Communication scientifique
Séance du 16 février 2010

Les bases de l’épigénétique

MOTS-CLÉS : développement embryonnaire. différenciation cellulaire. épigénétique. histone. méthylation de l’adn. reprogrammation nucléaire
Fundamentals of epigenetics
KEY-WORDS : epigenetics, dna methylation. histones.

Deborah Bourc’his *

Résumé

Le code génétique seul ne suffit pas à expliquer la diversité des phénotypes cellulaires et individuels. L’épigénétique fournit un niveau supplémentaire d’information, non inscrit directement dans la molécule d’ADN mais qui influence son activité de manière stable et héritable au cours des générations cellulaires. Cet effet sur l’expression génique résulte de l’ajout de résidus biochimiques qui altèrent l’état de la chromatine, par ciblage de la molécule d’ADN ou des protéines histones associées. La régulation épigénétique permet ainsi de convertir un signal développemental ou environnemental labile en une réponse transcriptionnelle stable, dont la mémoire sera perpétuée en l’absence de ce stimulus initial. La régulation épigénétique permet ainsi d’expliquer comment, à partir d’un matériel génétique unique, l’embryon pluripotent va pouvoir différencier une pléthore de tissus et maintenir cette variété d’identités cellulaires au cours du développement. Au contraire des mutations génétiques, les modifications épigénétiques sont réversibles, ce qui permet notamment de retourner d’un état différencié à un état pluripotent. Cette reprogrammation épigénétique s’opère de manière naturelle au cours du développement mais peut aussi être induite dans des systèmes artificiels, comme dans le cas du clonage somatique ou des cellules iPS. Des aberrations épigénétiques sont associées à un nombre croissant de pathologies congénitales ou acquises comme le cancer. Enfin, puisque l’épigénétique peut être globalement assimilée à une mémoire de l’état de transcription des gènes, une des questions actuelles tient à la possibilité d’une transmission transgénérationnelle d’états épigénétiques et leur implication à long terme sur la santé.

Summary

The genetic code cannot alone explain the diversity of cellular and individual phenotypes. Epigenetics provides an additional level of information that is not encoded in the DNA molecule but nonetheless influences its activity in a stable and heritable manner through cell divisions. This effect on gene expression results from variations in chromatin states and is induced by biochemical modifications targeting the DNA molecule or associated histone proteins. Epigenetic regulation can convert a developmental or transient environmental signal into a stable transcriptional response, which will then be perpetuated even in the absence of the original stimulus. Epigenetic regulation explains how, starting from a unique genome, the pluripotent embryo can generate a variety of tissues and maintain their identity throughout development. Epigenetics has a broad impact on development, by controlling pluripotent and differentiated states. An increasing number of pathological situations are being attributed to abnormal establishment or maintenance of epigenetic patterns. Given the mitotic heritability of epigenetic states, a key question is whether epigenetic information can also be transmitted through generations.

L’épigénétique : histoire et définition(s)

La notion d’épigénétique découle directement d’un concept d’embryologie, l’épigenèse, qui s’est opposée pendant des siècles au préformationnisme. Les préformationnistes supportaient l’idée que l’individu existe sous sa forme définitive mais miniature au sein du germe et ne fait qu’accroître de taille au cours du développement.

L’épigenèse, à l’origine proposée par Aristote, prône au contraire que l’individu se forme de novo , à partir de structures indifférenciées qui acquièrent des niveaux de complexité croissants. L’épigénétique est une adaptation à la génétique moderne de cette théorie et sous-tend la même idée de progression à partir d’un matériel brut, le gène cette fois, vers une identité complexe, celle de l’individu ou de la cellule. Cette idée bien sûr est à la base même du développement et Conrad Waddington l’a pour la première fois formulée en 1942 sous la définition de « tout ce qui relie le génotype au phénotype » [1]. Robin Holliday apporte dans les années 80 une définition moléculaire à l’épigénétique, comme « l’étude des changements héritables (mitotiquement ou méiotiquement) et réversibles de l’expression génique qui n’impliquent pas de changement de la séquence d’ADN » [2]. Il s’agit là de la définition puriste, où les notions de stabilité, héritabilité et réversibilité sont instrumentales. D’une manière générale, le terme épigénétique est plus librement utilisé pour définir tout mécanisme altérant l’expression d’un gène, ou tout phénomène de transmission héréditaire échappant aux lois de la génétique mendélienne [3]. Dans tous les cas, la notion d’épigénétique sous-tend l’idée que tout n’est pas programmé ou prédit par la séquence nucléotidique.

