Discours
Session of 10 mai 2005

Le vieillissement, défi de notre temps

Allocution de Madame Catherine VAUTRIN Secrétaire d’État aux Personnes âgées

Le vieillissement, défi de notre temps

Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire perpétuel, Mesdames et Messieurs les membres de l’Académie nationale de médecine, Le prestige et l’ancienneté de votre Institution, la qualité et la diversité de ses travaux, l’autorité de ses membres ainsi que sa contribution éminente à la réflexion sur l’évolution de notre système de soins, constituent pour moi autant de raisons de voir dans votre invitation à m’exprimer devant vous un honneur tout particulier, dont je vous remercie très vivement.

Conseiller du Gouvernement sur les problèmes de santé publique, votre Académie s’est saisie de nombreuses questions à la croisée de la pratique médicale et des phénomènes sociaux.

Parmi ces questions figure le vieillissement de notre société.

Ce phénomène majeur entretient avec l’art médical des relations singulières.

L’allongement de l’espérance de vie résulte très largement des progrès de la médecine, curative et préventive. Ce « miracle » contemporain est en réalité le fils naturel de la Faculté.

À l’inverse, le vieillissement de la population a profondément modifié l’exercice de la médecine. Les pathologies liées au vieillissement influencent de plus en plus le nombre et la nature des actes médicaux. Et c’est un fait que la révolution de l’âge bouleverse notre système de soins, et spécifiquement l’organisation du secteur hospitalier.

De nombreux observateurs s’accordent en effet à dire que l’accueil des personnes âgées est devenu le problème no 1 du système hospitalier, notamment pour ce qui a trait aux lits d’aval après les passages dans les services d’urgence.

La diversification de l’offre hospitalière (hospitalisation à domicile, hospitalisation de jour, prise en charge ambulatoire) et la structuration des réseaux gérontologiques où l’institution hospitalière joue un rôle pivot, conditionnent en grande partie les possibilités de maintien à domicile. Le secteur sanitaire (pensons aux unités de soins de longue durée) est au cœur de la problématique de la prise en charge des aînés
dépendants. L’allongement de la vie sans incapacité est l’un des grands enjeux de la filière gériatrique et un objectif premier de toute la politique de prévention sanitaire.

Enfin, un champ nouveau, aux formidables incidences scientifiques, sociales ou encore économiques, s’offre à la recherche hospitalo-universitaire consacrée aux pathologies liées au vieillissement.

Voilà qui explique qu’il soit devenu indispensable et urgent de développer la gériatrie universitaire. Et quel meilleur endroit que l’Académie nationale de médecine pour évoquer ce sujet ?

Cette nécessité découle tout naturellement du vieillissement de la population française et de l’augmentation de la demande de soins.

Cette dernière est elle-même génératrice d’une demande croissante d’enseignement de la discipline gériatrique à tous les futurs médecins, généralistes et spécialistes, hospitaliers et libéraux, ainsi que d’une demande également en forte hausse de personnels hospitaliers exerçant en gériatrie.

À ce jour, vous le savez, notre pays compte en tout et pour tout trente-huit professeurs d’Université spécialisés en gériatrie et trente-neuf Chefs de Clinique Assistants en gériatrie.

C’est dire que les besoins d’enseignement, de formation et surtout de prise en charge à l’hôpital des malades âgées sont loin d’être couverts.

Aussi ai-je décidé avec Philippe Douste-Blazy, en lien avec notre collègue François Fillon en charge de l’Enseignement Supérieur, de lancer un programme de promotion de la gériatrie universitaire permettant d’augmenter significativement le nombre des spécialistes, afin de mieux satisfaire les besoins en gériatrie.

Je puis d’ores et déjà vous dire que le Ministère de la Santé a fait procéder, sur les prévisions budgétaires 2006, à la réservation des crédits nécessaires pour la nomination de trois PU-PH et quatre chefs de clinique, étant précisé que la création de postes est de la double compétence Santé-Éducation Nationale.

L’objectif est de doubler le nombre des PU-PH spécialisés en gériatrie d’ici 2010.

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Il n’y aurait pas eu de « révolution de la longévité » sans les avancées spectaculaires dont la médecine a été le vivant théâtre depuis quelques décennies.

En retour, la pratique médicale serait archaïque, incertaine, presque privée de sens si elle faisait abstraction de l’évolution démographique contemporaine, véritable défi tant pour l’ensemble des professions de santé que pour les décideurs publics et les représentants de la société civile.

Apparent paradoxe mais réalité profonde : la médecine moderne est une médecine qui, de plus en plus, doit intégrer la vieillesse et le grand âge dans son approche, dans ses interventions, ses calculs, ses buts, ses façons de guérir et de prévenir la maladie !

