Résumé
Le syndrome de Churg et Strauss (SCS) est une affection caractérisée par une hyperéosinophilie et une vascularite systémique compliquant un asthme préexistant. Vingt observations ont été étudiées. L’asthme précédait le SCS de 8 ans en moyenne. L’éosinophilie sanguine, toujours supérieure à 1 700/ µ L, dépassait 5 000/ µ L dans 17 cas. Les manifestations cliniques étaient les suivantes : 20 altérations fébriles de l’état général, 13 neuropathies périphériques, 15 lésions cutanées, 10 atteintes péricardiques ou myocardiques, 10 atteintes digestives, 9 atteintes myo-articulaires, 7 rénales, toutes liées à la vascularite et 9 atteintes ORL. La radiographie thoracique montrait des anomalies pleuro-pulmonaires ou cardiaques dans 14 cas. Le diagnostic fut confirmé histologiquement dans 15 cas. Aucune différence clinique, biologique ou évolutive entre le groupe des 15 malades à biopsie positive et celui des 5 malades à biopsie négative ne fut constatée. L’évolution, suivie pendant 8,4 fi 7,9 ans, se fit par poussées toujours annoncées par l’élévation de l’éosinophilie. Dix-huit malades furent traités avec succès par les corticoïdes et 9 reçurent, en outre, du cyclophosphamide. La survie à 5 ans fut de 85 %. Cinq décès liés au SCS se sont produits, dont 2 faute d’un traitement adapté. Il faut insister sur l’urgence thérapeutique du SCS dont le diagnostic, essentiellement clinique, peut se passer de confirmation anatomo-pathologique . MOTS-CLÉS : CHURG-STRAUSS, SYNDROME.
Summary
Churg-Strauss syndrome (CSS) is a disorder characterised by hypereosinophilia and systemic vasculitis complicating a preexisting asthma. Twenty cases have been studied. Mean duration of asthma before CSS was 8 years, the peripheral-blood eosinophilia, always > 1 700/ µ L, went above 5 000/ µ L in 17 cases. The clinical manifestations were the following : 20 impairements of general state with fever, 13 peripheral neuropathies, 15 cutaneous injuries, 10 pericardial or myocardial attacks, 10 digestive impairements, 9 muscular and articular diseases, 7 renal diseases — all of them linked with the vasculitis — and 9 upper respiratory tract involvements. Pleuropulmonary or cardiac anomalies have been discovered at the chest X — ray in 14 cases. The diagnosis has been histologicaly confirmed in 15 cases. No clinical or biological or evolutive distinction was noticed between the 15 positive biopsy patients and the 5 negative ones. During 8,4 ( fi 7, 9 years) the evolution was caracterised by relapses which have always been announced by increasing eosinophilia. Eighteen patients have been successfully treated with corticoids alone or associated with cyclophosphamid in 9. Survival at 5 years was 85 %. Five deaths occured because of CSS (2 because of an unadapted treatment). We have to focus the need for an emergency treatment of CSS. The diagnosis can be done by clinical investigation only, before any anatomopathologic results.
L’angéite allergique avec granulomatose ou syndrome de Churg et Strauss [1], est une maladie systémique qui ressemble étroitement à la périartérite noueuse (PAN), mais qui se singularise à la fois sur le plan clinique et sur le plan histologique [1 bis].
Cliniquement, le syndrome de Churg et Strauss (SCS) se distingue de la PAN classique par l’existence constante d’un asthme grave avec hyperéosinophilie sanguine et par une atteinte pulmonaire dans 30 à 50 % des cas rapportés [2].
Les stigmates histologiques sont un peu particuliers : les lésions artérielles sont analogues à celles de la PAN, mais elles sont fréquemment associées à une atteinte des petits vaisseaux artériolaires et veinulaires et à des granulomes extra-vasculaires à cellules géantes. Ces particularités anatomopathologiques ne sont pas pathognomoniques et leur spécificité est discutée [2-9]. Ce syndrome est rare, peu de grandes séries ont été publiées [1, 8, 10-14].
Cette étude rétrospective de 20 observations a pour but, en décrivant les caractéristiques des patients et de la maladie, d’évaluer l’intérêt des examens anatomopathologiques et des autres examens complémentaires et d’apprécier les résultats des traitements actuels.
MALADES ET MÉTHODES
Nous avons étudié rétrospectivement les dossiers de 20 patients vus sur une période de 29 ans (1968-1997). Quatre n’ont jamais été publiés. Seize observations (no 1 à 16) ont été partiellement publiées mais on dispose aujourd’hui d’une surveillance évolutive de 10 ans supplémentaires.
Critères d’inclusion
Les critères d’inclusion sont ceux proposés par Lanham et coll. [8] : asthme, hyperéosinophilie sanguine supérieure à 1 500 polynucléaires éosinophiles (PE) par µL, et angéite systémique atteignant deux organes extra-pulmonaires ou davantage.
L’absence de confirmation anatomopathologique n’a pas constitué un critère d’exclusion.
Méthodes
Les malades ont été séparés en 2 groupes :
— groupe A (15 malades) : avec confirmation histologique du diagnostic ;
— groupe B (5 malades) : sans confirmation histologique du diagnostic.
Les principales caractéristiques cliniques, biologiques et évolutives de ces deux groupes de malades ont été comparées par le test α2 avec correction de Yates. Les variables quantitatives ont été comparées par le test t de Student. Les calculs statistiques ont été réalisés avec l’aide d’un logiciel Statview Version II (Société Abacus Concepts).
RÉSULTATS
Parmi ces 20 observations, on compte 14 hommes et 6 femmes.
L’âge de début de l’asthme était de 37,3 fi 16,6 ans (extrêmes 1,5 et 63 ans).
L’âge du début du SCS était de 44,9 fi 16,9 ans (extrêmes 17 et 74 ans).
L’asthme a toujours précédé le SCS mais le délai séparant le début de l’asthme du début du SCS était très variable, en moyenne de 7,8 fi 13,7 ans (extrêmes : 7 mois et 58 ans).
Cinq patients ont subi une désensibilisation à divers pneumallergènes, celle-ci précédant toujours l’apparition de l’angéite (en moyenne de 3 ans avec des extrêmes de 3 mois à 8 ans).
Principales données cliniques
Les principales données cliniques sont résumées dans le Tableau 1.
TABLEAU 1. — Données, cliniques, biologiques et radiographiques.
Obs.
Eos.
Eos F.
