Communication scientifique
Session of 15 février 2005

Le dépistage du cancer du sein en France : bilan et limites

MOTS-CLÉS : epithélomia in situ. indicateurs qualité santé.. mammographie. programme national santé. tumeur sein/prévention et contrôle
Breast cancer screening in France
KEY-WORDS : beast neoplasms/prevention and control. carcinoma in situ. health care.. mammography. national health programs. quality indicators

Thierry Philip, Christelle Kasparian, Francis Fagnani, Jean-Paul Moatti***, Anne Meunier*

Résumé

Les auteurs missionnés par l’Office Parlementaire d’Évaluation des Politiques de Santé (OPEPS) ont revu l’ensemble de la littérature. Ils démontrent malgré les controverses récentes que le dépistage du cancer du sein est justifié médicalement et économiquement. Après avoir revu l’organisation du dépistage et les cahiers des charges, les auteurs situent l’expérience française en regard des recommandations européennes et des autres organisations. Ils analysent les résultats, en particulier de l’effort 2003 du Plan Cancer et discutent les risques du dépistage et le type d’information donné aux femmes.

Summary

From a general review of the literature on breast cancer screening, authors appointed by the parliament office for healthcare policy assessment (Office Parlementaire d’Évaluation des Politiques de Santé, OPEPS) demonstrate that, despite recent controversies, screening is both medically and economically effective. The organisation and specifications of screening are considered. The French situation is examined in the light of European recommendations and compared to other systems in place. After analysing the outcome of screening, particularly the results of the 2003 Cancer Plan, the authors considered the risks of screening, and the type of information given to women.

INTRODUCTION

Le cancer du sein regroupe un ensemble hétérogène de pathologies se différenciant par leurs caractéristiques morphologiques, histologiques et moléculaires. Il est le cancer le plus fréquent chez les femmes quel que soit le pays et représentait en 2000, 35,7 % des nouveaux cas de cancers féminins en France [1]. Son incidence est en constante augmentation depuis 20 ans avec 41 845 nouveaux cas en France en 2000 contre 21 111 en 1980 [1]. Le taux de mortalité par cancer du sein standardisé sur l’âge est néanmoins demeuré relativement stable durant cette période : 18,7 / 100 000 personnes-année en 1980 et 19,7 personnes-année en 2000, ce qui reflète des progrès significatifs dans les pratiques médicales concernant cette pathologie entre les deux dates [1].

Le dépistage précoce des tumeurs du sein, lorsqu’il est réalisé dans certaines conditions et en comparaison avec l’absence totale de tout dépistage, permet de réduire la mortalité par cancer du sein de 30 à 35 % chez les femmes de 50 à 69 ans [2].

L’ORGANISATION DU DÉPISTAGE DU CANCER DU SEIN EN FRANCE

Rappel historique

Sous l’impulsion du Conseil Européen des ministres de la Santé, ont débuté, dès 1986, les premières opérations pilotes de dépistage systématique organisé du cancer du sein dans certains pays de la Communauté Européenne. En France, en 1989, le Ministère de la Santé en collaboration avec la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés (CNAMTS), via son Fond National de Prévention d’Éducation et d’Information Sanitaire (FNPEIS), finance la mise en place d’un programme de dépistage organisé du cancer du sein dans quatre départements pilotes puis fin 90 dans dix départements.

En 1994, le Ministère de la Santé décide de généraliser d’ici à 1997 le dépistage organisé du cancer du sein à tout le territoire et crée un Comité national de pilotage du dépistage du cancer du sein. Pourtant, un retard important est intervenu dans cette généralisation : en février 2000, 32 des 95 départements de France métropolitaine seulement avaient pris part à la démarche.

En 2000, sous le gouvernement de M. Jospin, la Direction Générale de la Santé (DGS) présente un premier Plan Cancer dont l’une des priorités est d’achever l’extension du dépistage du cancer du sein à toute la France cette fois pour 2004. Le tableau 1 résume l’organisation du dépistage du cancer du sein en France.

Sur les bases des dernières recommandations de l’Agence Nationale d’Accréditation et d’Évaluation en Santé (ANAES) [3], un nouveau cahier des charges est rédigé. Il prévoit notamment le passage d’une mammographie à une seule incidence tous les
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trois ans à une mammographie à deux incidences par sein tous les deux ans et inclut l’invitation des femmes de 50 à 74 ans. Des négociations entre la CNAMTS, la Fédération des médecins radiologues et les pouvoirs publics aboutissent en septembre 2001 à un accord de bon usage des soins (JO du 24 mars 2002) qui homogénéise les tarifs des mammographies et crée la lettre clé Zm41 pour tout acte de mammographie qu’il s’agisse d’un acte de diagnostic ou de dépistage, et que le dépistage s’inscrive ou non dans le cadre du programme organisé. Les différences de tarification qui existaient précédemment en particulier entre les mammographies de dépistage individuel et celles de dépistage organisé sont donc supprimées. Cet accord fait également obligation aux radiologues de réaliser tout acte de mammographie dans les mêmes conditions de qualité que celles fixées dans le cadre du dépistage organisé et prévoit qu’au 1er janvier 2006 (avenant dans le J.O. du 3 juillet 2003), la réalisation de tout acte de mammographie soit réservée aux seuls radiologues accrédités par le programme de dépistage organisé du cancer du sein. À cette fin, les radiologues doivent suivre une formation spécifique, réaliser personnellement au moins 500 mammographies par an et soumettre leur matériel à des contrôles techniques réguliers. De plus, les radiologues se sont engagés à transmettre à un « observatoire de la sénologie » en cours de création certaines données permettant la mise en place d’études d’évaluation de leur pratique. Il faut noter que dans ce cahier des charges, les manipulateurs aussi sont soumis à une formation obligatoire.

