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Session of 22 mai 2012

Le centre franco-chinois de formation à la médecine d’urgence et de catastrophe (CFCFMUC). Un exemple de coopération entre la France et la Chine

MOTS-CLÉS : chine. coopération nternationale. formation médicale continue. médecine d’urgence
The sino-french emergency and disaster medicine training center
KEY-WORDS : china. education, medical, continuing. emergency medicine. international cooperation

Jean-Louis Pourriat *, Benjamin Dahan **, Claude Lapandry ***

Résumé

Durant les quatre années précédant les jeux olympiques (JO) de Pékin, une coopération inter-hospitalière entre Paris (Assistance Publique — Hôpitaux de Paris ; AP-HP) et Pékin (Bureau de la Santé), soutenue par un mécénat du groupe Total, a eu pour objectif l’amélioration des connaissances en médecine d’urgence de trente urgentistes chinois. Le succès de cette coopération incita à la rendre pérenne en créant en 2008 le Centre FrancoChinois de Formation à la Médecine d’Urgence et de Catastrophe de Pékin. Ce Centre, dont la vocation première est de dispenser des formations de haut niveau aux médecins urgentistes de la capitale, se dota en 2010 d’un simulateur médical de haute fidélité de dernière génération dont la méthode pédagogique s’impose désormais comme un moyen efficace de formation des équipes médicales. Le but de cet article est de montrer les résultats positifs, diplomatiques et pédagogiques, de cette expérience.

Summary

French (AP-HP) and Chinese (Beijing Health Office) hospitals, with support from the French company Total, collaborated in order to improve Chinese doctors’ knowledge of emergency and disaster medicine prior to the Beijing Olympic Games. A Sino-French emergency and disaster medicine training center was subsequently opened in Beijing in 2008, with the aim of providing high-level continuous medical training for Chinese specialists in emergency medicine. Teaching in the management of critical situations was based on the use of a latest-generation simulator (Sim 3G ; Laerdal). This collaboration has had both pedagogical and diplomatic benefits.

INTRODUCTION

Le boom économique chinois, la forte croissance, le développement rapide d’une société de plus en plus urbaine, ont représenté ces dernières années un défi sans précédent pour les autorités sanitaires du pays le plus peuplé du monte. Le système de santé, largement financé par l’État au début de la République Populaire de Chine, avait permis, entre 1952 et 1982, des avancées considérables en terme de santé publique. L’adoption d’une économie de marché, à la fin des années 70, appliquée au domaine de la santé a été à l’origine, lors des deux décennies qui ont suivi, d’un développement très inégalitaire et aléatoire du système de santé [1]. En 2003, l’épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), qui toucha durement les structures hospitalières chinoises, mit en lumière les failles du système de santé en matière de gestion des urgences sanitaires et d’organisation des structures d’urgences hospitalières. Dès lors, les pouvoirs publics locaux prirent conscience de la nécessité de moderniser leur système de soins et de mettre à niveau les structures d’urgences pour faire face aux nouveaux risques sanitaires et répondre aux besoins des populations [2, 3]. La municipalité de Pékin, cinq ans avant les jeux olympiques (JO) de 2008, se tourna vers les autorités françaises pour obtenir de l’aide à la formation des personnels d’urgence et à l’organisation du système d’urgences de la ville [4]. Un partenariat entre le Bureau de la Santé de Pékin, l’Ambassade de France en Chine, l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et le groupe Total fut mis en place en vue de former des médecins urgentistes chinois avant les JO. Le succès de cette coopération incita à la rendre pérenne en créant en 2008 le Centre Franco-Chinois de Formation de la Médecine d’Urgence et de Catastrophe (CFCFMUC) de Pékin. Ce Centre, dont la vocation première est de dispenser des formations de haut niveau aux médecins urgentistes de la capitale, se dota en 2009 d’un simulateur médical de haute fidélité de dernière génération dont la méthode pédagogique s’impose désormais comme un moyen efficace de formation des équipes médicales [5]. Le but de cet article est de montrer les résultats positifs de cette expérience, tant sur le plan diplomatique que pédagogique.

