Information
Session of 28 janvier 2003

Le droit de la responsabilité médicale. Les nouveaux enjeux

MOTS-CLÉS : défense patient. droits du patient. erreur médicale.. législation médicale
The law of medical responsibility. New stakes
KEY-WORDS : legislation, medical. medical errors.. patient advocacy. patient rights

J. Hureau, P. de Fontbressin

Résumé

La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité des soins met en place un mode extra juridictionnel de règlement des conflits en responsabilité médicale. Après un rappel des règles de droit commun qui s’appliquent à ce type de litige, les grandes lignes des buts de la loi, des moyens mis en œuvre et des procédures établies sont exposés. Une étude critique médico-juridique met en évidence les confusions, imperfections et non-dits du texte. Des corrections seront peut-être nécessaires. La gravité des enjeux pour la médecine est soulignée.

Summary

The law of March 4, 2002, concerning the rights of patients and the quality of cares, establishes an extra jurisdictional way to solve conflicts of medical responsibility. After reminding the rules of common law which apply to this type of litigation, the text explains the outline of law goals, means used and established procedures. A medico-juridical critical study highlights confusions, imperfections and unvoiced comments of the text. Corrections might be necessary. The gravity of the stakes for medicine is underlined.

La judiciarisation incontestable de la médecine doit rendre attentif aux conditions dans lesquelles la responsabilité médicale est mise en cause, évaluée et en définitive jugée.

La promulgation, le 5 mars 2002, de la loi sur les droits des malades et la qualité des soins marque un tournant certain dans l’évolution du droit médical.

AVANT LA LOI DU 4 MARS 2002 RELATIVE AUX DROITS DES MALADES ET À LA QUALITÉ DES SOINS

La responsabilité médicale est engagée uniquement selon les règles du droit civil, du droit pénal ou du droit administratif [1].

« Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables » (art. 12 du Nouveau code de procédure civile — NCPC).

La responsabilité médicale est une responsabilité pour faute prouvée ayant entraîné un préjudice sous réserve d’un lien de causalité entre la faute et l’entier dommage.

Telle est la règle de droit commun.

En droit civil la faute peut être contractuelle par non respect des obligations générées par le « contrat médical » défini pour la 1ère fois à propos de l’arrêt Mercier en 1936, — délictuelle qui consisterait à causer intentionnellement à autrui un préjudice autre que l’inexécution d’une obligation contractuelle (cette hypothèse s’avère exceptionnelle en médecine), — quasi-délictuelle « par simple manquement aux précautions que la prudence doit inspirer à l’homme diligent » — fait illicite volontaire en ce qui concerne l’acte mais non intentionnel en ce qui concerne le préjudice qui en résulte.

Le droit civil répare le dommage causé par la faute.

En droit pénal

La faute pénale consiste en la transgression intentionnelle ou non intentionnelle par action ou par omission d’une règle d’ordre public définie et sanctionnée par une loi d’incrimination.

Le droit pénal réprime la faute.

Le droit administratif retient — la notion de faute dans l’organisation et le fonctionnement du service, dite non détachable du service, — la responsabilité sans faute qui, à l’état pur, reste une conception propre au service public.

Dans les deux cas la responsabilité de l’administration est engagée.

Quelle que soit la juridiction devant laquelle le litige est soumis, la spécificité scientifique et technique de la médecine impose au juge de s’appuyer sur un rapport d’expert(s). En l’état actuel l’expertise judiciaire en responsabilité médicale est soumise aux mêmes règles que toute expertise judiciaire. Le déroulement en est rigoureux, selon les règles du NCPC, sans ignorer les particularités de la procédure pénale ou administrative. L’expert qui doit être objectif, impartial et indépendant a deux obligations intangibles : respecter le principe de la contradiction et le secret professionnel tant médical qu’expertal [2]. Son rapport doit rester factuel.

Seul le juge, dans la sérénité du prétoire, dit le droit. « Le juge n’est pas lié par les constatations ou les conclusions du technicien » (art. 246 du NCPC).

