Communication scientifique
Séance du 15 mars 2011

Les origines précoces de l’hypertension artérielle et des maladies cardio vasculaires

MOTS-CLÉS : épigénétique. hypertension artérielle. programmation précoce
Early origins of arterial hypertension and cardiovascular diseases
KEY-WORDS : embryonic and fetal development.. hypertension

Umberto Simeoni *, Isabelle Ligi, Isabelle Grandvuillemin, Farid Boubred

Résumé

Les deux dernières décennies nous ont montré que les maladies cardio-vasculaires et le diabète de type 2, mais aussi d’autres causes majeures de mortalité à l’âge adulte dans les pays industrialisés, prennent leur origine au cours du développement et de la croissance périnatals. La période de la vie qui s’étend de la conception à la première enfance s’est révélée ainsi une période unique de sensibilité, au cours de laquelle l’environnement crée une empreinte durable et contribue à programmer les principales fonctions physiologiques, le risque des principales maladies à l’âge adulte, et en fait la santé de chaque individu, la vie durant. L’exemple le plus souvent cité est l’association entre le faible poids de naissance, et le risque de décès par insuffisance coronarienne à l’âge adulte. Mais de nombreuses conditions nutritionnelles, pathologiques ou environnementales sont désormais reconnues comme influençant le risque de maladies aussi diverses que l’obésité, certaines formes de cancer, comme certains troubles psychiques. A travers le modèle de la programmation précoce de l’hypertension artérielle, cette revue examinera les caractéristiques, remarquablement communes, des mécanismes physiologiques (en particulier rénaux et vasculaires) et moléculaires mis en jeu ; le continuum de programmation entre le normal et le pathologique ; le rôle des facteurs nutritionnels précoces et secondaires ; les marqueurs précoces de risque auquel il peut être fait appel. L’impact de ces constations en termes de santé publique est considérable à l’échelle globale, à un moment ou nombre de pays émergents sur le plan économique connaissent une forte croissance économique et où un nombre important d’individus dans le monde connaît une transition brutale d’environnement nutritionnel. Cependant, d’intéressantes possibilités de prévention précoce, en agissant durant la période péri-conceptionnelle, durant la grossesse, et sur la nutrition et les comportements dès la première enfance se font jour.

Summary

Research has shown that most of the principal causes of mortality in industrialized countries have their roots in early development. Thus, the period from conception through pregnancy to early infancy is uniquely sensitive to long-lasting effects of environmental insults, potentially leading to physiological malprogramming and lifelong disease. Beyond the classical association between low birth weight and increased coronary mortality in adulthood, peri-conceptional and perinatal insults can set the scene for later obesity, cancer and behavioral disorders. Taking the developmental programming of hypertension as an example, this review addresses the remarkably similar mechanisms of early programming, particularly those involving the kidney and vasculature ; the continuum between normality and disease ; the role of early and later nutrition ; and early biomarkers and epigenetic mechanisms of later cardiovascular and metabolic disorders. The developmental origins of adult health and disease represent a global research challenge as emerging countries undergo major nutritional and environmental upheavals. Much research is focused on the benefits of early nutritional and lifestyle interventions, in both animal models and human studies.

INTRODUCTION

Les maladies cardio-vasculaires et le diabète de type 2, principales causes de mortalité à l’âge adulte dans les pays industrialisés, prennent paradoxalement leur origine au cours des phases précoces du développement et de la croissance. Ainsi, le faible poids de naissance (PN), ou les facteurs qui le déterminent, ont été reconnus comme des facteurs de risque précoce de maladies cardiovasculaires, à côté de l’hypercholestérolémie, du diabète sucré, de l’obésité, du tabagisme et de l’insuffisance d’activité physique à l’âge adulte [1, 2]. Ce concept a été d’abord dénommé « programmation fœtale » des maladies chroniques de l’adulte. Ainsi, les conditions de développement du fœtus et du nouveau-né ont un rôle sur la santé ultérieure de l’individu. On sait également que l’environnement, la nutrition et le style de vie parental péri-conceptionnel peut également créer des empreintes qui persisteront la vie durant.

