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Session of 20 juin 2006

Le secret professionnel du médecin et son partage entre soignants et non soignants

MOTS-CLÉS : confidentialité. éthique médicale
Medical secrecy. Sharing confidential information between caregivers and non caregivers
KEY-WORDS : confidentiality. ethics, medical

Aline Marcelli

Résumé

Le principe de l’inviolabilité du secret professionnel du médecin reconnaît un droit fondamental du patient : le respect de sa vie privée. Le « secret médical partagé » entre soignants, exception du pacte de confidentialité médecin-malade, s’est développé au cours des siècles pour optimiser la qualité des soins. Son champ d’application n’a cessé de s’accroître dans différents domaines : la santé, la recherche, la justice. Dans certains cas, le partage du secret est imposé au médecin soit à titre collectif, soit à titre individuel. Dans d’autres circonstances, de plus en plus nombreuses, il faut bien le reconnaître, le praticien est autorisé à partager avec des tiers, dans l’intérêt du patient et avec son consentement éclairé, les informations médicales dont il est le dépositaire. Ces cas sont encadrés par des textes législatifs ou réglementaires ainsi que par la jurisprudence qui en fixent les limites. De nombreuses mesures ont été prises pour garantir la confidentialité de la transmission des données médicales personnelles. Il serait souhaitable que l’Académie nationale de médecine soit consultée avant toute nouvelle dérogation au secret professionnel du médecin. En effet, il importe de souligner que le secret médical demeure la règle et la base de l’éthique médicale et qu’il doit le demeurer au même titre que ses deux autres principes fondamentaux : la liberté de choix du patient et l’indépendance du médecin.

Summary

The confidential nature of the doctor-patient relationship acknowledges the patient’s fundamental right to privacy. The exchange of confidential medical information between caregivers comes outside the doctor-patient relationship and has developed over the centuries to improve the quality of health care. Its scope has grown considerably in a number of areas, such as healthcare, research and the law. In certain cases, physicians are obliged to share confidential information, either individually or as a group. In other increasingly common cases, physicians are allowed to share confidential information with third parties when it is in the interests of the patient and with his or her informed consent. These cases and their scope of application are laid down by the law and by jurisprudence. A number of steps have been taken to ensure confidentiality in the transmission of personal medical information. The Académie Nationale de Médecine should to be consulted before any further dispensation is granted in the field of medical secrecy. Medical secrecy is the bedrock of medical ethics and must remain so, alongside the other two fundamental principles : the patient’s freedom of choice and physician independence.

Introduction

Il est très peu de principes qui, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, ont résisté aux outrages des siècles. Il en est un, au moins, qui a survécu à toutes les attaques qu’il a subies : c’est le principe du secret médical. Il constitue un contrat moral qui scelle un pacte de confidentialité entre le médecin et son patient. En effet, le dogme de la confidence est considéré comme le socle sur lequel se fonde la totalité des secrets professionnels dont le secret médical est une des composantes séculaires. Sur ce socle est érigé un édifice, destiné à garantir le respect de la vie privée et de l’ordre social, qui s’appuie sur des dispositions législatives et réglementaires et sur des décisions jurisprudentielles, tant judiciaires qu’administratives. La conservation des secrets privés est l’un des aspects du droit public des libertés.

Rappelons à ce propos, au niveau européen, l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme : « Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée » [1] et, au niveau national, l’article 9 du code civil : « Chacun a droit au respect de sa vie privée » [2]. Ces textes sont repris par les deux articles suivants du code de la santé publique (CSP) [3]. Article L 1110-2 « La personne malade a droit au respect de sa dignité » Article L 1110-4 « Toute personne prise en charge … a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant ». Depuis le serment d’Hippocrate, le secret médical a toujours été considéré comme général, absolu et permanent. Le médecin ne peut pas en être délié par le patient et le secret se perpétue même après la mort de celui-ci. Mais, cependant, si le principe est demeuré immuable, il a été modifié par un certain nombre d’exceptions qui lui ont été apportées au cours des temps.

