Résumé
Ce n’est que depuis peu, que l’attention a été attirée par la révélation tardive, chez l’adolescent et l’adulte, de maladies neurogénétiques d’origine métabolique. Leur présentation clinique et leur évolutivité diffèrent de celles de l’enfant. Chez l’enfant, le syndrome neurologique est lié à l’atteinte de plusieurs systèmes et l’évolution est rapidement mortelle. Chez l’adulte, le processus est lentement évolutif, et la présentation clinique correspond, selon la maladie, à un syndrome très systématisé qui évoque une maladie dégénérative du système nerveux. Notre expérience nous permet de proposer un arbre de décision.
Summary
Genetic neurometabolic diseases in childhood are multisystemic. Surprisingly, these genetic diseases can manifest for the first time during adolescence and adulthood. In this case, the clinical presentation and evolutivity are very different. In childhood, many neurological systems are touched and their evolution is rapidly lethal. In the adult, their presentation may be that of a degenerative disease of the central nervous system and, according to the disease, the syndrom is very particular and very systematized. From our clinical and biological experience, we would like to suggest a decision tree
INTRODUCTION
On ignore actuellement la plupart des causes des maladies dégénératives du système nerveux. Depuis peu, l’attention a été attirée par la révélation tardive, chez l’adolescent ou l’adulte, de maladies métaboliques d’origine génétique, dues, entre autres, à l’altération d’enzymes présentes dans des organites de la cellule (lysosome, peroxysome, mitochondrie) ou dans son cytoplasme [5], ou à des anomalies du trafic intracellulaire. Elles peuvent se présenter comme des maladies dégénératives du système nerveux, mais selon l’enzyme déficiente, le tableau clinique diffère. Les anomalies du catabolisme des sphingoglycolipides sont principalement en cause, ce qui témoigne du rôle des lipides complexes dans le système nerveux. Elles occasionnent des surcharges cellulaires en lipides non dégradés qui altèrent le fonctionnement du système nerveux.
Pendant longtemps, ces neurolipidoses ont été considérées comme des maladies de l’enfant. Chez l’enfant, le syndrome neurologique est lié à l’atteinte de plusieurs systèmes et l’évolution est rapidement mortelle. Chez l’adulte, ce type d’affection est lentement évolutif, et la présentation clinique correspond, selon la maladie, à un syndrome particulier très systématisé : ataxie spino-cérébelleuse, ataxie cérébelleuse, paraplégie spastique, amyotrophie spinale, dystonie, ophtalmoplégie, troubles cognitifs allant jusqu’à la démence. L’affection est parfois responsable d’un tableau psychiatrique qui reste longtemps isolé, sans signes neurologiques ; de ce fait, la relation avec la maladie métabolique peut rester difficile à établir durant cette période, surtout en l’absence de tout antécédent familial.
L’exploration métabolique spécifique, qui conduit au diagnostic de ces maladies neurométaboliques d’origine génétique, est peu pratiquée dans les centres de prise en charge de patients adultes. Le diagnostic est pourtant rapide et facile car essentiellement biochimique (Tableau 1).
DONNÉES GÉNÉRALES
Les neurolipidoses sont des maladies qui touchent le métabolisme ou le transport des sphingoglycolipides [19] et du cholestérol, constituants très importants du système nerveux. Ces lipides sont impliqués dans la signalisation cellulaire et également dans le transport des protéines à la membrane plasmique. Il est possible qu’ils jouent également un rôle modulateur dans les propriétés des récepteurs membranaires.
Si on ignore de manière précise le rôle fonctionnel de chacun de ceux-ci, les gangliosides sont principalement des constituants neuronaux et les cérébrosides et sulfatides des constituants de la myéline [5].
La plupart des neurolipidoses touchent le lysosome, impliqué dans la dynamique cellulaire puisqu’il contient des enzymes qui interviennent dans la dégradation des
TABLEAU 1. — Caractéristiques biochimiques des principales neurolipidoses du système nerveux central constituants membranaires et dans leur recyclage. Certains constituants de ces sphingolipides, tels les acides gras à très longue chaîne présents dans les sphingoglycolipides de la myéline, sont partiellement dégradés dans les peroxysomes [25].