Les conditions créant un risque de maladie chronique à l’âge adulte, dès la période périnatale, agissent pour partie par l’intermédiaire de facteurs nutritionnels précoces, prénatals et/ou postnatals, de sens le plus souvent contraire. Le risque majeur de maladies cardio-vasculaire et métaboliques chroniques à l’âge adulte semble en effet produit par l’association d’un déficit nutritionnel précoce périnatal, avec un rattrapage de croissance excessif durant l’enfance et l’adolescence. L’impact de ces constatations est considérable en termes de santé publique, à l’échelle globale, à un moment ou nombre de pays émergents sur le plan économique connaissent une croissance rapide et où un nombre important d’individus connaît une transition brutale d’environnement nutritionnel.

 

La « programmation » au cours du développement des caractéristiques physiologiques et physio-pathologiques à l’âge adulte

L’étude de cohortes d’adultes nés au cours des années 1920-1930, et dont les caractéristiques anthropométriques néonatales étaient connues, a montré que le taux de mortalité par maladie coronaire, mais aussi l’incidence de l’hypertension artérielle et du diabète de type 2 augmentaient lorsque le PN était plus faible [1].

Cette relation a été constatée sur des données issues de la population générale, dont les PN se situaient essentiellement dans la fourchette de la normale.

Plus récemment, chez des adultes nés prématurément, une corrélation inverse a été mise en évidence entre la pression artérielle à l’âge adulte et l’âge gestationnel, ce qui suggère que le faible PN, lié à un retard de croissance intra-utérin (RCIU) mais également à un faible âge gestationnel, peut être responsable de conséquences cardiovasculaires à long terme [3]. D’autres conditions périnatales, comme l’exposition intra-utérine à un diabète maternel, ou à une hyperoxie, sont également des facteurs de tels risques [4].

La compréhension globale de ce phénomène a longtemps fait intervenir la plasticité du développement et une réponse adaptative prédictive qui se révèle inappropriée à long terme. Ainsi la réponse du fœtus au stress le conduirait à mettre en place des caractéristiques adaptatives visant à préserver son intégrité à court terme, mais inadaptées à long terme [5]. Le concept de plasticité du développement, c’est-à-dire la possibilité pour un même génotype, de se développer sous la forme de différents phénotypes, couvre en fait à la fois le normal (du moins tel que défini par un critère normé, comme une courbe de croissance de référence) et le pathologique. Il existe un continuum représentant l’ensemble des phénomènes d’adaptation intervenus dans une population, entre les génotypes et les conditions d’environnement qui ont affecté la période couvrant leur développement précoce, intra-utérin et jusqu’à l’âge de deux ans environ chez l’humain. Cette fenêtre précoce de vulnérabilité, propre à la période péri-conceptionnelle, à la grossesse et à la période périnatale, caractérisée par le fait qu’une perturbation environnementale, notamment nutritionnelle, induit des conséquences durables, tout au long de la vie, alors que la même perturbation n’induirait pas ces changements si elle était intervenue plus tard, est retrouvée chez l’humain comme dans de nombreuses espèces animales, comme le montrent diffé- rents modèles expérimentaux chez des mammifères [6, 7].

Toutefois ce paradigme n’est plus suffisant pour expliquer la programmation dans les situations qui n’impliquent pas un stress fœtal chronique, dans des situations telles que le diabète maternel, la prématurité, l’hyperoxie, l’exposition précoce à des toxiques. Le rôle de l’empreinte moléculaire, à une période de la vie particulièrement sensible aux facteurs environnementaux et nutritionnels, du fait des bouleversements épigénétiques qui interviennent normalement autour de la fécondation et du développement précoce, est vraisemblablement majeur. Il est possible que ces altérations physiologiques et biologiques, programmées précocement s’inscrivent, dans le cadre de la théorie de la vie, dans un objectif de maintien de l’espèce, favorisant la survie des individus à court ou moyen terme, c’est-à-dire une survie centrée jusqu’à l’âge de la reproduction. Cet âge est relativement avancé dans l’espèce humaine par rapport à l’âge moyen actuel de fin de vie, qui laisse le temps aux maladies chroniques de se développer. Le fait que les périodes pre- et périnatale soient les périodes sensibles pour cette programmation à long terme peut s’expliquer par l’anticipation, parfois erronée de l’environnement dans lequel évoluera l’individu en période postnatale, jusqu’à l’âge de la reproduction, sous la forme de réponses prédictives adaptatives qui dépassent leur but lorsque la durée de vie de l’individu se prolonge.