De nouveaux financements ont été engagés par l’État en 2003 après l’annonce du Plan Cancer lancé à l’initiative du Président de la République pour aboutir enfin à la généralisation nationale du programme de dépistage organisé. L’ensemble de ces démarches a permis une forte accélération de la mise en place du programme de dépistage organisé puisqu’en Janvier 2004, 92 départements y étaient effectivement engagés et qu’au début Mars, nous approchons des 100 %.

Cahier des charges en vigueur aujourd’hui

La mammographie est proposée gratuitement à toute femme de 50 à 74 ans, elle est effectuée selon deux incidences par sein (face et oblique externe) et s’accompagne d’un examen clinique systématique. En cas de détection d’une anomalie à la première lecture, les radiologues ont désormais la possibilité de réaliser à la suite des clichés supplémentaires pour limiter ainsi les reconvocations inutiles. Ces examens supplémentaires ne sont pas pris en charge à 100 %. En cas d’absence d’anomalie ou d’anomalie bénigne, les clichés sont adressés à la structure de gestion pour une deuxième lecture pratiquée par des radiologues qui lisent au minimum 2.000 mammographies par an. Les résultats sont ensuite envoyés aux femmes et à leur médecin traitant dans un délai de quinze jours maximum.

Ce nouveau cahier des charges a pour objectif [6] :

— de réduire les faux négatifs (par l’examen clinique, les deux incidences par sein et la double lecture des clichés normaux),
— de réduire les faux positifs (en autorisant les clichés complémentaires permettant d’éliminer d’éventuelles images construites, — de permettre un bilan complémentaire en cas d’examen positif dès la première lecture (évite les reconvocations), — d’augmenter le taux de participation en harmonisant les deux modes de dépistage individuel et organisé.

Comparaison avec les pays européens

Le système français tire son originalité du fait qu’il est basé sur les installations radiologiques existantes sans limitation de nombre ni contrainte de type carte sanitaire. On dénombrait, en 2003, environ 3.000 mammographes en France dont plus de 80 % appartiennent à des cabinets libéraux. À titre de comparaison, en 1998, il y avait un seul mammographe au Danemark pour les trois régions où le dépistage a été mis en place et environ trois cents au Royaume-Uni répartis sur 94 sites pour tout le pays [4]. Ce mode de dépistage décentralisé, ne constitue pas obligatoirement une économie puisqu’il impose une structure organisationnelle lourde et la formation de personnel non spécialisé aux pratiques de dépistage.

Malgré ce parc important et donc une accessibilité géographique aux sites de dépistage relativement bonne dans les départements où le programme de dépistage est mis en place, le taux de participation au dépistage organisé en France varie de 20 à 60 % selon les départements avec une moyenne de 43 % sur l’ensemble des années 1989-2000 [5] et les taux de participation en France incluant le dépistage spontané ne sont mal connus. Au contraire, certains pays comme la Suède, le Royaume-Uni ou les Pays-Bas arrivent à atteindre près de 100 % de la population cible [4]. Cette meilleure acceptabilité du dépistage systématique tient sans doute à des différences d’organisation du système de santé, à des différences culturelles entre les populations mais fait peut-être aussi intervenir des facteurs organisationnels comme l’utilisation fréquente, dans ces pays, d’unités mobiles (type mammobiles) pour réduire au maximum les déplacements des femmes. En France, les départements de l’Aveyron, de l’Orme et de l’Hérault de même que les villes de Nanterre et Montpellier ont testé le recours à des mammographes mobiles. Les résultats dans l’Aveyron sont très satisfaisants puisqu’un an après le lancement du programme, le taux de participation était de 55 % et que parmi les femmes reçues aux mammobiles, 30 % n’avaient jamais fait de mammographie de dépistage auparavant.

Les recommandations européennes

Les modalités de mise en place du dépistage du cancer du sein en France correspondent en grande partie aux recommandations européennes existantes, en particulier en matière de contrôle de qualité du matériel et de formation des radiologues et des manipulateurs. Quelques divergences peuvent cependant être soulignées [4]. En particulier :

— Le Parlement Européen recommande la double lecture pour tous les clichés et ce par des radiologues pratiquant chacun au moins 5.000 lectures par an (et non 2.000 seulement).

— Il préconise la création d’établissements pluridisciplinaires agréés chargés de l’analyse des résultats suspects et des soins en cas de cancer.

LES RÉSULTATS DU DÉPISTAGE ORGANISÉ

Les données recueillies au niveau des structures de gestion du dépistage organisé comportent l’âge des femmes, leurs antécédents de mammographie, le résultat de la mammographie et les résultats anatomo-cytopathologiques des cancers détectés.

Elles permettent de calculer annuellement les indicateurs d’activité et de résultat du programme de dépistage.

La Commission Européenne publie les valeurs de référence de ces indicateurs et leur dernière mise à jour date de 2001 (tableau 2).