Sexe Age Manifestations cliniques Radio-thoracique no Sang/µL LBA rhum 1 M 34 N P C D M A O 6 600 + DP 2 F 54 N P C M A 9 150 + ITN 3 M 51 P C D M 30 800 + IL, DP, EP,CM 4 M 17 P C A 5 200 IL, CM 5 M 31 N C O 9 100 – IL, CM 6 M 41 P C D 12 000 IL, EP, CM 7 M 39 N C M 1 900 + – IL, CM 8 F 18 N D 33 600 + IL, RN DP 9 M 62 N P D R O 29 000 + + IL, DP 10 M 34 N P D M A O 22 000 + + ITN 11 M 31 N P M R O 7 150 + – ITN 12 M 36 N D M A O 9 400 + ITN 13 F 74 N P C D M R 7 400 ITN 14 F 39 N P C R 19 800 + – IL, RN, CM 15 M 51 N P 24 000 IL, RN, EP,CM,PP 16 M 68 D R O 2 300 – IL, DP, EP 17 F 31 P C 11 520 + + IL 18 F 55 P O 5 000 + ITN 19 M 73 P D R 10 035 DP 20 M 59 N P R O 1 700 + IL, AD Age : âge au début du SCS ; Eos : éosinophilie ; LBA : lavage broncho-alvéolaire ; F rhum : facteur rhumatoïde ; N : neuropathie périphérique ; P : atteinte cutanée ; C : atteinte cardiaque ;
D : atteinte digestive ; M : atteinte musculaire ; A : atteinte articulaire ; R : atteinte rénale ;
O : atteinte ORL ; AD : adénopathie médiastinale ; ITN : image thoracique normale ;
DP : distension pulmonaire ; IL : infiltrat labile ; EP : épanchement pleural ; CM : cardiomé- galie ; RN : réticulo-nodulation ; PP : paralysie phrénique.
L’asthme
Constant dans toutes les observations, l’asthme était généralement sévère, corticodépendant presque d’emblée, d’apparition généralement tardive (après l’âge de 30 ans dans 15 cas sur 20). Il précédait toujours la vascularite, mais dans des délais variables. Une phase d’aggravation de l’asthme juste avant l’apparition de la vascularite a été observée 9 fois sur 20.
La vascularite
Elle succédait à l’asthme dans un délai moyen de 8 ans, mais extrêmement variable (de 7 mois à 58 ans). À ce stade, tous les patients avaient une altération marquée de
l’état général : asthénie, anorexie, amaigrissement supérieur à 10 % du poids corporel, fièvre ou fébricule. Un certain nombre de manifestations sont frappantes par leur intrication : les neuropathies périphériques, les lésions cutanées, l’atteinte cardiaque, l’atteinte digestive, l’atteinte musculaire et articulaire, l’atteinte rénale, l’atteinte ORL enfin.
Les neuropathies périphériques
Elles ont été observées 13 fois chez 20 patients. Il s’agissait essentiellement de mononévrites multiples et de multinévrites sensitivomotrices, distales et volontiers asymétriques, atteignant plus volontiers les membres inférieurs que les membres supérieurs. Dans 2 cas, on notait une atteinte des paires crâniennes (I et V) ; dans 1 cas, une paralysie phrénique gauche.
Les lésions cutanées
Constatées 15 fois chez 20 malades, elles étaient aisément accessibles à la biopsie.
Elles étaient faites de nodules sous-cutanés (6 cas), de purpura vasculaire (5 cas), d’urticaire (3 cas), d’éruptions diverses (6 cas). Chez 3 patients, il y avait un phénomène de Raynaud.
L’atteinte cardiaque
Constatée 10 fois sur 20, elle était très variable dans son expression. Il y avait 5 péricardites, 3 insuffisances cardiaques, 9 tachycardies (isolées dans 4 cas). L’hypertension artérielle n’a été observée que chez un malade et sous corticothérapie. Elle a disparu à l’arrêt des corticoïdes.
L’atteinte digestive
Notée 10 fois chez 20 malades, elle était caractérisée par les douleurs abdominales (8 cas), la diarrhée (5 cas), les ulcérations gastriques ou duodénales résolutives sous corticothérapie (3 cas). Une patiente (observation 13) est décédée dans un tableau clinique évoquant un infarctus mésentérique et conduisant à la laparotomie exploratrice, révélant une angéite nécrosante étendue du grêle.
L’atteinte myo-articulaire
Observée 9 fois chez 20 patients, elle associait des myalgies (7 cas), une amyotrophie (5 cas) et des arthralgies (5 cas) atteignant surtout les poignets, les chevilles et les genoux. Deux cas d’arthrites inflammatoires ont été observés.
L’atteinte rénale
Constatée 7 fois chez 20 malades, elle n’a jamais eu de caractère de gravité. Il y avait 4 observations de protéinurie, 3 hématuries microscopiques, 3 insuffisances rénales.
Chez 2 malades (obs. 14 et 15), l’artériographie sélective a mis en évidence un micro-anévrisme du rein. Un malade (obs. 20) avait un syndrome néphrotique impur avec protéinurie à 7,43 g/24h.
L’atteinte du domaine ORL
Notée 9 fois chez 20 malades, l’atteinte ORL précédait souvent la vascularite. Il y avait 4 sinusites, 4 rhinites spasmodiques, 2 polyposes nasales, 1 otite, un syndrome sec oculaire et buccal (obs. 16).
Examens complémentaires
Les principales données paracliniques sont résumées dans le Tableau 1.
Examens biologiques
L’éosinophilie sanguine
Elle était constamment très élevée en valeur absolue et dépassait 5 000 éosinophiles/µL dans 17 cas sur 20. Elle était en moyenne de 12 883 fi 9 992 (extrêmes 1 700 et 33 600).
L’éosinophilie du liquide de lavage broncho-alvéolaire (LBA)
Huit malades ont bénéficié d’un LBA. Le pourcentage des polynucléaires éosinophiles était significativement augmenté chez les 8 patients : en moyenne 30 % d’éosinophiles (extrêmes 4 et 80 %). Un malade (observation 11) a eu 4 LBA successifs dont 2 normaux et 2 avec 4 ou 5 % d’éosinophiles.
Vitesse de sédimentation globulaire (VS)
La VS était constamment élevée, en moyenne à 72 fi 30 mm à la première heure (extrêmes 14 et 120).
Immunoglobulines E (IgE)
Les IgE totales ont été évaluées dans 8 observations. Normales une fois, elles étaient augmentées dans 7 cas (en moyenne 10 fois la valeur normale).