Cette théorie se renforce actuellement par le fait que le rôle d’éventuels facteurs génétiques (notamment dans la programmation précoce du diabète), qui pourrait introduire un biais dans ces constatations, apparaît limité, et par la reconnaissance croissante par contre du rôle de modifications durables de l’expression des gènes par des mécanismes épigénétiques [8]. Les modifications épigénétiques souvent d’origine nutritionnelle ou métabolique, modifient durablement, pour des décennies, l’expression de certains gènes sans en altérer la séquence nucléotidique. Ces modifications sont transmissibles lors de la division cellulaire, mais aussi de façon inter-générationnelle entre individus. Or différents travaux récents ont démontré le caractère inter-générationnel de la programmation du diabète ou de l’hypertension artérielle liés aux conditions périnatales, dans différents modèles animaux [9]. Il est probable que la pandémie mondiale actuelle de diabète de type 2 soit liée à ce phénomène, et accentuée par le fait que, par exemple, un nouveau-né exposé in utero à une hyperglycémie maternelle, a un risque accru de développer un diabète de type 2 à sont tour à l’âge adulte.

Les modifications épigénétiques sont d’ailleurs susceptibles de contribuer à expliquer la diversité biologique des espèces et de sous-tendre les éléments manquants à la théorie de l’évolution, fondée essentiellement sur la sélection génétique liée à un avantage sélectif.

Les mécanismes systémiques impliqués dans les causes précoces du risque cardiovasculaire et métabolique. Rôle de la nutrition et du métabolisme avant la naissance.

De nombreux systèmes et organes se sont révélés impliqués dans la programmation précoce du risque cardiovasculaire et métabolique, qui sera pris ici en tant qu’exemple.

Le rein

Le rein est impliqué dans la programmation de l’HTA associée au faible PN et à l’exposition intra-utérine au diabète maternel du fait de la réduction néphronique constitutionnelle qui accompagne ces conditions. La restriction de croissance intrautérine (RCIU) est, elle, associée à une réduction permanente du nombre de néphrons à la naissance. Chez l’humain, un déficit néphronique de l’ordre de 35 % a été mis en évidence chez des enfants présentant une RCIU. Les modèles animaux de programmation périnatale d’une HTA comportent pour la plupart une réduction néphronique. La susceptibilité à l’HTA, au développement de lésions de glomérulosclérose (par hyperfiltration glomérulaire, avec protéinurie) et à l’altération des fonctions rénales chez l’adulte, apparaît liée à une réduction du nombre de néphrons, lorsque celle-ci est acquise suffisamment précocement. Les adultes présentant une HTA essentielle ont une réduction significative du nombre de néphrons. L’hyperfiltration imposée à chaque néphron lorsque leur nombre total est réduit explique le développement d’une hyperpression glomérulaire, d’une protéinurie et la progression chronique vers une insuffisance rénale et une hypertension artérielle [10].

Mécanismes vasculaires

Des mécanismes directement vasculaires sont également impliqués dans la programmation précoce de l’HTA.

Des altérations du flux vasculaire en période périnatale peuvent induire des modifications de la structure de la media et de la rigidité artérielle à long terme. Cela a été observé chez des enfants nés avec une artère ombilicale unique et chez le jumeau transfuseur dans le syndrome transfuseur-transfusé [11]. Dans différentes études récentes, y compris dans notre centre, la compliance artérielle des nouveau-nés prématurés s’est révélée diminuée par rapport aux nouveau-nés à terme, cette altération persistant au cours de la maturation postnatale [12, 13]. Ces changements semblent liés à un remodelage de la paroi artérielle et la rigidité artérielle induite est considérée comme faisant le lit d’une HTA à l’âge adulte. Au cours du développement, les constituants élastiques s’accumulent dans la paroi vasculaire. Ce mécanisme pourrait être gêné par une naissance prématurée ou une restriction de croissance.

Par ailleurs, différents travaux tant cliniques qu’expérimentaux, ont montré que la vasodilation endothélium-dépendante est altérée à long terme en cas de faible PN [14], en particulier lié à une hypotrophie, comme en cas d’exposition intra-utérine à un diabète maternel.

Il est par ailleurs possible qu’une altération durable de l’angiogénèse et une rarefaction vasculaire précoce secondaire à une dysfonction endothéliale contribue également au développememnt de l’HTA associée au faible PN [15].

Les mécanismes neuro-endocriniens

Le rôle du système rénine-angiotensine-aldostérone (SRA), de l’axe corticotrope et des mécanismes neuro-endocriniens de contrôle de l’appétit et de la masse grasse a été mis en évidence principalement sur des modèles expérimentaux murins de RCIU obtenue par une dénutrition maternelle (globale ou protidique) durant la gestation.