L’ensemble de celles-ci se résume dans des termes, apparemment antinomiques, de « secret médical partagé » mais un secret partagé reste-t-il un secret ? La réponse à cette question ne peut être que négative s’il tombe dans
une multitude d’oreilles indiscrètes. Elle peut être plus nuancée s’il est réservé à quelques initiés dont la discrétion ne peut être mise en doute, surtout s’ils sont tenus, eux-mêmes, par le serment de ne pas divulguer ce qu’ils ont appris dans l’exercice de leur profession. Il est alors possible de parler de « secret médical partagé » et nous pouvons constater, presque chaque jour, dans les publications scientifiques, dans la littérature ou à travers les divers organismes d’information actuels, qu’il s’agit d’une notion de plus en plus répandue dans nos sociétés modernes. Il n’en demeure pas moins que l’article 226-13 du code pénal, relatif au secret professionnel, continue à sanctionner ceux qui violeraient le secret médical [4].

Sous le bénéfice de ces prolégomènes, nous examinerons successivement, les cas de plus en plus fréquents, il faut bien le reconnaître, dans lesquels le secret doit être obligatoirement ou peut être facultativement partagé, les nombreuses limites apportées à ce partage et les moyens mis en oeuvre pour protéger la confidentialité des données médicales communiquées. Nous serons amenés, en conclusion, à constater que la notion de secret médical conserve toute sa valeur, malgré les dérogations qui lui ont été apportées.

Partage obligatoire du secret médical

De nombreux textes légaux ou réglementaires obligent le médecin à briser le silence qu’il devrait observer : le législateur ou l’administration peuvent, en effet, estimer que, pour des motifs impérieux de protection de la santé publique ou pour améliorer le fonctionnement des rouages de la société, il est nécessaire de porter à la connaissance des autorités certaines informations relevant du secret médical. Ces dérogations sont instituées soit à titre collectif, dans l’intérêt public, soit à titre individuel, dans des situations personnelles.

A titre collectif

Il est possible de citer les cas suivants :

— L’article L 3113-1 du CSP prescrit la communication à l’autorité sanitaire des données individuelles anonymisées concernant les maladies nécessitant une intervention urgente locale, nationale ou internationale ou celles dont la surveillance est nécessaire à la conduite et à l’évaluation de la politique de la santé publique.

Toutefois, en vertu de l’article R 11-3 de ce même code, l’autorité sanitaire peut demander que lui soit fournie « toute information nécessaire à la mise en oeuvre des mesures d’investigation et d’intervention, y compris l’identité et l’adresse du patient ».

— de même, l’Institut de Veille Sanitaire peut exiger toute information lui permettant de maîtriser des risques pour la santé humaine, pourvu que la
confidentialité des renseignements soit préservée. ( article L 1413-5 du CSP).

— A la demande d’un magistrat ou d’un médecin expert, les autorités judiciaires peuvent se faire communiquer, au besoin à l’aide d’une saisie ou d’une perquisition, les dossiers médicaux qu’ils veulent examiner.

— Les injonctions de soins ordonnées judiciairement pour prévenir la délinquance sexuelle ou la toxicomanie obligent le praticien commis à faire part à la justice de ses constatations.

— Le médecin qui déclare une naissance ou un décès partage, ce faisant, un secret médical avec les services de l’état civil de la Mairie [5-7] A titre individuel — D’autres dérogations au secret médical sont également imposées en matière d’accidents du travail, de maladies professionnelles, de pensions civiles et militaires de retraite, de pensions militaires d’invalidité ou en faveur des victimes d’une contamination par le VIH au cours d’une transfusion ou des victimes d’un accident médical.

— D’une façon plus générale, le secret médical n’est pas opposable aux experts des Commissions régionales chargées de faciliter l’indemnisation des victimes, dans le cadre des lois de 2002 [8]. En cas de difficulté lors du règlement des indemnités, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux intervient dans le litige avec les mêmes droits que la Commission régionale concernée.