Or, votre Institution vient à l’instant de démontrer avec force que la communauté médicale ne faisait en rien abstraction de cette dimension essentielle.

Je suis très heureuse qu’elle ait décidé de consacrer de son temps, de son expertise et de son talent à cette problématique. De là le rapport que vous venez d’adopter, issu du groupe de travail créé après la canicule de l’été 2003 et présidé par le Professeur Maurice Tubiana.

Je vous suis particulièrement reconnaissante de vous être saisis de cette question et d’avoir émis, en sortant du seul champ médical, de nombreuses propositions pour promouvoir l’image et la place des personnes âgées dans notre société.

Reconnaître et conforter leur utilité sociale est le fil rouge de mon action ; votre rapport milite également en ce sens, et j’y vois ainsi une étroite et salutaire convergence de vues et d’aspirations entre les décideurs politiques et les acteurs du monde médical.

Pour ma part, prenant acte du fait que la politique gérontologique doit, plus que jamais, se doter d’une très haute valeur médicale ajoutée, j’ai recruté deux gériatres de grand renom dans mon cabinet, le professeur Françoise Forette et le docteur Marie-Pierre Hervy.

J’estime en effet que le renforcement de la dimension sanitaire de la politique d’accompagnement des personnes âgées est une priorité absolue. Elle passe par un nécessaire décloisonnement entre le secteur sanitaire et le secteur médico-social, que Philippe Douste-Blazy et moi-même appelons de nos vœux. C’est là le gage d’une meilleure prise en charge de nos aînés dépendants.

Toutes les études confirment l’allongement de l’espérance de vie et le vieillissement général de la population à l’œuvre dans notre pays. Mais elles omettent souvent leur corollaire : la nécessité de l’accompagnement du grand vieillissement.

1,1 million de personnes nées avant 1920 ont plus de 85 ans ; elles seront 1,6 million en 2010.

Certes, la société française a fini par prendre conscience de l’importance de ce phénomène à la suite du drame de la canicule de l’été 2003. De plus, un Français sur trois est aujourd’hui directement confronté, dans son entourage le plus proche, à la problématique du grand vieillissement.

Mais force est de constater que nos contemporains mesurent encore très mal les nombreuses répercussions — sociales, économiques, culturelles, politiques … — de la révolution de la longévité et sa véritable portée pour notre avenir et celui de nos enfants.

« Gouverner, c’est prévoir », dit-on. Je crois que le proverbe a une force particulière dans le secteur des politiques gérontologiques, qui reposent sur des données et des évolutions démographiques parfaitement prévisibles.

Il nous faut mieux anticiper la prise en charge des personnes âgées dépendantes.

Avec huit milliards d’euros fléchés sur cinq ans, le Gouvernement a plus fait pour l’accompagnement de la perte d’autonomie liée à l’âge que tous les gouvernements précédents.

Il a pris acte des besoins considérables d’équipement de notre pays.

C’est l’objet du plan Vieillissement et Solidarité, qui prévoit 10000 places supplémentaires dans les établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes, et dont j’ai décidé d’accélérer la mise en œuvre en 2005 en fixant un objectif de 5000 places médicalisées nouvelles, soit 100 maisons de retraite supplémentaires.

C’est également l’objet de la campagne nationale d’information et de promotion des métiers du grand âge que j’ai lancée officiellement début mars. Elle vise à susciter de nouvelles vocations dans un secteur à forte dimension humaine qui est appelé à recruter massivement dans les années à venir, et à recruter du personnel qualifié, destiné à embrasser de vraies carrières, et avec une vraie reconnaissance sociale.

C’est encore l’objet du plan de service à la personne âgée, que nous avons présenté le 9 mars dernier avec Philippe Douste-Blazy, et qui propose de nombreuses mesures pour mieux accompagner dans leur quotidien les personnes âgées, dépendantes ou non, mais aussi leur entourage.

C’est enfin, bien sûr, tout le sens de la Journée de Solidarité.

À moins d’une semaine de l’événement, permettez-moi un bref développement sur ce sujet.

Tout le monde admet aujourd’hui qu’il est nécessaire de dégager des moyens supplémentaires pour financer les politiques d’autonomie afin de faire face aux besoins nouveaux.

Pour y parvenir, nous aurions pu augmenter les impôts. Le Gouvernement a fait un autre choix, celui de la mobilisation des actifs et du financement de la prise en charge de la dépendance par le travail des Français, c’est-à-dire par la création de richesse.

La Journée de Solidarité va dégager deux milliards d’euros en 2005. Ces crédits seront exclusivement destinés aux personnes âgées : 1, 2 milliard d’euros ; et aux personnes handicapées : 800 millions.