Une restriction protidique maternelle modérée (8,5 versus 19 % de calories protidiques) entraîne une réduction de l’expression des constituants du SRA (protéines et ARNm) dans le rein durant la période fœtale et néonatale, associée à une réduction néphronique et à une élévation de la pression artérielle [16]. À l’âge adulte, il existe une hyperactivité du SRA, comme le montre la réversibilité de certaines formes d’HTA observée sous l’effet d’inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine.

L’implication de l’axe corticotrope peut être liée à la réduction de l’activité placentaire de la 11-bêta-hydroxy-déhydrogénase de type 2 lors d’une restriction protidique maternelle. La réduction de l’activité de cette enzyme qui intervient dans la protection du fœtus contre un excès de corticoïdes d’origine maternelle pourrait expliquer la RCIU, la réduction néphronique, et le risque d’HTA à l’âge adulte. Cet effet est observé, chez le rat, lors d’une administration chronique de dexaméthasone (échappant au métabolisme placentaire) durant la gestation. L’axe hypothalamohypophysosurrénalien, est caractérisé par ailleurs par une hyperexpression du récepteur des glucocorticoïdes dans ces modèles expérimentaux.

La supplémentation postnatale en leptine permet de renverser la programmation périnatale de l’obésité chez le rat de faible poids de naissance, indiquant le rôle du contrôle hypothalamique de l’appétit et de la dépense énergétique dans la programmation précoce de l’obésité et de l’hyperinsulinisme [17].

L’insulinorésistance

Il a été démontré que certains groupes d’enfants nés prématurément développent une diminution de la sensibilité à l’insuline à l’adolescence [18]. Cette insulinorésistance semble liée à une altération durable de la composition corporelle, aux dépens de la masse maigre, avec une redistribution centrale, viscréale du tissu adipeux, à une altération de la distribution des canaux musculaires du glucose, et à une altération de l’axe hypothalamohypophysosurrénalien, avec une surexpression du récepteur glucocorticoïde [19].

Le rôle de la croissance et de la nutrition postnatales

La cohorte suivie à Helsinki montre que ce sont les sujets qui ont, au cours de l’enfance, présenté un rattrapage de l’indice de masse corporelle, après une naissance caractérisée par un poids plus faible, qui présentent le risque le plus élevé de mortalité par maladie coronarienne [20]. Des courbes de croissance postnatale spécifiquement évocatrices d’un risque ultérieur d’HTA, ou d’accident vasculaire cérébral ont pu être dégagées. Il semble d’après ces données épidémiologiques que la période s’étendant de la période fœtale, à la première enfance (jusqu’à l’âge de deux ans) constitue la fenêtre de vulnérabilité, sur laquelle viennent s’ajouter éventuellement les effets d’une accélération excessive de la croissance postnatale après cet âge. Le développement d’un rebond d’adiposité précoce avec sur-poids ou obésité, renforce ce risque.

Une hypernutrition postnatale précoce des enfants ayant présenté un faible PN accentue les effets vasculaires à long terme, en particulier la vasodilatation dépen- dante de l’endothelium [21]. Nous avons constaté que, chez des adultes jeunes nés prématurément, l’élévation de pression artérielle est corrélée à la vitesse de croissance qui fait suite au retard de croissance extra-utérin observé habituellement chez ces enfants jusqu’à l’âge de 4 mois.

Par ailleurs, des travaux réalisés dans notre laboratoire à partir d’un modèle expérimental de RCIU et d’HTA chez le rat, fondé sur une dénutrition protidique maternelle gravidique, une hyperalimentation postnatale, globale (par restriction de la portée durant la phase de lactation) ou spécifiquement hyperprotidique (modèle pup-in-the-cup recourant à une gastrostomie postnatale) accentue le développement d’une élévation de pression artérielle et d’une altération fonctionnelle et structurelle rénale à l’âge adulte [22, 23]. Une suralimentation postnatale, en particulier protidique, est susceptible d’aggraver la glomérulosclérose par l’hyperfiltration supplémentaire qu’elle induit.

Les modalités nutritionnelles postnatales optimales des enfants de faible poids de naissance et des prématurés hospitalisés dans les unités de néonatologie fait l’objet d’importantes recherches actuellement, dans le but d’éviter à la fois les effets délétères d’une nutrition précoce insuffisante ou inadaptée sur la croissance et le développement neuro-cognitif, et les effets délétères d’une nutrition et d’une croissance de rattrapage excessives sur le risque de maladies chroniques à l’âge adulte.