Depuis 10 à 12 ans, sous la poussée de l’opinion publique, l’exercice de la médecine, de plus en plus scientifique et technique, perd son aura humaniste et s’imprègne du consumérisme ambiant [3]. Mais que penser d’un discours qui, à la fois prône l’obligation de résultat, dénonce l’acharnement thérapeutique et impose des contraintes économiques. « Le dynamisme, l’essor, la vie, c’est le risque… Une société qui ne se préoccupe que de se protéger contre les risques est une société tournée vers le déclin et une mortelle paralysie. L’Etat ne sera jamais un assureur contre la mort » [4].

Pourtant, qui n’est tenté de reprendre l’exclamation de Jules Favre à la fin du XIXe siècle à propos des accidents du travail : « … il y a des souffrances imméritées » [1]. L’accident médical, injustice du sort, est ressenti comme tel.

Le droit administratif sait et peut gérer la notion de responsabilité sans faute. Dès 1923 l’arrêt Couiteas du Conseil d’Etat énonçait que le dommage causé par l’administration à un particulier est une sorte de charge publique aboutissant à l’indemnisation de la victime par le contribuable. L’arrêt Gomez de 1990 et l’arrêt Bianchi de 1993, tout en encadrant de façon très restrictive les conditions de l’indemnisation d’un préjudice médical non fautif, ont largement ouvert la porte à cette jurisprudence. En matière d’infection nosocomiale un très grand pas a été franchi avec l’arrêt Cohen en 1988 qui fait reposer la condamnation d’un établissement public de santé sur la présomption irréfragable de faute, présomption absolue qu’il est en pratique, sauf cause extérieure, impossible de renverser.

Le droit civil et le droit pénal sont corsetés par le concept de la faute.

Le droit pénal ne peut s’en délivrer.

En droit civil, la responsabilité médicale étant essentiellement d’ordre contractuel depuis l’arrêt Mercier, la jurisprudence s’est efforcée de rattraper le « libéralisme » du droit administratif pour rétablir l’équilibre indemnitaire. En faisant évoluer les concepts de risque, de faute et de lien de causalité les moyens ne manquent pas [5].

Sans développer ici on peut citer, sans classification de valeur, la perte de chance de guérison ou de survie étroitement liée à la causalité, la présomption de faute ou faute incluse copiée du droit administratif, les manquements à l’obligation d’information
donc de consentement éclairé et de choix possible pour le malade, les diffé- rentes théories de la causalité (équivalence des conditions ou causalité adé- quate) notions purement juridiques qui opèrent un choix entre les conditions nécessaires du dommage, enfin la quasi-responsabilité du fait d’autrui dans le travail en équipe.

Par ces biais il est de plus en plus fréquemment reproché au médecin de n’avoir pas pris les précautions de sécurité qui auraient évité la production du dommage et d’avoir ainsi créé un risque dont il assume entièrement ou partiellement la responsabilité.

Par ces biais le droit prétorien tord au maximum dans un sens pro-indemnitaire les articles du code civil auxquels il se réfère. Le summum a été atteint par la jurisprudence sur les infections nosocomiales qui, avec l’obligation de sécurité de résultat, rejoint la rigueur du Conseil d’Etat [6].

Une telle évolution a ses limites que le magistrat lui-même a ressenties. Pierre Sargos écrit [7, 8] : « …La question qui se pose est celle de l’éventuelle extension de la théorie de l’obligation de résultat à ce que l’on appelle l’aléa thérapeutique… La réparation des conséquences de la survenue d’un aléa thérapeutique n’entre pas dans le champ des obligations que le contrat médical met à la charge de la médecine… N’est-on pas, avec la question de l’aléa thérapeutique, dans un domaine qu’il n’incombe qu’au législateur de régler ? »

UNE LOI SUR L’INDEMNISATION DE L’ALÉA MEDICAL — Titre IV de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé

Depuis les premiers travaux de Jean Penneau en 1966 entrepris à l’instigation de A.

Tunc, de très nombreux rapports et projets ou propositions de loi ont été rédigés [9—10].

Aujourd’hui une loi a été votée [11]. Elle met en place un protocole d’indemnisation rapide de l’aléa médical. Elle institue pour cela une véritable « nouvelle juridiction » à travers un nouveau mode de règlement des conflits en responsabilité médicale.

De tels conflits touchant à la personne humaine portent en eux-mêmes une part importante d’irrationnel. La loi veut dédramatiser sans déresponsabiliser. Elle propose une procédure gratuite de règlement amiable rapide, extra judiciaire, pour régler des situations socio-économiques parfois insoutenables.