— De même, le secret médical est levé dans certaines situations relatives aux incapables majeurs, à la procédure d’internement, aux alcooliques présumés dangereux et au dopage des sportifs.

— A cette liste, il convient de rattacher le cas de celui qui, en réalité, est le principal intéressé par la notion de secret médical, le patient lui-même, puisque par définition, il partage ce secret dont il est la source, avec son médecin.

Pour ce patient, le problème se situe dans un conflit d’alternative contradictoire :

Garder le secret pour préserver son intimité Ou le laisser dévoiler pour obtenir les meilleurs soins possibles.

Depuis la loi de 4 mars 2002, relative aux droits du malade, celui-ci dispose de droits particulièrement importants [8]. Il a, notamment, accès, selon les articles L 1111-7 et L 1112-2 du CSP, à toutes les données médicales le concernant.

Devant être complètement informé de son état, le secret médical ne lui est évidemment pas opposable.

L’article L 1111-4 du même code prévoit qu’il prend, au vu des renseignements qui lui sont fournis, les décisions concernant sa santé. II peut refuser les informations ou les soins qui lui sont proposés. Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans son consentement libre et éclairé. Il peut désigner une personne de confiance, qui le suppléera s’il est hors d’état d’exprimer sa volonté (article L 1111-6 du CSP) et il doit consentir au choix d’un hébergeur éventuel de données de santé le concernant (article L 1111-8 du même code). Quant au mineur, il est représenté par les titulaires de l’autorité parentale.

Mais compte tenu de cette évolution, dans quelle mesure peut-on garantir que le secret médical sera préservé ? Des interrogations se posent, car le patient pourra-t-il toujours maîtriser l’accès aux données de santé dont il est l’origine et dont le médecin est le dépositaire obligé ?

Ne risque-t-il pas, lui-même, de battre en brèche l’arsenal des défenses juridiques et déontologiques en communiquant ces données, entre autres personnes, à son employeur, à son banquier ou à son assureur ? Et, quelles seront, à cet égard, son information et sa formation ?

Partage autorisé du secret médical

Il est à peine besoin de souligner que, dans toutes les hypothèses suivantes, un texte légal ou réglementaire ou une décision de jurisprudence est toujours nécessaire pour que le praticien puisse lever le secret médical dont il est détenteur.

Sous le bénéfice de cette observation, le partage du secret médical peut être autorisé en faveur soit de professionnels de santé, soit de tiers.

Au titre des professionnels de santé

Selon l’article 226-14 du code pénal [4] : l’article 226-13 n’est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret. En outre, il n’est pas applicable :

— A celui qui informe les autorités judiciaires ou administratives de privations ou de sévices, y compris lorsqu’il s’agit d’atteintes ou de mutilations (loi du 4 avril 2006) sexuelles, dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique.

— Au médecin qui, avec l’accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République les sévices ou privations qu’il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l’exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psy-
chiques de toute nature ont été commises. Lorsque la victime est mineure, son accord n’est pas nécessaire.

— Aux professionnels de la santé ou de l’action sociale qui informent le préfet et, à Paris, le préfet de police du caractère dangereux pour elles-mêmes ou pour autrui des personnes qui les consultent et dont ils savent qu’elles détiennent une arme ou qu’elles manifestent leur intention d’en acquérir une.

Le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions pré- vues au présent article ne peut faire l’objet d’aucune sanction disciplinaire.

— De même, le médecin pourrait invoquer en sa faveur les dispositions de l’article 223-6 du code pénal incriminant l’omission de porter secours ou de l’article 122-7 du même code sur l’état de nécessité.

— Le signalement autorise, aussi, un médecin à révéler à la justice des données personnelles et médicales sur l’un de ses patients, qui nécessitent la prise, à l’égard de celui-ci, d’une mesure de protection judiciaire.