Mécanismes moléculaires

Sur le plan moléculaire, différents gènes ont pu être impliqués dans la genèse de la réduction néphronique, tels que le gène de la midkine, et c-ret, dont l’expression est conditionnée par le rétinol. Le transcriptome s’est cependant révélé largement altéré dans les modèles expérimentaux de RCIU avec programmation d’une HTA à l’âge adulte, dans notre expérience [24, 25]. C’est dans le rein également que des modifications épigénétiques ont pu être mises en évidence. Les phénomènes épigénétiques affectent durablement l’expression des gènes (et non la séquence de l’ADN) par des mécanismes de méthylation-déméthylation de l’ADN ou d’acetylation ou de methylation des histones, rendant la chromatine accessible ou non accessible aux facteurs de transcription. Il est manifeste d’autre part que les ARN régulateurs jouent également un rôle important dans les modifications épigénétiques. La déméthylation du gène p53, et son activation dans l’accélération de l’apoptose a par exemple été démontrée au niveau du rein au cours d’une restriction de croissance intrautérine par ligature de l’artère utérine chez le rat [26].

La disponibilité de groupements méthyle est en effet liée à l’état nutritionnel et les processus de méthylation-déméthylation sont aussi influencés par la libération de radicaux libres générés par les états d’hypoxie et d’ischémie. Il est cependant probable que des mécanismes épigénétiques interviennent dans d’autres systèmes physiologiques concernés par la programmation précoce.

 

CONCLUSION

La mise en évidence de la sensibilité des premières périodes de la vie aux stimuli de l’environnement, et de ses conséquences durables, voire transmissibles d’une géné- ration à l’autre, bouleverse ainsi notre compréhension de l’épidémiologie, de la pathogénie de nombreuses affections de l’âge adulte, du système cardiovasculaire à certaines formes de cancer, ou de troubles psychiques. Elle ouvre à la médecine de la reproduction, à l’obstétrique et à la pédiatrie un nouveau champ d’action : l’enfant voit son devenir clairement et durablement influencé par l’environnement dans lequel se produit son développement initial.

La recherche actuelle bénéficie d’efforts croissants, multidisciplinaires, et suit diffé- rents axes.: la caractérisation des phénomènes de programmation dans des systèmes explorés plus récemment, tels que le système nerveux, le système immunitaire et le cancer, le placenta ; la recherche des mécanismes intimes des altérations à long terme liées aux conditions adverses et au profil de croissance qui s’en suit dans l’espoir de d’éventuelles voies thérapeutiques, pharmacologiques ou nutritionnelles, aux différentes phases pré-conceptionnelle, gestationelle, et postnatale, et de l’identification de marqueurs précoces de ce risque [27, 28]. De premiers essais interventionnels, portant sur la nutrition et le style de vie avant et pendant la grossesse, sont en cours dans différents pays.

BIBLIOGRAPHIE [1] Barker D.J., Winter P.D., Osmond C., Margetts B., Simmonds S.J. — Weight in infancy and death from ischaemic heart disease. Lancet 1989, 2 , 577-80.

[2] Gluckman P.D., Hanson M.A., Morton S.M., Pinal C.S. — Life-long echoes-a critical analysis of the developmental origins of adult disease model. Biol. Neonate, 2005, 87 , 127-39.

[3] Irving R.J., Belton N.R., Elton R.A., Walker B.R. — Adult cardiovascular risk factors in premature babies. Lancet, 2000, 355 , 2135-6.

[4] Simeoni U., Barker D.J. — Offspring of diabetic pregnancy : Long-term outcomes.

Semin.

 

Fetal. Neonatal. Med., 2009, 14 , 119-124.

[5] Gluckman P.D., Hanson M.A. — The consequences of being born small — an adaptive perspective. Horm. Res., 2006 , 65 Suppl . 3 , 5-14.

[6] Woods L.L., Weeks D.A. — Naturally occurring intrauterine growth retardation and adult blood pressure in rats. Pediatr. Res., 2004, 56 , 763-7.

[7] McMullen S., Langley-Evans S.C. — Maternal low-protein diet in rat pregnancy programs blood pressure through sex-specific mechanisms. Am. J. Physiol. Regul. Integr. Comp. Physiol., 2005, 288 , R85-90.