TABLEAU 2. — Indicateurs de qualité et d’efficacité du dépistage dans les 32 départements impliqués en France en 2000.

(données INVS, décembre 2000 [5]) comparées aux recommandations Européennes.

Incidence Prévalence (mammographies (1ères mammographies) suivantes) Recommandations Recommandations Total Total Européennes 2001 Européennes 2001 Qualité

Taux de rappel ( %) 7,7 < 7 4,8 < 5

VVP du test (%) 6,8 8,6

Taux de biopsie (%) 0,9 < 1,5 0,6

VPP de la biopsie (%) 56,8 ε 50 68,1 ε 50

Efficacité

Taux de cancer (‰) 5,2 ε 5 4,1 ε 3

Cancers in situ (%) 15,8 10-20 15,2 10-20

Cancers invasifs ≤ 10 mm (%) 31,8 ε 20 34,3 ε 25

Cancers invasifs N- (%) 70,6 70 72,3 75

Cancers invasifs ≤ 10mm et N- (%) 27,5 23,9

VVP : valeur prédictive positive N- : cancer sans envahissement ganglionnaire

Les indicateurs d’impact

Activité de dépistage

Entre 1989 et 2000 en France, 2.347.349 mammographies ont été réalisées dans le cadre du dépistage organisé et 1.427.792 femmes ont effectué une première mammographie [6].

Le taux de participation

Le taux de participation en 2000 était de 38,3 % (tableau 2) alors que les recommandations européennes sont de 60 à 70 % [5]. Cependant ce taux varie beaucoup d’un département à l’autre et l’on note une réelle amélioration au fur et à mesure des campagnes. Cependant le taux de couverture réel, tenant compte des mammographies de dépistage réalisées hors du programme national (dépistage individuel), peut atteindre 50 à 70 % selon les départements [6].

Les indicateurs de qualité — Le taux de rappel ou taux de mammographies anormales : en prévalence (lors de la première mammographie) le taux de rappel en 2000 était de 7,7 % (référence européenne < 7 %) mais il chute lors des campagnes ultérieures (analyse d’incidence) à 4,8 % (référence européenne < 5 %) [5].

— La valeur prédictive positive (VPP) de la biopsie chirurgicale qui vérifie l’adé- quation de la prescription ; son taux augmente au cours du temps atteignant 56,8 % en prévalence et 68,1 % en incidence en 2000 pour une référence européenne > 50 % [5].

Les indicateurs d’efficacité

Ces indicateurs sont [5, 6] :

— Taux de cancers : depuis 1989, 11.867 cancers ont été diagnostiqués par le dépistage organisé soit un taux global moyen de 5,6 ‰ en prévalence et de 4,2‰ en incidence (taux de référence 5‰) depuis le début de la mise en place du dépistage organisé.

— Pourcentage de cancers in situ — Pourcentage de cancers invasifs <10mm — Pourcentage de cancers sans envahissement ganglionnaire — Pourcentage de cancers invasifs <10mm sans envahissement ganglionnaire Le dernier rapport INVS [5, 6], sur les données de l’année 2000, montre que le dépistage organisé en France lorsqu’il a un recul d’au moins cinq ans respecte assez bien les valeurs de références européennes en dehors du taux de participation.

Celui-ci devrait être sensiblement amélioré grâce à la mise en place du nouveau cahier des charges (examen clinique, deux incidences par sein et tous les deux ans)
rapprochant le dépistage organisé des pratiques de dépistage individuel permettant ainsi une réduction de ce dernier.

Les taux obtenus en 2000 et les références européennes sont rapportés dans le tableau 2.

Les résultats sur la réduction de mortalité par cancer du sein

Dans l’état actuel des choses, l’impact du dépistage organisé sur la mortalité par cancer du sein au niveau national est difficile à évaluer. Selon une étude préliminaire de l’InVS, dans les dix départements effectuant le dépistage organisé depuis au moins dix ans, on observe une réduction significative de la mortalité par cancer du sein de 7,7 % entre les périodes 1988-92 et 1995-99 alors qu’elle reste stable dans les autres départements. Cependant l’interprétation de ces chiffres doit être prudente car ils ne sont pas ajustés sur les autres facteurs influençant la mortalité (incidence, progrès thérapeutiques…) [6]. En 2003, à Paris, sur 330.000 femmes âgées de 50 à 74 ans, qui devaient être convoquées pour le dépistage, 23.662 ont répondu et 67 cancers ont été découverts. Les chiffres sont à l’évidence décevants.

LE COÛT DU DÉPISTAGE

La campagne de dépistage est organisée sous l’égide de la caisse nationale d’assurance maladie et cofinancée par les conseils généraux. Le coût global est difficile à évaluer puisqu’il repose à la fois sur des charges organisationnelles fixes (coût direct) et sur des frais indirects liés à la prise en charge des cancers découverts [7, 8].

Les différentes études portant sur l’évaluation coût-efficacité montrent que le coût diminue au fur et à mesure des campagnes de dépistage (amortissement des coûts directs) et que l’efficience du dépistage est directement liée au taux de participation des femmes [7]. Par ailleurs, ces études font apparaître un moindre coût du dépistage organisé par rapport à l’extension simple du dépistage individuel à l’ensemble de la population cible. Le coût annuel de fonctionnement du dépistage était évalué en 1997-99 à 8 à 10 millions de francs pour une population de 24 à 30.000 femmes soit un coût de 100.000 francs par cancer invasif diagnostiqué par dépistage organisé.

