Résumé
Le corticosurrénalome est un cancer rare (un à deux cas nouveaux par million et par an) au pronostic très sombre (< 30 % de survie à cinq ans). La meilleure chance de guérison est lorsqu’une forme « localisée » peut être l’objet d’une chirurgie dite « complète ». Trop souvent le diagnostic est tardif, devant des tumeurs évoluées et peu sécrétantes. La clinique, l’exploration hormonale, et l’imagerie, aidée aujourd’hui par le PET-Scan au 18-FDG (18-Fluorodéoxyglucose), permettent de suspecter en pré-opératoire le caractère malin d’une tumeur surrénale, recommandant alors une chirurgie par laparotomie, par des mains particulièrement expertes. Des progrès récents dans la génétique des corticosurrénalomes, ont mis en avant certains acteurs moléculaires qui offrent des outils diagnostiques et pronostiques sans doute meilleurs que les seules appréciations classiques du stade tumoral ou des scores histologiques (score de Weiss). Seuls de nouveaux progrès dans la compré- hension physiopathologique de ces tumeurs permettront de trouver les moyens de thérapies ciblées.
Summary
Adrenal cortical carcinoma is a rare malignancy, with only one or two new cases being diagnosed per million subjects per year. The prognosis is dismal, with less than 30 % survival at five years. The best chances of cure are obtained when a ‘‘ localized ’’ tumor can undergo ‘‘ complete ’’ surgical removal. Most often, however, the diagnosis is made when the tumor is already invasive and non secretory. Clinical, hormonal and imaging features, including 18-fluorodeoxyglucose PET scan, can provide strong evidence of malignancy and indicate open surgical excision in expert hands. Recent advances in the genetics of adrenal cortical carcinomas have identified molecular factors that can be used as diagnostic and prognostic markers. These markers are more valuable than classical staging and histology (Weiss score). A better understanding of the pathophysiology of these tumors is required in order to develop targeted therapies.
Le corticosurrénalome est une maladie rare au pronostic très sombre [1, 2]. Le seul élément favorable est lorsqu’une telle tumeur peut être diagnostiquée au stade « localisé » permettant une chirurgie dite « complète ».
Il n’y a aucun traitement médical qui a montré une efficacité convaincante dans les formes avancées (invasion locale ou métastase à distance, stade 3 ou 4 de Mac Farlane) [3].
L’Op’DDD (Mitotane ou Lysodren) a montré une efficacité dans une minorité de patients et seulement pour des périodes brèves.
Devant cette pathologie seule une approche multi-disciplinaire associant Endocrinologues, Chirurgiens, Imageurs, Radiothérapeutes et Oncologues peut permettre à la fois de contrôler les manifestations d’hypersecrétion, d’évaluer le stade et l’extension tumorale, de proposer des actions locales lorsqu’elles sont possibles ou bien de nouvelles approches chimiothérapeutiques et éventuellement des essais thérapeutiques.
ÉPIDÉMIOLOGIE
Le corticosurrénalome a une incidence estimée de un ou deux par million et par an. La distribution des âges montre deux pics, le premier dans la petite enfance et le second entre quarante et cinquante ans. Il y a une modeste prédominance féminine.
La plupart des corticosurrénalomes sont d’origine sporadique. Exceptionnellement ils peuvent survenir dans un contexte congénital ou familial : Syndrome de Wiedemann-Beckwith, Syndrome de Li-Fraumeni, plus rarement MEN de type 1, la polypose colique familiale, [4].
DIAGNOSTIC DES CORTICOSURRENALOMES
Présentation clinique
Les manifestations cliniques du corticosurrénalome sporadique résultent de l’hypersecrétion hormonale et/ou des manifestations tumorales loco-régionales voire métastatiques [1, 5, 6]. Exceptionnellement des manifestations cliniques spé- cifiques sont associées avec les rares maladies génétiques ou congénitales citées plus haut.
Aujourd’hui il arrive qu’un corticosurrénalome soit diagnostiqué devant la découverte d’un incidentalome surrénalien [7].