[8] Waterland R.A., Jirtle R.L. — Early nutrition, epigenetic changes at transposons and imprinted genes, and enhanced susceptibility to adult chronic diseases. Nutrition, 2004, 20 , 63-8.

[9] Harrison M., Langley-Evans S.C. — Intergenerational programming of impaired nephrogenesis and hypertension in rats following maternal protein restriction during pregnancy. Br. J.

Nutr., 2009, 101 -1020-30.

[10] Brenner B.M., Garcia D.L., Anderson S. — Glomeruli and blood pressure. Less of one, more the other ? Am. J. Hypertens, 1988, 1 , 335-47.

[11] Cheung Y.F., Taylor M.J., Fisk N.M., Redington A.N., Gardiner H.M. — Fetal origins of reduced arterial distensibility in the donor twin in twin-twin transfusion syndrome. Lancet, 2000, 355 , 1157-8.

[12] Tauzin L., Rossi P., Giusano B. et al. — Characteristics of arterial stiffness in very low birth weight premature infants.

Pediatr. Res., 2006, 60 , 592-6.

[13] Rossi P., Tauzin L., Marchand E., Simeoni U., Frances Y. — [Arterial blood pressure and arterial stiffness in adolescents are related to gestational age]. Arch. Mal. Cœur Vaiss., 2006, 99, 748-51.

[14] Norman M. — Low birth weight and the developing vascular tree: a systematic review.

Acta

Paediatr., 2008, 97 , 1165-72.

[15] Pladys P., Sennlaub F., Brault S. et al . — Microvascular rarefaction and decreased angiogenesis in rats with fetal programming of hypertension associated with exposure to a lowprotein diet in utero. Am. J. Physiol. Regul. Integr. Comp. Physiol., 2005, 289 , R1580-8.

[16] Woods L.L., Ingelfinger J.R., Nyengaard J.R., Rasch R. — Maternal protein restriction suppresses the newborn renin-angiotensin system and programs adult hypertension in rats.

Pediatr. Res., 2001, 49 , 460-7.

[17] Vickers M.H., Gluckman P.D., Coveny A.H . et al . — Neonatal leptin treatment reverses developmental programming.

Endocrinology 2005, 146 , 4211-6.

[18] Hofman P.L., Cutfield W.S. — Insulin sensitivity in people born pre-term, with low or very low birth weight and small for gestational age. J. Endocrinol. Invest., 2006, 29 , 2-8.

[19] Boullu-Ciocca S., Dutour A., Guillaume V., Achard V., Oliver C., Grino M. — Postnatal diet-induced obesity in rats upregulates systemic and adipose tissue glucocorticoid metabolism during development and in adulthood : its relationship with the metabolic syndrome.

Diabetes, 2005, 54 , 197-203.

[20] Barker D.J., Osmond C., Forsen T.J., Kajantie E., Eriksson J.G. — Trajectories of growth among children who have coronary events as adults. N. Engl. J. Med., 2005, 353 , 1802-9.

[21] Singhal A., Cole T.J., Lucas A. — Early nutrition in preterm infants and later blood pressure : two cohorts after randomised trials. Lancet, 2001, 357 , 413-9.

[22] Boubred F., Daniel L., Buffat C. et al. — Early Postnatal Overfeeding Induces Early Chronic

Renal Dysfunction in Adult Male Rats.

Am. J. Physiol. Renal. Physiol., 2009, 297 , F943-F951.

[23] Boubred F., Buffat C., Feuerstein J.M. et al. — Effects of early postnatal hypernutrition on nephron number and long-term renal function and structure in rats.

Am. J. Physiol. Renal.

Physiol., 2007, 293 , F1944-9.

[24] Buffat C., Mondon F., Rigourd V. et al. — A hierarchical analysis of transcriptome alterations in intrauterine growth restriction (IUGR) reveals common pathophysiological pathways in mammals. J. Pathol., 2007, 213 , 337-46.

[25] Buffat C., Boubred F., Mondon F. et al. — Kidney gene expression analysis in a rat model of intrauterine growth restriction reveals massive alterations of coagulation genes.

Endocrinology, 2007, 148 , 5549-57.

[26] Pham T.D., Maclennan N.K., Chiu C.T., Laksana G.S., Hsu J.L., Lane R.H. — Uteroplacental insufficiency increases apoptosis and alters p53 gene methylation in the full-term IUGR rat kidney. Am. J. Physiol. Regul. Integr. Comp. Physiol., 2003, 285 , R962-70.