— Un partage du secret médical est admis à l’occasion des recherches dans le domaine de la santé. Celles-ci sont prévues par les lois des 1er juillet 1994 et 6 août 2004 qui ont modifié la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés [9-11]. Les membres des professions de santé sont autorisés à transmettre les données nominatives qu’ils détiennent au responsable de la recherche désigné à cet effet par la personne physique ou morale qualifiée pour mettre en oeuvre le traitement.

Les données nominatives doivent être codées avant leur transmission.

Toutefois, il peut être dérogé à ce principe pour certaines recherches telles que celles concernant les études de pharmacovigilance, les protocoles de recherches réalisées dans le cadre d’études coopératives nationales ou internationales ou si une particularité de la recherche l’exige.

Ces dérogations sont accordées par autorisation motivée de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

— Rentrent également dans cette liste des professionnels de santé au profit desquels le partage du secret médical est autorisé :

— Le médecin intermédiaire : toute personne a un droit d’accès à l’ensemble des informations concernant sa santé, détenues par des professionnels ou des établissements de santé. Elle peut obtenir ces informations soit directement soit par l’intermédiaire d’un médecin qu’elle désigne et qui n’est pas obligatoirement son médecin traitant (article L 1111-7 et R 1111-1 du CSP) (article 46 du code de déontologie médicale) [12].

— Le médecin d’un hébergeur a, dans le cas de collision et de confusion entre les dossiers de deux ou plusieurs patients, accès à leurs données personnelles de santé.

— Le médecin responsable du département d’information médicale dans un établissement de santé (article L6113-7 et R 710-5-4 du CSP) [13].

— Les médecins conseils de la sécurité sociale ou les médecins inspecteurs de la santé qui peuvent, dans le respect des règles déontologiques, se faire communiquer les renseignements médicaux nécessaires à leurs missions.

— Les commissions des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge, dans les établissements de santé, instituées par l’article L 1112-3 du CSP.

— Se rattache à cette liste le médecin poursuivi devant une juridiction. Pour sa défense, la jurisprudence lui permet de révéler publiquement, à l’audience, des faits qui seraient normalement couverts par le secret médical. Il faut cependant que ceux-ci soient strictement indispensables pour établir la vérité [14, 15].

— D’une façon plus générale dans l’intérêt du suivi du patient et de l’amélioration de la qualité des soins qui lui sont prodigués, les médecins se sont toujours adressés à certains de leurs confrères, tenus eux-mêmes au secret médical.

— Ces confrères sont choisis, soit parce qu’ils donneront, également, leurs soins au malade, soit parce qu’ils seront consultés pour avis en tant que spécialistes.

Cet échange d’informations médicales est désormais prévu par l’article L 1110-4 du CSP, qui réserve cependant au patient la faculté de s’y opposer.

Il convient de mentionner, à l’occasion du partage des informations entre médecins, le rôle du dossier médical personnel. Il a été créé par la loi du 13 août 2004 [16]. Selon l’article L 161-36-2 du CSP « le niveau de prise en charge des actes et prestations de soins par l’assurance maladie prévue à l’article L 322-2 est subordonné à l’autorisation que donne le patient, à chaque consultation ou hospitalisation, aux professionnels de santé auxquels il a recours, d’accéder à son dossier médical personnel et de le compléter ».

— Des médecins peuvent être amenés à partager des informations concernant des patients dont ils n’assurent pas – et dont ils n’assureront pas – la prise en charge. Ont déjà été évoqués, comme entrant dans cette catégorie, le médecin intermédiaire ou le médecin hébergeur.

— Mais des professionnels de santé autres que des médecins, peuvent également partager, dans certains cas, un secret médical avec le médecin traitant ou le chirurgien. Il en est ainsi, selon l’article L 1110-4 du CSP, lorsque le patient est pris en charge dans un établissement de santé, par une équipe de soins multidisciplinaire et pluriprofessionnelle, les informations le concernant étant réputées confiées à l’ensemble de l’équipe — Enfin, la jurisprudence autorise les médecins requis au titre de l’article L 4163-7 du CSP, pour constater un décès ou pour examiner une personne
placée en garde à vue, à faire état des données médicales qui s’avéreraient indispensables à l’appui de leur argumentation, s’ils font l’objet de poursuites.