Corticosurrénalome hypersecrétant
Près des deux tiers des corticosurrénalomes présentent une hypersécrétion hormonale. Les manifestations cliniques les plus fréquentes associent une combinaison de signes en rapport avec une hypersecrétion de glucocorticoïdes et d’androgènes :
— l’hypersécrétion de glucocorticoïdes est responsable d’un syndrome de Cushing et l’hypersécrétion d’androgènes entraîne une série de manifestations exclusivement chez la femme.
— D’autres stéroïdes biologiquement actifs peuvent être hypersecrétés en particulier les minéralocorticoïdes comme la DOC, (désoxycorticostérone) qui peuvent entrainer une hypertension artérielle avec hypokaliémie. Exceptionnellement certaines tumeurs secrètent des oestrogènes et peuvent provoquer une gynécomastie chez l’homme, des métrorragies chez la femme ménopausée. Un certain nombre de corticosurrénalomes secrètent de façon prédominante un seul type de stéroïdes biologiquement actifs, quelquefois les androgènes, parfois le cortisol.
Corticosurrénalomes non hypersecrètants
Ces tumeurs n’entraînent pas de signes cliniques endocriniens spécifiques.
Toutefois elles peuvent secréter des stéroïdes non bio-actifs tels que des précurseurs en particulier la 17 hydroxyprogestérone.
Ces tumeurs peuvent être découvertes lors de l’exploration d’un incidentalome surrénalien, c’est-à-dire lorsqu’une imagerie a été faite pour une cause qui n’était pas reliée a priori à une maladie surrénalienne. Bien que cette situation ne soit pas la plus fréquente, elle augmente au cours des dernières années pouvant atteindre 13 % des cas dans une série de Cochin de deux cent-deux corticosurrénalomes [5]. Il faut insister ici sur l’importance vitale que représente le diagnostic correct de ces « incidentalomes » qui sont donc le plus souvent localisés et qui sont des candidats à une chirurgie curative à condition de bien la faire.
Plus souvent toutefois les corticosurrénalomes non hypersecrètants sont découverts à l’occasion de manifestations loco-régionales : douleurs de l’hypochondre, découverte fortuite à la palpation de l’hypochondre d’une tumeur, ou bien lors de la découverte de métastases à distance au niveau du foie, du poumon ou des os.
La fièvre peut survenir de façon assez exceptionnelle et alors le plus souvent en relation avec une nécrose tumorale concomitante. En réalité il est assez remarquable d’observer que l’état général de ces patients est le plus souvent parfaitement conservé en regard d’une masse tumorale qui peut être relativement impressionnante. Ceci explique que beaucoup de corticosurrénalomes non hypersecrètants sont diagnostiqués à un stade très tardif.
Imagerie des corticosurrénalomes
Elle analyse les caractéristiques de la tumeur, recherche des manifestations évocatrices de malignité et contribue au bilan d’extension et à l’évaluation du stade de la tumeur.
La tomodensitométrie est l’examen essentiel [8] ; elle montre une masse unilatérale qui est, de façon quasiment constante, relativement volumineuse en général au dessus de 5 à 6 cm, souvent au-dessus de 10 cm, abaissant le rein homolatéral. On observe parfois des manifestations suggestives de malignité : la tumeur n’est pas homogène, il peut exister quelques foyers de nécrose et quelques fois, plus rarement, des calcifications. Les bords sont irréguliers, la densité spontanée aux rayons X est élevée supérieure en général à 20 UH indiquant un contenu en graisse bas par opposition à ce que l’on trouve en général dans les adénomes. Les mesures dynamiques de contraste peuvent offrir un moyen plus sensible de distinguer les lésions bénignes des lésions malignes. Le scanner contribue également à la détection d’envahissement loco-régional et de métastases à distance en particulier au niveau du foie et du poumon. L’invasion loco-régionale des vaisseaux, en particulier les veines rénales et la veine cave inférieure, qui peut d’ailleurs remonter jusqu’au cœur et entraîner des embolies pulmonaires métastatiques.