Test au latex, test de Waaler-Rose
Étudiés 13 fois, ils ont été positifs 8 fois et négatifs 5 fois.
Recherche de l’antigène Hbs
Étudiée 13 fois, elle a toujours été négative.
Recherche des complexes immuns circulants
Effectuée 10 fois chez 8 malades, elle fut 7 fois négative et 3 fois positive.
Les anticorps anti-cytoplasme des polynucléaires neutrophiles
Étudiés 2 fois dans cette série (obs. 19 et 20), leur recherche fut négative dans les 2 cas.
Radiographie thoracique
Les données de la radiographie thoracique sont résumées dans le Tableau 1.
Six malades ont eu une image thoracique normale tout au long de l’évolution.
On notait 12 infiltrats labiles, 3 images de réticulo-nodulation diffuse, 6 distensions pulmonaires, 4 épanchements pleuraux, 7 cas de cardiomégalie (5 fois par péricardite), 1 paralysie phrénique et une adénopathie médiastinale (cortico-sensible).
Données anatomopathologiques
La localisation des biopsies chez les différents malades et les résultats de l’examen anatomopathologique sont résumés dans le Tableau 2.
Cinquante-deux biopsies (parmi lesquelles 6 prélèvements autopsiques) ont été effectuées chez 20 malades.
L’aspect pathologique de 28 prélèvements (réalisés chez 15 malades) était compatible avec le diagnostic de SCS (granulome extra-vasculaire de Churg et Strauss ou image de vascularite). Ainsi, la confirmation histologique du diagnostic a été obtenue 13 fois sur 20 du vivant des malades et dans 2 cas à l’autopsie seulement.
Les biopsies les plus souvent contributives au diagnostic étaient les biopsies cutanées (positives 10 fois sur 10), musculaires (4 fois sur 15), bronchiques (3 fois sur 7) et hépatiques (4 fois sur 5).
Un granulome extra-vasculaire a été constaté 9 fois sur 15, une infiltration éosinophile 10 fois sur 15, des lésions d’angéite artériolaire 11 fois et une seule fois des lésions veineuses.
Évolution et traitement
Les principales données thérapeutiques et évolutives sont résumées dans le Tableau 3.
Évolution
La durée moyenne de la surveillance a été, dans ce groupe de 20 cas, de 8,4 fi 7,9 ans (extrêmes 2 mois et 27 ans). Chez 13 malades sur 20, la maladie évolua par poussées caractérisées par l’apparition d’une nouvelle manifestation clinique ou par la réapparition d’une atteinte viscérale qui avait cédé à l’action du traitement. Il y eut, chez ces 13 malades, 49 poussées évolutives qui furent presque constamment accompagnées de signes généraux (amaigrissement dans 11 cas, asthénie dans 10 cas, fièvre dans 7 cas) et de troubles biologiques (augmentation de l’éosinophilie sanguine au-delà de 1 500/µL et de la VS au-delà de 30 mm/1 h dans 12 cas). Ces troubles généraux et biologiques étaient les plus précoces, et revêtaient la valeur de signes prémonitoires d’une atteinte viscérale. Le plus constant et le plus précoce d’entre eux était l’hyperéosinophilie sanguine, véritable marqueur évolutif de la maladie.
TABLEAU 2. — Localisation des biopsies. Résultats pathologiques.
1 B musculaire -, B cutanée + (granulome extravasculaire) 2 B musculaire —, B cutanée + (infiltration éosinophile, vascularite d’une artériole).
3 B musculaire + (vascularite d’une artériole), B bronchique + (infiltration éosinophile) B hépatique -.
4 B musculaire -, B rénale -.
5 B musculaire — 6 B musculaire -, B bronchique -, B pleurale — B cutanée + (vascularite leucocytoclasique, granulome éosinophile), B péricardique + (infiltrat éosinophile), B myocardique + (lésions nécrosantes).
7 B musculaire +,B bronchique + (infiltrat éosinophile et granulome extravasculaire, vascularite). B nasale -.
8 B musculaire — (myosite + congestion vasculaire), B gastrique -, B rectale-.
9 B cutanée + (infiltration éosinophile, granulome extravasculaire) B bronchique -, B hépatique + (portite, nécrose parenchymateuse).
10 B cutanée + (capillarite leucocytoclasique), B duodénale + (infiltration éosinophile), B neuro-musculaire + (vascularite nécrosante).
11 B musculaire -, B cutanée + (capillarite leucocytoclasique). B bronchique + (infiltration éosinophile) 12 B musculaire -.
13 B musculaire — PA du grêle + (vascularite nécrosante, infiltration éosinophile), PA du rein + (vascularite nécrosante), PA du foie + (infiltrat inflammatoire des espaces portes).
14 B musculaire — 15 B rénale — B musculaire + (vascularite) 16 B bronchique — PA pulmonaire + (granulome extravasculaire, capillarite, infiltration éosinophile), PA du foie, du rein et de la rate + (infiltration éosinophile).
17 B cutanée + (vascularite), B musculaire -, B hépatique + (lésions inflammatoires avec micro-foyers de nécrose, compatibles avec une vascularite nécrosante).
18 B cutanée + (granulomes extra-vasculaires riches en éosinophiles) 19 B cutanée + (lésion focale de vascularite à cellules mononucléées, périvasculaire).
20 B bronchique -, B cutanée + (infiltrat inflammatoire essentiellement mononucléé périvasculaire avec leucocytoclasie).
B : biopsie ; PA : prélèvement autopsique ; + : positif, – : négatif.
La fréquence de survenue des poussées évolutives était variable avec les malades et avec le traitement. On notait, en moyenne, une poussée tous les 22 mois. Dans un cas rebelle au traitement (observation 9), les poussées se produisaient tous les 10 mois.
Les poussées étaient favorisées par l’arrêt de la corticothérapie ou la diminution posologique (au-dessous de 5 à 10 mg d’équivalent-prednisone/jour).
Dans la plupart des cas, le recours aux immunosuppresseurs (ici, le cyclophosphamide) a permis de juguler les poussées évolutives. Dans un cas où le cyclophospha-
TABLEAU 3. — Traitement et évolution Durée de Ob.