Mais elle est aussi destinée à mieux faire prendre conscience à l’ensemble des Français que la prise en charge de la dépendance est l’affaire de tous.

Nous avons impérativement besoin de ces crédits.

Ils permettront :

´ de médicaliser 1500 établissements existants afin d’y accueillir les personnes âgées dépendantes dans de bonnes conditions.

´ d’autoriser la création de 100 nouveaux établissements , c’est-à-dire plus de 5000 places.

´ de favoriser le maintien à domicile en créant 6000 places de services de soins infirmiers à domicile, en abondant le financement de l’allocation personnalisée d’autonomie par l’État à hauteur de 400 millions d’euros supplémentaires , ou encore en offrant un soutien aux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et à leurs familles grâce à l’ouverture de 3250 places d’accueil de jour et d’hébergement temporaire.

´ de mener à bien, grâce à une enveloppe spécifique de 50 millions d’euros, des projets de rénovation et de mise aux normes d’établissements prévus dans les

Contrats de Plan Etat-Région mais actuellement bloqués.

Sont-ce là des mesures sans importance ? Et est-il mauvais que, pour en garantir le financement et la mise en œuvre dans la durée, chacun donne un peu de son temps, de son énergie, de son cœur ?

Ma conviction est qu’il n’en est rien et que, une fois rassurés sur la bonne utilisation des fonds recueillis et gérés par la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie, les Français adhéreront avec bon sens et générosité à cette démarche.

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Il est clair que la capacité d’anticipation et de projection au-delà des échéances assignées par les programmes d’action mis en œuvre sous l’autorité du Premier Ministre — Plan Vieillissement et Solidarité, Plan Urgence Gériatrie, Plan Alzheimer —, est un préalable à la montée en puissance de la réponse collective que notre pays doit apporter aux besoins de sa population âgée dépendante d’aujourd’hui et de demain.

Tel est le sens de la mission que j’ai confiée au Commissariat Général au Plan sur la problématique de la création de places nouvelles en établissement à l’horizon 2010, 2015, 2025.

Mais la question de la prise en charge des personnes âgées dépendantes ne se résume pas au développement des structures d’accueil ou des dispositifs d’aide à domicile.

Elle doit prendre en considération les conséquences sociales de la perte d’autonomie, la politique de prévention, le secteur des services à la personne, la formation des aidants, la formation des professionnels de santé aussi bien que des personnels du secteur médico-social, la recherche sur le vieillissement, l’image de la personne âgée dans une société qui cultive la mode du « jeunisme » …

Sur ce point, il est indispensable de mieux répondre aux défis sociétaux de la révolution de la longévité, bien au-delà de la seule problématique de la perte d’autonomie.

Nous le savons : la grande majorité des personnes vieillissantes va vieillir dans de bonne conditions de santé et d’autonomie.

Se pose alors la question fondamentale à laquelle s’est, du reste, affrontée l’Acadé- mie nationale de médecine dans le rapport du Professeur Maurice Tubiana :

comment valoriser au mieux l’utilité sociale de cette part croissante de la population française, qui dispose de temps, d’expérience, d’un pouvoir d’achat supérieur de 20 % à la moyenne des actifs ?

L’utilité de ces personnes passe notamment par une activité professionnelle ou par le bénévolat.

Or, la préoccupante faiblesse du taux d’activité des seniors est le révélateur de l’absence d’anticipation dont le monde économique a fait preuve jusqu’à ces dernières années. La gestion dynamique des âges dans l’entreprise, l’allongement de la durée de la vie active : deux questions essentielles qui ne pourront être durablement occultées.

Le bénévolat des seniors est l’un des garants de la cohabitation des âges et donc du lien social, en même temps qu’un puissant facteur d’épanouissement pour chaque personne qui s’y adonne. Il faut donc l’encourager par tous les moyens et dans tous ses domaines d’application : transmission des savoir-faire professionnels par des retraités motivés, soutien scolaire, animation sociale et culturelle, habitat intergéné- rationnel, etc.

Le Secrétariat d’État aux Personnes Agées soutient de nombreuses initiatives. J’en mentionnerai une : la démarche « Un toit, deux générations » mise en œuvre à Sciences Po Paris. Elle vise à accueillir un(e) étudiant(e) au domicile d’une personne âgée à titre pratiquement gracieux, en échange de menus services, d’une présence quotidienne et d’un devoir de civilité.

C’est là une façon pertinente de faire se rencontrer, se connaître et s’estimer plusieurs générations, dans l’intérêt de chaque partie concernée : l’étudiant trouve à se loger sans avoir à bourse délier , et la personne âgée bénéficie d’une présence réconfortante dans son cadre de vie familier.