L’épigénétique et ses supports conventionnels

Bien que remettant en cause l’idée du déterminisme génétique pur et dur, l’épigéné- tique doit être considérée comme un prolongement de la génétique classique. Le vocabulaire associé à l’épigénétique s’inspire d’ailleurs de celui de la génétique, puisque l’on parle de code épigénétique et d’épigénome, par analogie au code génétique et au génome. Le support de l’information épigénétique est la chromatine, qui module et reflète l’état d’activité d’un gène. La chromatine est la manifestation de la compaction de l’ADN par des protéines spécialisées, les histones, et permet l’accommodation des quelques mètres de la molécule d’ADN dans une cellule dont la taille est de l’ordre de quelques microns. L’unité de base de la chromatine est le nucléosome, qui est composé par l’enroulement de 146 paires de bases d’ADN autour d’un octamère d’histones. Le code épigénétique correspond à des modifications biochimiques qui vont cibler soit la molécule d’ADN, soit les protéines histones et en particulier leurs extrémités amino-terminales qui sortent librement du nucléosome.

La méthylation des cytosines constitue l’unique modification de l’ADN connue chez les mammifères. Cette réaction dépend de l’action d’enzymes spécialisées, les ADNcytosine-méthyltransférases, qui transfèrent un groupement méthyl sur les cytosines déjà incorporées dans la molécule d’ADN [4]. Bien que le rôle répressif de la méthylation de l’ADN sur l’activité génique soit connu depuis longtemps, son mode d’action est encore sujet à débat. Elle agirait directement par encombrement stérique, en empêchant la liaison de facteurs de transcription, ou indirectement par le recrutement de protéines spécialisées, appelées protéines de liaison à l’ADN méthylé, qui induiraient ensuite une chromatine compacte et inactive.

Les modifications post-traductionnelles des histones composent un système de régulation beaucoup plus complexe, combinant plus de soixante-dix sites de modifications identifiés à ce jour [5] et quelques centaines de protéines catalysant l’ajout ou le retrait de ces modifications. Les modifications d’histones agissent pour certaines directement sur la conformation chromatinienne comme cela a été démontré pour l’acétylation, mais aussi indirectement par le recrutement de protéines chromatiniennes accessoires. D’une manière générale, l’acétylation des résidus lysines indiquent un état actif, tandis que la méthylation des lysines (K) et arginines (R) peut avoir un effet activateur ou répresseur suivant leur position. Pour ne citer que les plus connues, les marques de méthylation sur les lysines en position 9 et 27 de l’extrémité de l’histone H3 (respectivement H3K9 et H3K27) sont répressives, la marque de méthylation en H3K4 est activatrice. Les relations épistatiques entre méthylation de l’ADN et modifications des histones sont bi-directionnelles, traduisant une boucle de renforcement mutuel : la méthylation de l’ADN d’une séquence influence les profils de modifications des histones associées, mais à l’inverse, la réaction de méthylation de l’ADN dépend aussi de profils de modifications d’histones pré-existants. La combinatoire de modifications épigénétiques à l’échelle du génome entier compose l’épigénome.

L’épigénétique n’est pas un phénomène pro-actif, mais perceptif

En circonstances normales, le système épigénétique ne peut initier de façon autonome le changement d’état d’un gène, mais enregistre et marque un changement déjà imposé par d’autres évènements. Dans ce sens, les modifications épigénétiques ne sont pas pro-actives, mais agissent en réponse à une décision transcriptionnelle et cellulaire déjà engagée. L’engagement vers un programme particulier est initié par divers stimuli, le plus souvent sous forme de signaux extra-cellulaires tels qu’une molécule développementale, un changement de température, l’application de forces physiques etc. (Figure 1). Cette perception de l’environnement extérieur est traduite

ANNEXES

Fig. 1. — En haut, la cellule transmet un signal au noyau en réponse à un stimulus développemental ou environnemental, et impose un programme transcriptionnel sur des gènes cibles par des facteurs de transcription. La décision transcriptionnelle est consolidée par des modifications épigénétiques. En bas, cette identité transcriptionnelle et cellulaire est maintenue par les modifications épigénétiques de façon stable et héritable au cours des générations cellulaires, en absence du stimulus inducteur initial.

au sein de la cellule par des voies de signalisation intra-cellulaires, qui aboutissent dans le noyau à l’activation ou la répression de gènes particuliers, par la liaison ciblée de facteurs de transcription. Cette réponse transcriptionnelle est ensuite consolidée par les modifications épigénétiques. Ces modifications vont assurer la stabilité de la décision cellulaire en l’absence du signal inducteur d’origine, mais également la perpétuation de cette identité aux cellules filles issues de la cellule d’origine qui a été confrontée au signal inducteur. Sans ce verrou final, les décisions développementales seraient labiles et la constitution de tissus homogènes impossibles.