Age Age TRAITEMENT Sexe surveillance Évolution no Asthme SCS C IS APS EP (mois) 1 M 34 34 + + – – 312 Favorable 2 F 49 54 + – – – 180 Favorable 3 M 45 51 + + – – 324 Favorable 4 M 16 17 + – – – 48 Favorable 5 M 27 31 + – – – 36 Favorable 6 M 40 41 + – – – 90 Décès 7 M 37 39 + – – – 8 Favorable 8 F 1,5 18 + + – – 90 Favorable 9 M 62 62 + + + + 84 Décès 10 M 29 34 + – – – 18 Favorable 11 M 30 31 + + + – 36 Favorable 12 M 35 36 + – + – 144 Favorable 13 F 45 74 – – – – 2 Décès 14 F 37 39 + + + – 144 Décès 15 M 49 51 + + – – 156 Favorable 16 M 10 68 – – – – 3 Décès 17 F 25 31 + – – – 192 Favorable (mais séquelle d’hémiplégie) 18 F 53 55 + + – – 36 Favorable 19 M 63 73 + – – – 72 Décès à 79 ans non lié au SCS 20 M 58 59 + + – – 48 Mort subite à 63 ans, par infarctus du myocarde C : corticothérapie ; IS : immunosuppresseurs ; APS : antipaludéens de synthèse ; EP : échanges plasmatiques .
mide avait échoué (observation 11) les anti-paludéens de synthèse (hydroxychloroquine) réussirent. Dans un cas très évolutif (observation 9) après échec de la corticothérapie, du cyclophosphamide et de l’hydroxychloroquine, les plasmaphé- rèses eurent une action bénéfique transitoire.
On déplore 7 décès dont 5 directement imputables au SCS (observations 6, 9, 13, 14 et 16) : défaillance cardiaque dans l’observation 6 (sept ans et demi après le début du SCS) et dans l’observation 14 (douze ans après le début du SCS) ; cachexie et atteintes multi-viscérales dans l’observation 9, sept ans après le début du SCS ;
angéite nécrosante du tube digestif dans l’observation 13, deux mois après le début ;
atteintes viscérales multiples dans l’observation 16, trois mois après le début. Dans les 2 autres cas (obs. 19 et 20), le décès n’était peut-être pas directement lié au SCS ;
décès à 79 ans dans l’observation 19 ; infarctus du myocarde rapidement fatal à 63 ans dans l’observation 20 alors que le SCS semblait bien contrôlé par le traitement.
Les facteurs qui semblent avoir favorisé ces évolutions défavorables sont l’âge au début du SCS (l’âge moyen des sujets décédés est de 59 ans contre 44 ans pour l’ensemble des 20 malades et 37 ans pour les patients non décédés), l’insuffisance du traitement (corticothérapie seule dans l’observation 6, abstention thérapeutique dans les observations 13 et 16 du fait de la méconnaissance du diagnostic du vivant des malades) et la fréquence des poussées évolutives dans les observations 9 et 14 malgré un traitement associant les corticoïdes, le cyclophosphamide, les antipaludéens de synthèse (et les plasmaphérèses dans l’observation 9).
Traitement
Corticothérapie
Tous les malades sauf deux (observations 13 et 16) ont bénéficié d’une corticothé- rapie à la posologie initiale moyenne de 1 mg de prednisone, ou équivalent, par kg et par jour). Ce traitement a été institué de première intention, dès le diagnostic fait, chez tous les patients. La décroissance posologique, guidée par le résultat clinique, la vitesse de sédimentation et l’éosinophilie, a toujours été très lentement progressive.
Le sevrage cortisonique n’a pu être obtenu que dans 2 observations (obs. 1, après 13 ans de corticothérapie continue : obs. 10, après sept mois de traitement). Les autres patients ont bénéficié d’un traitement d’entretien par 3 à 10 mg de prednisone/jour, toute tentative de diminution posologique aboutissant à une poussée évolutive.
Aucune complication grave de la corticothérapie n’a été notée.
Immuno-suppresseurs
Neuf malades ont été traités par le cyclophosphamide (100 mg/j per os dans 7 cas et bolus IV mensuels de 1 000 mg dans 2 cas pendant 11 mois en moyenne) sans complication notable. Ce traitement n’a jamais été institué d’emblée, mais de façon différée, en moyenne 32 mois après le diagnostic de SCS (avec des extrêmes de 12 et 60 mois) dans les cas semblant rebelles à la corticothérapie ou comportant des complications cardiaques ou rénales préoccupantes. L’action de ce traitement a été favorable chez 8 malades sur 9, dans tous les cas en association avec la corticothé- rapie, et dans un cas en association avec l’hydroxychloroquine (obs. 11). Dans un cas rebelle au cyclophosphamide (obs. 9), le recours aux échanges plasmatiques permit d’obtenir une amélioration transitoire.
DISCUSSION
C’est sur des particularités anatomopathologiques que Churg et Strauss [1] ont séparé en 1951 le syndrome qui porte leur nom du cadre de la PAN. Le paysage histologique classique du SCS comporte une vascularite nécrosante, une infiltration tissulaire éosinophilique et des granulomes extra-vasculaires. Toutefois, ces constatations ne sont faites, du vivant des malades, que dans une minorité d’observations, et elles ne sont pas pathognomoniques [2, 3, 6-8]. Le SCS ressemble cliniquement à la PAN et comporte constamment un asthme grave et une hyperéosinophilie sanguine. Le SCS est souvent précédé par d’autres manifestations allergiques : rhinite spasmodique, polypose nasale, etc., ce qui était le cas dans sept de nos observations.
Depuis la publication de Churg et Strauss, les cas rapportés restent rares. Notre groupe de 20 observations vient s’ajouter aux 10 cas français de Newinger et coll. [9], aux 30 cas de la Mayo-Clinic [10] et aux 16 cas anglais de Lanham et coll. [8] qui ont revu à cette occasion 138 observations de la littérature. La cohorte de patients la plus nombreuse est celle du groupe français d’étude de la PAN, qui compte 96 observations de SCS [14] réunies en une trentaine d’années.
L’étiologie du SCS est inconnue et sa physiopathologie demeure conjecturale. La responsabilité d’antigènes inhalés et de certaines stimulations antigéniques (tentatives de désensibilisation, vaccinations) a été suggérée par plusieurs observations [7].
On a insisté récemment sur le rôle déclenchant possible des médicaments antagonistes des récepteurs du leucotriène (zafirlukast notamment). Le SCS est souvent associé aux anticorps anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles (ANCA), présents chez 50 à 60 % des malades, et habituellement de type p-ANCA antimyélopéroxydase [15]. La cytotoxicité des éosinophiles est probablement impliquée dans les lésions de l’épithélium respiratoire et dans la physiopathologie des lésions endocardiques et myocardiques. Des anomalies des cytokines et des molécules d’adhésion ont été mises en évidence dans certains cas. Mais la pathogénie réelle de la maladie demeure énigmatique [16].