[27] Ligi I., Grandvuillemin I., Andres V., Dignat-George F., Simeoni U. — Low birth weight infants and the developmental programing of hypertension: a focus on vascular factors. Semin.

Perinat, 2010, 34 , 188-92.

[28] Simeoni U., Ligi I., Buffat C., Boubred F. — Adverse conseuqnecs of accelerated neonatal growth: cardiovascular and renal issues. P ediatr. Nephrol., 2011, 26 , 493-508.

 

DISCUSSION

M. François-Bernard MICHEL

Si les trois présentations argumentent indiscutablement des facteurs épigénétiques dans la genèse des maladies, elles admettent toutes un présupposé, à savoir que les facteurs génétiques eux-mêmes, pour plusieurs variables (pression artérielle, cholestérol, IDM, etc.) seraient sinon identiques, du moins proches dans les groupes étudiés ?

Les facteurs génétiques interviennent partiellement dans la genèse des maladies multifactorielles telles que l’hypertension artérielle, le diabète, le cancer. Toutefois, un rôle important est joué par les facteurs épigénétiques influençant les phases précoces du développement, indépendamment et de façon additionnelle à ces facteurs génétiques. En témoignent en particulier : — la concordance de la majorité des nombreuses études observationnelles réalisées chez l’humain dans des populations disparates, dans diffé- rents continents, et la corrélation continue entre l’intensité du facteur intervenant au cours du développement, et le résultat mesuré à l’âge adulte ; il est remarquable que, dans une étude chez les indiens Pima (Arizona), génétiquement susceptibles de développer un diabète de type 2, les descendants d’une mère diabétique présentaient un risque accru de développer un diabète à l’âge adulte lorsque le diabète maternel avait débuté suffisamment tôt pour y avoir été exposés durant la grossesse ; — la reproductibilité de la « programmation » précoce du risque pathologique dans différents modèles animaux, dans différentes espèces, expérimentations réalisées sur des lignées pures dont les groupes ne diffèrent que par les conditions expérimentales testées.

M. Pierre BÉGUÉ

Le risque cardiovasculaire des enfants de petit poids de naissance est-il égal chez le prématuré et chez l’enfant atteint de retard de croissance intra-utérin ? Concernant l’alimentation des retards de croissance intra-utérin dans les premiers mois de vie, on est en effet préoccupé par un retard de taille important si l’apport nutritionnel est insuffisant. Que doit-on proposer ?

Le risque cardio-vasculaire et métabolique semble proche chez les prématurés, en nature (et probablement amplifié) de celui observé chez les enfants atteints d’une restriction de croissance intra-utérine. La trajectoire de croissance postnatale optimale pour les enfants prématurés, et à fortiori la stratégie optimale pour leur nutrition ne sont pas connues.

Toutefois, il apparaît raisonnable en l’état actuel des connaissances, de proposer à ces enfants une nutrition postnatale précoce suffisamment intense pour éviter le retard de croissance extra-utérin qu’ils subissent souvent, et conserver la trajectoire de croissance intra-utérine qu’ils auraient suivie ; ce qui devrait permettre par la suite d’éviter une croissance de rattrapage excessive, qui semble délétère, et de les maintenir aussi proches que possibles de leur couloir de croissance théorique, sans le dépasser.

M. André VACHERON

La poursuite du tabagisme pendant la grossesse est délétère pour le fœtus. Elle favorise la prématurité, le petit poids de naissance. Elle entraînerait des lésions vasculaires placentaires. La prévalence de l’hypertension artérielle à l’âge adulte est-elle augmentée chez les enfant nés de mère tabagique ?

Une élévation de la pression artérielle systolique a été trouvée chez les enfants dont la mère était tabagique, indépendamment des facteurs confondants. On ne dispose pas d’information quant au risque d’hypertension artérielle à l’âge adulte. Certaines études suggèrent que les enfants exposés à un tabagisme maternel durant la grossesse sont exposés à un risque accru de maladies allergiques et d’asthme dans l’enfance.

M. Pierre GODEAU

Quelle est l’influence, nocive ou bénéfique d’un régime végétarien pendant la grossesse ?

D’un régime de restriction sodée en l’absence d’indication précise ?