Il est institué pour cela trois types d’organismes : une Commission nationale des accidents médicaux (CNAM), un Office nationale d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) et des Commissions régionales de conciliation et d’indemnisation (CRCI).

La Commission nationale des accidents médicaux — CNAM [11-14]

Elle est composée de 25 membres — 5 experts professionnels de santé (liste nationale de la Cour de cassation ou listes des Cours d’appel conformément à la loi de 1971), — 4 représentants des usagers, — 16 personnalités qualifiées, • 8 pour leur compétence en droit de la responsabilité médicale dont 1 magistrat président, • 8 pour leur compétence scientifique.

Ils sont assistés d’un Commissaire du Gouvernement.

Ses missions sont les suivantes — elle établit et gère une liste nationale d’experts en accidents médicaux, — elle assure la formation de ces experts, — elle contrôle les conditions de réalisation des expertises et adresse ses recommandations aux CRCI, — elle contrôle le fonctionnement des CRCI, — elle fait des propositions visant à une application homogène du dispositif de réparation des conséquences des risques sanitaires (cela aboutira-t-il à une véritable jurisprudence ?) L’Office national d’indemnisation des accidents médicaux — ONIAM [11-15]

C’est un établissement public à caractère administratif placé sous la tutelle du ministre chargé de la santé. Il gère un budget public.

Il est composé — d’un président, — d’un directeur, — de 22 membres dont • 11 représentants de l’État, • 1 représentant de l’assurance maladie, • 2 représentants du personnel de l’Office, • des personnalités qualifiées, • des représentants des usagers, • des représentants des établissements de santé, • des représentants des professionnels de santé.

Ses missions d’indemnisation sont les suivantes au titre de la solidarité nationale, en l’absence de faute et pour un préjudice présentant le degré de gravité requis,
— lorsqu’il y a responsabilité fautive, en substitution aux assureurs en cas de non assurance, de dépassement du plafond de l’assurance ou de défaillance de l’assureur.

Les Commissions régionales de conciliation et d’indemnisation — CRCI [11-12]

Présidées par un magistrat, judiciaire ou administratif, elles comprennent 20 membres 6 représentants des associations d’usagers, — 3 représentants des syndicats des professionnels de santé dont 2 médecins (1 libéral et 1 hospitalier), — 4 personnalités qualifiées dans le domaine de la réparation des préjudices corporels sans précision sur leur qualité (médecin, juriste… ?), — 3 représentants des établissements de soins (publics, PSPH, privés à but lucratif), — 2 représentants de l’ONIAM, — 2 représentants des entreprises.

Leur mode de fonctionnement mérite d’être rapporté

Les décisions sont prises au vote, à la majorité absolue des membres présents, avec un quorum minimal de 7 membres en première séance, sans obligation de quorum en deuxième séance au terme d’un délai de 15 jours.

L’avis émis ne peut être contesté que devant la juridiction compétente.

La procédure d’indemnisation ne saurait être mieux résumée que par le schéma emprunté en grande partie à J. Lucas et coll. dans le

Bulletin de l’Ordre des Médecins [13]. Elle aboutit soit à l’indemnisation par l’ONIAM ou l’assureur, soit au recours devant le juge.

Le dispositif d’indemnisation peut paraître simple [16]. Le malade qui s’estime victime d’un dommage imputable à une action médicale saisit la CRCI. Celle-ci, dans un délai de 6 mois, prend avis d’un expert ou d’un collège d’experts puis, réunie en formation de règlement amiable, elle délibère sur deux points :

— le niveau du préjudice pour statuer sur l’entrée ou non du dossier dans le système de la solidarité nationale, — le caractère fautif ou non des responsabilités invoquées et leur lien de causalité avec le préjudice prouvé.

L’application de cette procédure peut devenir beaucoup plus complexe comme le laissent présumer les multiples voies de recours judiciaires et actions subrogatoires croisées qu’elle autorise et/ou engendre.

CONFUSIONS, IMPERFECTIONS ET NON DITS DE LA LOI DOIVENT ÊTRE SOULIGNÉS [17]

Confusion terminologique entre conciliation et médiation

Ce qui existe en droit

A côté de la voie du procès, le règlement des conflits dispose de modes alternatifs, codifiés ou non mais parfaitement définis :

L’arbitrage (art. 1142 et suivants du NCPC) est une procédure de règlement des litiges par une ou plusieurs personnes privées appelées arbitres et constituant un tribunal arbitral [18]. C’est une procédure surtout utilisée en droit des affaires.

