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Séance du 9 juin 2009

Les obésités génétiques en pédiatrie

MOTS-CLÉS : délétion chromosomique. dysplasie fibreuse polyostotique. hypotonie musculaire. obésité/génétique. récepteurs à la leptine. retard de croissance staturo-pondéral. syndrome de bardet-biedl.. syndrome de praderwilli
Genetic obesity in childhood
KEY-WORDS : bardet-biedl syndrome.. chromosome deletion. failure to thrive. fibrous dysplasia, polyostotic. muscle hypotonia. obesity/genetics. prader-willi syndrome. receptors, leptin

Jacques Battin

Résumé

L’obésité commune de l’enfant, de nature polygénique, est actuellement en augmentation inquiétante, conséquence d’un « conflit faustien » En plus des formes endocriniennes, auxquelles il faut penser quand la vitesse de croissance ralentit, il existe aussi des causes monogéniques, non syndromiques, qui sont rares mais de grand intérêt physiopathologique. Ces cas récessifs ou dominants concernent le déficit en leptine ou en son récepteur, le déficit en pro-opiomélanocortine et en récepteur de la 4-mélanocortine. On connaît également des obésités génétiques syndromiques, la moins rare étant celle du syndrome de Prader-Willi, caractérisée par une boulimie hyperphagique qui succède à une hypotonie initiale, avec hypotrophie, séquence clinique évocatrice incitant à rechercher la microdélétion du chromosome 15 paternel par Fish ou, en son absence, par la biologie moléculaire, une disomie uniparentale maternelle. Ce syndrome est un modèle d’expression monoallélique de gènes soumis à empreinte parentale, ce qui est une exception aux lois mendéliennes. Il démontre aussi que l’obésité et les troubles du comportement y sont génétiquement induits et qu’un diagnostic précoce est nécessaire pour mettre en œuvre une prise en charge appropriée et efficace.

 

Summary

Polygenic obesity is increasingly frequent in childhood. Rare monogenic, non syndromic forms are of special physiopathological interest. They are due to recessive or dominant leptin/receptor deficits, pro-opiomelanocortin deficit, or 4-melanocortin deficit. Genetic obesity syndromes include the Bardet-Biedl, Cohen, Albright, Alstrom, MOMA and Prader-Willi syndromes. The latter, first described in 1956, is the most frequent (1/10 000). It is associated with severe early-onset obesity, morbid hunger, and ante and postnatal hypotonia. It is due to microdeletion of paternal chromosome 15 (15q11-q13) or to uniparental maternal disomy. This is the first human example of genomic imprinting and monoallelic gene expression. Early diagnosis is essential for effective therapeutic management.

INTRODUCTION

L’obésité est actuellement la première épidémie non infectieuse de l’humanité. Elle démontre qu’ « un conflit faustien » se développe lorsque des gènes adaptés depuis des millénaires aux carences alimentaires en privilégiant le stockage des graisses deviennent néfastes avec la suralimentation et la diminution de l’activité physique.

L’obésité commune est surtout polygénique, liée à l’interaction de facteurs de prédisposition et environnementaux..

Les obésités d’origine endocrinienne sont à connaître du pédiatre, de même que les obésités monogéniques syndromiques, dont le diagnostic est facilité par les atlas et ouvrages de dysmorphologie, ainsi que par le logiciel Possum [1]. Les obésités monogéniques non syndromiques exceptionnelles ont le grand intérêt de permettre de localiser de nouveaux gènes et de mieux connaître les mécanismes complexes de l’obésité.

LES OBÉSITÉS MONOGÉNIQUES NON SYNDROMIQUES :

DE LA SOURIS A L’HOMME .

C’est la biologie moléculaire qui, dans divers modèles monogéniques d’obésité chez les rongeurs, a ouvert la voie à la pathologie humaine. La découverte du gène ob en 1994 et de son produit la leptine (du grec leptos, mince), a fait naître de grands espoirs. Cette hormone produite par les adipocytes règle l’homéostasie du poids corporel en diminuant la ration alimentaire et en augmentant la dépense énergétique. C’est un indicateur des réserves adipeuses qui influencerait la prise alimentaire en modulant le taux des peptides cérébraux, comme le neuropeptide Y, agent orexigène, mais inhibiteur de l’axe gonadotrope.

