Chronique historique
Séance du 6 novembre 2012

Les femmes et le Sida : de tumultueux prémices

Women and HIV/AIDS: stormy beginnings

Roger HENRION *

Résumé

À la suite de la transfusion à une jeune femme de deux unités de sang contaminé par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) au cours d’une césarienne faite dans le service de gynécologie obstétrique de Port-royal à Paris en 1984, l’auteur, confronté à une situation inédite, prit conscience du danger qu’allait représenter ce virus pour les femmes et leurs enfants à un moment où l’infection semblait circonscrite aux homosexuels, aux toxicomanes, aux hémophiles et aux transfusés. Il dut s’efforcer de résoudre successivement toute une série de problèmes : la maîtrise des phénomènes de rejet envers ces femmes séropositives ; l’obligation de faire respecter des mesures de précaution inhabituelles en salle de travail et d’opération ; la nécessité de recevoir ces patientes en un lieu unique doté d’un personnel compétent et volontaire afin de les aider à prendre leur décision de poursuivre ou non leur grossesse, les risques étant à cette époque le développement de maladies opportunistes mortelles au cours de la grossesse et la transmission à l’enfant estimée de 20 à30 % ; le désir  des couples de procréer quand l’un des deux membres étaient séropositifs ; la difficulté de respecter le secret professionnel lorsqu’un mari séropositif et immunodéprimé refusait obstinément d’avertir sa femme et d’utiliser des préservatifs ; l’intérêt de réunir ces femmes, notamment les africaines, au sein d’une association afin qu’elles puissent s’exprimer et confronter leurs difficultés ; l’importance du dépistage des anticorps anti VIH au début de la grossesse, d’une part afin d’appliquer un traitement préventif de la transmission de la mère à l’enfant, d’autre part de prévenir les pédiatres ; l’utilité d’évaluer la prévalence de la séropositivité chez les femmes enceintes et d’en surveiller l’évolution en entreprenant une enquête dite sentinelle, ultérieurement reprise par l’Inserm, puis le Centre européen pour la surveillance épidémiologique du Sida. L’auteur, après avoir signalé les nombreuses autres questions âprement discutées au fil des années, rappelle qu’au début, lors de toute nouvelle proposition pour améliorer le sort des femmes et des enfants, il s’est heurté à l’atermoiement des pouvoirs publics soumis à la pression conjointe de certains médecins peu clairvoyants, des associations d’homosexuels et d’une cohorte de sociologues et de philosophes, apôtres des droits de l’homme et omniprésents dans les médias.

Summary

Following the transfusion of a young woman with two units of blood infected by human immunodeficiency virus (HIV) during a Cesarean section performed at the Obstetrics and Gynecology Unit of Port-Royal Hospital in Paris in 1984, the author realized the danger that this virus would represent for women and their children, at a time when the infection seemed to be confined to homosexuals, drug addicts, hemophiliacs and transfusion recipients. He was confronted with a whole series of issues, including the rejection of HIV-positive women; the need for special precautions in the labor room and operating theater; and the need for these patients to be managed in a single center staffed by skilled and willing healthcare professionals who could help them decide whether or not to continue the pregnancy. The main risks at this time were the onset of life-threatening opportunistic infections during pregnancy and HIV transmission to the child (estimated at 20% to 30%). Other thorny issues included the case of couples wishing to have children when either of the two members was infected, and the question of professional confidentiality when an immunocompromised HIV-seropositive husband stubbornly refused to inform his wife or to use condoms. It seemed important to bring these women together, especially those of African origin, within a self-help group where they could express themselves openly and discuss their difficulties. Screening for HIV antibodies in early pregnancy became necessary to permit preventive treatment of mother-child HIV transmission, and to inform pediatricians. There was also a need to estimate and monitor the seroprevalence of HIV among pregnant women, and this was done by conducting a “sentinel” survey that was subsequently taken over by INSERM and the European Centre for the Epidemiological Monitoring of AIDS. After listing many other issues that were hotly debated over the years, the author describes how, at the beginning of the epidemic, new proposals intended to systematically improve the lives of these women and their children ran into official procrastination, due to the combined pressure of short-sighted doctors, homosexual groups, and a cohort of sociologists and philosophers posing as apostles of human rights and omnipresent in the media.

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Bull. Acad. Natle Méd., 2012, 196, no 8, 1727-1733, séance du 6 novembre 2012