Le coût moyen direct du dépistage en France était estimé entre 57,77 et 60,51 par femme en 2003 [7].

LES RISQUES DU DÉPISTAGE DU CANCER DU SEIN

Le sur-diagnostic

L’un des impacts potentiellement négatifs du dépistage par mammographie est la détection possible, et donc le traitement, de cancers qui n’auraient naturellement
jamais atteint le stade symptomatique. Les connaissances actuelles sur l’histoire naturelle des cancers du sein permettent de distinguer trois origines possibles de sur-diagnostic : — les cancers dont le taux de croissance est faible et n’auraient jamais été symptomatiques au cours de la vie de la femme, — les cancers nonévolutifs dont la croissance s’arrête avant d’atteindre le stade évolutif, — les fauxdiagnostics histologiques correspondant à des lésions « frontières » de petite taille difficiles à diagnostiquer [9]. La quantification de ce sur-diagnostic est difficile puisque le principe de précaution exige que tous les cancers détectés soient traités.

Selon les estimations, il représente de 5 à 30 % des cancers détectés par mammographie [2, 10].

Parmi les cancers peu évolutifs, les carcinomes canalaires in-situ sont fortement représentés. Ces carcinomes, souvent associés à des microcalcifications, sont facilement détectables par mammographie et leur incidence a fortement augmenté depuis l’utilisation de cette technique pour le dépistage. Aux États-Unis, le nombre de nouveaux cas de carcinomes canalaires in-situ a augmenté de 500 % entre 1983 et 1992 [11]. Pour des raisons éthiques, très peu de données sont disponibles sur l’histoire naturelle de ces cancers et il est actuellement impossible de différencier au niveau moléculaire un carcinome in situ qui progressera vers le stade invasif d’un carcinome in situ qui restera à ce stade. Selon les études, les estimations de la proportion de carcinomes in situ qui progresseront vers un stade invasif sont très variables. Elles vont de 25-35 % [12] à 50-80 % [13]. Il est évident qu’il est nécessaire d’approfondir les connaissances actuelles sur l’histoire naturelle de ces cancers pour proposer une stratégie thérapeutique adaptée. Même si ces outils relèvent encore du domaine de la recherche, la biologie moléculaire commence à proposer des méthodes de classification des tumeurs selon l’expression ou non d’un groupe de gènes associés à des pronostics différents [13] qui pourraient d’ici quelques années orienter la stratégie thérapeutique et le suivi proposés aux patientes.

Néanmoins, selon l’organisation du dépistage et en particulier avec une très haute qualité de la mammographie, il a été montré que le dépistage organisé pouvait être mis en place avec un sur-diagnostic quasi-nul [14]. C’est le cas dans deux des trois régions danoises où a été mis en place un programme de dépistage organisé. Dans ces régions, le dépistage organisé a induit logiquement une forte et rapide augmentation de l’incidence du cancer du sein expliquée par la détection précoce de cancers asymptomatiques. Puis, une fois la première vague de dépistage passée, l’incidence du cancer du sein a rejoint le niveau de celle observée dans les régions où il n’y a pas de dépistage du cancer (ni organisé ni spontané). La mise en place du programme de dépistage n’a donc pas modifié à long terme l’incidence du cancer du sein.

Les faux négatifs et les faux positifs

L’autre aspect délicat du dépistage est l’existence inévitable de faux-positifs et de faux-négatifs. Ce phénomène est inhérent à toute technique de dépistage mais doit être limité au maximum.

Les faux-négatifs rassurent à tort les femmes et peuvent les rendre moins vigilantes aux symptômes pouvant apparaître dans l’intervalle de temps entre deux mammographies (cancer de l’intervalle). Pour limiter ce nombre, un examen clinique est désormais associé à la pratique de la mammographie pour détecter les cancers palpables et non détectables à la radiologie. Par ailleurs, la double lecture des clichés négatifs permet d’augmenter la sensibilité de la mammographie de 5 à 15 % [15]. Sur ce facteur, la formation et l’expérience des radiologues ainsi que la qualité du matériel jouent un rôle essentiel.

Le taux de faux-positifs varient d’un pays à l’autre entre 0,7 % aux Pays-Bas et 10,6 % aux USA [2]. En France, ce taux est de l’ordre de 7 %. L’impact négatif sur les femmes peut s’avérer important : anxiété, examens complémentaires invasifs. Par ailleurs, un taux élevé de faux-positifs occasionne des coûts non justifiés. Là encore, la formation et l’expérience des radiologues jouent un grand rôle. Il a été montré que la double lecture permet de limiter le nombre de faux-positifs de façon significative [2, 16]. Or, la double lecture n’est pas réalisée en France pour les clichés positifs en première lecture. De plus, la question se pose de savoir si la participation des radiologues français au dépistage à partir de 500 lectures par an au lieu des 5.000 recommandées par la Communauté Européenne est effectivement suffisante pour minimiser le nombre de faux-positifs. Aux États-Unis, le nombre de faux-positifs est environ deux fois plus élevé qu’au Royaume-Uni [17].