La conciliation est une phase préalable obligatoire ou facultative de certains procès au cours de laquelle le juge essaie d’amener les plaideurs à un règlement amiable [18]. Il n’intervient pas directement dans la recherche de la solution. Il constate la conciliation et lui donne force exécutoire. C’est une procédure juridictionnelle civile dont l’expert judiciaire initialement désigné est exclu (art. 240 du NCPC). Toutefois le juge peut désigner une tierce personne avec l’accord des parties, pourquoi pas un expert judiciaire s’il n’est pas déjà missionné dans l’affaire en tant que tel ? [19-20].

La médiation revêt des formes multiples. Elle est le plus souvent extra juridictionnelle. Elle fait intervenir une tierce personne indépendante des parties et dont l’autorité est reconnue par elles. Ce tiers doit être neutre, c’est-à-dire impartial et doté d’une faculté de distanciation vis-à-vis des parties, dépourvu de pouvoir institutionnel et, pour des problèmes techniques complexes, compétent.

Le médiateur joue un rôle actif de catalyseur du consentement dans la recherche d’une solution au conflit sans jamais imposer celle-ci et dans le respect d’une totale confidentialité [19-20]. Une telle procédure de médiation a déjà été proposée en contentieux de la responsabilité médicale et récemment rappelée [23-24].

Dans la loi du 4 mars 2002

La Commission régionale de conciliation et d’indemnisation est investie d’une mission de conciliation tendant à faciliter le règlement amiable . L’esprit du texte est d’inviter à un règlement non contentieux de l’indemnisation. Il est écrit que la CRCI peut siéger à deux titres : en formation de règlement amiable ou en formation de conciliation. Là commence l’ambiguïté et la confusion juridique.

Lorsque la CRCI siège en formation de conciliation

L’absence de définition précise des termes de « règlement amiable », de « conciliation » et de « médiation » employés tour à tour ne peut manquer de frapper. A cette confusion de termes s’ajoute un surprenant pouvoir de délégation de compétences de la Commission à un ou plusieurs médiateurs qui, pour ce faire, disposeraient, contrairement aux règles du droit commun de la médiation, des « mêmes prérogatives » que l’autorité délégante [21-22].

Si, comme le rappelle l’article 1142-5 de la loi, le médiateur est indépendant par essence, on ne saurait admettre de le réduire à la fonction de délégataire de conciliation, à peine de vider l’institution de son sens et de favoriser une confusion par trop fréquente dans l’esprit du public entre conciliateur et médiateur.

La procédure décrite dans les articles R 795-55 à 795-59 du décret du 3 mai 2002 [12] est exemplairement incohérente en l’état actuel du droit.

La Commission n’est pas indépendante, elle n’est pas dotée de distanciation vis-à- vis des parties, elle n’est pas dépourvue de pouvoir institutionnel, elle ne peut, par elle-même, être reconnue comme médiateur.

Confusion entre pouvoir de médiation et pouvoir de juger

Lorsque la Commission siège en formation de règlement amiable. Qu’en est-il exactement ?

La Commission qui n’est pas une juridiction aura à se prononcer au moins sur deux notions de droit pur : la faute et la causalité. Elle n’hésitera pas à statuer sur les faits
mais aussi sur le fond du droit en opérant s’il y a lieu un partage des responsabilités.

A-t-elle le droit de dire le Droit ? Où sont le respect dû à l’imperium du juge et la garantie du justiciable à un tribunal impartial et indépendant [25] ? La dérive du simple avis au pré-jugement apparaît. Si un recours ultérieur est introduit devant une juridiction compétente, quel sera le poids de cet « avis », tant sur le juge civil que, pire encore, vis-à-vis du juge pénal ? Face à l’expertise diligentée à la demande de la Commission, l’ordonnance d’une contre-expertise tient de l’hypothèse d’école.

Ajoutons que la compétence de la CRCI pour connaître « des autres litiges entre usagers et professionnels de santé… » (art. L 1142-5) ouvre la voie à une déjudiciarisation de l’ensemble du contentieux médical.