Concernant des tiers

On ne peut que constater que le nombre des cas de partage n’a cessé de s’accroître au profit de personnes qui n’exercent aucune activité médicale.

— Selon l’article L 1111-6 du CSP, toute personne majeure, hospitalisée dans un établissement de santé, se voit proposer de désigner, si elle ne l’a pas fait auparavant, une personne de confiance qui peut être soit son médecin traitant, soit un parent ou un proche. Cette personne de confiance sera consultée au cas où elle-même se trouverait hors d’état d’exprimer sa volonté et de recevoir l’information nécessaire à cette fin.

— En cas de diagnostic grave, la famille ou les proches du patient, ou la personne de confiance désignée par celui-ci, sont autorisés à recevoir des informations médicales leur permettant d’apporter un soutien direct au malade, sauf opposition de sa part (article L 1110-4 du CSP).

— Les ayants-droit, quels qu’ils soient, d’une personne décédée peuvent aussi obtenir les renseignements leur permettant de connaître les causes de la mort, de défendre la mémoire du défunt ou de faire valoir leurs droits, sauf volonté contraire exprimée, avant son décès, par le de cujus (article L1111-7 du CSP). Non seulement il ne s’agit plus, dès lors, du cadre strict réservé, jadis, à la parentèle, mais de personnes complètement étrangères à celle-ci qui peuvent se voir confier des secrets médicaux ne les concernant pas.

— L’article L 1111-7 du CSP prévoit, en effet, que « la présence d’une tierce personne lors de la consultation de certaines informations peut être recommandée par le médecin les ayant établies ou en étant dépositaire pour des motifs tenant aux risques que leur connaissance sans accompagnement ferait courir à la personne concernée ».

— Le libéralisme va si loin que, désormais, aux termes de l’article L 1111-8 du CSP, la personne concernée, ou, avec son accord, les professionnels de santé ou les établissements de santé peuvent déposer des données de santé à caractère personnel auprès d’un « hébergeur » qui peut être soit une personne physique soit une personne morale. Comme indiqué précé- demment, le médecin de cet hébergeur pourra, parfois, avoir connaissance de ces données.

— Une personne morale peut donc détenir des secrets médicaux. En fait, la possibilité d’habiliter une telle personne existait déjà dans les sociétés civiles professionnelles et dans les sociétés d’exercice libéral qui sont censées être les propriétaires des fichiers concernant les patients traités par les médecins membres de ces sociétés.

— De son côté, la jurisprudence a admis que lorsque des procédures sont engagées concernant des rentes viagères, des testaments ou des assurances-vie, les plaideurs pourront produire devant les tribunaux judiciaires ou administratifs des renseignements médicaux à condition que ceux-ci soient strictement de nature à justifier leurs prétentions.

— Et, plus redoutables encore pour le secret médical, se profilent à l’horizon les aspirations de nos sociétés modernes qui revendiquent, entre autres exigences, le « droit de savoir ». Toujours avide d’informations récentes et sensationnelles, le monde contemporain s’appuie sur le nouveau principe constitutionnel de précaution ou sur le désir de transparence pour réclamer la levée de tous les secrets, aussi bien en matière médicale que judiciaire.

Les limites du partage du secret médical

Deux acceptions de la notion de partage du secret médical semblent envisageables, selon que l’on estime que ce partage ne peut être le fait que d’un praticien ou que le patient est susceptible d’en être, lui aussi, l’auteur.