La scintigraphie surrénalienne avec le iodocholestérol n’est pas essentielle.
L’IRM (imagerie par résonance magnétique) et/ou l’échographie peut participer à l’inventaire des lésions à distance au niveau du foie et des veines.
La scintigraphie osseuse aide à rechercher d’éventuelles métastases osseuses.
Plus intéressantes et plus récentes sont les données obtenues avec le PET-scan au 18 Fluorodéoxyglucose [9-11]. Cet examen est déjà très performant pour distinguer les lésions bénignes des lésions malignes et il participe à l’imagerie non invasive à la recherche de métastases à distance qui sont parfois silencieuses et uniquement révélées par cet examen.
L’évaluation endocrinienne
Les explorations endocriniennes de base recherchent une hypersecrètion de diffé- rents stéroïdes surrénaliens ; lorsque celle-ci est retrouvée, elle établit le caractère surrénalien des anomalies de la loge surrénalienne.
L’hypersecrètion de cortisol, ACTH-indépendante, peut être facilement démontrée : le cortisol urinaire libre est augmenté, il n’est pas suppressible par les fortes doses de Déxaméthasone et il est associé à un ACTH plasmatique indétectable.
La 17 hydroxyprogestérone est souvent élevée de base et /ou après stimulation par l’ACTH de la même façon que le sulfate de DHEA a une valeur plus spécifique et qui peut augmenter la testostérone plasmatique chez la femme. D’autres stéroïdes comme la DOC, la Delta 4 androstènedione et plus rarement des oestrogènes peuvent être hypersecrètés par la tumeur.
Il est tout à fait exceptionnel qu’un corticosurrénalome secrète de l’aldostérone en excès : il faut être extrêmement prudent devant de telles tumeurs car, si elles ont plus de 3 cm dans leur taille maximale, il ne faut pas les confondre avec un adénome de Conn et considérer cette tumeur comme bénigne.
Encore une fois, mais de façon assez exceptionnelle, on peut ne trouver aucun signe d’hypersecrètion dans l’exploration d’un véritable corticosurrénalome.
PRONOSTIC
Anatomo-pathologie
Poser le diagnostic définitif de la nature maligne d’une tumeur surrénalienne peut rester un véritable défi y compris pour les anatomo-pathologistes les plus expérimentés. Deux types de critères ont longtemps été utilisés et qui sont les prédicteurs de récidive et/ou de métastases à distance et donc de la nature maligne non équivoque de la tumeur :
— la taille de la tumeur est en elle-même un excellent prédicteur de malignité. Les tumeurs de la surrénale de plus de 6 cm ont une probabilité d’être malignes de 25 %, les tumeurs de moins de 4 cm ont une probabilité d’être malignes de 2 %.
Cela laisse bien entendu le problème des tumeurs intermédiaires et de l’incertitude de ces données qui ne sont que probabilistes.
— Il n’y a pas un seul critère anatomopathologique qui permet le diagnostic définitif, non-équivoque de malignité. Pour cette raison, les anatomopathologistes ont dessiné des « paradigmes » utilisant une combinaison de paramètres histologiques (indépendants ?) qui rendent possible l’établissement d’un score pour chaque tumeur. Le score le plus utilisé est celui de Weiss qui
comporte neuf items différents [12] ; chaque item, lorsqu’il est présent, permet d’obtenir une valeur de 1, ou 0 lorsqu’il est absent. Le score final est obtenu en additionnant la valeur de chacun des items. Depuis la publication initiale de Weiss en 1984 il est admis qu’un score au-dessus de trois est plus que vraisemblablement associé à la nature maligne de la tumeur.
Biologie de la tumeur
Les limites de l’approche anatomopathologique classique ont poussé beaucoup de chercheurs à établir d’autres critères pronostiques de malignité en recherchant en particulier les marqueurs moléculaires.