Le pronostic spontanément fatal du SCS a été transformé par la corticothérapie et les immunosuppresseurs.
Anatomie pathologique
Tous nos patients ont eu des biopsies, la plupart multiples. La confirmation histologique du diagnostic de vascularite nécrosante n’a pu être obtenue que 15 fois sur 20 (et 2 fois à l’autopsie seulement, obs. 13 et 16). Les granulomes extra-vasculaires de Churg et Strauss n’étaient présents que dans 9 observations.
Aucune différence clinique ou biologique statistiquement significative n’existait entre le groupe A de 15 patients à histologie positive et le groupe B de 5 patients à biopsie négative (Tableau 4). Seule la fréquence de l’atteinte cutanée semblait plus élevée dans le groupe A (différence statistiquement non significative, probablement
TABLEAU 4. — Comparaison du groupe A (malades avec confirmation histologique du diagnostic de syndrome de Churg et Strauss) et du groupe B (sans confirmation histologique du diagnostic).
Groupe A Caractéristiques (obs. no 1, 2, 3, 6, 7, 9, Groupe B Comparaison du SCS 10, 11, 13, 15, 16, (obs. no 4, 5, 8, 12, 14) statistique 17, 18, 19, 20) Éosinophilie moyenne 12 037 fi 9 723 15 420 fi 11 514 NS Atteinte articulaire 3/15 2/5 NS Atteinte neurologique 9/15 4/5 NS Atteinte cutanée 13/15 2/5 NS Atteinte cardiaque 7/15 3/5 NS Atteinte digestive 8/15 2/5 NS Atteinte rénale 6/15 1/5 NS Atteinte ORL 7/15 2/5 NS Traitement 7/15 2/5 NS immunosuppresseur Décès 6/15 1/5 NS NS non significatif.
en raison du petit nombre de malades). Mais, à chaque fois qu’elles ont été biopsiées (10 fois), les lésions cutanées ont conduit à un diagnostic histologique positif. Les sujets atteints de lésions cutanées sont donc automatiquement rangés dans le groupe A. En revanche, la biopsie musculaire, réalisée 15 fois sur 20, n’a été que 4 fois contributive.
La preuve histologique est d’ailleurs inconstamment obtenue dans les autres séries de la littérature. Dans la série de 30 cas de Chumbley et coll. [10], tous avaient une vascularite histologiquement démontrée, mais 8 n’avaient pas de granulome extravasculaire. Dans celle de Lanham et coll. [8], 12 biopsies sur 14 étaient positives et 9 sur 10 dans celle de Newinger et coll. [9] avec seulement 3 granulomes. Dans 20 observations d’angéite nécrosante avec asthme rapportées par Blétry et coll. [17], les critères histologiques définis par Churg et Strauss n’ont été retrouvés que 3 fois sur 20. Il est important de rappeler à ce propos que les critères histologiques décrits par ces auteurs avaient été élaborés à partir d’une étude autopsique. A notre sens, la
preuve histologique ne saurait être exigée en pratique clinique, car cette exigence conduirait inévitablement à des retards diagnostiques et thérapeutiques très préjudiciables aux malades.
En revanche, deux examens complémentaires simples ont un intérêt primordial dans le SCS : la mesure de l’éosinophilie sanguine et la radiographie du thorax.
Examens biologiques
Parmi nos 20 cas, l’éosinophilie n’était jamais inférieure à 1 700/µL avec une moyenne à 13 000/µL ; 17 malades sur 20 avaient une éosinophilie > 5 000/µL. C’est bien le signe biologique majeur du syndrome de Churg et Strauss. Newinger et coll.
[18], passant en revue 119 cas de la littérature, ont trouvé 99 % d’éosinophilies > 1 000/µL. Si une éosinophilie de l’ordre de 400/µL est courante dans la PAN, seulement 6 % des 45 PAN sans asthme de Blétry et coll. [16] avaient une éosinophilie dépassant 1 000/µL/.
Une éosinophilie > 1 000/µL est donc de grande valeur pour le diagnostic et un taux normal (avant tout traitement) exclut pratiquement le diagnostic de SCS.
Durant l’évolution, l’éosinophilie diminue puis se normalise sous l’influence du traitement. Toute augmentation nouvelle du nombre des éosinophiles est un signe précoce de rechute. L’éosinophilie sanguine constitue donc le principal marqueur évolutif de la maladie, dont elle contribue à guider le traitement [19].
La position centrale qu’occupe l’éosinophilie sanguine dans le SCS est à l’origine de l’intérêt que suscite l’étude du lavage broncho-alvéolaire (LBA) et des IgE dans cette affection.
L’éosinophilie sanguine du syndrome de Churg et Strauss s’accompagne d’une éosinophilie pulmonaire. Chez 8 de nos patients qui ont eu un LBA, le pourcentage des polynucléaires éosinophiles était élevé (en moyenne à 30 %). Dans la série de Newinger et coll. [9], 3 LBA donnaient des résultats analogues alors que le taux moyen d’éosinophiles du LBA chez l’asthmatique est de 2 ou 3 % environ [9, 20].
Wallaert et coll. [21], étudiant le LBA dans 6 observations de malades atteints de SCS, ont fait des constatations analogues.
Nous avons trouvé une élévation des IgE totales 7 fois sur 8, mais l’élévation des IgE est peu spécifique. Elle se voit aussi bien dans l’asthme banal, l’aspergillose bronchopulmonaire allergique, certaines parasitoses, etc.
L’intérêt des autres tests biologiques est moindre. L’élévation de la VS est très fréquente, mais ni constante, ni toujours très importante. Latex et Waaler-Rose ont été positifs 8 fois sur 13 dans notre série. La détection d’immuns complexes circulants est plus rare (3 fois sur 10). La sérologie de l’hépatite à virus B, réalisée 11 fois, a été régulièrement négative. D’ailleurs, la recherche de l’hépatite B est pratiquement toujours négative dans le SCS à la différence de la PAN classique où elle est parfois positive. Il est probable que la stimulation antigénique responsable du SCS soit due
à des antigènes inhalés, à des pneumallergènes [22]. Une observation privilégiée [23] d’aspergillose broncho-pulmonaire allergique secondairement compliquée de SCS milite en faveur de cette hypothèse.
