Communiqué
Séance du 7 juin 2011

Les facteurs de risque cardiovasculaire dans les pays en développement. Évolution et enjeux

Jean-Étienne Touze *, Jean-Paul Bounhoure *, Laurent Fourcade *, Claude Jaffiol, Daniel Thomas

CommuniquéJean-Étienne Touze *, Jean-Paul Bounhoure *, Laurent Fourcade *, Claude Jaffiol, Daniel Thomas

 

COMMUNIQUÉ

Les facteurs de risque cardiovasculaire dans les pays en développement :

Évolution et enjeux

Jean-Étienne TOUZE *, Jean-Paul BOUNHOURE *, Laurent FOURCADE *, Claude JAFFIOL, Daniel THOMAS Les maladies cardiovasculaires sont responsables chaque année de près de 20 millions de morts dont 80 % surviennent dans les pays en développement.

En 2020, elles seront dans ces pays la première cause de mortalité devant les maladies transmissibles [1]. Cette progression inquiétante est liée à l’expansion rapide des facteurs de risque cardiovasculaire (FRCV) qui ont été générés par le développement socioéconomique et l’urbanisation incontrôlée de nombreux pays du sud. Derrière ce constat des spécificités se dégagent :

L’hypertension artérielle (HTA) a une prévalence élevée en particulier en

Afrique subsaharienne. Elle affecte les populations jeunes et s’accompagne rapidement d’une atteinte des organes cibles. L’intervention du génome et un profil pathogénique spécifique marqué par une sensibilité accrue au sel et une activité rénine plasmatique basse expliquent la prévalence élevée et les fréquents échecs thérapeutiques.

L’obésité et le diabète sont en progression exponentielle avec une consé- quence dramatique sur la santé des populations et sur les budgets très fragiles de ces pays. Cette évolution est liée, entre autres, aux changements survenus dans le mode de vie de ces contrées où l’urbanisation croissante est génératrice de sédentarité et de profondes modifications des habitudes alimentaires.

Le tabagisme est responsable dans les pays en développement d’une épidémie redoutable et inégalitaire. Ainsi, dans les vingt prochaines années, il sera responsable sur l’ensemble de la planète de huit à dix millions de décès par an dont 70 à 80 % dans les pays les moins avancés. Face à des populations ignorant les méfaits du tabac, l’industrie du tabac exploite habilement cette vulnérabilité par une promotion outrancière de ses produits tout en habillant son action par des démarches vertueuses dans le domaine de la santé ou de l’écologie.

 

L’expansion des FRCV est pour les pays les moins avancés un facteur de pauvreté et de régression économique. Cette situation est d’autant plus préoccupante que l’effort budgétaire consenti porte prioritairement sur les maladies transmissibles et la médecine curative et qu’il n’existe ni prise de conscience, ni volonté politique. C’est dire toute l’importance d’une sensibilisation des décideurs du sud et du nord sur cet enjeu majeur de santé publique.

C’est dans cette démarche que s’est engagée l’Académie nationale de médecine en proposant le 7 juin 2011 un ensemble de recommandations.

En voici le détail :

R1 — favoriser la diffusion de la mesure de la tension artérielle au niveau des centres de santé primaires afin de faciliter le dépistage et la prise en charge de l’HTA ;

R2 — dans un effort de santé publique, des informations doivent être apportées aux populations par les centres de santé primaires afin de promouvoir les mesures de prévention de l’HTA. L’effort doit notamment porter sur la connaissance des règles hygiéno-diététiques, particulièrement la diminution des apports alimentaires en sel, et sur la prise en charge conjointe des autres FRCV ;

R3 — l’alcoolisme qui est facilité par le développement de nombreuses brasseries dans les grandes capitales d’Afrique doit être combattu car il est un facteur de déséquilibre nutritionnel et tensionnel ;

R4 — le seuil OMS de tension artérielle définissant l’HTA (140/90 mmHg) s’applique aux pays en développement, où des stratégies thérapeutiques basées sur des seuils d’intervention parfois supérieurs peuvent être décidées en fonction d’indicateurs médico-économiques propres à chaque système de santé ;

R5 — avec la mise en œuvre de mesures hygiéno-diététiques, le traitement médicamenteux de l’HTA en Afrique sub-saharienne doit faire appel en priorité à l’utilisation de diurétiques thiazidiques et d’inhibiteurs des canaux calciques.