La première acception est objective et restrictive. Elle considère que le médecin est le seul dépositaire des confidences de son patient et du diagnostic qu’il a formulé. Il sera donc le seul à pouvoir les partager, à son tour, dans les limites, aussi restreintes que possible, des textes autorisant une telle communication. Effectivement, des limites à celle-ci apparaissent immédiatement. Les informations que le médecin communiquera doivent être, en effet, « nécessaires, pertinentes, non excessives » et avoir pour but l’intérêt du patient, lequel doit donner son accord préalable.

Nécessaires : seuls les renseignements utiles pour l’intervention d’un autre médecin devront être fournis.

Pertinentes et non excessives : elles doivent tenir compte de l’objet et de la finalité de la demande, en excluant toutes celles de caractère aléatoire, non vérifiées ou ne s’appuyant pas sur les données scientifiques ou des examens validés.

La seconde acception est subjective et extensive. Elle constate que le patient est, en réalité, seul à l’origine des révélations qu’il fait au médecin. Or, ce patient, à la différence du praticien, n’est soumis à aucune réglementation. Il pourra, en conséquence, s’il le désire, divulguer toutes données médicales le concernant et les partager avec des tiers. Compte tenu de ces considérations, on peut indiquer que les limitations très importantes du secret médical existent dans :

— Le code pénal, dont l’article 226-13 protège le secret médical [4].

— Des textes législatifs, tels :

La loi du 6 janvier 1978, instituant la Commission nationale de l’informatique et des libertés [11].

La loi du 1er juillet 1994 précitée [9] relative à la recherche médicale et qui autorise des dérogations au secret médical. Elle dispose, cependant, in fine, que « La présentation des résultats du traitement de données ne peut en aucun cas permettre l’identification directe ou indirecte des personnes concernées ».

La loi du 4 mars 2002 relative aux droits du malade [8] qui, tout en les étendant considérablement, n’est pas sans fixer des limitations au partage du secret médical lorsqu’elle l’autorise, notamment en imposant le consentement du patient à ce partage.

— Des textes réglementaires dont le principal est le code de déontologie médicale, qui est un décret du 6 septembre 1995, modifié le 21 mai 1997 [12]. Ses 112 articles sont devenus les articles R 4127-1 à R 4127-112 du CSP.

— Les règles professionnelles des personnels infirmiers [17] et le code de déontologie des sages-femmes [18] qui contiennent, à cet égard, des dispositions analogues à celles du code de déontologie médicale.

— La jurisprudence : un arrêt de la Cour de cassation du 7 décembre 2004 [19] a décidé qu’un établissement de santé ne devait pas transmettre à un expert judiciaire des informations médicales sans l’accord de celui qu’elles concernent. Il s’agit là d’une application de la théorie objective et restrictive selon laquelle le secret médical doit être rigoureusement protégé, non seulement par le médecin traitant mais par tous. Toutefois, un autre arrêt de la Cour de cassation, en date du 2 juin 2005 [20] vient d’estimer qu’un assureur pouvait produire en justice un document couvert par le secret médical, si l’assuré y renonçait. Certes, cet arrêt restreint les limites du secret médical en s’inspirant de la théorie subjective et extensive de ce secret. Mais, il faut remarquer qu’il ne modifie, pour autant, aucune des réglementations fondamentales traditionnelles que le respect du secret médical impose aux praticiens.

— D’une façon plus générale, il ressort des décisions de la jurisprudence qu’il convient d’inverser, en la présente matière, les termes habituels de l’adage juridique et de retenir que tout partage du secret médical qui n’est pas autorisé doit être considéré comme interdit.

— Enfin, dans le comportement du patient lui-même, puisque pratiquement aucune communication de données médicales ne peut être effectuée sans son consentement.

Protection de la confidentialité

Aux limites énumérées ci-dessus, définissant les conditions dans lesquelles le secret médical peut être partagé, s’ajoutent les nombreuses dispositions destinées à garantir la confidentialité de l’échange des données de santé. En effet, les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont accéléré et facilité la circulation des renseignements médicaux, augmentant, par là même, leurs risques de divulgation. Diverses mesures ont donc été mises en oeuvre afin d’en protéger, au contraire, le secret. Sont apparus ainsi :

— Les réseaux de communication de haute sécurité facilitant le transfert de données de santé cryptées avec l’utilisation d’un double code d’accès, la carte de professionnel de santé et la future carte à puce Vitale 2.