D’un génome unique à de multiples épigénomes

Grâce à cette stabilité et à cette hérédité cellulaire, un génome unique peut être diversifié en de multiples épigénomes, auxquels sont associés des programmes transcriptionnels et des identités cellulaires ou développementales diverses [6]. Cette diversification de l’information génétique est à la base même du développement, où l’embryon pluripotent va construire une pléthore de tissus différents, porteurs de différents épigénomes, à partir d’un génome unique. L’épigénétique permet aussi d’expliquer comment deux séquences identiques peuvent avoir des profils d’expression différents au sein d’un même noyau. Le choix d’exprimer l’une ou l’autre copie d’un gène, ou allèle, peut être soumis à un déterminisme parental, comme dans le cas des gènes soumis à empreinte génomique ou empreinte parentale [7]. Pour cette catégorie de gènes, chaque allèle porte la mémoire épigénétique de son passage par l’ovocyte ou le sperme. Certains de ces gènes ne sont strictement exprimés qu’à partir de l’allèle maternel, d’autres uniquement à partir de l’allèle paternel. La réduction à une dose plutôt que deux doses d’expression peut aussi être accomplie par l’inactivation aléatoire de l’un ou l’autre allèle. Chez les mammifères femelles, ce phénomène touche le chromosome X dans son entier et permet de compenser l’inégalité de dose génique entre les femelles XX et les mâles XY [8].

L’épigénétique permet donc de différencier deux séquences identiques dans un même noyau, des types cellulaires différents dans un même organisme, mais également des individus différents au sein d’une population génétiquement homogène.

Les cas les plus typiques de cette diversification individuelle à partir d’un génome unique sont ceux des insectes sociaux, tels que les abeilles. Chez Apis mellifera , la reine et les ouvrières issues d’une même colonie ont une constitution génétique identique. Mais tandis que les ouvrières ont une durée de vie de quarante jours à six mois et ont pour fonctions de nettoyer, bâtir et butiner, les reines peuvent vivre jusqu’à cinq ans et sont seules dotées des fonctions de reproduction au sein de la ruche. Une alimentation à base de gelée royale suffit à imposer un destin de reine, en inactivant une ADN-méthyltransférase et donc en modifiant les patrons de méthylation de l’ADN [9]. La stabilité et la puissance de cette décision épigénétique sont illustrées par le fait que la manipulation génétique de cette ADN-méthyltransférase suffit à induire un statut royal. Il s’agit là d’un exemple particulièrement extrême de l’influence potentielle de l’environnement ou du régime alimentaire sur le patrimoine épigénétique [10] et ici, sur la longévité et le comportement.

 

L’implication de l’épigénétique dans la diversification de la population humaine est plus difficile à estimer, du fait de la constitution génétique hétérogène de chaque individu. Les effets propres et combinés des variations génétiques et épigénétiques sur le phénotype sont donc difficilement différentiables. De par leur homogénéité géné- tique, les couples de jumeaux monozygotes constituent un modèle d’étude typique de l’influence de l’épigénétique et il a été rapporté que les jumeaux monozygotes accumulent au cours de leur vie des différencesdeprofilsdeméthylation,danslescellulesdu sang circulant [11-13]. Avec l’âge, ces individus apparaissent de plus en plus discordants épigénétiquement, signant ici l’influence de l’environnement et de l’expérience de chacun sur son patrimoine épigénétique. Des analyses familiales étendues et suivies sur plusieurs années ont aussi permis de révéler la dérive épigénétique des individus au cours de leur vie [14]. Ces variations épigénétiques ne sont cependant pas pour autant synonymes de pathologies et, comme dans le cas de variations génétiques, ont dans leur majorité un impact neutre sur le phénotype.