Ces maladies sont pour la plupart récessives et autosomiques, sauf la maladie de Fabry et l’adrénoleucodystrophie qui sont liées à l’X. Théoriquement les affections liées à l’X ne touchent que les hommes. Cependant des études très récentes montrent la fréquence des femmes hétérozygotes atteintes dans ces deux affections.
Il est intéressant de noter que, dans ces familles, la maladie se déclare toujours au même âge (homochronie) et, dans la plupart des cas, suit la même évolution (homotypie). Il n’en est cependant pas ainsi de l’adrénoleucodystrophie dans laquelle des formes à début dans l’enfance et chez l’adulte peuvent coexister dans les mêmes familles [31]. Le stress peut jouer un rôle dans le déclanchement de ces affections.
STRATÉGIE DIAGNOSTIQUE
Il apparaît évident de par notre expérience sur 20 années de recherche sur ces maladies rares, qu’il existe des signes d’appel caractéristiques (Tableau 2) de chaque déficit enzymatique ou d’anomalies du transport de ces lipides [5].
TABLEAU 2. — Manifestations inaugurales des principales neurolipidoses observées chez l’adulte.
Abréviations : ALD : adrénoleucodystrophie ; AMN : adrénomyéloneuropathie ; NPC : maladie de Niemann-Pick de type C ; LDM : leucodystrophie métachromatique ; Gg : gangliosidose.
Manifestations à début neurologique
Devant une paraplégie spastique
Il faut avant tout rechercher une leucodystrophie : une maladie de Krabbe, une adrénoleucodystrophie et une leucodystrophie métachromatique [3].
Dans la plupart de ces cas, il existe une neuropathie périphérique associée, parfois seulement électrique, qui se manifeste par un ralentissement de la vitesse de conduction nerveuse.
Nous avons rarement rencontré la maladie de Krabbe qui est plus fréquente chez l’enfant et dans les pays nordiques. Un cas a été diagnostiqué par Bataillard et coll.
[2] au décours d’un accouchement. L’IRM montre une démyélinisation prédominant dans les régions pariéto-occipitales. Le diagnostic repose sur le dosage de la galactocérébrosidase qui est effondrée dans les leucocytes et les fibroblastes d’origine cutanée.
Les mêmes signes cliniques peuvent se rencontrer dans la leucodystrophie métachromatique que nous détaillerons plus loin.
L’adrénoleucodystrophie se présente chez l’adulte [24] comme une adrénomyéloneuropathie (AMN). L’atteinte surrénale doit toujours être recherchée mais elle est inconstante. Dans certains cas, l’enquête familiale a révélé un autre cas dans la fratrie, mais ceci est loin d’être constant. Dans notre expérience, 20 cas sur 25
n’avaient pas d’antécédents familiaux. C’est dire qu’il faut toujours rechercher cette affection devant une paraplégie spastique chez un homme, même en l’absence de neuropathie périphérique.
L’IRM ne montre pas dans ces formes médullaires de lésions focales ou étendues de la substance blanche cérébrale, mais une extension cérébrale peut survenir au cours de l’évolution comme nous l’avons constaté dans 3 cas. Le diagnostic repose sur le dosage des acides gras à très longue chaîne dans le sérum qui met en évidence une augmentation des acides gras saturés à 26 atomes de carbone (C26) et du rapport C26/C22 et C24/C22.
On a mis en évidence, chez les mères d’enfants atteints d’ALD, de petits troubles neurologiques. C’est la recherche systématique de cette affection chez des femmes atteintes de paraplégie spastique [23], même en l’absence d’antécédents familiaux, qui a permis de mettre en évidence de nombreux cas d’AMN symptomatiques chez la femme. Nous avons eu l’occasion d’examiner 11 cas de formes symptomatiques dont 6 étaient de survenue sporadique. Deux de ces patientes se sont présentées en fauteuil roulant. L’examen systématique de femmes asymptomatiques dans ces familles a permis de déceler des ALD hétérozygotes. Le diagnostic peut être difficile, car l’insuffisance surrénale est rare, et les acides gras à très longue chaîne peuvent ne pas être augmentés. On peut également rechercher dans les leucocytes une absence de la protéine déficiente dans l’ALD (ALDP) par immunohistochimie, mais on ne peut pas toujours la mettre en évidence. La biologie moléculaire est alors nécessaire pour établir le diagnostic. Ceci peut être difficile en l’absence d’antécédents familiaux, car les mutations sont souvent privées.