— Les feuilles de soins électroniques avec codage des actes et des pathologies, qui améliorent les garanties de sécurisation par rapport aux feuilles établies sur un support papier.

— Les données médicales nominatives informatisées, nécessaires à l’analyse de l’activité des établissements de santé. Elles doivent être centralisées par un médecin qui est responsable des informations médicales personnelles.

— Un système de protection juridique des données de santé qui sont échangées.

Ce système est mis en oeuvre par la Commission nationale de l’informatique et des libertés qui dispose de pouvoirs qui ont été encore renforcés par la loi du 6 août 2004 [10]. Cette Commission dispose :

— D’un pouvoir de contrôle « a priori » lors de l’enregistrement de tous les fichiers informatiques, notamment de ceux contenant des données de santé à caractère personnel. En ce qui concerne la recherche dans le domaine de la santé, la loi du 6 août 2004 [10] avait créé un « correspondant à la protection des données à caractère individuel ». Un décret du 20 octobre 2005 [21] a précisé le rôle et les modalités de désignation de ce correspondant. Il peut s’agir d’une personne physique ou morale qui doit être indépendante de la personne ou de l’organisme auprès desquels elle exerce ses fonctions.

— D’un pouvoir de contrôle « a posteriori » qui lui permet de prendre des sanctions administratives (tels des avertissements ou, en matière de recherche dans le domaine de la santé, le retrait temporaire ou définitif de l’autorisation de traitement) ou pécuniaires à l’encontre de ceux qui seraient en infraction avec les termes de la loi.

— Il faut rappeler que la saisie judiciaire d’un dossier médical ne peut être faite qu’en présence d’un représentant du conseil de l’Ordre des médecins.

Conclusion et perspectives

Les médecins ont toujours ressenti la nécessité de communiquer entre eux pour assurer un meilleur suivi de l’état de santé de leurs patients et optimiser la qualité des soins qu’ils dispensent. C’est pour cette raison que l’on peut considérer comme acceptable que la notion de « secret médical partagé » ait acquis une dimension nouvelle avec l’évolution scientifique, technologique, sociologique et économique de la médecine, qui cherche sans cesse à mieux répondre aux impératifs sanitaires et épidémiologiques de la société moderne.

Cette tendance au partage du secret médical, dont le dossier médical personnel devrait être le principal support, risque de s’accentuer avec le développement de la médecine pluridisciplinaire et pluriprofessionnelle ainsi qu’avec le développement des moyens informatiques. Ceux-ci prennent, en effet, une place de plus en plus importante, au point qu’il est désormais possible de parler de télémédecine, avec, par exemple, le télédiagnostic et la téléexpertise. La loi du 4 mars 2002 [8] a reconnu et consacré cette évolution, mais elle a pris soin de tracer un réseau de limites pour la contenir tel, entre autres, l’article L 1110-4 du CSP déjà cité.

Afin d’éviter les atteintes aux libertés individuelles et à l’intimité de la vie privée, il faut maintenir fermement le principe suivant lequel le partage du secret médical doit obéir à quatre impératifs : intégrité, traçabilité, disponibilité et confidentialité. D’ailleurs les termes mêmes de « secret médical partagé » en posent ses propres bornes, puisqu’ils impliquent que le secret médical continue d’exister : son partage peut être autorisé, sous certaines conditions, sa violation reste interdite.