Épimutations chez les mammifères

L’apparition de modifications acquises des profils épigénétiques est plus flagrante lorsque la modification est traduite par un phénotype pathologique. On parle alors d’épimutations. Il existe ainsi des cas de discordance pathologique entre jumeaux monozygotes, qui signent l’acquisition de profils épigénétiques non conformes et délétères chez l’un d’eux. Un cas classique est celui du syndrome de BeckwithWiedeman, où l’anomalie de méthylation a pu être identifiée sur une région de contrôle de gènes soumis à empreinte parentale uniquement chez les jumeaux atteints [15]. Le défaut épigénétique serait dans ce cas apparu de manière quasiconcomitante avec la scission de l’embryon précoce. Il existe également des individus totalement chimères pour cette condition, indiquant ici encore l’acquisition assez précocement au cours du développement d’une anomalie de méthylation dans une cellule ou quelques cellules, suivie de leur expansion clonale. Chez la souris, la mutation agouti constitue un exemple aisément détectable de ce même type de phénomène où la perturbation acquise de la méthylation de ce gène entraîne un phénotype d’obésité et de pelage orange [11].

L’apparition d’épimutations est en général aléatoire mais son incidence peut être accrue par des facteurs clairement identifiés : le régime alimentaire, l’âge, le cancer, le contexte hormonal, les infections virales ou bactériennes. Du fait du caractère réversible des modifications épigénétiques, un retour à un état normal est éventuellement envisageable, et de nombreux axes de recherche sont consacrés au développement de méthodes inductibles et ciblées de manipulation épigénétique. Enfin, les épimutations peuvent aussi résulter de mutations génétiques dans des « gènes épigénétiques », tels que les ADN-méthyltransférases ou les protéines qui modifient biochimiquement les histones. On parle dans ce cas de mutations génétiques à effet épigénétique. Le syndrome ICF (Immunodéficience, instabilité Centromérique et anomalies Faciales) est ainsi associé à des mutations dans l’ADN-méthyltransférase

DNMT3B, qui entraînent un défaut constitutif de méthylation de l’ADN chez ces patients et une immunodéficience sévère [16]. Contrairement aux épimutations sans base génétique, ce type d’altération épigénétique n’est bien sûr pas réversible.

Reprogrammation épigénétique, naturelle et artificielle

La notion de réversibilité est sans doute ce qui caractérise le plus intrinsèquement une modification épigénétique, et la différencie conceptuellement d’une modification génétique. Comme mentionnée ci-dessus, cette propriété ouvre de grands espoirs de thérapie, pour une restauration ciblée de profils de méthylation normaux, notamment dans le cas du cancer. Mais il s’agit surtout d’une notion essentielle au développement. Cette flexibilité permet en effet le retour d’un état différencié à un état pluripotent et d’accomplir un cycle de vie et l’enchaînement des générations.

D’une manière générale, on observe que les états pluripotents, c’est-à-dire la potentialité de donner naissance à tout type cellulaire, sont associés à une réduction globale du niveau de méthylation de l’ADN. Il existe deux types de cellules pluripotentes, les gamètes (ovocyte et spermatozoïde) et l’embryon précoce. Au cours du développement, l’émergence des cellules gamétiques et des cellules souches de l’embryon précoce s’accompagne d’un effacement drastique des profils de méthylation [17]. Cette étape semble indispensable à une remise à zéro des potentialités épigénétiques et donc de développement. On parle ici de reprogrammation épigé- nétique.

La reprogrammation épigénétique peut aussi être accomplie « artificiellement », par manipulation in vitro , en dehors du contexte développemental où elle a lieu normalement. L’exemple le plus ancien est bien sûr celui du clonage somatique, avec l’exemple emblématique du mouton Dolly [18]. La manipulation consiste ici à prendre une cellule adulte, type cellule de la peau, et à injecter son noyau dans le cytoplasme d’un ovocyte et à lui faire subir la vague de reprogrammation épigéné- tique que connaît l’embryon précoce. Le rendement de cette procédure reste très faible, mais peut être amélioré si l’on aide chimiquement le noyau de la cellule différenciée à se déméthyler [19]. Une procédure analogue consiste à fusionner une cellule différenciée avec une cellule souche embryonnaire précoce. Dans ce cas, la cellule embryonnaire impose de manière dominante la reprogrammation épigénétique du noyau de la cellule différenciée [20]. Enfin, ces deux dernières années ont vu des progrès considérables dans ce domaine avec l’identification d’une combinaison de trois à quatre facteurs de transcription qui sont strictement nécessaires et suffisants à la restauration d’un état pluripotent. L’expression forcée de ce cocktail magique de facteurs dans une cellule adulte promeut son retour à un état de pluripotence, type cellule embryonnaire souche (ES) [21-23]. Les cellules ainsi obtenues prennent la dénomination de cellule iPS, pour induced pluripotent cell, et présentent des profils épigénétiques similaires aux cellules ES dérivées d’embryons préimplantatoires. Fonctionnellement, elles sont aussi aptes à se différencier in vitro et in vivo dans toute la batterie de types cellulaires nécessaires à la constitution d’un individu [24]. La culture de cellules iPS, par sa facilité d’exécution et son rendement amélioré, a quelque peu supplémenté les autres méthodes d’induction de la pluripotence. C’est aussi la seule méthode qui s’affranchit totalement de l’utilisation de matériel éthiquement restreint et est de ce fait applicable non seulement techniquement mais aussi légalement à l’homme [25]. De nombreuses limitations subsistent quant à l’utilisation à court terme des cellules iPS en thérapie régénérative cellulaire, mais elles constituent un espoir solide dans ce sens.