Devant une ataxie spino-cérébelleuse
Il faut avant tout penser à la leucodystrophie métachromatique (LDM). Il est là encore nécessaire de rechercher une neuropathie périphérique qui peut n’avoir de traduction qu’électromyographique.
Dans notre expérience, 5 patients, âgés de 16 à 23 ans, ont présenté une courte période de paraplégie spastique isolée, et le tableau clinique s’est complété de signes pyramidaux des 4 membres et d’un syndrome cérébelleux.
L’IRM montre toujours des signes de démyélinisation péri-ventriculaires bilatéraux et symétriques. Le diagnostic repose sur le dosage de l’arylsulfatase A dans les leucocytes et sur la mise en évidence d’une sulfatidurie. Il faut toujours rechercher cette dernière car il existe des pseudo-déficiences en arylsulfatase chez le sujet normal [11, 14].
Dans la littérature, on indique aussi la possibilité d’ataxie cérébelleuse dans la sialidose de type 1 [5], ce que nous avons pu vérifier dans un cas.
La maladie de Niemann-Pick de type C peut se présenter comme une ataxie cérébelleus e isolée [21]. Nous l’avons constaté dans deux cas qui se présentaient comme une atrophie olivo-ponto-cérébelleuse. Dans certains cas, le tableau est plus
complexe [33]. Le diagnostic repose sur la présence inconstante d’une hépatosplénomégalie, d’histiocytes bleus de mer à la biopsie de moelle osseuse, et d’anomalies biochimiques : diminution inconstante de la sphingomyélinase leucocytaire et surtout mise en évidence d’une anomalie de transport du cholestérol qui ne peut sortir du lysosome et dont l’accumulation est objectivée par le test à la filipine [35].
Certains cas rares de gangliosidose à GM2 peuvent se traduire par une ataxie cérébelleuse et faire discuter certains Friedreich atypiques. Un de nos cas ne s’est manifesté pendant des années que par une dysarthrie cérébelleuse isolée.
Devant une amyotrophie spinale de type Wolfhart-Kugelberg-Welander
Il faut penser à la gangliosidose à GM2 [27]. Nous avons eu l’occasion d’examiner deux de ces patients considérés longtemps comme atteints d’une pseudo-myopathie des ceintures. Il est important d’évoquer ce diagnostic en l’absence d’anomalies du gène de l’amyotrophie spinale (SMA). Le diagnostic repose sur le dosage de l’hexosaminidase A.
Devant un accident vasculaire cérébral du sujet jeune
Il faut penser à la maladie de Fabry [1, 16, 18]. Il peut exister des signes associés :
douleurs des extrémités, angiokératomes, cornea verticillata , atteinte rénale évolutive. Cependant ce diagnostic doit toujours être évoqué chez un homme jeune, même en l’absence de signes extra-neurologiques associés comme nous l’avons décrit [18].
Le diagnostic repose sur le dosage de l’alpha-galactosidase A qui est toujours effondrée chez l’homme. Cependant le diagnostic peut être beaucoup plus difficile chez la femme hétérozygote. Il faut cependant noter que sur les 19 cas de maladies de Fabry diagnostiqués au laboratoire, la plupart nous avaient été adressés par un service de néphrologie ou par un dermatologue.
Devant une dystonie chez un sujet jeune
Il faut penser avant tout à la maladie de Gaucher de type 3 [4], comme nous l’avons constaté. Par ailleurs, nous avons eu l’occasion d’observer deux patients de moins de 40 ans ayant une maladie de Gaucher de type 1 et un syndrome parkinsonien [32, 36].