Deux anomalies génétiques semblent avoir une importance prépondérante :
— la surexpression du gène codant pour IGF2 (insuline-like growth factor) est retrouvée dans près de 90 % des corticosurrénalomes par contraste avec les adénomes où elle est pratiquement toujours normal [13]. Ce qui est particuliè- rement intéressant est que cette surexpression est associée à un ré-arrangement spécifique du locus de IGF2 qui entraîne soit la perte de l’allèle maternel avec duplication de l’allèle paternel ou bien la perte de l’empreinte normale de ce gène — une autre anomalie génétique très fréquente est la perte d’allèle au niveau du locus 17p13 qui est retrouvée également dans 85 % environ des corticosurrénalomes et pratiquement toujours absente dans les adénomes. Bien qu’on retrouve dans ce locus le gène p53, celui-ci n’est muté que dans une minorité des corticosurrénalomes ce qui suggère qu’un autre gène encore non identifié est impliqué au niveau de ce locus. De façon très importante sur le plan de l’évaluation clinique, une étude prospective a bien montré que la perte d’hétérozygotie en 17p13 était un facteur prédictif de malignité indépendant dans les tumeurs de la corticosurrénale [14].
Dans la mesure où ces anomalies moléculaires, surexpression d’IGF2 et/ou perte d’hétérozygotie en 17p13 sont retrouvées avec une haute fréquence y compris dans les tumeurs ayant un score de Weiss aussi bas que deux ou trois, on peut se poser la question de la valeur du score de Weiss à partir de laquelle la malignité doit être suspectée.
FIG. 1. — Taux de survie en fonction de stage de Mc Farlane (Référence 5) Le stade tumoral
Plusieurs classifications ont été proposées : le score de Mac Farlane est utilisé le plus fréquemment [15] :
— Stade 1 : tumeur localisée de moins de 5 cm, — Stade 2 : tumeur localisée de plus de 5 cm.
— Stade 3 : quelle que soit la taille, présence de ganglions métastatiques encore mobiles ou présence d’une infiltration atteignant les organes de voisinage.
— Stade 4 : quelle que soit la taille de la tumeur, envahissement des organes de voisinage ou présence de ganglions métastatiques fixés ou présence de métastases à distance.
Le stade tumoral est évalué au mieux bien entendu une fois que les patients ont été opérés et que les métastases à distance ont été recherchées de façon soigneuse et sensible avec les meilleurs moyens, c’est-à-dire aujourd’hui le Pet-Scan au 18-Fluorodéoxyglucose.
Cette simple classification comporte une valeur pronostique très importante. Dans un travail récent de deux-cent-deux patients étudiés à Cochin le taux de survie à cinq ans était de 70 % pour le stade 1, 50 % pour le stade 2, 10 % pour le stade 3, 10 % pour le stade 4 [5].
FIG. 2.— Prévalence des anomalies moléculaires en fonction du score de Weiss. 17p13 LOH : perte d’allèle en 17p13 ; 11p15 UPD : unipaternal disomy en 11p15.
Chirurgie curative
La chirurgie curative ne peut être obtenue que lorsque la tumeur a été retirée en totalité ; ceci peut être fait dans pratiquement tous les stades 1 et 2 et chez quelques patients en stade 3. Ce type de chirurgie réclame un chirurgien très entraîné et une évaluation anatomopathologique très précise de tout le tissu retiré [16].
Autres facteurs pronostiques : de nombreux paramètres ont été étudiés ; il semble bien qu’un pronostic plus sévère soit associé avec un âge avancé ; le caractère hypersecrètant de cortisol de la tumeur [5] et l’importance du nombre de mitoses à l’intérieur de la tumeur [17].
GÉNÉTIQUE DES CORTICOSURRÉNALOMES
L’étude de syndromes génétiques rares associés à des corticosurrénalomes a révélé des mécanismes physiopathogéniques nouveaux qui peuvent expliquer en retour la tumorigénèse des corticosurrénalomes sporadiques [4,18].
L’ensemble des données les plus récentes sont résumées dans le tableau 1.