Radiographie thoracique
Parmi les examens complémentaires, la radiographie thoracique revêt un grand intérêt au cours du SCS. Dans notre série, elle n’était normale que 6 fois sur 20, ce qui ne saurait exclure le diagnostic. Des infiltrats labiles ou des opacités réticulomicronodulaires étaient présents 11 fois sur 20. L’atteinte du parenchyme pulmonaire constitue avec l’asthme et l’éosinophilie la triade qui distingue le SCS des autres vascularites systémiques. Elle est retrouvée par tous les auteurs dans 30 à 70 % des cas. La radiographie thoracique contribue également au diagnostic de l’atteinte pleurale, péricardique ou myocardique. Dans une de nos observations, que l’on peut rapprocher de celles de Herreman et coll. [24], elle a permis de dépister une paralysie phrénique gauche. Un seul de nos malades (obs. 20) avait des adénopathies médiastinales qui ont disparu avec la corticothérapie. Ce fait est rarement signalé dans la littérature [25].
Autres examens complémentaires
Bien d’autres examens complémentaires qui n’ont pas été détaillés ont pu, en précisant certaines atteintes organiques, avoir un grand intérêt pour le diagnostic ou la surveillance. C’est le cas, en particulier, de l’échographie cardiaque, des endoscopies digestives et bronchiques, de l’électromyogramme.
Diagnostic
Le diagnostic de SCS est, avant tout, clinique. Un asthme fébrile, avec ou sans anomalies du parenchyme pulmonaire à la radiographie, mais avec une importante altération de l’état général et surtout une éosinophilie sanguine supérieure à 1 500/µL, est un syndrome de Churg et Strauss s’il s’y associe des signes de vascularite systémique. Cette vascularite touche préférentiellement le cœur, le poumon, le revêtement cutané, l’appareil digestif, le système nerveux périphérique, l’appareil myo-articulaire, le rein. La confirmation histologique, toujours souhaitable, ne peut être obtenue à chaque fois et n’est pas nécessaire pour commencer le traitement qu’elle ne doit pas retarder. Mais le diagnostic de SCS est parfois délicat du fait de la grande variété des présentations cliniques possibles. Certains cas sont difficiles à différencier d’un syndrome hyperéosinophilique d’autre cause. Il y a des formes frontières avec le syndrome de Loeffler ou la granulomatose de Wegener. On a décrit aussi des « formes frustes » de SCS limitées à un seul organe siège de lésions pathologiques hautement suggestives de ce diagnostic [16].
L’American College of Rheumatology a proposé en 1990 de nouveaux critères pour la classification des vascularites. Les critères pour la classification du syndrome de
TABLEAU 5. — Critères de l’American College of Rheumatology pour la classification du syndrome de Churg et Strauss (1990).
Critères
Sensibilité (%)
Spécificité (%)
Asthme 100 96,3 Éosinophilie > 10 % 95 96,3 Neuropathie périphérique mono-, multi75 79,8 ou polynévrite Infiltrats pulmonaires non fixes 40 92,4 Anomalies des sinus maxillaires 85,7 79,3 Éosinophilie tissulaire extra-vasculaire 81,3 84,4 Dans un but de classification, le diagnostic de syndrome de Churg et Strauss est accepté si au moins 4 critères sur 6 sont positifs. Dans ce cas, la sensibilité est de 85 % et la spécificité de 99,7 %.
D’après Masi AT, Hunder GG, Lie JT et al . – Arthritis and Rheum ., 1990, 33 , 1094-1100.
Churg et Strauss [26] sont indiqués dans le Tableau 5. Dix-huit de nos malades sur 20 satisfont à ces critères (2 avec 6 critères, 5 avec 5 critères et 11 avec 4 critères sur 6).
Deux malades (obs. 4 et 19) n’ont que 3 critères sur 6, mais le contexte clinique et l’évolution nous font penser que le diagnostic de SCS est le plus vraisemblable.
Évolution et traitement
L’évolution du SCS sans traitement est presque toujours fatale avec une moyenne de survie de 10 mois [18]. La corticothérapie et les immunosuppresseurs ont amélioré le pronostic vital qui reste néanmoins préoccupant.
Dans notre série, avec un recul moyen d’un peu plus de 8 ans, 7 patients sur 20 sont décédés.
Dix-huit malades ont bénéficié d’une corticothérapie de première intention. La rémission a toujours été obtenue, mais la corticodépendance est habituelle puisque les corticoïdes n’ont pu être arrêtés que chez deux malades. Le cyclophosphamide a été utilisé 9 fois (chez 18 patients), mais seulement de façon différée, 12 à 60 mois après le diagnostic de SCS en cas de résultat insuffisant de la corticothérapie.
Lanham et coll. [8] et Chumbley et coll. [10] avaient également presque toujours utilisé (44 fois sur 46 cas) la corticothérapie seule lors du traitement initial.
Certains auteurs [27, 28] conseillent d’utiliser d’emblée les immunosuppresseurs, en association avec la corticothérapie. Cette façon de faire ne nous paraît pas sans inconvénients [29] et nous pensons préférable de réserver les immunosuppresseurs à des indications précises : échec de la corticothérapie, insuffisance rénale ou cardiaque, atteinte du système nerveux central, atteinte sévère du tractus gastro-intestinal, tous éléments qui constituent des marqueurs pronostiques particulièrement péjoratifs [30, 31], comme l’ont bien montrés les travaux de L. Guillevin et coll. [32].
Dans cette série, lorsqu’ils furent utilisés, les immunosuppresseurs ont été efficaces 8 fois sur 9 (chez un malade, en association avec les antipaludéens de synthèse).
Le recours aux échanges plasmatiques n’a été nécessaire qu’une seule fois. Leurs indications restent rares et semblent devoir être réservées aux échecs de la corticothérapie et des immunosuppresseurs.
En fait, les aléas du traitement sont ailleurs, comme le démontrent bien les 5 décès de notre série directement imputables au SCS. Deux décès (obs. 13 et 16) se sont produits très précocement (respectivement 2 mois et 3 mois après le début du SCS) le diagnostic étant resté méconnu jusqu’à l’autopsie et les patients n’ayant pu bénéficier de la thérapeutique adaptée. L’un de ces décès (obs. 13) est imputable à une perforation digestive, l’autre (obs. 16) à une défaillance respiratoire, hépatique et rénale. Un patient est mort de défaillance cardio-respiratoire (obs. 14). Un patient est mort de défaillance cardiaque (obs. 6) malgré la mise en rémission de la vascularite et le dernier de cachexie (obs. 9) du fait de la répétition des poussées.