La place discrète des juristes au sein d’une commission de 20 membres, comportant 6 représentants des usagers et se prononçant à la majorité absolue avec un quorum de 7 ou sans quorum , laisse poindre le danger d’un glissement vers un « tribunal de consommateurs » s’estimant investi du pouvoir de juger les acteurs de santé sans le professionnalisme du juge et la sérénité du prétoire. La volonté d’apaisement des conflits pourrait subir l’effet pervers de la vindicte. Personne ne peut être juge et partie.

Confusion en matière expertale

En responsabilité médicale, l’importance donnée à l’expertise scientifique et technique est une nécessité d’évidence au regard d’une activité humaine de plus en plus complexe [1-2-3-6-26].

A la lecture de la loi et des seuls décrets d’applications déjà parus [11-12-14] trois questions se posent : expertise par qui ? expertise comment ? expertise pourquoi ?

Les experts

Il existe déjà trois sortes de listes d’experts médicaux : les listes des Cours d’appel — la liste nationale de la Cour de cassation — les listes des Cours administratives d’appel déjà en place à Paris et à Marseille et en cours d’institution dans les autres juridictions.

La Chancellerie, avec le concours de la Fédération nationale des compagnies d’experts judiciaires, a entrepris de fiabiliser ces listes à travers une révision du décret de 1974 [27] et de la loi de 1971 [28]. Les nouveaux textes doivent paraître prochainement.

L’expertise en responsabilité médicale est une activité qui requiert de la part de celui qui l’exerce une double compétence, scientifique et technique, c’est évident, mais également juridique ce qui l’est moins aux yeux des candidats à cette fonction d’auxiliaire du juge.

Les nouveaux textes à paraître concernant les experts judiciaires font appel, avec une plus grande rigueur des critères scientifiques et techniques requis à l’inscription, à l’exigence d’une formation juridique initiale à la technique expertale, au contrôle d’une formation continue dans les deux domaines, à une réévaluation à terme (5 ans paraissent raisonnables) de l’activité de l’expert. Enfin, pour des raisons d’homologation européenne voire internationale, une certification au moins expertale, sous réserve de la preuve d’un recyclage permanent des connaissances scientifiques et techniques est déjà envisagée. Ces exigences ne sont pas propres aux experts médecins. Elles n’ont rien d’exagéré. C’est à ce prix que se forgera une bonne image de l’expert compétent, consciencieux, objectif, impartial et indépendant (art. 237 du NCPC).

Faut-il, dans ces conditions, créer une quatrième liste d’experts « en accidents médicaux » ?

La procédure expertale

La loi semble vouloir réécrire sans le dire le Nouveau Code de procédure civile. Elle le fait incomplètement et avec de nombreuses imprécisions [17].

Il ne faut pas perpétuellement réécrire les textes qui ont fait la preuve de leur efficacité et de leur adaptabilité aux évolutions de la société.

Le respect du principe de la contradiction est énoncé dans la loi. Il n’est rien dit de la représentation des parties au cours de la réunion expertale. L’expert impartial souhaite toujours avoir devant lui un équilibre parfait des conseils juridiques et médicaux des parties.

Le respect du double secret professionnel, médical et expertal, apparaît aléatoire, en particulier dans les procédures de transmission du dossier médical [17], même en se référant aux articles de la loi [11] et au décret du 29 avril 2002 [29].

Le recours à l’expertise est inéluctable

La valeur donnée au rapport prescrit dans le cadre de cette nouvelle procédure sera d’autant plus grande que l’expert ou le collège d’experts sera considéré, géré et honoré en fonction de l’importance et de la qualité du travail qu’il doit accomplir.

Le rapport d’expertise doit avoir le caractère clair, complet, logique et rigoureux d’un rapport en procédure juridictionnelle.

A ce prix seulement l’avis de l’expert sera pris en compte par une commission composée en grande majorité de non spécialistes de la médecine et du droit.

En cas de recours à la juridiction compétente (civile, administrative, voire pénale) ce rapport en contentieux extra juridictionnel sera-t-il opposable ? Ce problème n’est pas évoqué dans la loi. Il ne faudrait pas qu’il soit source de « bataille d’experts ».

QUE CONCLURE ?