La souris porteuse de la mutation ob/ob, déficitaire en leptine, est obèse, diabétique et infertile. La leptine recombinante réduit le poids du corps et est très efficace à faible dose si on l’injecte dans le troisième ventricule au niveau des centres hypothalamiques. La souris diabétique db/db et son homologue le rat fa/fa ont un phénotype identique à celui de la souris ob/ob, mais avec un taux très élevé de leptine, indiquant qu’il s’agit d’une mutation de son récepteur hypothalamique, lequel appartient à la superfamille des récepteurs des cytokines.

Les défauts géniques de la leptine et de son récepteur n’ont qu’une faible incidence dans l’obésité humaine commune. Les seuls cas de transmission récessive autosomique rapportés concernent des familles consanguines, telles que les deux familles pakistanaise et turque étudiées en 1997 et 1998 avec mutation du gène ob (7q31-3) entraînant un taux de leptine inférieur à 1,5 ng/ml et une famille kabyle, en 1998, avec mutation du gène du récepteur de la leptine dont les taux dépassaient 500ng/ml [2-4]. Qu’il y ait déficit ou résistance à la leptine, le tableau est identique : l’obésité est précoce dès les premiers mois, alors que le poids de naissance est normal, le comportement alimentaire est compulsif, comme dans le syndrome de Prader-Willi, l’hypogonadisme hypogonadotrope est complet, ce qui confirme le rôle de la leptine dans la maturation sexuelle. D’autres dysfonctions pituitaires peuvent être associées concernant la TSH et l’axe GH-IGF1.

Des mutations du gène de la pro-opiomélanocortine et du récepteur de la mélanocortine ont été identifiés dans des obésités du jeune enfant de transmission dominante [5-10]. D’autres systèmes prohormone-hormone sont concernés, comme le gène de la proconvertase [11].

Sachant le nombre des neuropeptides stimulés ou inhibés par la leptine, NPY, galanine, orexines,, bombésines…,il faut s’attendre à découvrir d’autres obésités monogéniques humaines. Pour ce faire, il convient de décrire le plus précisément le phénotype clinico-biologique et de mettre en banque l’ADN de ces obésités extrê- mes précoces, qu’il s’agisse de cas dominants ou apparaissant dans des familles consanguines, afin de rechercher des mutations dans les régions chromosomiques humaines synténiques de celles de la souris, dont la pathologie éclaire de plus en plus celle des humains.

LES OBÉSITES GÉNÉTIQUES SYNDROMIQUES

Syndrome de Prader-Willi, premier exemple d’anomalie de l’empreinte parentale.

Décrit en 1956 par Prader, Labhart et Willi, sa fréquence n’est pas négligeable : entre 1 /10 000 et 1/15 000. Holm a établi un score clinique qui doit comprendre un total de huit points dont cinq critères majeurs [12].

Les critères majeurs valant un point sont :

— l’hypotonie néo-natale et infantile entraînant des difficultés à téter, d’où une hypotrophie pondérale initiale nécessitant des gavages, — la prise de poids est ensuite excessive, entre un et six ans, entraînant une obésité extrême due à une hyperphagie par recherche compulsive de nourriture, — une dysmorphie faciale avec visage allongé, yeux en amande, bouche petite et ouverte, nez fin, lèvre supérieure mince et commissure tombante, — un hypogonadisme hypogonadotrope avec micropénis et hypoplasie scrotale, puberté retardée et incomplète, — un retard global du développement, suivi d’un retard mental avec difficultés d’apprentissage, contrastant avec la rapidité à faire des puzzles,

Les critères mineurs valant un demi-point sont :

— la diminution de la motilité fœtale, — la faiblesse du cri chez le nourrisson, s’améliorant avec l’âge, — des troubles du comportement avec des accès de colère, de violence provoqués par les frustrations alimentaires, une tendance à ergoter, à s’opposer et à mentir, — des troubles du sommeil avec apnées nocturnes, — un retard statural dans 50 à 50 % des cas conduisant à une taille adulte spontanée de 155 cm pour le sexe masculin, de 150 cm pour le sexe féminin, — des pieds et des mains effilés (acromicrie), — une hypopigmentation et des lésions de grattage, — un strabisme et une myopie, — une salive épaisse, visqueuse, — un seuil élevé à la douleur.

Génétique (MIM176270) : ce syndrome est du à l’absence d’un ou plusieurs gènes (syndrome des gènes contigus) dans la région 15q11-q13 d’origine paternelle, qu’il s’agisse d’une microdélétion dans 70 % des cas décelée par Fish ou d’une non représentation du cluster paternel par disomie uniparentale maternelle dans 20 % des cas, plus rarement d’un profil anormal de la méthylation de cette région. A part la situation d’anomalie d’empreinte, le conseil génétique est rassurant.