 

Matériel — méthode

Contexte historique

Depuis le début des années 80, l’un d’entre nous * avait pu appréhender la réalité sanitaire chinoise au travers des missions d’évacuation sanitaire puis de cycles de conférences sur les thématiques de réanimation et de médecine d’urgence.

Par la suite, la participation aux Journées Médicales Françaises Itinérantes **, dans plusieurs provinces chinoises, avait enrichi cette expérience par le tissage de liens avec différents leaders, notamment les responsables du Bureau de la Santé de Pékin ***. Ces journées, organisées par l’Ambassade de France consistaient à faire intervenir des spécialistes français, de notoriété nationale et internationale, dans le cadre de conférences générales puis d’organiser des tables rondes réunissant une trentaine d’experts et décideurs de politiques de santé. Plus d’un millier de médecins chinois et de cadres du système sanitaire ont assisté à ces conférences. Ces médecins pour la plupart francophones et francophiles, avaient étudié dans les filières francophones des universités chinoises de médecine ou avaient effectué une formation en France.

C’est dans ce contexte qu’en 2003, les autorités de Pékin s’étaient tournées vers l’Ambassade de France pour solliciter un soutien technique à la formation de leurs personnels d’urgences en vue des JO de 2008. L’entreprise Total, qui avait déjà apporté une importante aide matérielle au gouvernement chinois lors de la crise de 2003, fut associée dès la genèse du projet de coopération. Ainsi, entre 2005 et 2008, Total finança pendant trois ans la formation, en France, de trente médecins urgentistes chinois (10/an). Puis, en 2008, des formations de grande ampleur, furent organisées par les enseignants français, à Pékin avant les JO. Celles-ci se déroulèrent sans problème majeur et la compétence médicale et organisationnelle du groupe des trente fut largement soulignée. Par la suite, on fit appel à leurs compétences pour secourir les blessés du tremblement de terre de Wenchuan, dans le Sichuan.

Le 3 décembre 2008, un accord de partenariat était signé à Pékin entre le Bureau de la Santé de Pékin, l’Ambassade de France en Chine et le groupe Total, pour la création du CFCFMUC. Ce centre est opérationnel depuis maintenant quatre ans et il va, dans un avenir proche, servir de base logistique à un master franco-chinois en médecine d’urgence et de catastrophe.

Objectifs

Les objectifs du Centre sont pédagogiques et diplomatiques.

* Jean-Louis Pourriat.

** Novembre 2008, avril 2009.

*** D’une manière simplifiée, on peut faire l’analogie entre le bureau de la santé de Pékin qui regroupe 18 hôpitaux universitaires, et son homologue l’APHP qui, quant à elle, regroupe 26 hôpitaux universitaires (aigus) de Paris et de sa périphérie.

 

Sur le plan pédagogique, les missions du CFCFMUC sont les suivantes : organisation de séminaires de haut niveau, promotion de la recherche clinique en médecine d’urgence, organisation de visites d’échange et de travail, mise en place d’un centre de formation par simulation, aide à la reconnaissance universitaire de la spécialité.

Sur le plan diplomatique, l’objectif commun principal des trois partenaires est d’améliorer les soins d’urgence à Pékin. Les objectifs secondaires étaient, pour le Bureau de la Santé de Pékin, initialement de faire face au défi des JO ; aujourd’hui, il s’agit d’améliorer la prise en charge des urgences hospitalières et préhospitalières (centre 120). Pour l’Ambassade de France en Chine, l’objectif est de favoriser un projet de coopération à même de mettre en valeur en Chine l’excellence française en matière de médecine d’urgence et de contribuer ainsi au rayonnement de la France en Chine. Pour Total, en exerçant sa responsabilité sociale d’entreprise, l’objectif est d’être accepté comme un acteur légitime en Chine en mettant en valeur, par l’intermédiaire d’un mécénat, un domaine français d’excellence ****.

Le CFCFMUC

Description

Le CFCFMUC est situé dans l’enceinte de l’hôpital universitaire d’Anzhen de Pékin. Il s’étend sur 600 m2 avec plusieurs salles de formation, des bureaux, et surtout deux salles spécifiquement destinées à la formation par simulation.

