une protéine sans en modifier la séquence (transformation de l’élice alpha en feuillets bêta), comme dans la maladie à prions ou la maladie d’Alzheimer ?

C’est une hypothèse intéressante, et l’idée que des petits ARN pourraient être impliqués dans les maladies à prion semble une piste à suivre.

M. Marc GIRARD

Quels sont les vecteurs utilisés, dans les études chez l’homme, dont vous avez parlé ? Dans l’essai d’inhiber la multiplication des VRS chez l’enfant, et d’une manière plus générale, l’emploi de SIRNA pour lutter contre les infections virales, n’y a-t-il pas un risque d’homologie de séquence avec certains MRNA cellulaires ? En d’autres termes, quel est le degré de spécificité de ces SIRNA thérapeutiques ?

Ce sont là les deux questions les plus importantes dans ce domaine. Concernant les vecteurs, les études menées jusqu’à présent utilisent des siRNAs synthétiques, nus ou combinés à des agents de vectorisation chimiques. Concernant la spécificité, c’est un problème important, et l’existence de « off-targets » a été démontrée. La spécificité est à analyser au cas par cas.

M. Jean-Yves LE GALL

Connaît-on la propriété des gènes qui fait l’objet d’une telle double régulation transcriptionnelle et traductionnelle ? Sait-on l’importance quantitative d’une telle double régulation ?

On manque de données pour répondre réellement à cette question. A priori, selon les prédictions et les quelques systèmes analysés jusqu’à présent, Les cibles des miRNAs se trouvent dans des gènes codant pour à peu près toutes les catégories de protéines (facteurs de transcription, enzymes, etc.). Selon les prédictions, une forte proportion des protéines seraient contrôlées par les miRNAs, mais encore une fois, cela reste à démontrer de manière formelle.

 

<p>* CNRS FRE 2944, Institut André Lwoff, Villejuif, F-94801 and Université Paris-Sud, Villejuif F-94801, France, e-mail : ahbellan@vjf.cnrs.fr Tirés à part : Professeur Annick Harel-Bellan, même adresse Article reçu et accepté le 8 février 2010</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2010, 194, no 2, 319-325, séance du 16 février 2010