Le critère génétique est essentiel et vaut un point. Le contre type du syndrome de Prader-Willi est le syndrome d’Angelman, différent phénotypiquement et du à l’absence de fonction des gènes de la même région 15q11-q13, soit par délétion du chromosome maternel ou par disomie uniparentale paternelle. Ainsi des gènes peuvent avoir une expression monoallélique, entorse au mendélisme habituel.

En pratique, toute hypotonie néo-natale devrait être considérée comme un syndrome de Prader-Willi, à preuve du contraire apportée par la génétique moléculaire.

Un diagnostic précoce éviterait des examens inutiles (scanner, biopsie musculaire…).

Il permet une prise en charge multi-disciplinaire et l’apport d’hormone de croissance biosynthétique, l’AMM étant donnée pour accélérer la vitesse de croissance et pour ses effets métaboliques permettant de prévenir l’obésité avec les mesures diététiques et d’augmenter la masse musculaire améliorant ainsi l’activité physique et peut-être même les facultés cognitives [13]. Dans ce but, les parents concernés regroupés dans l’Association Prader-Willi France coopèrent avec les pédiatres et généticiens des centres de référence labellisés en 2004.

Ostéodystrophie héréditaire d’Albright (ODA ) ou pseudohypoparathyroïdie type 1A.

L’ODA est caractérisée par :

— une obésité très précoce, — une dysmorphie faciale, faciès arrondi, ensellure nasale prononcée, hypertélorisme, — une brachymétacarpie-tarsie, uni ou bilatérale, symétrique ou asymétrique, — le retard mental est variable.

 

La résistance rénale à l’action de la parathormone cause une hypoparathyroïdie avec hypocalcémie génératrice de convulsions, hyperphosphorémie et élévation de la PTH.

On distingue :

— la forme 1a, associe à la résistance à la PTH des anomalies endocriniennes multiples, — hypothyroïdie, hypogonadisme, — la forme 1c, le tableau étant identique, mais sans déficit des protéines Gs, — la forme 1b, avec des anomalies biologiques identiques, mais sans phénotype clinique.

Génétique (MIM 103580) l’ODA est une maladie autosomique dominante, due à des mutations inactivatrices de la sous-unité alpha-activatrice associée à la protéine G (Gsa ou GSAS1). Le gène GNAS1, en 20q13 se transmet suivant une pénétrance et expressivité variables inter et intrafamiliales, le plus souvent sporadique.

L’expressivité varie en fonction du sexe du parent transmetteur, le gène étant soumis à un mécanisme d’empreinte parentale. Le phénotype est complet, de type 1a, quand la mutation est d’origine maternelle, limité à l’ODA sans les autres résistances hormonales quand la maladie est héritée du père [14].

Syndrome de Bardet- Biedl (BBS)

Bardet (thèse Paris, 1920), Biedl (Deutsche Med. Woch. 1922).Ce syndrome est rare, 1/175000 en Europe, sauf chez les Bédouins du Koweit,1/13500. Il a aussi un phénotype progressif :

— l’obésité y est quasi constante, précoce, difficile à traiter, — la rétinite pigmentaire est également constante avec une dystrophie mixte — des cônes et des bâtonnets qui entraîne la perte de la vision nocturne et une diminution du champ visuel dès l’âge de 5 ans. Entre 5 et 10 ans, 15 % de ces enfants ont un fond d’œil anormal. Outre le nystagmus, ces patients sont affectés de myopie, d’astigmatisme, de glaucome et de cataracte. A 20 ans, 75 % ont un handicap visuel majeur, — le retard mental est variable, de modéré à un QI presque normal, — l’atteinte rénale est quasi constante, touchant les fonctions tubulaires, — l’hypertension artérielle est fréquente, comme l’insuffisance rénale, de même que le diabète insulinorésistant, — l’hexadactylie post-axiale touchant les quatre membres est présente dans 60 % des cas, — le retard pubertaire, l’hypogénitalisme et l’infertilité complètent le tableau clinique.

— Ce syndrome a été longtemps confondu avec le syndrome de Laurence-Moon qui est une entité distincte. Si celle-ci comporte une rétinite pigmentaire, il n’y a ni obésité, ni polydactylie, par contre un retard statural et une paraplégie spastique.