L’association d’une maladie de Gaucher de type 1 à un syndrome parkinsonien a été évoquée dans la littérature [28] mais les relations de cause à effet ne sont pas encore établies. Le diagnostic repose sur la mise en évidence de cellules de Gaucher dans la moelle osseuse, sur le dosage de la bêta-glucosidase dans les leucocytes, mais ce dosage peut être délicat car il n’est pas très spécifique. Il vaut mieux confirmer le diagnostic par un dosage de la bêta-glucosidase après culture de fibroblastes provenant d’une biopsie de peau. La plupart des 20 cas de maladie de Gaucher diagnostiqués au laboratoire sont de type 1 avec des manifestations purement viscérales et osseuses.
Au Japon, des syndromes parkinsoniens ont été décrits dans la gangliosidose à GM1 [30].
Des syndromes dystoniques de l’hémicorps ou localisés ont été observés dans la leucodystrophie métachromatique et dans la gangliosidose à GM2 à la fois par nous dans deux cas, et dans la littérature [26, 29].
Des syndromes extra-pyramidaux ont été également mis en évidence dans la maladie de Niemann-Pick de type C [21] ; souvent associés à des troubles psychiatriques, ils sont longtemps considérés comme une complication des neuroleptiques.
Devant une ophtalmoplégie supra-nucléair e [9]
Il faut penser à la maladie de Niemann-Pick de type C [33] s’il existe des troubles de la verticalité du regard. Ce signe est très fréquent. Lorsqu’il existe des troubles de l’horizontalité du regard, il faut penser à une maladie de Gaucher. Là encore ce symptôme est souvent rencontré dans cette affection.
Devant une épilepsie myoclonique [5]
Il faut penser à une sialidose de type 1 et à une maladie de Gaucher de type 3. Le diagnostic de sialidose repose sur l’excrétion de sialyloligosaccharides urinaires et sur le déficit en neuraminidase souvent difficile à objectiver car l’enzyme est instable.
Devant une neuropathie périphérique isolée avec diminution de la vitesse de conduction nerveuse
Il faut rechercher une maladie de Krabbe, ou surtout une leucodystrophie métachromatique comme nous l’avons constaté dans un cas [12] et comme cela a été rapporté dans la littérature [10].
Manifestations à début psychiatrique et cognitif
Devant des troubles du comportement se manifestant chez un adolescent par une défaillance scolaire inexpliquée, des problèmes d’insertion professionnelle, des troubles de l’attention, des troubles de l’humeur, une apraxie, des troubles mnésiques, même en l’absence d’autres signes neurologiques, il faut penser à une neurolipidose, en particulier à une leucodystrophie métachromatique de l’adulte.
Nous avons eu l’occasion d’en examiner 9 cas. L’âge de début était compris entre 13 ans et 37 ans. La plupart n’avaient pas au début de détérioration mentale. Les manifestations psychiatriques dominaient le tableau clinique : troubles de la personnalité, inertie, désorganisation des performances habituelles, désinhibition avec accès pseudo-maniaques. Au cours de l’évolution sont apparus des troubles de la mémoire, des troubles de l’idéation, un apragmatisme, une désorientation temporospatiale, des troubles du jugement [8]. Les signes neurologiques apparaissent dans ces formes au bout de plusieurs années. L’IRM est alors pratiquée qui met en évidence une démyélinisation bilatérale et symétrique paraventriculaire, respectant
les fibres en U. Elle amène à pratiquer les tests diagnostiques enzymatiques et de surcharge. L’existence de ces formes psychiatriques a été reconnue en 1992 par Hyde et coll. [17] L’adrénoleucodystrophie se manifeste parfois aussi par des troubles psychiatriques [34]. Il s’agit de la forme cérébrale de l’ALD qui est assez exceptionnelle chez l’adulte. La détérioration mentale est souvent associée à des signes neurologiques qui font pratiquer une IRM et poser le diagnostic de leucodystrophie. Garside et coll. [13] avaient noté chez des patients adultes, des signes psychiatriques initiaux avec altération de la personnalité et phénomènes de persévération : il pouvait s’agir de manie, de labilité émotionnelle, de comportement agressif. Ces patients désinhibés et impulsifs ont pour la plupart développé un état démentiel dans les 2 ans.