Le simulateur est placé au centre, dans une pièce de la taille équivalente à une chambre de réanimation, équipée de tout l’équipement médical standard de médecine d’urgence. La salle de contrôle est une pièce adjacente équipée des dispositifs informatiques de commande du simulateur et des outils audio et vidéo. Une vitre sans tain permet d’observer les séances de simulation depuis cette salle. La salle de débriefing, dispose d’un écran sur lequel sont projetées en direct les séances de simulation, et qui permet de revisionner la séance lors des débriefings. Ces trois salles sont reliées entre elles par un dispositif audio et vidéo, ainsi que par WIFI.

Fonctionnement

Le CFCFMUC est géré conjointement par les chinois et les français. Un conseil d’administration est co-dirigé par le Directeur du Bureau de la Santé de Pékin et par l’Ambassadeur de France en Chine. Un comité scientifique, composé de membres chinois et français se réunit plusieurs fois par an pour définir le programme et les orientations pédagogiques. Un coordinateur médical français, médecin urgentiste basé en Chine, en collaboration avec le directeur chinois du bureau du Centre, veille **** La présence en Chine de Total est d’une importance stratégique essentielle, ce pays représente à la fois une zone de production (ressources gazières notamment), un marché en pleine expansion, et le siège d’autres géants de l’industrie pétrochimique, comme CNOOC, Sinopec et Petro China.

à l’organisation pratique des formations et au bon fonctionnement quotidien du Centre. Ce poste est assuré par un interne du DESC de médecine d’urgence, en poste à Pékin pour une année de post-internat. A la date d’aujourd’hui, trois coordinateurs se sont déjà succédés *****.

Le simulateur

En janvier 2010, le SimMan 3G du CFCFMUC fut le premier à être livré en Chine Continentale. Dernier né de la gamme de simulateurs, il a été choisi pour ses qualités techniques (WIFI), sa relative simplicité d’utilisation, l’offre d’accompagnement et de suivi. Ses caractéristiques techniques en font un outil efficace pour s’entraîner dans des conditions proches du réel.

Résultats

Validation pédagogique

Séminaires de formation

Ils sont animés par des enseignants chinois et français selon un programme précis défini par le comité scientifique. Les enseignants chinois assurent l’enseignement des bases physiopathologiques, cliniques et thérapeutiques de médecine d’urgence et de catastrophe sous forme de journées de formation initiale et de formation continue.

Ces formations s’adressent principalement à des médecins exerçant dans des hôpitaux de niveau 2 (centres hospitaliers de taille intermédiaire) et niveau 3 (dispensaires de quartier). Elles ont lieu une dizaine de fois par an pendant une journée et réunissent environ 70 étudiants par séminaire. Les enseignants français assurent un enseignement de spécialité sous forme de séminaires plus techniques, d’une durée d’une semaine, au rythme de six à sept séminaires annuels. Quatorze enseignants français, professeurs de médecine d’urgence et praticiens hospitaliers ont animé ces séminaires en 2010. Ces séminaires s’adressent à des médecins hospitaliers de haut niveau et référents. Ainsi, en 2010, des thèmes tels que la lecture avancée de l’électrocardiogramme, l’échographie en médecine d’urgence, le traumatisé grave, les maladies émergentes, la place de l’éthique en urgence ont été traités par les enseignants français. En 2010, ces séminaires ont réuni en moyenne 40 médecins par session, divisés en deux groupes de 20 étudiants pour plus d’interactivité. Ces praticiens étaient issus de 30 hôpitaux différents. Les CHU pékinois étaient repré- sentés pour la plupart, quelques étudiants avaient fait le déplacement de Shanghai pour la formation à l’échographie, plusieurs médecins du CHU de Yantai avaient suivis l’ensemble des séminaires. Plusieurs médecins issus des deux organismes de soins pré-hospitaliers, le centre 120 (dépendant de la municipalité) et le 999 (dépen***** Maxime Maignan, Benjamin Dahan, Quentin Silve.

dant de la Croix Rouge) avaient également assisté à ces formations et les responsables de la régulation de ces deux Centres avaient suivi le séminaire de médecine de catastrophe. La municipalité de Pékin et les autorités françaises ont la volonté d’ouvrir ces formations aux hôpitaux des régions limitrophes de Pékin, des médecins issus d’hôpitaux de Mongolie intérieure ont été invités à suivre ces formations en 2011. Lors de ces séminaires, l’accent est mis sur l’interactivité, les échanges et l’organisation d’ateliers pratiques en petits groupes. D’un point de vue technique, les séminaires sont traduits du français vers le chinois par une interprète professionnelle spécialement formée au langage médical, les présentations de diapositives sont traduites en chinois. Chaque séminaire fait l’objet d’une évaluation.