Les épimutations sont-elles héréditaires chez les mammifères ?

Une dernière notion clef de l’épigénétique qu’il convient de traiter est celle de l’hérédité. Les profils de méthylation, normaux ou pathologiques sont transmis de façon clonale au cours des divisions cellulaires et donc bien soumis à une hérédité dite mitotique. Mais l’hérédité des profils épigénétiques est-elle aussi méiotique ? Ou en d’autres termes, des anomalies épigénétiques acquises peuvent-elles être transmises aux générations suivantes ?

Chez les plantes et les champignons, certaines épimutations ségrégent selon des paramètres mendéliens conventionnels et sont de ce fait indistingables de mutations génétiques classiques. Un cas bien connu d’épimutation héréditaire chez les plantes est celui du variant pélorique de la linaire commune (ou « gueule de loup »), à l’origine décrit par Linné au xviiie siècle sur une île au large de Stockholm et qui existe toujours dans la flore naturelle de cette région. Le défaut moléculaire est aujourd’hui connu, et consiste en un gain de méthylation au niveau du gène Lcyc , impliqué dans le contrôle de la symétrie florale [26]. Aucune mutation nucléotidique n’existe dans ce cas. Cette épimutation est donc extrêmement stable et a été transmise sur des centaines de générations de plantes.

Il n’existe à présent aucun cas prouvé chez l’homme de transmission de caractères épigénétique acquis à la descendance. Une limitation technique majeure s’impose :

même si une anomalie de méthylation de l’ADN apparaît comme héréditaire au sein d’une famille, il faudrait séquencer le génome entier de l’individu et de ses apparentés pour prouver le caractère autonome de cette épimutation, ou en d’autres termes qu’il ne s’agit pas d’une mutation génétique qui a pour effet secondaire cette anomalie de méthylation. D’autre part, une différence fondamentale existe entre les plantes et les mammifères (outre que ces derniers ne fleurissent pas…) : comme mentionné précédemment, les mammifères ont la particularité de reprogrammer leur patrimoine épigénétique à chaque génération, lors du passage par la lignée germinale. Les profils de méthylation sont ainsi globalement effacés dans les précurseurs des ovocytes et des spermatozoïdes, et toute épimutation acquise serait donc éliminée avant fécondation et constitution de la descendance. Cependant, il ne peut être totalement exclu à l’heure actuelle que l’effacement soit total, qu’il n’existe pas un niveau basal de méthylation persistante. Chez la souris ont été rapportés deux cas d’épimutations confirmées avec effet transgénérationnel [27, 28]. Ces cas sont systématiquement associés à des séquences qui sont connues pour ne pas être totalement remises à zéro dans la lignée germinale des rongeurs [29]. De tels exemples de séquences résistantes à la reprogrammation germinale, assez uniques il faut tout de même le mentionner, pourraient aussi exister dans le génome humain.

Cette idée suscite de nombreux fantasmes et des rapports de l’existence de tels phénomènes se multiplient de nos jours. Cependant, une analyse rigoureuse du mécanisme moléculaire en cause et la preuve formelle qu’il s’agit bien d’une épimutation héréditaire et non pas des effets confondants doivent être absolument apportés avant toute conclusion [30, 31].