Quatre de nos patients ont présenté un tableau analogue.
La maladie de Niemann-Pick de type C peut se présenter comme une psychose dans un tiers des cas, soit psychose hallucinatoire chronique, soit psychose maniacodépressive [21]. Elle peut être associée à un état démentiel et à des signes extrapyramidaux souvent attribués aux neuroleptiques, comme nous l’avons constaté dans un cas. Le diagnostic n’est souvent posé que lorsqu’une ophtalmoplégie supra-nucléaire et une ataxie spino-cérébelleuse s’installent.
Nous avons eu l’occasion d’examiner une gangliosidose à GM2 qui s’est manifestée par une schizophrénie de type hébéphrénique. La pseudo-myopathie des ceintures présente chez cette patiente avait été considérée comme une maladie indépendante des troubles psychiatriques. Ce n’est que des années plus tard, avec la publication de Navon et coll. [27], qu’une relation a été établie entre ces deux manifestations, qui ont pu être reliées au déficit enzymatique. MacQueen et coll. [22] ont confirmé que sur 39 patients répertoriés, 21 cas se sont manifestés initialement par une schizophrénie de type hébéphrénique.
La maladie de Fabry peut également se révéler par une atteinte psychiatrique ou démentielle, souvent liée à des accidents vasculaires cérébraux [20].
Nous ne ferons que rappeler l’existence de formes psychiatriques dans la xanthomatose cérébrotendineuse [7] et dans la maladie de Kufs [15], pour laquelle il n’existe pas actuellement de déficit enzymatique connu.
PHYSIOPATHOLOGIE
A l’heure actuelle, la physiopathologie de ces formes de l’adulte demeure bien mystérieuse. Dans la plupart des neurolipidoses, il n’existe pas de corrélations phénotype / génotype. Cependant dans la leucodystrophie métachromatique, nous avons pu montrer qu’il existe des mutations différentes chez l’adulte, selon qu’il s’agit d’une forme neurologique ou psychiatrique [6].
Quoique les gangliosides soient présents dans les neurones, la symptomatologie chez l’adulte et la neuropathologie permettent de penser que ces constituants ne sont
pas présents dans toutes les populations neuronales. La difficulté de l’étude en immunohistochimie des lipides, la rareté des prélèvements anatomiques rendent difficile une étude systématique. Il n’est pas possible de savoir si ces affections touchent uniquement le métabolisme des glycolipides et si les enzymes impliqués ne dégradent pas également des glycoprotéines qui auraient une même séquence oligosaccharidique. C’est dire l’intérêt, pour répondre à ces questions, de l’utilisation de modèles animaux. Cependant, il est souvent difficile d’extrapoler de la souris à l’homme.
L’existence de formes purement cognitives et psychiatriques dans la leucodystrophie métachromatique, indique des particularités régionales dans le processus de myélinisation dont la nature reste encore imprécise. Il est bien connu que la myélinisation apparaît à des stades différents selon la région. Ainsi les voies motrices sont myélinisées précocement alors que les aires associatives impliquées dans la cognition sont myélinisées plus tardivement, ce qui indique des différences de régulation géniques ou post-géniques. Dans certaines schizophrénies, il a été noté des anomalies des connections interhémisphériques chez l’homme avec des anomalies de la substance blanche. L’étude de la leucodystrophie métachromatique pourrait ouvrir une nouvelle voie de recherche dans cette affection.
CONCLUSION
Au total, la fréquence des affections du métabolisme à manifestation tardive est probablement sous-estimée au sein des maladies dégénératives du système nerveux.
Pourtant, leur diagnostic revêt un grand intérêt :
— pour contribuer au démembrement des maladies dégénératives du système nerveux et tenter de déterminer la fréquence des anomalies métaboliques dans le cadre de ces affections, — pour mieux connaître leur incidence clinique et leur pronostic, — pour déterminer, par rapport à une mutation identifiée, son caractère prédictif quant à l’évolution clinique, — pour déterminer, dans une famille, l’existence de formes demeurées inaperçues et permettre le conseil génétique, — pour traiter certaines de ces affections, ce qui est maintenant possible pour la maladie de Fabry et la maladie de Gaucher (par enzymothérapie) et le deviendra de plus en plus largement dans un proche avenir.