J’entends généraliser cette démarche, non seulement en la reproduisant dans d’autres villes universitaires, mais aussi en l’étendant au parc social et en l’ouvrant à d’autres catégories de jeunes que les étudiants.

Si la méconnaissance de l’autre est toujours préjudiciable, l’ignorance des attentes et du mode de vie des plus âgés l’est tout particulièrement.

Il est grand temps que notre société ait une représentation plus fine et une pratique plus fluide et plus dynamique des différents âges de la vie, plutôt que de faire de ses membres les plus âgés un groupe distinct, à l’écart de la vie de la Nation, étranger à ses modes et à ses valeurs.

C’est dans cet esprit que je souhaite créer un groupe de prospective sur le vieillissement qui unirait des compétences multiples sur cette question par nature transdisciplinaire : médecins, démographes, sociologues, économistes, journalistes, chefs d’entreprise, élus, responsables associatifs …

Car il nous faudra bien engager une sorte de « révolution copernicienne » pour que la réalité démographique s’impose définitivement dans les mentalités. Et le plus tôt sera le mieux.

Comment expliquer en effet le peu de cas que font des personnes âgées les médias ou les responsables des services de marketing dont les études de consommation sont encore régies par des schémas d’un autre âge (la « ménagère de moins de 50 ans ») ?

Voilà qui, ajouté au « jeunisme » triomphant d’une société qui n’a jamais été aussi « vieille », prouve que les représentations collectives sont en décalage complet par rapport aux réalités, actuelles et plus encore à venir.

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Le Professeur Maurice Tubiana l’écrit fort bien dans son rapport :

« Le problème de la vieillesse n’est pas la perspective de la maladie, il est de faire vivre les personnes âgées aussi normalement que possible en les considérant autrement que comme des candidats à la mort ou à la dépendance ».

C’est là une excellente définition du « bien vieillir ».

Donner à chaque personne qui avance en âge les meilleures chances de vivre aussi longtemps que possible, aussi normalement que possible, lui permettre de « vivre sa vie » jusqu’à son terme aussi pleinement et activement que possible : c’est là la vocation de la pratique médicale.

C’est également l’ambition qui guide mon action au Gouvernement. Une action que je m’emploie à placer tout entière au service de l’épanouissement des personnes âgées, au service du recul de l’entrée dans la dépendance, au service du maintien de la dignité des aînés ayant perdu leur autonomie.

Une action qui, par dessus tout, aspire à donner dans notre société une place plus grande à tous ceux qui, nous ayant précédés dans la carrière de l’existence, nous ont permis de devenir ce que nous sommes, et auxquels, par un juste retour, nous devons, en tous lieux et en tous moments, attention, fidélité, assistance et reconnaissance.

Séance commune Académie des sciences — Académie nationale de médecine

Génome et maladies génétiques Modérateurs : Jean Yves Lallemand* et Jean Rosa*

Introduction Jean ROSA Génome et pathologie génétique, une histoire d’amour depuis 150 ans. Les débuts, côté recherche de base, les souris blanches, noires et grises de Mendel, et du côté pathologie, la description de la famille hémophilique de la cour d’Angleterre. Puis pendant presque un siècle ce sont les médecins et notamment pédiatres et dermatologues qui font avancer les connaissances en décrivant une multitude d’affections génétiquement déterminées qui sont les fleurons des présentations magistrales… et la stupeur des jeunes étudiants devant cet étalage de malheurs sans aucun espoir thérapeutique.

À partir de 1949 la situation s’inverse, le grand bond en avant de la recherche biologique se concrétise dans ce domaine par une série d’avancées fracassantes.

1949, un physicien non orthodoxe s’occupe de drépanocytose et découvre que l’hémoglobine des patients qui polymérise dans ses globules rouges a une charge électrique anormale et que ceci est héréditaire. Presque simultanément un autre physicien amateur de bons vins et un de ses compagnons de distraction, un très jeune botaniste, réalisent la ‘‘ percée d’Avranche ’’ de la recherche en biologie en décrivant la structure de l’ADN et ceci est suivi de très près par la découverte de l’opéron puis du messager par Monod, Jacob, Lwoff et François Gros.

Du côté pathologie, ces découvertes entraînent l’apparition de l’utilisation de l’électrophorèse qui permet de détecter des mutations essentiellement en hématologie, hémoglobines et protéines anormales de la coagulation. Et l’on commence à utiliser quelques rudiments de biologie moléculaire appliqués en particulier à l’étude des thalassémies.

Dix ans de recherches fiévreuses en biologie amènent aux possibilités de clonage puis de séquençage des génomes. Avec des efforts considérables celui de la levure est * Membre de l’Académie des sciences.

Bull. Acad. Natle Méd., 2005, 189, no 5, 761-767, séance du 10 mai 2005