Le syndrome de Li-Fraumeni a identifié le rôle du gène TP53 . Si cette mutation est effectivement retrouvée dans une fraction importante des corticosurrénalomes sporadiques, elle a permis de mettre en avant le locus 17p13 qui est l’objet d’une perte d’allèle dans un plus grand nombre de cas : d’où l’idée que ce locus recèle un autre gène suppresseur de tumeur…à identifier. Mais d’ores et déjà l’analyse du locus 17p13 offre un remarquable marqueur moléculaire de malignité dans le diagnostic des tumeurs de la corticosurrénale.
Le syndrome de Wiedemann-Beckwith a révélé l’importance du locus 11p15, et d’une série de gènes qui y sont soumis à empreinte. La surexpression du gène IGF2 , offre non seulement un autre marqueur moléculaire, mais cible une voie de signalisation pour des thérapeutiques innovantes.
Les syndromes MEN 1 (Multiple Endocrine Neoplasia de type 1) et la polypose colique adénomateuse familiale (FAP), sont des maladies qui peuvent, bien que rarement, être également associées à des corticosurrénalomes. De façon très inté- ressante, la dernière a révélé le rôle de la voie Wint/béta-caténine qui est souvent activée dans les corticosurrénalomes sporadiques.
TRAITEMENT DU CORTICOSURRENALOME
Exérèse de la tumeur surrénalienne
La chirurgie est l’élément clef puisque l’ablation « complète » d’une tumeur localisée est la meilleure chance d’une véritable guérison [16]. Elle devra être effectuée par un chirurgien expérimenté participant à une équipe multi-disciplinaire dans un Centre de Référence. Dès qu’il y a le moindre doute de malignité pour une tumeur de la surrénale, l’approche laparoscopique devrait être bannie et une approche classique par laparotomie doit être réalisée. Cette dernière approche autorise le chirurgien à effectuer toute l’inspection nécessaire, à retirer la totalité de la tumeur et éventuellement à étendre cette résection aux organes de voisinage en cas d’invasion locorégionale. Ainsi la chirurgie « ouverte » participe à l’évaluation précise du stade de la tumeur. Beaucoup de corticosurrénalomes sont des tumeurs fragiles qui doivent être manipulées avec grand soin pour éviter toute effraction et tout essaimage de cellules tumorales. Chez des patients qui ont une hypersecrètion glucocorticoïde, l’administration de glucocorticoïdes par voie parentérale est obligatoire pour pré- venir l’insuffisance surrénale lorsque la tumeur est retirée.
Autres approches chirurgicales et/ou interventionnelles
La chirurgie peut également contribuer au traitement des tumeurs « avancées » avec invasion locale et/ou des métastases à distance soit à l’occasion de la première opération ou à l’occasion de récidive. L’ablation de métastases pulmonaires ou hépatiques, le désengagement tumoral ou le traitement de métastases osseuses menaçantes.
Des approches utilisant la radiologie interventionnelle permettent le traitement loco-régional de récidives et de métastases, essentiellement hépatiques, par chimioembolisation et/or radiofréquence [19].
FIG. 3. — PET-Scan au 18FDG chez une patiente avec un corticosurrénalome métastatique. Intense fixation du corticosurrénalome, nombreuses métastases pulmonaires, détection d’une lésion osseuse pelvienne asymptomatique.
Chimiothérapie du corticosurrénalome
En cas de chirurgie non curative et/ou en cas de récidive inopérable ou de métastases à distance également inopérables, différents moyens chimiothérapeutiques ont été proposés Op’DDD (Mitotane, Lysodren® ) l’Op’DDD (Ortho, para’, dichloro-diphenyl —dichloro éthane) est un adrénolytique assez spécifique ne touchant que la corticosurrénale dans plusieurs espèces et en particulier chez l’homme. Il a été utilisé la première fois au milieu des années cinquante chez l’homme et il a prouvé sa capacité à diminuer la secrètion de cortisol et à exercer un certain effet anti-tumoral dans les corticosurrénalomes. Des études rétrospectives où les patients ont été traités par l’Op’DDD montrent qu’une réponse totale ou partielle est obtenue dans environ 30 % des cas mais pratiquement toujours pour de brèves périodes avec un échappement qui survient de façon quasi constante [1,2,20]. D’autre part l’Op’DDD a de nombreux effets secondaires en particulier digestifs et neurologiques qui peuvent amener à interrompre le traitement. Une surveillance très précise et rapprochée des concentrations plasmatiques du médicament est aujourd’hui indispensable pour s’assurer qu’on maintient des niveaux acceptables c’est-à-dire suffisamment hauts pour produire un effet thérapeutique et suffisamment bas pour éviter des effets secondaires. Cette marge de manœuvre a été relativement bien définie ; elle se situe entre 14 et 20 mg/l d’Op’DDD circulant [21, 22]. Il n’y a actuellement que quelques centres spécialisés capables de réaliser ce dosage mais néanmoins la Société HRA PHARMA a mis au point en Europe un système qui permet à tout le monde d’avoir accès à ces dosages.