Génétique (MIM 209900-209901) La transmission est récessive, avec une grande hétérogénéité génétique, puisqu’on connaît dix gènes pour un même phénotype :

BBS1sur le chromosome 11q13 ; BBS2 en 16q21, BBS3 en 3p12-p13 ; BBS4 en 15q22.3-q23 ; BBS5 en 2q31 ; BBS6 en 20p12 ; BBS7 en 4q27 ; BBS8 en 14q32 ;

BBS9 en 7 p14 ; BBS10 en 12q21.2. La transmission peut être monoallélique, bi et même triallélique [15].

Syndrome de Cohen

Décrit en 1973, ce syndrome, également rare, est identifiable, car il associe :

— une obésité facio-tronculaire développée avant dix ans, — une dysmorphie faciale particulière : incisives centrales proéminentes et de grande taille, fentes palpébrales inclinées en bas, philtrum court, bouche ouverte, — les doigts et les orteils sont longs et fuselés, — le retard mental est modéré, — la rétinite pigmentaire consiste en une dystrophie des cônes et des bâtonnets, — le retard statural est présent dans 70 % des cas, le retard pubertaire avec cryptorchidie chez 30 % des garçons, — une neutropénie, sans déficit immunitaire, est parfois associée.

Génétique (MIM 216550). La transmission est récessive autosomique et l’on connaît des variations intra-familiales du phénotype. L’hétérogénéité génétique est probable, bien qu’un seul gène ait été isolé COH1 en 8 q22-23, avec 73 mutations hexoniques.

Syndrome d’Alstrom.

Décrit en 1959, il est très rare, sauf chez les Acadiens. A la différence du syndrome de Bardet- Biedl, il ne comporte ni polydactylie, ni retard mental malgré le double déficit sensoriel, — l’obésité y est précoce, tronculaire, — le diabète insulino-résistant avec acanthosis nigricans est fréquent après vingt ans, — la rétinite pigmentaire est associée à une surdité de perception évolutive, — une tubulopathie interstitielle évolue vers l’insuffisance rénale entre trente et quarante ans, Génétique (MIM 203800) la transmission est récessive autosomique et le gène localisé en 2q13-14 a récemment été identifié [16].

 

Syndrome de Borjeson-Forssman-Lehmann

Décrit en 1962, il associe une obésité, un retard mental sévère avec épilepsie, microcéphalie et hypotonie, une dysmorphie faciale (traits grossiers, joues rebondies, ptosis, arcades orbitaires saillantes, enophtalmie et grandes oreilles), un retard statural et un hypogénitalisme.

Génétique (MIM 301900) : la transmission est récessive liée au chromosome X, le gène localisé en Xq26-27 n’est pas encore identifié.

Syndrome de l’X fragile (MIM 309550)

Les garçons atteints peuvent parfois présenter une obésité importante qui peut être confondue avec celle du syndrome de Prader-Willi. Ainsi, la recherche de l’X fragile par biologie moléculaire s’impose devant toute obésité avec retard mental.

Disomie uniparentale maternelle du chromosome 14

L’obésité est associée à une petite taille, des anomalies génitales telles qu’une puberté précoce, un retard mental et une dysmorphie avec des mains et des pieds courts. Le tableau clinique peut à nouveau simuler le syndrome de Prader-Willi.

L’étude moléculaire du patient et de ses parents est nécessaire au diagnostic [17].

Syndrome WAGR (MIM 194072).

Il associe une tumeur de Wilms, une aniridie, des anomalies génitales et un retard mental et est lié à une microdélétion d’un chromosome 11p13. Il a été décrit chez quelques patients une obésité sévère associée, peut-être due à un gène contigu à la région WAGR [18].

Syndrome MOMO (MIM 157980).

Décrit en 1993, cet acronyme correspond à une macrosomie à + 2DS, une obésité à + 3DS, par hyperphagie, une macrocéphalie à + 4DS, des anomalies oculaires (colobome rétinien et nystagmus) et une incurvation des fémurs. On a décrit des variantes, MOMES, MORM, MEHMO, suivant les signes associés.

CONCLUSION

Les obésités génétiques représentent un ensemble hétérogène, de diagnostic étiologique difficile, nécessitant le recours à des pédiatres ou des généticiens avertis, afin d’établir un conseil génétique approprié et une prise en charge précoce et adaptée (19). Malgré leur rareté, ces syndromes participent à la recherche des gènes intervenant dans le mécanisme de l’obésité.

 

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<p>* Membre de l’Académie nationale de médecine, e-mail : jacquesbattin@aol.com Tirés à part : Professeur Jacques Battin, 251, avenue de la Marne, 33700 Mérignac Article reçu le 3 mai 2009, accepté le 8 mai 2009</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2009, 193, no 6, 1281-1288, séance du 9 juin 2009