L’implication des lipides complexes dans les maladies dégénératives du système nerveux est encore mal expliquée. Une meilleure connaissance de leurs rôles spécifiques dans les membranes cellulaires spécialisées pourrait ouvrir de nouvelles orientations thérapeutiques.
REMERCIEMENTS
Ce travail a été réalisé grâce à l’Association Vaincre les Maladies Lysosomales et au Programme Hospitalier de Recherche Clinique AP-HP Paris AOA 94-033.
BIBLIOGRAPHIE [1] BARBEY F., LIDOVE O., DROZ D., GRUNFELD J.P. — Maladie de Fabry : aspects cliniques et perspectives thérapeutiques . Schweiz. Med. Wochenschr, 2000 , 130, 763-771.
[2] BATAILLARD M., RICHARD P., RUMBACH L., VANIER M.T., TRUTTMANN M. — Paraparésie spastique isolée révélant une maladie de Krabbe à l’âge adulte. Rev. Neuro., (Paris), 1997, 153, 347-350.
[3] BAUMANN N., TURPIN J.C. — Adult-onset leukodystrophies.
J. Neurol. , 2000, 247 , 751-759.
[4] BAUMANN N., LEFEVRE M., TURPIN J.C., FONTAINE B., HOSSEINI H., AERTS H., et al . — Atypical course of neuronopathic Gaucher’s disease : follow-up from early infancy until adulthood.
J.
Neurol. Neurosurg. Psychiat., 2001, 70, 133-134.
[5] BAUMANN N., GELOT A., TURPIN J.C. — Manifestations nerveuses des lipidoses . Encyclopédie médico-chirurgicale Elsevier Neurologie, 2002, 17-162-D-10, 37 pages.
[6] BAUMANN N., TURPIN J.C., LEFEVRE M., COLSCH B. — Motor and psycho-cognitive clinical types in adult metachromatic leukodystrophy : genotype/phenotype relationships ? J. Physiol., (Paris), 2002, sous presse.
[7] BERGINER V.M., FOSTER N.L., SADOWSKY M., TOWSEND III J.A., SIEGEL G.J., SALEN G. — Psychiatric disorders in cerebrotendinous xanthomatosis. Am. J Psychiatry, 1988, 145, 354-357.
[8] BRAULT J.L., GIESELMANN V., CARPENTIER A., LEFEVRE M., TURPIN J.C., BAUMANN N. — Deux cas familiaux de leucodystrophie métachromatique à expression tardive . Rev. Neurol., (Paris), 1997 , 3 , 193-198.
[9] COGAN D.G., CHU F.C., REINGOLD D., BARRANGER J. — Ocular-motor signs in some metabolic diseases. Arch Ophtalmol , 1981, 99, 1802-1808.
[10] COULTER-MACKIE M.B., APPLEGARTH D.A., TOONE J.R., GAGNIER L., ANZARUT A.R., HENDSON G. — Isolated peripheral neuropathy in atypical metachromatic leukodystrophy : a recurrent mutation. Can J Neurol Sci, 2002, 29, 159-63.
[11] DUBOIS G., TURPIN J.C., BAUMANN N. — Absence of ASA activity in the healthy father of a metachromatic leukodystrophy (MLD) patient . N Engl J Med., 1975 , 293, 302.
[12] FRESSINAUD C., VALLAT J.M., MASSON M., JAUBERTEAU M.O., BAUMANN N., HUGON J. — Adult-onset metachromatic leukodystrophy presenting as isolated peripheral neuropathy. Neurology, 1992, 42 , 1396-8.
[13] GARSIDE S., ROSEBUSH P.I., LEVINSON A.J., MAZUREK M.F. — Late-onset adrenoleukodystrophy associated with long-standing psychiatric symptoms. J Clin Psychiatry, 1999, 60, 460-468.