Les autres classes thérapeutiques conservent tout leur intérêt dans le cadre d’associations ou de situations cliniques particulières telles que l’insuffisance cardiaque ou l’insuffisance rénale ;

R6 — parmi les multiples complications de l’HTA, l’apparition d’une néphropathie hypertensive doit faire l’objet d’un dépistage attentif afin d’éviter une évolution vers l’insuffisance rénale dont le pronostic demeure particulièrement sombre dans les pays en développement ;

R7 — dans le cadre de la lutte contre le diabète, les principaux axes de progrès sont les suivants :

— créer des dispensaires peu coûteux avec des agents paramédicaux préalablement formés au dépistage de la maladie, à l’éducation alimentaire et capables de reconnaître un coma et sa nature pour en assurer l’évacuation sanitaire ;

— prendre en charge les pieds diabétiques ;

— les centres de santé primaires disposeront du matériel élémentaire pour le dépistage, le suivi des patients ainsi que des médicaments de première nécessité ;

— un contrôle médical périodique devrait être organisé pour assurer une formation continue et régler les problèmes les plus difficiles ;

— encourager et aider matériellement les associations de diabétiques qui jouent un rôle important d’éducation et de motivation des pouvoirs publics ;

— faciliter la formation de médecins spécialistes en France par l’octroi de bourses avec l’engagement de retourner dans leur pays ;

— intensifier la lutte contre les médicaments contrefaits ;

— obtenir de l’industrie pharmaceutique des médicaments à prix réduit et du matériel d’auto surveillance de la glycémie et de la tension artérielle ;

R8 — la lutte contre le tabagisme dans ces pays doit être prioritairement politique et s’appuyer sur la

Convention-Cadre pour la Lutte Anti-Tabac (CCLAT) de l’OMS [2] ;

Ce traité international de santé publique, signé et ratifié par 173 pays, définit la trame des actions à entreprendre et propose des actions transversales identiques susceptibles de contrôler au mieux les offensives et manœuvres de l’industrie du tabac dans ces pays.

Les articles de ce traité concernant plus spécifiquement les pays émergents comportent les propositions suivantes :

— Article 5.3 : « …veiller à ce que ces politiques ne soient pas influencées par les intérêts commerciaux et autres de l’industrie du tabac, conformément à la législation nationale. » Article 6 : « …adopter des mesures financières et fiscales visant à réduire la demande de tabac. » Article 12 : « …promouvoir et renforcer la sensibilisation du public aux questions ayant trait à la lutte antitabac, en utilisant tous les moyens de communication disponibles. » Article 13 : « …instaurer une interdiction globale de toute publicité en faveur du tabac et de toute promotion et parrainage du tabac. » Article 15 : « …éliminer toutes les formes de commerce illicite des produits du tabac, y compris la contrebande, le commerce illicite et la contrefaçon… » — Article 16 : « …Interdire la vente des produits du tabac aux personnes n’ayant pas atteint l’âge prévu en droit interne. » Article 22 : « …fournir des compétences techniques, scientifiques et juridi- ques ou autres pour établir et renforcer les stratégies, les plans et les programmes nationaux de lutte contre le tabac. »

La mise en œuvre effective de la CCLAT nécessite que chaque pays vive cette lutte contre le tabagisme comme une priorité majeure de santé publique et s’engage à ne faire de concession sur aucun point à l’industrie du tabac.

L’Alliance contre le Tabac , fédération des associations françaises luttant contre le tabagisme qui est en contact avec de nombreux pays francophones signataires du traité doit continuer à leur apporter son soutien dans cette démarche.

R9 — Au-delà, les pays les plus avancés doivent, en lien avec les gouvernements des pays en développement, poursuivre une lutte active contre les faux médicaments et sensibiliser l’industrie pharmaceutique au développement de médicaments polyvalents, associant à dose fixe, cinquante pour cent de la dose utile en monothérapie. Ainsi, un médicament combiné associant :

aspirine, statine, bétabloquant, diurétique thiazidique et inhibiteur de l’enzyme de conversion permettrait avec un coût modique d’augmenter considérablement l’espérance de vie sans incapacité en agissant sur les principaux facteurs de risque responsables de la maladie coronaire.

Cette politique de lutte contre les FRCV s’appuie sur des mesures simples et adaptées au contexte socio-économique et culturel des pays les moins avancés. Les centres de santé primaires sont au centre du dispositif préventif.

Ils doivent être des centres de dépistage du diabète et de l’HTA tout en étant en première ligne dans la promotion du régime sans sel et dans la prise en charge des facteurs de risque cardiovasculaire [3].

BIBLIOGRAPHIE [1] GERSH B.J, SLIWA K, MAYOSI B.M, YUSUF S. — The epidemic of cardiovascular disease in the developing world : global implications. Eur. Heart J. , 2010, 31 , 642-48.

[2] Convention-Cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (CCLAT) [

Framework-Convention on

Tobacco Control (FCTC) ].

[3] MAHER D, SMEETH L, SEKAJUBO J. — Health transition in Africa: practical policy proposals for primary care. Bull. World Health Organ ., 2010, 88 , 943-8.

* Membre de l’Académie nationale de médecine, e-mail : jetouze@aol.com

 

Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, no 6, 1285-1288, séance du 7 juin 2011