Bien qu’il soit loin d’être idéal le traitement par Op’DDD est considéré par la plupart des auteurs comme le traitement de référence. Toutefois chez la plupart des patients, l’effet bénéfique de ce traitement soit n’est jamais observé, soit reste seulement transitoire.
Autres chimiothérapies
Beaucoup d’autres propositions de chimiothérapie ont été testées au cours des années. Dans la mesure où le corticosurrénalome est une tumeur rare, en général seuls les groupes relativement limités de patients ont été étudiés et de façon observatoire non randomisée. Parmi les différents traitements qui ont été proposés et qui peuvent être analysés au travers de la littérature, deux semblent apporter une amélioration : le traitement combiné par cisplatine, etoposide, doxorubicine donné en association avec l’Op’DDD, et la streptozotocine donnée en association aussi avec l’Op’DDD. Dans les deux cas les taux de réponse (régression tumorale partielle ou complète) sont observés dans 48 % et 36 % des cas respectivement [2]. Bien entendu ce sont des taux de réponse qui ne sont pas acceptables et il est honnête de dire aujourd’hui que aucun traitement totalement efficace du corticosurrénalome n’existe.
Autres moyens thérapeutiques La radiothérapie externe pour la prévention et/ou le traitement des récidives locales a montré occasionnellement des succès [23]. Jusqu’ici ce traitement n’est pas reconnu de façon consensuelle. A l’inverse une radiothérapie externe peut se révéler très efficace dans le traitement de certaines métastases osseuses.
STRATÉGIE THÉRAPEUTIQUE
La première étape est de reconnaître la possible malignité d’une tumeur de la surrénale ; cela permet d’éviter toute chirurgie laparoscopique qui ferait courir un risque d’essaimage tumoral et cela indique également la nécessité d’une évaluation soigneuse du stade tumoral et que le patient soit opéré par un chirurgien expérimenté avec une analyse anatomopathologique également précise.
Après une chirurgie curative des tumeurs de stade 1 et 2 et de quelques tumeurs de stade 3, une simple surveillance est absolument indispensable puisqu’une récidive surviendra de toutes façons dans à peu près la moitié des cas. La question qui est posée est de savoir si dans ce cas un traitement « adjuvant » par Op’DDD limitera le taux de récidive et augmentera la survie de ces patients. Dans les stades 3 et 4 quand une chirurgie curative n’est pas possible et au moment d’une récidive loco-régionale ou de l’apparition de métastases à distance après une chirurgie curative, les principes suivants peuvent être appliqués :
— retour chirurgical quand toute la tumeur peut être retirée (récidive locale, métastase du foie ou du poumon isolée) — désengagement tumoral peut aider à diminuer les complications loco-régionales ou l’hypersécrétion tumorale ; la chimioembolisation et la radio-fréquence peuvent également être des gestes utiles.
— La chimiothérapie systémique par Op’DDD devient indispensable en général comme première ligne de traitement. Lorsque l’Op’DDD est inefficace ou lorsqu’il perd son efficacité, d’autres schémas thérapeutiques doivent être envisagés comme discutés plus loin.