LES FEMMES EXCLUES DU DÉPISTAGE

Un des objectifs de la mise en place d’un programme de dépistage organisé au niveau national est que chaque femme puisse avoir accès à ce dépistage quel que soit son lieu d’habitation ou sa situation sociale comme le recommande le Parlement Européen, qui préconise un taux de participation supérieur à 70 %. Or, nous sommes loin d’atteindre ce taux en France, même lorsque le dépistage organisé a été mis au point dans les années 90. Plusieurs études ont tenté de mieux comprendre les raisons de non-participation des femmes au dépistage.

Les raisons d’exclusion

Une enquête réalisée en 1998 par l’association Recherches et Évaluations Sociologiques sur le Social, la Santé et les actions Communautaires (RESSCOM) à la demande de la DGS et de la Ligue nationale contre le cancer a permis d’interroger 329 femmes dans quatre départements, (Allier, Loire, Rhône et Val-d’Oise), sur les raisons de leur non-participation au programme de dépistage organisé. La mise en place des programmes de dépistage dans ces départements datait au moment de l’enquête de 4 à 9 ans. Parmi les femmes interrogées, 60 % avaient été dépistées hors campagne [6].

Cette enquête met en relief différents facteurs influençant la participation des femmes au dépistage organisé. Le milieu social est un des facteurs essentiels. Les
femmes de catégories sociales défavorisées sont peu en contact avec le système de soins et restent globalement éloignées de tout dispositif de prévention. A contrario , dans les milieux favorisés, le programme de dépistage organisé est associé à une image de médecine de masse, de moindre qualité, alors que le dépistage individuel prescrit par leur gynécologue habituel est mieux accepté. Enfin, beaucoup des femmes interrogées, tout milieu confondu, soulignent la relation avec leur médecin généraliste comme ne facilitant pas forcément leur participation. Celui-ci fournit peu d’information, sur le dépistage et/ou ne les incite pas à participer.

De façon générale, la littérature internationale suggère que l’accès au dépistage mammographique dans la tranche d’âge 50-69 ans dépend pour beaucoup de la perception individuelle du risque (crainte individuelle moyenne ou forte du cancer) [18], de la fréquence des contacts avec le système de soins [19] ainsi que du fait de résider dans un département où existe une expérience de dépistage organisé.

D’autres travaux confirment le lien entre une moindre adhésion à la prévention et le style de vie général [18], y compris l’existence d’une surcharge pondérale ou d’une obésité [20]. Les dernières données suédoises établissent une corrélation entre le fait :

— de ne pas avoir d’enfant, — de vivre seule, — d’être au chômage — d’être immigrée en provenance de pays non-nordiques avec une faible participation au dépistage [21].

L’examen de la littérature internationale suggère également que l’acceptabilité et l’accès au dépistage mammographique dépendent de la qualité de la relation au médecin traitant (gynécologue ou généraliste) et de l’adhésion de celui-ci aux recommandations [19, 22].

Les actions mises en place pour sensibiliser les femmes à participer au dépistage

Un premier type d’action consiste à valoriser le programme de dépistage auprès des médecins généralistes ou gynécologues et à mieux les impliquer dans la démarche.

Pour cela, les modalités d’organisation du dépistage ont évolué pour prendre en compte leurs revendications. Le médecin prescripteur de la mammographie reçoit désormais les résultats de l’examen et peut donc activement participer au suivi de la patiente en cas de cancer. Cette mesure devrait également permettre de réduire le pourcentage de femmes perdues de vue après détection d’une anomalie qui est de 3,6 % par an dans le cadre du programme de dépistage organisé [5].

Par ailleurs, la campagne ministérielle en cours, « Rendez-vous Santé Plus » www.ligue-cancer.net, est non seulement destinée aux femmes mais également aux médecins pour les convaincre de la qualité des prestations du programme de dépistage (contrôle de qualité des appareils, respect des recommandations scienti-
fiques en terme de périodicité, de tranche d’âge.., double-lecture). Les médecins, et en particulier les généralistes, sont les premiers vecteurs de l’information en terme de participation aux mesures de prévention. Sans leur implication, la participation au programme de dépistage du cancer du sein n’augmentera pas significativement.

Par ailleurs, d’autres actions s’adressent directement aux femmes exclues du dépistage. La campagne nationale ainsi que plusieurs départements tentent d’inciter les femmes en situation de précarité à participer au programme de dépistage à l’aide de tracts simplifiés rédigés en plusieurs langues, de messages dans la presse locale ou sur les radios locales, d’information dispensée dans les pharmacies, auprès des travailleurs sociaux, des structures d’alphabétisation etc. Dans la région ProvenceAlpes-Côte d’Azur, ce travail s’accompagne d’une sensibilisation plus globale de ces femmes à la prise en charge de leur santé. Dans les départements ruraux, les mammobiles ont par ailleurs montré leur intérêt pour atteindre de nouvelles populations. Lorsque ces actions sont menées parallèlement à des interventions socioculturelles ciblées et/ou recourant aux grands médias d’information, elles semblent à même d’atteindre des populations défavorisées ou vulnérables [23, 24] et doivent être développées.