L’innovation d’un droit à réparation des préjudices du patient au titre de la solidarité nationale est une prise de conscience, par le Droit, des drames de la vie quotidienne.

Encore aurait-il fallu qu’en préambule de la loi le concept d’aléa médical soit clairement défini. Qu’il soit permis d’en proposer une synthèse à partir d’une définition de juriste [7-8] et d’une définition d’assureur, à la lumière d’une longue expérience de praticien et d’expert judiciaire.

L’aléa médical réalise un risque potentiel inhérent à toute action médicale de soins, de santé publique ou de recherche. Identifiable mais incertain, il est généralement statistiquement mesurable mais non individuellement prévisible. En l’état des données acquises de la science à la date de sa survenue, il n’est maîtrisable par aucune des mesures de prévention ou de prudence connues. Il est indépendant de toute faute du praticien. Il cause un dommage sans rapport avec l’état antérieur ou avec la pathologie propre du malade au moment des faits. C’est la survenance d’un phénomène fortuit normalement exonératoire de la responsabilité [30].

Il est instauré par la loi un réseau de commissions spécifiques dotées de pouvoirs qui pourraient en faire des « juridictions d’exception ». Y retrouvera-t-on la sérénité qui sied au prétoire de droit civil ? Le droit à un procès équitable doit être respecté. Les droits de la défense sont intangibles. Le rôle de l’expert est primordial. Tout dépendra des choix qui seront faits.

A côté de l’aspect médico-juridique, les conséquences économiques ne doivent pas être sous-estimées. Soulignons qu’en dernier recours c’est l’économie des professions de santé qui supportera le coût du contentieux nouveau qui va s’ouvrir.

Nous fûmes nombreux à appeler cette loi de nos vœux. Il ne faudrait pas que, sous couvert de raisons humanistes respectables, s’installe un esprit consumériste dangereux pour une profession qui se voue, dans la mesure de ses moyens et sauf quelques déviances inexcusables, au maintien de la santé individuelle et collective de l’homme.

D’une loi qui se voulait généreuse face à des drames humains, une certaine dérive risque de faire une machine de guerre potentielle contre la médecine. Personne n’aurait à y gagner. L’avenir même de l’exercice de la médecine est en jeu.

Cet exposé n’a d’autre prétention que d’informer sur des enjeux nouveaux, de provoquer quelques interrogations et, par un travail de réflexion plus approfondi, de trouver des solutions aux imperfections d’un texte dont l’application, dans son esprit, ne saurait être trop longtemps retardée.

BIBLIOGRAPHIE [1] HUREAU J. — Evolution du droit civil en responsabilité médicale.

In « L’expertise en responsabilité médicale et en réparation du préjudice corporel ». POITOUT D.G. et HUREAU J. — Paris :

Masson édit, 1998, 91-122 (bibliographie).

[2] HUREAU J. et CHANZY M. — Indemnisation de l’aléa médical et expertise en responsabilité.

Experts, 2001 , 53, 18-22.

[3] De l’humanisme au consumérisme en médecine — Séance commune de l’Académie nationale de chirurgie et de la Compagnie nationale des experts médecins près les tribunaux, 2 décembre 1998. In Colloques médico-juridiques de la CNEM, sous la direction de J. HUREAU. Paris :

Experts édit — no hors série juin 1999.

[4] ALLEGRE C. — Principe de précaution, piège à c… L’Express , 16 novembre 2000 .

[5] FABRE H. — Le lien de causalité, imputabilité médicale, causalité juridique.

In « L’expertise en responsabilité médicale et en réparation du dommage corporel ». Poitout D.G. et Hureau J. — Paris : Masson édit, 1998, 19-23.

[6] HUREAU J. — L’infection nosocomiale : la responsabilité médicale face au droit. Bull. Acad.

Natle Méd., 2001, 185, no 9, 1647-1658.

[7] SARGOS P. — L’aléa thérapeutique devant le juge judiciaire — J.C.P.

La Semaine juridique , 2000, 5, 192.

[8] SARGOS P. — Rapport pour l’arrêt Destandeau — CC — 1ère Ch. civ — no 1815 — 8 novembre 2000.

[9] EWALD F. — Le problème français des accidents thérapeutiques ; enjeux et solutions — Rapport au ministre de la santé et de l’action humanitaire, 1992.

