Communiqué
Session of 11 mars 2003

Le souci de l’environnement et le développement durable, une indispensable complémentarité

MOTS-CLÉS : comité consultatif.. environnement. recherche
KEY-WORDS : advisory committees.. environment. research

Ch. Pilet

Communiquécomité consultatif., environnement, rechercheadvisory committees., environment, researchCh. Pilet

 

COMMUNIQUÉ

Le souci de l’environnement et le développement durable, une indispensable complémentarité

Charles PILET La société contemporaine a une conscience de plus en plus vive de l’importance de l’environnement dont elle se perçoit à la fois dépendante et responsable. La géographie de la Terre a subi des transformations radicales au cours des temps géologiques. Depuis l’apparition de la vie sur notre planète, des espèces vivantes sont apparues puis ont disparu pour laisser la place à d’autres. Cette évolution continue montre qu’il est impensable de conférer à la nature, par des règles juridiques, un droit à l’immuabilité qu’elle n’a jamais connu, alors que la notion même de vie implique une adaptation à des conditions qui ont constamment changé. Le problème nouveau qui se pose aujourd’hui est que les possibilités ouvertes par la science et la technique ont atteint un niveau tel que l’homme est capable d’altérer gravement son cadre de vie et d’emprunter des voies de développement qui perturberont encore plus gravement celui des générations futures.

La recherche du nécessaire compromis entre développement et préservation de l’environnement de nos descendants est ce que recouvre le concept de développement durable. Ce devoir de solidarité entre les générations impose que les inévitables modifications de l’environnement restent dans des limites acceptables. Il faut concilier, à terme, la protection de l’environnement, de la santé et des ressources naturelles avec le développement économique qui seul peut permettre la réduction des tensions que créent les inégalités géographiques et sociales et l’évolution démographique.

Le rôle de la recherche et du partage de la connaissance

Les progrès de la science et des techniques ont assuré les avancées observées depuis deux siècles dans la moindre pénibilité du travail et de la vie quotidienne, dans la qualité de vie, dans la santé et la longévité, dans l’éducation et dans les possibilités d’échanges entre les hommes et entre les cultures. Alors qu’il y a quelques décennies on pouvait craindre que la croissance démographique n’entraînât des famines, la production agricole est aujourd’hui excédentaire et jamais la sécurité alimentaire, dans la plupart des pays non impliqués dans un conflit armé, n’a été aussi élevée. La gestion concrète des conséquences des actions humaines sur l’environnement ne peut se faire, dans une perspective humaniste, que grâce à une évaluation des conséquences négatives et positives des décisions à prendre. L’évaluation de ces conséquences est d’autant plus facile que les phénomènes sont mieux compris et la recherche est indispensable pour progresser dans ce sens ;

elle peut également apporter certaines solutions techniques. C’est la responsabilité des scientifiques de poursuivre ces efforts, en se pénétrant des obligations du développement durable. Mais ils doivent aussi contribuer à l’information des responsables politiques et des citoyens sur l’état des connaissances, et des incertitudes qui restent à lever. Ainsi seront posées les bases d’une prise de conscience sociale des enjeux, des risques et des arbitrages.

Les citoyens aborderont d’autant plus facilement les problèmes d’environnement qu’ils auront une culture de base solide. Il convient donc que l’enseignement obligatoire comprenne une initiation aux phénomènes physiques, chimiques, géologiques et biologiques qui interviennent dans l’interaction entre l’homme et son environnement. Les notions de risque et de gestion des risques devraient également être inculquées dès le plus jeune âge, ainsi que les véritables dimensions des différents problèmes d’environnement et de santé, sans oublier leur coût.

Le principe de précaution

Une large part de l’opinion publique se déclare favorable au principe de précaution, qui semble répondre aux craintes que suscitent d’éventuels effets néfastes des nouvelles techniques. Cependant ce consensus sur un mot n’est qu’apparent et cache en fait des positions diverses, car sa définition est très controversée. Son application, du fait de ses difficultés d’interprétation et des dérives existantes, peut être un frein au progrès et s’opposer à l’intérêt général.

Certaines décisions de justice ont été fondées sur le principe de précaution compris comme l’interdiction d’agir, si la moindre possibilité d’une conséquence négative de l’action peut être crainte. Une acception aussi extrême d’un principe considéré comme fondamental pourrait conduire à des décisions aussi absurdes que de renoncer à toute mesure pouvant avoir un effet négatif. Il est en fait impératif de peser les risques d’une technique par rapport à ses avantages.

Le souci de protéger le cadre de vie de l’homme peut légitimement conduire à veiller à ce que celui qui propose une décision, ait fait au préalable une analyse approfondie de toutes ses implications, avantages et inconvé- nients , en faisant appel à toutes les connaissances scientifiques et techniques du moment. Une telle règle peut être comprise comme le principe de précau- tion. Malheureusement, ce vocable peut également être compris tout autrement. Inscrire le principe de précaution dans des textes à valeur constitutionnelle ou dans une loi organique pourrait induire des effets pervers, susceptibles d’avoir des conséquences désastreuses sur les progrès futurs de notre bien-être, de notre santé et de notre environnement.

Il convient en revanche de chercher, dès maintenant, à anticiper le plus largement possible les risques, ceux qui sont bien identifiés comme ceux qui ne le sont qu’imparfaitement. Parallèlement, doivent être mis sur pied des dispositifs de vigilance et de veille permettant le recueil, l’analyse et la prise en compte de signaux d’alerte.

L’intérêt d’un Comité consultatif national de l’environnement

La diversité, la complexité et la gravité des problèmes soulevés, la nécessité aussi d’un large débat plaident pour la mise en place d’une structure capable de les envisager dans toutes leurs dimensions éthique, scientifique, économique et juridique. Un « Comité consultatif national de l’environnement et du développement durable » devrait comprendre des représentants des milieux scientifiques, économiques et juridiques, ainsi que des milieux associatifs, de la société civile, des grandes familles politiques et des grands courants de pensée.

Ses missions devraient notamment comporter : la définition des conditions de l’expertise scientifique ; l’évaluation des objectifs, des moyens et des résultats des recherches dans ce domaine ; l’élaboration des méthodes décisionnelles et le contrôle de l’efficacité, de l’absence de nocivité et du coût des mesures envisagées ; l’analyse des dispositions à soumettre au corps législatif ; la concertation avec les milieux européens et internationaux et l’information objective du public. En somme cette structure devrait avoir la place et le rôle qui sont aujourd’hui reconnus au Comité consultatif national d’éthique , dans le domaine de la bioéthique.

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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 11 mars 2003, a adopté ce communiqué à l’unanimité, moins cinq abstentions.

Bull. Acad. Natle Méd., 2003, 187, n° 3, 613-615, séance du 11 mars 2003