PERSPECTIVES
Des travaux récents de recherche en particulier l’analyse transcriptionnelle des tumeurs de la surrénale [24, 25] nous offrent déjà des résultats encourageants pour nous aider à mieux distinguer les tumeurs malignes des tumeurs bénignes et éventuellement à pointer des cibles pharmacologiques [26].
C’est ainsi que sont reconnus des mécanismes physiopathologiques tumoraux qui impliquent la voie de IGF2 et du récepteur de type 1 de l’IGF, la voie Béta Caténine
[27], l’importance aussi des voies angiogéniques. Il est possible que dans l’avenir de nouvelles molécules soient efficaces.
Dans la mesure où le corticsurrénalome est une maladie rare, il est absolument indispensable que la recherche et la prise en charge des patients soient organisées au niveau national et international à l’intérieur de réseaux. Ces réseaux (COMETE en France, GANIMED en Allemagne, NISGAT en Italie et ENS@T en Europe) rendent possible l’harmonisation des méthodes d’investigations et la mise en commun de patients pour des essais thérapeutiques, comme c’est le cas avec l’essai Européen FIRM-ACT [http// : www.firm-act.org] dans les formes avancées (métastatiques) de corticosurrénalomes.
Dans ce contexte, une étude récente associant les Réseaux Italiens et Allemands semble indiquer, sous réserve des limites d’une approche rétrospective, multicentrique, non-randomisée, que le Mitotane donné en adjuvant après chirurgie dite « curative », augmente la durée sans récidive, et, probablement, la survie globale [28]. Un sujet qui reste débattu…[29, 30].
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[29] GOLDWASSER F. and BERTAGNA X. — Chemotherapy for adrenal cortical cancer in Adrenal Cancer, Ed. X. Bertagna, John Libbey Eurotext 2006, pp : 59-70.
[30] BERTHERAT J., COSTE J., BERTAGNA X. — Adjuvant mitotane in adrenocortical carcinoma. N.
Engl. J. Med ., 2007, 357( 12),1256-7.
DISCUSSION
M. Yves CHAPUIS
Le réseau Comète permet un suivi prolongé. Dans la survie, l’indication et la technique chirurgicales sont de nature à jouer un rôle. Pensez-vous qu’il sera possible par ce moyen de mieux orienter les indications et les gestes d’exérèse. Dans la série des soixante-quatorze cortico-surénalomes (C.S.) que j’ai publiée en 1997, il y avait cinq C.S. stade I alors que dans la même série, des adénomes non sécrétants bénins étaient également opérés. Peut-on espérer voir le Pet-Scan au 18 FDG identifier à coup sûr les adénomes malins ? Les examens élaborés des pièces permettront-ils d’orienter le traitement complémentaire après exérèse ?
Seule la chirurgie, aujourd’hui, permet la guérison d’un corticosurrénalome. Il est crucial de ne prendre aucun risque devant une tumeur « localisée » ; c’est la raison pour laquelle la plupart recommandent d’éviter la vidéochirurgie devant une tumeur de la surrénale possiblement maligne, car on augmenterait le risque d’ensemencement tumoral. Dans cet esprit il est vraisemblable que le Pet-Scan au 18 FDG apportera un élément très performant pour le diagnostic de malignité en pré-opératoire. Des études dans ce sens doivent sortir dans les prochains mois qui valideront cette approche. Les examens de pièces tumorales se limitaient classiquement à l’anatomie pathologique, dont on sait les limites. Aujourd’hui les approches moléculaires (pertes d’allèles, surexpression d’IGF 2, profil génétique du transcriptome) semblent beaucoup plus performantes, pour porter le diagnostic de malignité, et pour apprécier le pronostic. Ces données pèsent sur le choix d’un traitement adjuvant après chirurgie « complète » d’une forme localisée.
M. Christian NEZELOF
Quelle est la place des prélèvements veineux sélectifs dans le diagnostic différentiel adénome/cortico-adrénocarcinome ? Il existe un contraste entre la banalité et la fréquence des adénomes corticosurrénaliens (adénomes bruns, incidentalomes) et la rareté relative des cortico-adrénocarcinomes) et la rareté relative des cortico-adrénocarcinomes. A-t-on fait des explorations moléculaires dans ce qu’on appelle les adénomes ?