[14] GIESELMANN V., ZLOTOGORA J., HARRIS A., WENGER D., MORRIS C.P. — Molecular genetics of metachromatic leukodystrophy. Hum Mutat , 1994, 4, 233-243.
[15] GOEBEL H.H., SHARP J.D. — The neuronal ceroid lipofuscinoses. Recent advances.
Brain
Pathology, 1998, 8, 151-162.
[16] GREWAL R.P., BARTON N.W. — Fabry’s disease presenting with stroke.
Clin Neurol Neurosurg , 1992, 94 , 177-179.
[17] HYDE T.M, ZIEGLER J.C., WEINBERGER D.R. — Psychiatric disturbances in metachromatic leukodystrophy . Arch Neurol, 1992 , 49, 401-406.
[18] JULIEN J., LYON-CAEN O., BAUMANN N., BAUMELOU A. — Accidents ischémiques cérébraux et insuffisance rénale chez un homme jeune. Rev Neuro,. (Paris), 1989, 145 , 813-818.
[19] KOLTER T., SANDHOFF K. — Recent advances in the biochemistry of sphingolipidoses.
Brain
Pathol, 1998, 8, 79-100.
[20] LIDOVE 0., JOLY D., BARBEY F., BLETRY O., GRUNFELD J.P. — La maladie de Fabry chez l’adulte :
aspects cliniques et progrès thérapeutiques . Rev Med Int, 2001 , 22 , suppl. 3, 384-392.
[21] LOSSOS A., SCHLESINGER I., OKON E., ABRAMSKY O., BARGAL R., VANIER M.T et al . —
Adult-onset Niemann-Pick type C disease.
Arch Neurol, 1997, 54 , 1536-1541.
[22] MACQUEEN G.M., ROSEBUSH P.L., MAZUREK M.F. — Neuropsychiatric aspects of the adult variant of Tay-Sachs disease. J Neuropsychiat, 1998, 10, 10-19.
[23] MENAGE P., CARREAU V., TOURBAH A., FONTAINE B., PATURNEAU-JOUAS M., LUBETZKI C., et al .
— Les adrénoleucodystrophies hétérozygotes symptomatiques de l’adulte : 10 observations.
Rev. Neurol., (Paris), 1993, 149 , 445-454.
[24] MOSER H.W., MOSER A.B., SINGH A.B., O’NEIL B.P. — Adrenoleukodystrophy : survey of 303 cases : biochemistry, diagnosis and therapy. Ann. Neurol., 1984, 16, 628-641.
[25] MOSER H.W. — Peroxisomal disorders.
Semin. Pediatr. Neurol., 1996 , 3, 298-304.
[26] NARDOCCI N., BERTAGNOLIO B., RUMI V., ANGELINI L. — Progressive dystonia symptomatic of juvenile GM2 gangliosidosis. Mov Disord , 1992, 7 , 64-7.
[27] NAVON R., KHOSRAVI R., KORCZYN T., MASSON M., SONNINO S., FARDEAU M. et al . — A new mutation associated with B1 variant of chronic GM2 gangliosidosis.
Neurology, 1995, 45 , 539-543.
[28] NEUDORFER O., GILADI N., ELSTEIN D., ABRAHAMOV A., TUREZKITE T., AGHAI E., et al . —
Occurrence of Parkinson’s syndrome in type 1 Gaucher disease.
QJM, 1996, 89 , 691-694.
[29] NORDENBO A.M., TONNESEN T. — A variant form of metachromatic leucodystrophy in a patient suffering from another congenital degenerative neurological disease. Acta Neurol Scand, 1985, 71, 31-6.
[30] SUZUKI Y., SAKURABA H., OSHIMA A., YOSHIDA K., SHIMMOTO M., TAKANO T. et al . — Clinical and molecular heterogeneity in hereditary beta-galactosidase deficiency.
Dev Neurosci., 1991, 13, 299-303, Review.
[31] TURPIN J.C., JOUAS M., SERENI C., PLUOT M. et BAUMANN N. — Révélation à l’âge adulte d’un cas d’adrénoleucodystrophie familiale. Rev. Neurol., (Paris), 1985, 141, 289-295.