CONCLUSION

La séquence nucléotidique n’apporte qu’une information partielle quant aux états physiologiques et pathologiques d’un tissu ou d’un individu. Le décryptage à grande échelle de l’épigénome, c’est-à-dire des caractéristiques épigénétiques d’un génome en termes de méthylation de l’ADN et de modifications biochimiques des histones, est maintenant possible, notamment grâce au développement récent de techniques de séquençage à haut débit. La première cartographie complète du profil de méthylation de cellules humaines a été pour la première fois achevée en 2009. Cette réalisation ouvre la voie de la connaissance fondamentale des états chromatiniens associés à des états pluripotents et différenciés, et de la dynamique des profils épigénétiques liés au développement. Il s’agit également d’une fabuleuse perspective de développement d’outils diagnostics et pronostics d’états pathologiques. Des efforts internationaux sont déployés dans ce sens, et 2010 a signé le lancement du projet IHEC (International Human Epigenome Consortium). Ce consortium propose de cartographier mille épigénomes humains de référence (différents types cellulaires normaux et pathologiques) en dix ans et travaille activement à la sensibilisation des grandes agences de moyens (NIH, MRC, ANR etc.) pour le soutien ciblé de projets développés dans ce sens.

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DISCUSSION

M. Guy DIRHEIMER

On peut aujourd’hui comparer les épigénomes qui sont différents d’un type de cellule humaine à l’autre, mais également d’un individu à l’autre. On peut aussi suivre la reprogrammation de la méthylation pendant le développement de l’embryon de souris pour identifier les cibles de la méthylation lors de celui-ci. Il faudra évidemment développer la méthode pour pouvoir travailler avec un nombre réduit de cellules. Un certain nombre de substances chimiques comme le méthoxychlore (œstrogène) ou la vinclozoline (antiandrogène), administrées à des femelles de souris gravides ont conduit à des modifications de la méthylation de l’ADN chez les descendants mâles dans les générations F1, F2, F3 et F4. Ces défauts de méthylation sont donc transmis dans la lignée germinale mâle. Peut-on penser que des pertubateurs endocriniens de l’environnement pourraient agir selon ce mécanisme ?

La lignée germinale émerge très précocement chez les mammifères et subit une reprogrammation unique des profils de méthylation génomique. Cette reprogrammation serait liée à l’acquisition de la pluripotence des cellules germinales, et au besoin d’effacer des marques de méthylation liées aux gènes soumis à empreinte parentale. Une première phase d’effacement coïncide avec l’arrivée des cellules germinales primordiales dans les ébauches gonadiques, puis le sexe va ensuite déterminer une cinétique de re-méthylation différente dans les cellules germinales mâles et femelles. L’environnement gonadique joue donc un rôle essentiel dans le contrôle de la reprogrammation germinale et de ce fait, les régulations hormonales sont aussi cruciales. En altérant le développement de la gonade et la sexualisation de la gonade, on va de ce fait perturber la programmation épigénétique des cellules germinales et altérer potentiellement la production de gamètes matures mais aussi induire des effets potentiels sur la descendance. Des antagonistes et agonistes des androgènes et des oestrogènes, se trouvent dans une large variété de produits polluants mais aussi dans la confection de produits d’utilisation courante et pas forcément suspectés pour des effets sur la reproduction. Leurs effets sont assez difficiles à cerner dans la population humaine. Comment savoir que l’exposition à un produit X est bien responsable d’effets sur la fertilité, et pas d’autres facteurs environnementaux ? Son action estelle spécifique ou les perturbations observées résultent-elles de l’association synergique avec d’autres paramètres ? Les modèles animaux fournissent une méthode d’analyse systématique des effets de certaines molécules incriminées, comme les phtalates, les parabens, le bisphénol A, pour ne citer que les plus connues. L’effet de dose est aussi important à estimer, et doit refléter des niveaux d’exposition possible en milieu normal.

M. Pierre DELAVEAU

La présence et le rôle du « reste méthyle » qui ont, entre autres, l’effet de réduire la polarité de la molécule qui porte une ou des fonctions alcool ou phénol, est une question en biochimie.

Comment concevez-vous le fait de la méthylation des purines ?

La méthylation n’affecte pas la polarité des cytosines. De même, les cytosines méthylées sont indistingables des cytosines non méthylées dans la molécule d’ADN et aucun changement de conformation de la molécule d’ADN n’est observé à leur place. Les effets répresseurs de la méthylation de l’ADN sur la transcription sont plutôt secondaires : soit de manière passive, la méthylation empêche la liaison de facteurs de transcription, soit de manière active, la méthylation de l’ADN va attirer des protéines qui ont des motifs de liaison à l’ADN méthyle et qui vont elles-mêmes recruter des protéines accessoires qui vont indure une structure chromatinienne compacte et réprimée.