Dans notre série, la survie à 10 ans est de 70 % et la survie à 5 ans de 85 % ; elle était de 62 % dans la série de Chumbley et coll. [10]. Ces mêmes auteurs estiment que plus le délai qui sépare le début de l’asthme du début du SCS est bref, plus le pronostic est défavorable. C’est pourquoi nous avons étudié ce délai chez nos malades. Il est, pour les 20 patients de 7,8 fi 13,7 ans. Pour les 13 malades non décédés de 14,5 fi 21,7 ans. Cette différence est statistiquement significative (p = 0,03). Ces résultats paraissent contredire ceux de Chumbley. Mais le petit nombre de nos malades ne permet pas de conclure formellement.
C’est le retard du diagnostic initial, la destruction définitive du myocarde ventriculaire gauche au fil des poussées ou la dégradation de l’état général chez les patients âgés qui expliquent la mortalité encore élevée.
Il faut donc insister sur l’urgence thérapeutique du syndrome de Churg et Strauss, et sur la nécessité de surveiller attentivement ces malades. Ainsi est-il possible de minimiser l’atteinte viscérale, toujours précédée de l’ascension de l’éosinophilie périphérique et de signes généraux.
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DISCUSSION
M. André VACHERON
La très belle série de 20 malades atteints de syndrome de Churg et Strauss rapportée comporte 2 cas d’insuffisance cardiaque mortelle. Quelle est la pathogénie de l’insuffisance ventriculaire gauche ?
Le mécanisme de l’atteinte cardiaque est double : d’une part, les lésions directement infligées à l’endocarde et au myocarde par les éosinophiles cytotoxiques ; d’autre part, la nécrose myocardique induite par la vascularite des artères coronaires. Fait inté- ressant, quelques rares observations font état de l’amélioration des lésions coronaires occlusives (avec recanalisation vérifiée à la coronarographie) après six mois de corticothérapie.
M. Pierre GODEAU
Félicitations, car une série de 20 cas de syndrome de Churg et Strauss représente une expérience personnelle rare. En ce qui concerne l’atteinte cardiaque grave, nous avons confié une patiente de 21 ans ayant eu plusieurs années de corticothérapie pour transplantation cardiaque. La fragilité aortique a entraîné une rupture des sutures. Ce fait est-il signalé dans la littérature ? Rôle des corticoïdes ou de l’angéite ? Avez-vous constaté le rôle nocif éventuel de vaccinations ou désensibilisations comme l’a signalé Loïc Guillevin ? On a
rapporté des cas de Churg et Strauss provoqués par la prescription d’antileucotriènes.
Croyez-vous qu’il s’agisse d’une véritable toxicité de ces médicaments ou plutôt d’un sevrage trop brutal en corticoïdes au profit de ce traitement ?
Je vous remercie de nous rapporter cette observation de fragilité aortique qui n’a pas, à ma connaissance, été signalée jusqu’ici. Nous n’avons pas observé le rôle nocif des vaccinations, mais cinq de nos patients avaient subi une désensibilisation à divers pneumallergènes, parfois peu avant l’apparition de la vascularite. Il est prudent d’éviter les stimulations antigéniques chez ces malades. Les antagonistes des récepteurs aux leucotriènes (tels que le zafirlukast ou le montelukast) permettent, chez certains asthmatiques, une réelle économie de corticothérapie par voie générale. C’est probablement la diminution posologique des corticoïdes qui est à l’origine de l’apparition du syndrome de Churg et Strauss chez certains malades. L’imputabilité aux antileucotriènes ne saurait être affirmée à l’heure actuelle.
M. Henri LACCOURREYE
Je pensais qu’il existait, chez les patients présentant une maladie de Churg et Strauss, un terrain allergique préexistant ou prédominaient les manifestations naso-sinusiennes qui précédaient l’asthme puis l’hyperéosinophilie sanguine et tissulaire. Par suite, lorsque des manifestations allergiques naso-sinusiennes (rhinorrhée, obstruction nasale, rhinite allergique, polypose naso-sinusienne et sinusite récidivante) se compliquent d’asthme, peut-on évoquer le diagnostic de maladie de Churg et Strauss ou est-ce seulement la survenue des manifestations de vascularite systémiques qui permet de porter ce diagnostic ? Enfin, devant une biopsie négative, quel est le minimum de critères cliniques et biologiques qui permettent de porter le diagnostic de maladie de Churg et Strauss et de la traiter ?
Les manifestations allergiques naso-sinusiennes précèdent assez souvent l’apparition de l’asthme. Cela ne suffit pas pour évoquer le diagnostic de syndrome de Churg et Strauss qui repose sur les critères suivants : asthme, hyperéosinophilie sanguine supérieure à 1 500/µl et vascularite systémique atteignant deux organes extra-pulmonaires ou davantage. La preuve histologique doit toujours être recherchée, mais elle n’est pas indispensable au diagnostic quand les critères indiqués sont tous présents.
M. Paul DOURY
La maladie de Churg et Strauss, comme les autres vascularites nécrosantes et comme les autres maladies systémiques, est d’étiologie inconnue. Mais, on pense généralement qu’il pourrait s’agir d’une réponse anormalement intense à des stimuli antigéniques. Parmi ceux-ci, il faut faire une place aux parasites. Mais la recherche et la mise en évidence de parasites sont toujours extrêmement difficiles. Des examens parasitologiques négatifs, même répétés, ne peuvent pas exclure formellement une cause parasitaire. Un cas exemplaire de syndrome de Churg et Strauss très typique, en relation avec une parasitose, a été rapporté dans la littérature en 1990 par Chauhan et coll. Dans ce cas, c’est grâce à la survenue d’une obstruction des voies biliaires qui a conduit à une cholécystectomie et à la mise en évidence de nombreux ascaris, bien que les examens parasitologiques se fussent révélés négatifs. Dans vos 20 observations de syndrome de Churg et Strauss, quelles investigations à la recherche d’une parasitose éventuelle avez-vous effectuées ? Ne faut-il pas multiplier les investigations ou les répéter inlassablement avec éventuellement recours à des endoscopies et à des biopsies ? Car l’intérêt de la mise en évidence d’un facteur déclenchant,
notamment d’une parasitose, paraît très important dans cette maladie très sévère, comme d’ailleurs dans les rhumatismes inflammatoires dont nous avons rapporté des exemples il y a 10 ans ici-même.