Il apparaît donc, finalement, que ce que l’on a pu appeler « le secret collectif » moderne entre professionnels de santé, scientifiques et partenaires socioéconomiques, n’a pas détrôné l’ancien « secret individuel » propre au colloque personnalisé qui unit le médecin à son patient depuis Hippocrate. C’est une raison supplémentaire pour veiller au caractère permanent de la notion du secret médical, qui est la règle, alors que celle du secret médical partagé n’est que l’exception. En effet, si le partage du secret médical améliore la qualité des soins, il risque de provoquer, s’il y a rupture de la confidentialité, un traumatisme moral grave chez le patient dont on révèle l’intimité à des tiers. Nous avons constaté que le champ d’application du secret médical partagé n’a cessé de s’étendre, ce qui a pour conséquence de rendre plus complexe la recherche d’une responsabilité médicale, compte tenu de la multiplicité des intervenants.

Or, toutes les dérogations à ce secret ont un point commun : elles doivent être autorisées par la jurisprudence ou prévues par des textes. Dès lors, afin d’éviter la prolifération incontrôlée de ceux-ci et dans le but de défendre les valeurs du secret médical, ne serait-il pas souhaitable, voire même nécessaire, que toute
initiative d’un Ministère créant de nouveaux cas du partage du secret médical soit précédée d’une concertation avec l’Académie nationale de médecine ?

Ne serait-il pas possible, également, dans un but plus général, d’envisager des campagnes d’information du public pour sensibiliser les patients en vue de leur permettre d’acquérir la maîtrise des données médicales dont ils sont la source ?

Le secret médical est effectivement demeuré, et doit demeurer, une des bases de l’éthique médicale, au même titre que les deux autres principes fondamentaux de celle-ci : la liberté de choix du patient et l’indépendance du médecin.

Car, ainsi que l’a excellemment écrit le Professeur Bernard Hœrni dans son livre « Ethique et déontologie médicale » [22] : « Il n’est pas de qualité des soins sans confidence, de confidence sans confiance et de confiance sans secret ».

BIBLIOGRAPHIE [1] Déclaration universelle des droits de l’homme, Paris, 10 décembre 1948, art. 12.

[2] Code civil, art. 9, Dalloz, 1O5e ed, Paris, 2006.

[3] Code de la santé publique, Dalloz, 19e ed, Paris, 2005.

[4] Code pénal, art. 226-13, Dalloz, 103e ed, Paris, 2006.

[5] Code civil, art. 55 et suivants.

[6] Code civil, art. 78 et suivants.

[7] Code des communes, art. L 2223-42, art. R 361-13 et R 363-18, code général des collectivités territoriales, Dalloz, 9e ed, Paris, 2006.

[8] Loi no 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé et loi no 2002-1577 du 30 décembre 2002 relative à la responsabilité civile médicale.

[9] Loi no 94-548 du ler juillet 1994 relative à la recherche dans le domaine de la santé.

[10] Loi no 2004-801 du 6 août 2004 relative à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel et modifiant la loi no 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

[11] Loi no 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

[12] Code de déontologie médicale, décret no 95-1000 du 6 septembre 1995, modifié par décret no 97-503 du 21 mai 1997, art. R 4127-1 à R 4127-112 du Code de la santé publique [13] Loi no 93-121 du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d’ordre social.

[14] Cass. Crim, 11 février 1960, D, 1960-258. 20 décembre 1967, D, 1969-309.

[15] Conseil d’État, 20 novembre 1959, D, 1960-157.

[16] Loi no 2004 du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie.

[17] Décret no 93-221 du 16 février 1993 relatif aux règles professionnelles des infirmiers et des infirmières, art. 4.

[18] Décret no 91-779 du 8 août 1991 portant code de déontologie des sages- femmes, art. 3.

[19] Cass. 1er, Civ, 7 décembre 2004.

[20] Cass. 2ème Civ, 2 juin 2005.

[21] Décret no 2005-1309 du 20 octobre 2005 pris pour l’application de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

[22] HOERNI B. — Éthique et déontologie médicale, collection Abrégés de médecine, Paris, Masson 2000, page 110.

* Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine

Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, no 6, 1247-1260, séance du 20 juin 2006