Promotion de la recherche clinique en médecine d’urgence

Elle fait l’objet d’un séminaire spécifique qui porte sur la construction d’un projet de recherche et l’écriture d’un article scientifique en médecine d’urgence.

Un séminaire est également consacré à la présentation des différentes méthodes pédagogiques applicables à la médecine d’urgence au cours duquel, par exemple, la courbe d’apprentissage en échographie abdominale (FAST écho) est analysée [6].

Organisation de visites d’échange et de travail

Le CFCFMUC participe à l’organisation de nombreuses visites de travail d’officiels et de médecins chinois en France. Il aide les médecins chinois désireux de se former en France à trouver des terrains de stage. En 2009, le Centre a été co-organisateur du forum franco-chinois de médecine de catastrophe durant lequel des équipes de secours chinoises et françaises ont pu échanger et présenter leur retour d’expérience.

Simulation comme méthode pédagogique

L’acquisition en 2010 d’un simulateur de dernière génération correspond aux objectifs d’excellence scientifique et pédagogique que le Centre s’est fixé. Il s’agit de l’un des aspects essentiels de cette coopération qui, outre la garantie de la pérennité du Centre, assure un enseignement moderne par simulation qui se concrétise par la formation de formateurs chinois.

Sélection des formateurs

La réussite et la pérennité du laboratoire de simulation médicale au sein du Centre passe avant tout par la formation d’un groupe de formateurs chinois en simulation.

Les séances d’entrainement à la médecine d’urgence sur le simulateur ont vocation à être animées par des formateurs chinois. Douze médecins ont constitué la première promotion de formateurs en avril 2010. Un second groupe de dix médecins a été formé en novembre 2010. Plus de la moitié des médecins formés étaient issus du programme d’échange franco-chinois et avaient séjourné une année en France. Les autres, sélectionnés par le Bureau de la Santé de Pékin, exerçaient en médecine d’urgence préhospitalière, à l’accueil des urgences ou en soins intensifs.

Le soutien du Bureau de la Santé de Pékin ainsi que l’adhésion des chefs de service d’où étaient issus les formateurs ont été essentiels dans la réussite du projet.

La formation se fait en quatre étapes :

Le premier groupe bénéficia d’une formation de deux jours à l’Université de Macao portant sur le fonctionnement technique du SimMan 3G ainsi que sur la maîtrise des logiciels de contrôle du simulateur et d’écriture de scénarios. Cette formation permit de familiariser les futurs formateurs avec le SimMan 3G et de découvrir les capacités techniques de celui-ci.

La deuxième étape a porté sur la pédagogie sous forme d’un séminaire intensif d’une semaine animé par deux d’entre nous ******. Pour une meilleure interactivité, les médecins sélectionnés sont francophones grâce à un apprentissage préalable du français à l’Alliance Française. Les points suivants sont traités : intérêt de la simulation en médecine d’urgence, organisation d’un centre de simulation, organisation d’une session de simulation, conduite d’un débriefing, recherche en simulation, écriture et mise en place de scénarios. Le séminaire se termine par une journée de mise en pratique sur le simulateur. Ce séminaire est soumis à une évaluation.

La troisième étape est constituée par une auto-formation. Pendant trois mois, des séances hebdomadaires communes d’écriture de scénarios et de passages sur simulateur avec débriefing sont organisées au sein du Centre.

La quatrième étape correspond à la mise en pratique : les formateurs chinois peuvent commencer à animer des séances d’entraînement par simulation.