L’éosinophilie du syndrome de Churg et Strauss doit naturellement être différenciée des éosinophilies parasitaires, allergiques, hématologiques, cancéreuses, etc. L’enquête parasitologique, chez nos malades, a toujours été négative et l’évolution, longtemps surveillée dans bien des cas, n’a jamais permis de révéler une parasitose initialement méconnue.
Quant à l’intéressante observation de Chauhan, elle demeure, à ma connaissance, unique en son genre.
M. Raymond BASTIN
A la fin des années 50, nous avons rapporté à la société médicale des hôpitaux, 3 observations de périartérite noueuse avec très forte éosinophilie. Ces malades étaient allergiques mais, autant que je m’en souvienne, ils n’étaient pas asthmatiques. Profitant de votre expérience clinique, pourriez-vous nous indiquer ce qu’il faut penser de ces très fortes éosinophilies dans la périartérite noueuse et, plus particulièrement, aurions-nous plutôt observé à l’époque 3 cas de syndrome de Churg et Strauss ?
Une périartérite noueuse avec asthme et hyperéosinophilie est certainement un syndrome de Churg et Strauss. Mais il n’y a probablement pas de syndrome de Churg et Strauss sans asthme et les rares observations signalées dans la littérature nous paraissent être des erreurs de diagnostic (YAMASHITA Y., YORIOKA N., TANIGUCHI Y. et coll. – Nonasthmatic case of Churg-Strauss syndrome with rapidly progressive glomerulonephritis. Internal Medicine, 1998, 37 , 561-563).
M. Jacques EUZÉBY
Puisque la possibilité d’une étiologie parasitaire du syndrome de Churg et Strauss a été évoquée, j’ose poursuivre dans cette voie. Certaines filarioses zoonosiques, notamment celle qui relève de l’infestation par Dirofilaria immitis , la « filaire cruelle » du chien, déterminent une forte hyper-éosinophilie, accompagnée de granulomes pulmonaires et, parfois, d’un syndrome cutané. Le diagnostic parasitologique est difficile, car les femelles des filaires n’atteignent pas, chez l’homme, leur maturité sexuelle, d’où absence de microfilaires. Seul un diagnostic immunologique serait possible. Une étiologie filarienne du syndrome a-t-elle été envisagée ?
Non, mais je pense qu’il convient de distinguer clairement le syndrome de Churg et Strauss des hyperéosinophilies parasitaires.
M. Alain LARCAN
Je pense avoir décrit avec René Herbeuval en 1966, dans La Presse médicale, 2 cas de syndromes de Churg et Strauss en les dénommant à la suite de Zuelzer et Apt (1949) grande éosinophilie maligne tout en citant, en argumentant, la publication de Churg et Strauss. Il me semble que l’origine allergique supposée depuis la description princeps mériterait des recherches systématiques complémentaires : enquêtes allergologiques, dosage des IgE…. Il
faut aussi se déterminer dans le classement de ce syndrome. Est-il placé dans le groupe des vascularites (réactionnelles et hypersensibilité) entre périartérite noueuse, polyangéite microscopique de Wegener ou dans celui des syndromes éosinophiliques à côté du syndrome de Löffler, des endomyofibroses éosinophiliques, de la myocardite de Rhienhardt, de la pneumonie de Carrington ? Quelle que soit la réponse, le rôle nécrosant, cytotoxique des éosinophiles (interleukines 5, cytokines distases) est certainement fondamental pour expliquer l’évolution clinique et anatomique de l’affection et sa relative spécificité.
Le syndrome de Churg et Strauss est classé dans le groupe des vascularites systémiques.
Certes, son étiologie est inconnue et sa physiopathologie demeure conjecturale ; mais il y a des arguments en faveur du rôle favorisant du terrain allergique : l’asthme est constant chez ces malades et précède toujours l’apparition de la vascularite. D’autre part, le rôle déclenchant des vaccinations et des tentatives de désensibilisation a été parfois suspecté.
Mais, cette « vascularite allergique » est aussi une vascularite avec hyperéosinophilie, ce qui lui confère une certaine spécificité. Les occlusions vasculaires et la cytotoxicité des éosinophiles interviennent conjointement, à des degrés divers, dans la genèse des lésions tissulaires.
M. Jacques ROCHEMAURE
Le nombre d’asthmes graves, cortico-dépendants, avec hyperéosinophilie sanguine et parfois infiltrats pulmonaires est en augmentation, obligeant le pneumologue à un traitement cortisonique soutenu et prolongé, parfois avec immunosuppresseurs. Ne pensez-vous pas que ces états auraient pu évoluer vers des syndromes de Churg et Strauss ? Le nombre de ces syndromes est-il en augmentation, parallèlement à celui des asthmes graves ou, au contraire, en diminution du fait d’une meilleure prise en charge de ces asthmes ?
En effet, c’est souvent chez des asthmatiques cortico-dépendants qu’apparaît le syndrome de Churg et Strauss, volontiers à l’occasion de la diminution posologique des corticoïdes. Mais le nombre des cas de syndrome de Churg et Strauss est trop faible pour qu’il soit possible d’en faire une étude épidémiologique précise.
M. François-Bernard MICHEL
C’est probablement la cortico-dépendance du syndrome de Churg et Strauss qui fait croire à de faux-coupables (désensibilisation antécédente, corticothérapie inhalée, antileucotriènes) dans sa genèse : ces traitements ont montré seulement leur incapacité à se substituer à la corticothérapie par voie générale. Ce syndrome pose la question de l’agressivité exceptionnelle de l’éosinophilie dans ce cas, alors que des asthmes avec IgE élevés et éosinophilies n’évoluent pas vers l’angéite. Avez-vous pu apprécier les bénéfices de l’alpha interféron associé à la corticothérapie et à l’endoxan ?
Vous avez raison quant à la responsabilité de la baisse de la corticothérapie dans l’apparition du syndrome de Churg et Strauss chez certains asthmatiques. Je n’ai aucune expérience de l’emploi thérapeutique de l’alpha-interféron dans cette affection.
* Service de Médecine Interne 1. Hôpital Européen Georges Pompidou, 20-40, rue Leblanc — 75908 Paris cedex 15. Tirés-à-part : Professeur Charles HAAS, à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 19 décembre 2000, accepté le 8 janvier 2001.
Bull. Acad. Natle Méd., 2001, 185, no 6, 1113-1133, séance du 26 juin 2001