M. Jacques BATTIN

Les phénomènes de méthylation-déméthylation, inactivation-activation, sont si primordiaux que l’invalidation de la méthyltransférase est léthale. L’inactivation d’un des dix chromosomes X dans le sexe féminin (test de Baur) qui met l’homme à parité avec la femme, est-elle à ranger dans le cadre de l’épigénétique ?

Afin de compenser l’inégalité de dose génique entre les femelles XX et les mâles XY, il existe effectivement un mécanisme qui va consister à inactiver l’un des chromosomes X chez les femelles mammifères. Il s’agit là d’un paradigme de régulation épigénétique, où deux chromosomes identiques dans un environnement nucléaire commun vont avoir des fonctionnalités différentes. Les chromosomes X actif et inactif se distinguent par une plé- thore de marques épigénétiques différentes, aussi bien au niveau du taux de méthylation de l’ADN que de la gamme de modifications post-traductionnelles des histones. Le corpuscule de Barr est la manifestation cytologique de l’état inactif et compacté du chromosome X inactif. La persistance de deux chromosomes X actifs complets est incompatible avec le développement des femelles mammifères. Les embryons femelles qui perdent la capacité de réaliser cette compensation meurent très précocement, avant le stade de mi-gestation chez la souris. Il est intéressant de souligner dans ce contexte qu’il existe dans la nature différentes manières de rétablir une dose égale de gènes liés aux chromosomes sexuels chez les femelles et les mâles, illustrant le caractère essentiel de la compensation de dosage. Chez les mouches, c’est le mâle qui va surexprimer son seul chromosome X pour arriver à un niveau égal aux femelles qui en ont deux. Chez le ver, au lieu d’inactiver complètement un des deux chromosomes X, la femelle va réduire de moitié la dose de ses deux chromosomes X.

M. François-Bernard MICHEL

Quelle est la rapidité avec laquelle peuvent survenir, chez l’adulte, des modifications épigéné- tiques ? Dans le monde entier explosent des observations d’allergies nouvelles.. Les allergies sont multifactorielles. A qui la faute ? A l’environnement ? A l’épigénétique ? Aux deux ?

Les profils épigénétiques peuvent être rapidement modifiés, en réponse à une modification transcriptionnelle, parfois en l’espace d’une seule division cellulaire ou même en l’absence de division cellulaire pour les cellules quiescentes comme les cellules du cerveau adulte. Je ne pense pas que l’épigénétqique explique la hausse de l’incidence des allergies, car l’épigénétique a toujours existé ! C est plutôt effectivement l’environnement qui est à mettre en cause, une plus forte disponibilité de molécules allergènes. Cependant, il existe certainement une composante épigénétique à l’allergie, puisque l’épigénétique est à l’interface entre l’environnement et le génome, et permet de traduire des variations de l’environnement par des variations de profils de transcription, en réaction ou en consé- quence de ces changements environnementaux.

M. Christian NEZELOF

Dans le cadre des modifications épigénétiques, existe-t-il une place pour l’hybridation spontanée de cellules somatiques ? Existe-t-il une dominance ?

Je pense que vous faites référence ici à la question de savoir si l’identité épigénétique d’une cellule peut être transmise horizontalement à une autre cellule, par fusion cellulaire. C’est en effet le cas. On peut utiliser cette technique d’ailleurs pour reprogrammer une cellule somatique différenciée en une cellule de type pluripotente juste en la fusionnant avec une cellule embryonnaire souche (cellule ES). Ainsi, la cellule embryonnaire souche est dominante épigénétiquement et va imposer son patrimoine épigénétique à la cellule somatique. Cette réversion par fusion prend quelques jours pour être effective.

M. André VACHERON

Il y a quelques décennies, de nombreuses femmes ont reçu du distilbène pour mener à terme des grossesses vulnérables ou instables. Chez leurs descendantes filles sont apparues des anomalies génitales (atrophies utérines, cancers). Ces anomalies sont-elles bien des consé- quences transcriptionnelles du distilbène ? Sont-elles transmissibles sur plusieurs générations ?