Les prélèvements veineux sélectifs ne sont pas utilisés dans le diagnostic différentiel adénome/corticosurrénalome. Cette technique est réservée à l’exploration des hyperaldostéronismes primaires, quand on cherche à identifier la source (droite ou gauche) de l’hypersécrétion d’aldostérone. Dans ce contexte les lésions surrénaliennes sont pratiquement toujours bénignes. Les adénomes sont de fait beaucoup plus fréquents que les corticosurrénalomes. Les anomalies moléculaires décrites plus haut sont , par définition, spécifiques des corticosurrénalomes (les adénomes servant de « contrôles »). Récemment notre groupe a révélé la fréquence de mutation de la béta-caténine dans les adénomes.
M. Charles-Joël MENKÈS
Nous avons vu, il y a quelques années, avec le professeur Jean-Paul Luton, un jeune garçon qui consultait pour une ostéoporose fracturaire grave. Avez-vous eu l’occasion de rencontrer de tels cas exceptionnels ?
C’est une situation rare, que nous avons peu rencontrée. Dans ce cas l’importance de l’hypercortisolisme peut entrainer les complications classiques du syndrome de Cushing.
M. Claude JAFFIOL
Quelle est la spécificité du Pet-Scan au F. glucose pour le diagnostic de malignité des corticosurrénalomes ? Les critères traditionnels de malignité des incidentalomes restent-ils valables à la lumière des nouvelles explorations ? (taille de la tumeur-scanner)
La captation de 18-FDFG est accrue dans les tissus dont le métabolisme du glucose est augmenté, avec, en général, surexpression du transporteur de glucose (Glut-1). C’est une caractéristique classique des tumeurs malignes, par opposition aux tumeurs bénignes.
Les tissus inflammatoires, pour cette même raison, fixent fortement le FDG. Des fixations faussement positives peuvent être observées en pos-opératoire. Les critères traditionnels de malignité des incidentalomes surrénaliens (taille, densité au scanner) gardent leurs valeurs…et leurs limites. Le pet scan au FDG distingue les adénomes pauvres en graisses, dont les caractéristiques au scanner ne sont pas typiques d’une lésion bénigne.
M. Jean-Yves LE GALL
Un certain nombre de cortico-surrénalomes relèvent de mutations germinales (sc : mutations de p53 dans le syndrome de Li et Fraumeni). Retrouvez-vous des différences dans les profils transcriptomiques qui permettent de rattacher la tumeur du gène muté ?
Il s’agit, pour nous, de tumeurs rares, pour lesquelles nous n’avons pas la réponse.
M. Jean-Louis CHAUSSAIN
Quelle est la place du traitement par Op’DDD dans la réduction du volume tumoral des tumeurs jugées inopérables ? Les formes de corticosurrénalome avec féminisation avancée sont considérées en pédiatrie comme de mauvais pronostic. Ceci est-il vrai chez l’adulte ?
C’est effectivement une approche classique permettant de distinguer les patients (répondeurs) qui bénéficieront d’une chirurgie de deuxième intention. Une étude récente du Anderson Cancer Center, va dans ce sens. Les corticosurrénalomes sécrétant des estrogènes sont rares, et ne portent pas un pronostic différents chez l’adulte. L’hypersécrétion de cortisol est, dans certaines études, associée à un pronostic moins favorable.
* Service des Maladies Endocriniennes et Métaboliques, Hôpital Cochin — Paris, Faculté de médecine Paris- Descartes, Université Paris 5, Centre de Référence des Maladies Rares de la Surrénale, Unité de Pilote de Coordination INCa, Cancers de la Surrénale, Réseau COMETE Tirés à part : Professeur Xavier BERTAGNA, même adresse Article reçu le 10 juillet 2007, accepté le 15 octobre 2007
Bull. Acad. Natle Méd., 2008, 192, no 1, 87-103, séance du 22 janvier 2008