[10] Rapport sur la responsabilité et l’indemnisation de l’aléa thérapeutique à Madame le Garde des Sceaux Ministre de la justice, à Madame la Ministre de l’emploi et de la solidarité et à Madame la Secrétaire d’état à la santé et à l’action sociale — septembre 1999.

[11] Loi no 2002-303 du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. JO du 5 mars 2002.

[12] Décret no 2002-886 du 3 mai 2002 relatif aux commissions régionales de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales prévues à l’article L. 1142-5 du Code de la santé publique. JO du 7 mai 2002.

[13] LUCAS J. et JORNET F. — Description du mécanisme législatif (loi du 4 mars 2002).

Le Bulletin de l’Ordre des médecins, 2002 , 8 ,16.

[14] Décret no 2002-656 du 29 avril 2002 relatif à la commission nationale des accidents médicaux prévue à l’article L. 1142-10 du Code de la santé publique. JO du 2 mai 2002.

[15] Décret no 2002-638 du 29 avril 2002 relatif à l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, institué par l’article L.

1142-22 du Code de la santé publique (décret en Conseil d’État — Légifrance — 24.10.2002).

[16] VAYRE P. — Incidences pratiques de la Loi du 4 mars 2002 sur l’expertise technique concernant les accidents médicaux, les affections iatrogènes et les infections nosocomiales. Petites affiches, 2002 , 122, 87-92.

[17] DE FONTBRESSIN P. et HUREAU J. — L’indemnisation de l’aléa médical. Titre IV de la loi du 4 mars 2002. Experts, 2002 , 56, 11-15 .

[18] GUILLIEN R., VINCENT J., GUINCHARD S. et MONTAGNIER G. — Lexique de termes juridiques. — Paris : Dalloz édit, 1990.

[19] Loi no 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et procédures civile, pénale et administrative. JO du 9 février 1995.

[20] Décret no 96-652 du 20 juillet 1996 relatif à la conciliation et à la médiation judiciaires.

[21] GUILLAUME-HOFFNUNG M. — La médiation-Paris : PUF édit, 1995.

[22] DE FONTBRESSIN P. — Médiation, droits de l’homme et environnement. Mémoire pour l’Association des médiateurs européens sous l’égide du barreau de Paris, 2001.

[23] VAYRE P. — Transactions extra-juridictionnelles : règlement amiable des complications des actes médicaux-chirurgicaux. Gazette du Palais, 2002 , 170-171 , 27-30.

[24] Accidents médicaux. Médiation ? Colloque de la CNEM, Paris — Institut National des Invalides, 30 novembre 2002, sous le haut patronnage de Monsieur le Premier Président G.

CANIVET et sous la présidence de Monsieur le Professeur C. HURIET, Conseiller d’Etat. Experts édit., no hors série, sous presse.

[25] Convention européenne des droits de l’homme. Les éditions du Conseil de l’Europe, 1995.

[26] GUIGUE J. — L’expertise face à l’évolution des concepts de responsabilité médicale. Qui est le véritable juge ? Rôles respectifs du juge et de l’expert. In Colloque de la CNEM — Sénat — 2 décembre 1994, sous la direction de J. HUREAU. Paris : Experts édit, no hors série janvier 2002, p. 168-172.

[27] Décret no 74-1184 du 31 décembre 1974 relatif aux experts judiciaires.

[28] Loi no 71-498 du 29 juin 1971 relative aux experts judiciaires.

[29] Décret no 2002-637 du 29 avril 2002 relatif à l’accès aux informations personnelles détenues par les professionnels et les établissements de santé en application des articles L. 1111-7 et 1112-1 du Code de santé publique.

[30] HUREAU J. — Aléa médical. In « La responsabilité médicale : éléments médico-légaux à l’usage des juristes et des médecins », sous presse.

* Chirurgien honoraire des Hôpitaux de Paris — Expert honoraire agréé par la Cour de cassation. ** Avocat au Barreau de Paris — Maître de conférences à l’Université Paris XI. Tirés-à-part : Professeur Jaques HUREAU, à l’Académie nationale de médecine. Article reçu le 28 octobre 2002, accepté le 15 novembre 2002.

Bull. Acad. Natle Méd., 2003, 187, n° 1, 161-173, séance du 28 janvier 2003