Il existe une prise de conscience croissante quant aux effets potentiels à long terme sur la reproduction humaine d’une exposition in utero à des perturbateurs endocriniens largement présents dans notre environnement, comme le distilbène, le BPA, les phtalates. Les agonistes et les antagonistes des androgènes et des oestrogènes ont la capacité de modifier la transcription des mêmes tissus cibles que ces hormones. En modifiant la transcription des gènes cibles, les modifications épigénétiques associées vont aussi être altérées et potentiellement à long terme, ce qui peut induire des anomalies de l’axe génital à l’âge adulte. Dans le cadre du distilbène, des modifications de méthylation de l’ADN ont ainsi été observées au niveau de l’utérus de souris exposées in utero ou juste après la naissance.

Ces effets sont-ils transgénérationnels ? Ils sont certainement multigénérationnels, c’està-dire que l’individu exposé F1 et sa descendance F2 (qui elle-même provient de la lignée germinale exposée) peuvent présenter le même phénotype. Le terme transgénérationnel implique que la génération F3 est aussi affectée, et ce n’est souvent pas le cas. Le problème des effets transgénérationnels ou même multigénérationnels observés est que la nature moléculaire de la transmission n’est en général pas recherchée, et on ne peut, de ce fait, exclure qu’une mutation génétique et non pas une épimutation soit responsable du phénotype, observé de façon récurrente au cours des générations. Ce type d’observation d’effet multigénérationnel suscite beaucoup d’excitation, mais en étudiant objectivement la littérature, on s’aperçoit qu’il s’agit pour l’instant plus de phénoménologie que de preuve concrète d’un effet épigénétique multigénérationnel. Un autre degré de complexité dans ces études est souvent que des effets observés chez l’humain ne sont pas forcément reproduits chez la souris, ce qui laisserait supposer une origine multifactorielle du défaut observé (exposition synergique à plusieurs agents). De plus, d’une étude à l’autre chez le modèle animal, les résultats sont souvent contradictoires, résultant de variations importantes dans les protocoles utilisés.

M. Jacques MILLIEZ

L’étude des anomalies épigénétiques constatées après clonage somatique permet-elle d’expliquer une part épigénétique des malformations du fœtus ?

Le clonage somatique est une des procédures possibles de reprogrammation ex vivo d’une cellule somatique à un état pluripotent, mais son rendement est très limité. Il existe tout d’abord des aléas techniques, qui diminuent l’efficacité de la procédure. Et puis, la réversion vers la pluripotence n’est souvent pas complète, ce qui induit un nombre important de pathologies associées à cette procédure. Il s’agit en effet non seulement d’effacer le programme de la cellule somatique différenciée, puis d’imposer le programme d’expression des quelques milliers de gènes requis pour le développement complet d’un individu. Le syndrome de « large descendance » (large offspring syndrome) est notamment couramment observé chez des animaux issus de clonage somatique. On observe aussi de façon fréquente des pathologies du placenta, qui semblerait être donc un organe particulièrement sensible. D’un point de vue moléculaire, les gènes soumis à empreinte, pour lesquels la régulation épigénétique est cruciale, sont souvent reprogrammés de façon aberrante. Le clonage somatique permet donc de comprendre l’origine de certaines pathologies, et notamment des pathologies de développement placentaire et des pathologies liées à des anomalies d’empreinte parentale. De manière intéressante, on peut améliorer la réversion en aidant chimiquement le noyau somatique à se déméthyler.

GLOSSAIRE

Épigénétique

Définition développementale (Conrad Waddington, 1942): Etude des relations entre génotype et phénotype.

Définition moléculaire (Robin Holliday, 1987): Etude des changements héritables et réversibles de l’expression génique n’impliquant pas de changement de la séquence nucléotidique.

Code épigénétique

Modifications de l’état de la chromatine (ADN + histones).

Épigénome

Ensemble des modifications épigénétiques à l’échelle du génome entier, associé à un état cellulaire ou développemental particulier, normal ou pathologique.

 

Épimutation ou mutation épigénétique

Altération de l’expression d’un gène en absence de mutation génétique. Ce terme réfère le plus souvent à des anomalies de méthylation de l’ADN.

 

<p>* Unité de génétique et biologie du développement, UMR 3215 — Inserm U934, Institut Curie, 26, rue d’Ulm, 75005 Paris, e-mail : deborah.bourchis@curie.fr Tirés à part : Professeur Deborah Bourc’his, même adresse Article reçu et accepté le 8 Février 2010</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2010, 194, no 2, 271-285, séance du 16 février 2010