Un régime végétarien strict incontrôlé durant la grossesse peut altérer la nutrition du fœtus et de l’enfant durant la période d’allaitement maternel. En particulier, une carence en vitamine B12 chez une mère végétarienne peut entraîner une anémie mégaloblastique mais aussi des troubles neuro-développementaux chez son enfant, Toutefois, il s’agit davantage d’un mécanisme carentiel que d’une programmation précoce de ces troubles chez l’enfant. Concernant les apports sodés maternels, il n’y a pas lieu de les réduire en l’absence d’indication précise durant la grossesse, y compris dans de nombreuses formes de prééclampsie. Le sodium est nécessaire à la croissance et au développement de l’enfant.

Mme Denise-Anne MONERET-VAUTRIN

Pouvez-vous nous préciser les constatations faites dans le suivi à long terme des nouveau-nés soumis à une hyperoxie, ainsi que les mécanismes invoqués, s’appuyant sur l’expérimentation animale ?

Les nouveau-nés soumis à une hyperoxie aiguë, en particulier dans le contexte d’une réanimation dès la naissance, sont sujets à des conséquences délétères à court terme (retard d’adaptation extra-utérine des fonctions vitales, mortalité accrue, anomalie de l’équilibre oxydant/antioxydant, par rapport aux nouveau-nés qui ont bénéficié d’une réanimation sans supplément d’oxygène), mais également à long terme, avec un risque accru de pathologie cancéreuse à l’âge adulte. Des études animales démontrent par ailleurs, notamment chez le rat, que l’exposition à une hyperoxie durant les premiers jours de vie postnatale, est génératrice d’une élévation de la pression artérielle à l’âge adulte. Les mécanismes, qui font intervenir le stress oxydant, n’en sont que partiellement connus, mais impliquent en particulier un découplage de la NO-synthase endothéliale, à l’origine d’une production accrue de métabolites actifs de l’oxygène.

 

M. Georges DAVID

Vous avez étendu la phase de sensibilité non seulement à la période conceptionnelle mais à la période pré-conceptionnelle. Quel peut être le mécanisme concernant la participation masculine ?

Certains des gènes impliqués dans les mécanismes de « programmation » précoce des fonctions physiologiques sont des gènes soumis à empreinte parentale, c’est-à-dire d’expression différente selon que l’allèle considéré est d’origine paternelle ou maternelle.

C’est le cas des gènes de l’IGF-2 (Insulin-like Growth Factor 2) et H19, qui contrôlent la croissance fœtale en sens inverse et sont porteurs d’une empreinte parentale opposée, dont la nature est épigénétique. D’autre part, la preuve a été récemment apportée dans une étude chez le rat qu’une diète paternelle hyperlipidique entraîne une dysfonction des cellules beta du pancréas, productrices d’insuline, chez les descendants femelles adultes.

M. Bernard SALLE

Les données de David Barker sont incomplètes dans le diagnostic de retard de croissance :

prématurité ? Etiologie des RCIU ? Il faut être prudent dans les conclusions !

Effectivement, l’âge gestationnel des sujets composant la cohorte du Hertfordshire de laquelle sont issues les données de David Barker et coll . n’est pas connu. Il est probable qu’une majorité des sujets dont le poids de naissance était relativement faible dans cette cohorte ait souffert davantage de restriction de croissance intra-utérine que d’une prématurité sévère, leur naissance étant intervenue au début du xxe siècle. C’est pourquoi les informations tirées de cette cohorte sont rapportées au seul poids de naissance en tant que simple marqueur de conditions périnatales défavorables, indépendamment de la nature de celles-ci. La relation entre un faible poids de naissance et un risque accru de décès par maladie cardiaque à l’âge adulte existe d’ailleurs également pour des poids de naissance variant à l’intérieur de la fourchette, assez large, de la normale, donc probablement pour des naissances à terme. Pour dissocier l’effet de la prématurité, de celui des autres causes de faibles poids de naissance (notamment une restricition de croissance intra-utérine), il convient de se tourner vers des études évaluant l’effet pur de l’âge gestationnel ; celles-ci montrent que l’abaissement de l’âge gestationnel est associé à un risque accru d’hypertension artérielle (Johansson), d’insuffisance rénale chronique, et d’insulino-résistance à l’âge adulte.

 

<p>* Médecine néonatale, Pôle parents-enfants, Hôpital de la Conception, AP-HM et UMR 608, Inserm — 147 bld Baille 13005 Marseille, Aix-Marseille Université e-mail : Umberto Simeoni@ap-hm.fr Tirés à part : Professeur Umberto Simeoni, même adresse Article reçu le 2 mars 2011, accepté le 7 mars 2011</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, no 3, 499-510, séance du 15 mars 2011