LA QUALITÉ DES INFORMATIONS FOURNIES AUX FEMMES

L’amélioration du taux de participation au dépistage est un objectif essentiel et ne peut être atteint sans amélioration de l’information fournie aux femmes. Il est indispensable que cette information soit rigoureuse, complète et qu’elle présente les avantages du dépistage mais également ses limites (faux-négatifs et cancers d’intervalle, faux-positifs). C’est à cette seule condition que les femmes pourront choisir en toute connaissance de cause de participer ou non au programme de dépistage. Ces considérations ne sont pas uniquement d’ordre éthique mais elles font partie du cadre fixé par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé qui reconnaît à « toute personne le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les (…) actions de prévention qui sont proposées, leur utilité, (…), leurs conséquences, les risques fréquents ou graves (…) qu’ils comportent. » La qualité de l’information repose aussi sur son adéquation à la population à laquelle elle s’adresse. Elle doit être en particulier, adaptée à l’âge des femmes, à leur milieu socio-économique et à leurs habitudes culturelles. À titre d’exemple, Marshall et al. ont développé pour le système anglais une synthèse visuelle des avantages et inconvénients du programme de dépistage qui devrait être compréhensible par un maximum de femmes [25].

Il est par ailleurs, essentiel que les médecins prescripteurs de mammographie (généralistes et gynécologues) en tant que médiateurs privilégiés de l’information, participent activement à l’amélioration de celle-ci. Certains documents de la campagne « Rendez-vous Santé Plus » leur sont destinés dans ce but.

Enfin, cette information doit être renouvelée pour inciter les femmes à participer au dépistage tous les deux ans sur le long terme. Cette condition est indispensable pour espérer avoir un impact positif du dépistage sur la mortalité par cancer du sein.

Le cas particulier des femmes à risque génétique

Parmi l’ensemble des cancers du sein, 7 à 10 % sont liés à une prédisposition génétique majeure [26]. Les recommandations actuelles pour la France sont celles issues de l’expertise collective INSERM-FNCLCC datant de 1998 [27], revue en 2004 mais non encore publiée. Face à l’absence de données prouvant l’efficacité du dépistage chez les femmes à risque, elles sont le résultat d’un consensus d’experts basé sur l’analyse de la littérature disponible au moment de l’expertise.

Les recommandations concernent les femmes ayant un risque de plus de 25 % d’avoir un gène de prédisposition muté. Dans ce cas, le début du dépistage se fait à partir de 30 ans (ou 5 ans avant l’âge du cancer du sein le plus précoce dans la famille) à raison d’une mammographie annuelle à deux incidences par sein par une équipe d’imagerie répondant à tous les critères de qualité et d’expérience du dépistage. Si nécessaire une échographie peut être réalisée en complément. Entre deux mammographies de dépistage, les femmes sont surveillées par un ou deux examens cliniques annuels. L’Imagerie par Résonance Magnétique (IRM) apparaît comme option possible et prometteuse, plusieurs essais sont actuellement en cours ; sa place en tant qu’examen de première ou deuxième ligne derrière la mammo-échographie doit être évaluée.

Dans ce contexte où il n’existe pas d’étude expérimentale montrant un impact positif du dépistage sur la mortalité spécifique, il est d’autant plus important que le suivi des femmes à risque s’accompagne d’une information sur les avantages potentiels d’un dépistage régulier et sur les limites de la stratégie. Par ailleurs, il serait souhaitable que l’impact du suivi de ces femmes, tel qu’il est proposé en France, soit évalué ce qui n’est actuellement pas le cas puisque la surveillance doit intervenir bien avant l’âge du programme de dépistage national.

CONCLUSION

L’instauration du dépistage a permis, en France, une amélioration considérable de la qualité des mammographies, de part la formation des personnels, des médecins et par le renouvellement du parc de mammographes qu’elle a imposé. Cependant, toute technique de dépistage présente des inconvénients qui doivent être minimisés ;

l’expérience et la formation des radiologues d’une part et la pratique de la doublelecture d’autre part ont montré leur efficacité pour limiter les nombres de faux positifs et faux négatifs. On peut espérer que la mammographie numérique, dont l’introduction est probable à moyen terme, permettra de limiter encore ces chiffres grâce à l’utilisation de logiciels de lecture assistée par ordinateur et /ou grâce à la
simplification de l’organisation des double-lectures par la transmission informatique des clichés.

Par ailleurs, pour obtenir une réelle répercussion du dépistage sur la mortalité par cancer du sein, il est indispensable d’améliorer le taux de participation qui, s’il reste faible, limite considérablement l’efficience du programme.

Afin d’optimiser ce taux de participation, il convient d’agir d’une part, au niveau des médecins prescripteurs, en améliorant l’image souvent péjorative du dépistage qu’ils peuvent avoir, et d’autre part en travaillant sur l’information diffusée aux femmes.

La recherche sur la qualité de l’information donnée doit être prioritaire afin que chaque femme dispose des éléments nécessaires à un choix délibéré de participer ou non au dépistage organisé.

REMERCIEMENTS

Ont participé à l’expertise réalisée à la demande de l’OPEPS : Dr. Rosemary AncellePark (Institut National de Veille Sanitaire, Paris), Dr. Patrick Arveux (FNCLCC, Centre Georges-François Leclerc, Dijon), Dr. Béatrice Barreau (FNCLCC, Institut Bergonié, Bordeaux et FORCOMED), Dr. Delphine Berchery (FNCLCC, Institut Claudius Regaud, Toulouse), Dr. Juliette Bloch (Direction Générale de la Santé, Paris), Pr. Alain Brémond (FNCLCC, Centre Léon Bérard, Lyon), Dr. François Eisinger (FNCLCC, Institut Paoli-Calmettes, INSERM U379, Marseille), Pr. Jacques Estève (Université Claude Bernard, Lyon), Dr. Catherine Hill (FNCLCC, Institut Gustave Roussy, Villejuif), Dr. Marie-Claude Hittinger (ANAES, Saint Denis la Plaine), Mme Rivoire (Association Europa Dona, Marseille), Dr. Brigitte Séradour (Hôpital de la Timone, Marseille, Association ARCADES), Dr. Daniel Serin (Clinique Sainte Catherine, Avignon), Pr. Maurice Tubiana (Centre Antoine Béclère, Académie de Médecine, Paris).