[32] TURPIN J.C., DUBOIS G., BRICE A., MASSON M., NADAUD M.C., BOUTRY J.M., et al . —
Parkinson symptomatology in a patient with a type 1 (adult) Gaucher’s disease. ‘‘ Lipid storage disorders. Biological and Medical aspects ’’. Salvayre R, Douste-Blazy R, Gatt S eds. New York : Plenum Press, 1988, 103-105.
[33] TURPIN J.C., GOAS J.Y., MASSON M., ZAGNOLI F., MOCQUARD Y., BAUMANN N. — Maladie de Niemann-Pick de type C : ophtalmoplegie supranucléaire associée à un défaut de biosynthèse des esters du cholesterol . Rev. Neurol., (Paris), 1991, 147, 28-34.
[34] TURPIN J.C., GROSS J.C. — Adrénomyéloneuropathie évoluant comme une maladie psychiatrique. L’Encéphale, 1993 , 19, 609-613.
[35] VANIER M.T., RODRIGUEZ-LAFRASSE C., ROUSSON R., DUTHEL S., HARZER K., PENTCHEV P. et al .
— Type C Niemann-Pick disease : biochemical aspects and phenotypic heterogeneity.
Dev Neurosci , 1991, 13, 307-414.
[36] VARKONYI J., ROSENBAUM H., BAUMANN N., MACKENZIE J.J., SIMON Z., AHARON J. et al . —
Gaucher disease associated with Parkinsonism.
Am J Med Genet , 2003, 116A , 348-351.
DISCUSSION
M. Pierre RONDOT
Quels sont les examens paracliniques les plus intéressants pour le diagnostic des neurolipidoses ? Qu’en est-il de l’IRM ?
Il faut faire des dosages d’enzymes leucocytaires qui sont orientés par les données de la clinique. L’IRM est toujours importante dans les leucodystrophies, montrant une démyélinisation massive et symétrique. L’atrophie cérébrale qui peut être rencontrée dans les autres neurolipidoses est aspécifique.
M. Claude DREUX
En dehors des maladies dues au lysosome et au peroxysome, existe-t-il des anomalies du transport des sphingoglycolipides par les « lipid rafts » en particulier dans la maladie d’Alzheimer ?
Il existe une similitude des signes neuropathologiques (dégénérescence neurofibrillaire) entre la maladie lysosomale dite Niemann Pick de type C et la maladie d’Alzheimer. Il est possible, mais non encore confirmé, que ceci soit dû à des anomalies du transport des sphingoglycolipides et du cholestérol par les « lipid rafts ».
M. Roger NORDMANN
Parmi les thérapeutiques envisagées, vous avez mentionné l’huile de Lorenzo. Pouvez-vous nous donner des précisions sur la nature de cette huile ?
Cette huile comporte des acides gras mono-insaturés sous forme de triglycérides :
triglycérylotéate et triglycérylérucate. Une même voie métabolique concerne la synthèse des acides gras saturés et mono-insaturés à longue chaîne. Le fait d’administrer des acides gras mono-insaturés bloque la synthèse des acides gras saturés à très longue chaîne, en particulier celle de l’acide gras saturé à 26 atomes de carbone qui est toxique.
M. Louis DOUSTE-BLAZY
Vous avez cité l’influence de l’environnement sur l’apparition des neurolipidoses. Pourriezvous nous préciser des exemples ?
Nous avons plusieurs exemples d’adrénoleucodystrophie installée à la suite d’un traumatisme. Nous faisons une étude rétrospective avec l’association de malade ELA (Association Européenne contre les Leucodystrophies) pour déterminer le rôle de l’environnement dans le déclenchement des signes cliniques.
* Laboratoire de neurochimie, INSERM U 495, Hôpital de La Salpêtrière, 47 Boulevard de l’Hôpital — 75651 Paris cedex 13, France. Tirés-à-part : Professeur Nicole BAUMANN, à l’adresse ci-dessus . Article reçu le 18 mars 2002, accepté le 21 octobre 2002.
Bull. Acad. Natle Méd., 2003, 187, n° 1, 141-152, séance du 28 janvier 2003