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DISCUSSION

M. André-Laurent PARODI

Deux des particularités du système français de dépistage du cancer du sein, indiquées par l’orateur sont : la dualité avec persistance du système, dépistage organisé et dépistage individuel et le fait que 80 % des dépistages sont réalisés par des radiologues de statut libéral. Un exemple concret, récent, a montré que le même cabinet de radiologie, d’un département de la petite couronne parisienne, proposait un rendez-vous dans le cadre du dépistage organisé, dans un délai considérablement plus long que s’il s’agissait d’un dépistage individuel. Faut-il voir dans cette discrimination la conséquence du dualisme opérationnel que vous avez souligné ?

Oui, bien sûr. Il faut souligner cependant que le nouveau système de tarification en vigueur aboutira en 2006, à une tarification supérieure pour le dépistage organisé comparé au dépistage individuel. Il est absolument indispensable d’expliquer aux femmes concernées que, dans le dépistage organisé, les appareils, les manipulateurs, les médecins sont soumis à des contrôles de qualité, à des exigences de formation. Il est donc faux de dire que la qualité est supérieure dans un dépistage individuel ce d’autant que dans le dépistage organisé, les mammographies sont systématiquement vues par deux radiologues spécifiquement formés, la qualité d’interprétation est donc meilleure. Les problèmes que vous soulevez devraient être normalement réglés par les changements de tarification.

M. René MORNEX

Ma question dépasse le cadre qui a été envisagé dans la communication et concerne le surtraitement après 75 ans. Les stratégies thérapeutiques extrêmement vigoureuses qui sont efficaces chez les malades ayant une longue espérance de vie n’ont pas la même valeur quelques années plus tard. Par contre, le passage à un état de cancéreux et les effets possibles des traitements bouleversent la vie de ces femmes. Ne faudrait-il pas être plus ferme dans les « non indications » thérapeutiques à partir d’un certain âge ?

C’est une question difficile car on ne connaît pas la durée moyenne de survie des cancers micro-invasifs ou des petits cancers dépistés au delà de 74 ans. Il faut souligner cependant qu’une tumeur dépistée de petite taille, même à cet âge, sera traitée par tumorectomie et radiothérapie, sans chimiothérapie. Il faut souligner aussi que les sujets ayant dépassé 74 ans sont les meilleurs candidats au traitement d’hormonothérapie, qui, comme on le sait, ont des résultats à peu près équivalents à ceux de la chimiothérapie seule avec une tolérance meilleure que ce soit sur le plan moral comme sur le plan physique.

M. Jean-Baptiste PAOLAGGI

L’expérience des cancers du sein diagnostiqués au stade des métastases révélatrices (et en particulier osseuses) permet de se poser la question de la validité et de l’utilité des procédures de dépistage précoce de masse. Ceci d’autant plus que certaines études et des revues systématiques émettent des réserves sur l’efficacité de la procédure se traduisant par une diminution indiscutable de la mortalité par cancer.

Vous avez tout à fait raison sur le premier point mais pas sur le deuxième. En effet, il a été démontré que le dépistage ne diminuait pas le nombre de formes métastatiques et il est tout à fait évident que pour ces formes, probablement différentes, et je pense que la biologie moléculaire le montrera dans les années qui viennent, le dépistage n’a pas d’intérêt. Par contre, sur le second point, je pense avoir montré, et en tout cas démontré dans mon rapport à l’office parlementaire d’évaluation des politiques de santé, que plus personne n’émettait actuellement de réserve sur l’efficacité de la procédure du dépistage. Il y a eu, en effet, des débats il y a deux ans, mais l’étude très complète du Centre International de Recherche sur le Cancer a réglé le problème. Il y a une diminution de 30 % de la mortalité par cancer, chez les femmes qui ont bénéficié du dépistage.

M. Pierre GODEAU

Le dépistage de masse est certainement un progrès dans la mesure où il comporte un contrôle de qualité garant de son efficacité, mais il serait abusif de le substituer totalement au dépistage individuel qui garde des indications. Ne serait-ce que la poursuite du dépistage au-delà des limites d’âge actuellement admises pour les études de masse.

Votre question recoupe d’une certaine façon celle de René Mornex. Si on en restait à la recommandation d’arrêter le dépistage à 74 ans, bien sûr qu’il faudrait, au moins dans certains cas, reprendre un dépistage individuel. Si, par contre, le dépistage organisé est maintenu au-delà de 74 ans, il n’y a pas de raison de plaider pour la coexistence du dépistage organisé et du dépistage individuel. La problématique actuelle est liée à la réalisation de mammographies précoces (entre 40 et 50 ans) hors dépistage ; l’extension probable du dépistage à partir de 40 ans permettra aux femmes de rentrer d’emblée dans le dépistage organisé et évitera probablement le maintien de ces deux systèmes en parallèle.

M. André VACHERON

Ne pensez-vous pas que le dépistage organisé assure mieux que le dépistage individuel, la fidélisation et la surveillance au long cours ?

Malheureusement, je n’ai pas d’étude permettant de répondre positivement à votre question.

On peut l’espérer mais rien n’est démontré. Actuellement, en France, nous avons un problème de taux de participation qui est tout à fait inférieur aux 60 % minimum nécessaires. Nous avons aussi un terrible problème de taux de fidélisation et on ne peut qu’espérer, comme vous le proposez, que le dépistage organisé entraînera une meilleure fidélisation, mais on ne l’a pas prouvé aujourd’hui.

M. Claude DREUX

Devant l’échec actuel du système de dépistage de masse du cancer colo-rectal, (moins de 15 départements l’organisent), ne pensez-vous pas qu’un dépistage individuel organisé, proposé par l’Académie nationale de médecine, ne devrait pas être étudié dans un ou plusieurs départements ? Les biologistes regroupés au sein de l’association Bioprévention sont prêts à organiser ce dépistage avec la DGS et la CNAM.

Vous avez bien sûr tout à fait raison. Il est aujourd’hui démontré dans le monde, en Europe, en France même, que le dépistage organisé du cancer colo-rectal est efficace. Il est largement temps de le diffuser à toute la France. Les professionnels y sont prêts. Il est nécessaire que le Ministère relaye cette volonté des professionnels.

M. François DUBOIS

Il semble y avoir, pour un praticien, deux types de tumeurs du sein : celles à évolution locales et celles très rapidement métastatiques. Y a-t-il une différence significative de pronostic entre une tumeur dépistée au stade préclinique et une petite tumeur dépistée par la palpation systématique du médecin traitant ou du gynécologue ?

La réponse est oui puisqu’une tumeur dépistée par palpation mesure au moins un centimètre.

Les tumeurs dépistées au stade infraclinique sont par définition plus petites et il y a une relation entre la taille de la tumeur et le pronostic. Cependant, votre question fait peut-être allusion à une étude américaine, qui avait comparé le dépistage à une palpation non pas par le médecin généraliste, mais par la femme elle-même. Cette étude n’avait pas montré de différence très significative dans le pronostic. La question reste donc ouverte. La réponse est donnée par les résultats des grandes études qui démontrent clairement que la taille tumorale est, avec l’atteinte des ganglions, le premier facteur pronostic ; l’atteinte des ganglions dépendant elle-même de la taille. L’avance au diagnostic apportée par le dépistage peut être de plusieurs années et le pronostic est significativement meilleur.

M. Bernard JUNOD

De 1980 à 2000, la vitesse d’apparition des cancers du sein a doublé et le pronostic d’une évolution létale de ces cancers a été divisé par deux puisque la mortalité est restée stable.

L’hypothèse d’une augmentation artificielle des diagnostics consécutive à l’intensification du dépistage est recevable. Elle implique de reconsidérer la validité de la définition classique du cancer fondée sur l’image histologique obtenue au microscope. Si l’évolution de la tumeur, notamment le processus de dissémination métastatique, faisait partie d’une nouvelle définition fondée sur la dynamique de la maladie cancéreuse, les statistiques n’auraient sans doute pas montré une telle augmentation. Une définition plus spécifique aurait l’avantage d’éviter l’angoisse et les traitements inutiles des « surdiagnostics » estimés statistiquement comme la majorité des cancers diagnostiqués classiquement au cours d’un programme de dépistage. Les données dont on dispose en France confirment donc la thèse de l’ouvrage de Gilbert Welsh rédigé alors qu’il se trouvait, au début des années 2000, au Centre International de Recherche sur le Cancer de Lyon. Acceptez-vous le principe d’une remise en question de la définition classique du cancer à cause de son défaut de spécificité responsable des surdiagnostics ?

Bien sûr qu’il faut accepter à terme une remise en question d’une définition classique du cancer. La biologie moléculaire permettra peut-être de faire la différence entre ceux qui ne sont pas évolutifs et qui sont donc des surdiagnostics et ceux qui ont une tendance évolutive.

Dans l’état actuel des choses, on ne peut pas nier qu’il y ait des femmes qui sont médicalisées de façon inutile, mais on est obligé de s’appuyer, en santé publique, sur les résultats globaux et donc sur les 30 % de gains sur la mortalité par le cancer du sein.

M. Jean-Daniel PICARD

Vous parlez de la fréquence de plus en plus grande du cancer du sein. Pour en avoir diagnostiqué plus de 30 durant mon activité en sénologie, observe-t-on une augmentation des fréquences du cancer du sein chez l’homme ?

Le cancer du sein, chez l’homme, n’augmente pas significativement de fréquence actuellement.


* Centre Léon Bérard-Gresac — UMR 58 23, 28 rue Laënnec, 69373 Lyon cedex 08. ** Cemka-Eval — 43 boulevard Maréchal Joffre, 92340 Bourg La Reine. *** Institut Paoli-Calmettes, INSERM U 379, 232 boulevard Sainte Marguerite, BP 156 13273 Marseille cedex. Tirés-à-part : Professeur Thierry PHILIP, même adresse. Article reçu le 5 janvier 2004, accepté le 21 juin 2004.

Bull. Acad. Natle Méd., 2005, 189, no 2, 321-339, séance du 15 février 2005