Évaluation de la formation

À l’issue du séminaire de pédagogie, les médecins chinois répondent à un questionnaire de satisfaction. L’organisation, les qualités pédagogiques et l’interactivité des formations sont largement appréciées ; cependant, initialement certains ont regretté le manque de pratique et la densité trop importante des cours. C’est ce qui a conduit, pour les promotions ultérieures, à poursuivre selon un rythme hebdomadaire l’apprentissage du simulateur. Ces séances ont été poursuivies jusqu’à ce que l’ensemble des formateurs se déclare prêt à encadrer les médecins suivants.

À partir de la fin de l’année 2010, des séances de simulation animées par les formateurs chinois ont été régulièrement organisées au sein du Centre de formation.

Ces formateurs issus de différents hôpitaux universitaires de Pékin ont aussi pu exercer leur expertise dans leurs propres centres universitaires, de nombreux CHU s’étant récemment dotés de simulateurs. Ainsi, à la fois laboratoire de simulation et ****** Drs François Lecomte et G Der Sahakian, PH Urgences Hôtel Dieu-Cochin, enseignants au DU de formation des formateurs à l’formation de la médecine sur simulateur, Paris Descartes.

école de formation pédagogique à la simulation le CFCFMUC est devenu le lieu de référence en terme de simulation médicale dans la région de Pékin.

Reconnaissance de la spécialité de médecine d’urgence

Le CFCFMUC a largement contribué à la création d’une spécialité universitaire de médecine d’urgence, à la fois par la présentation des réalisations étrangères, mais aussi par la démonstration qu’un enseignement spécifique sur les urgences médicales et chirurgicales permet d’envisager, en termes de santé publique, des conséquences positives sur la morbidité et la mortalité, notamment en traumatologie routière [7, 8] et en pathologie coronarienne [9].

Au-delà de la création de la spécialité, une coopération entre la « Medical Capitale University » et l’Université Paris Descartes est en cours de constitution avec pour but, dans un premier temps, de créer un master de médecine d’urgence et à terme de promouvoir la création d’une filière francophone d’enseignement de la médecine à Pekin.

Validation diplomatique

Le CFCFMUC, projet phare de la coopération sanitaire française en Chine, a reçu la visite depuis sa création de nombreuses personnalités : Madame Annie Podeur, responsable de la DGOS en 2009, Madame Roselyne Bachelot, Ministre de la Santé en 2010, Madame Nora Berra, Secrétaire d’Etat à la Santé en 2011. Monsieur Chen Zhu, Ministre chinois de la Santé a manifesté régulièrement son soutien à cette expérience.

DISCUSSION

Le résultat essentiel de cette coopération franco-chinoise est d’avoir atteint un double objectif grâce à la création pérenne d’un centre franco-chinois de formation : — valorisation du modèle français de médecine d’urgence, — développement de la simulation comme méthode pédagogique.

Le modèle français de médecine d’urgence

Concernant la prise en charge préhospitalière, le modèle français, largement adopté en Europe, est différent du modèle anglo-saxon, qui repose sur l’envoi auprès du patient de secouristes « paramedics » dont la mission est de convoyer dans les plus brefs délais le patient dans le service des urgences du secteur (« scoop and run ») avec éventuel transfert secondaire vers un autre établissement en cas de besoin. Le modèle français (« stay and play ») repose sur trois éléments essentiels : — une régulation téléphonique de l’appel, effectuée par un médecin urgentiste, qui selon la gravité, délivre une réponse graduée : conseil téléphonique, envoi d’une ambulance ordinaire (non médicalisée) ou d’un médecin généraliste ou d’une ambulance de réanimation. — L’établissement d’un prédiagnostic sur site avec la prise en charge médicale immédiate des éventuelles défaillances vitales, — le transfert vers le service hospitalier le plus adapté, sans nécessité de transfert secondaire. Certaines provinces chinoises ont choisi de s’inspirer du modèle anglo-saxon ; d’autres, comme Pékin, ont préféré le modèle français. La nature des pathologies prises en charge dans les services d’urgences à partir des années 2000 tend à se rapprocher de celles rencontrées dans les services occidentaux. Le vieillissement de la population, les modifications alimentaires (enrichissement de l’apport calorique et lipidique) ont favorisé l’accroissement des maladies cardio-vasculaires. La part de traumatisme de la route dans la municipalité de Pékin, reste elle aussi très importante.

Après maintenant quatre années de coopération, les résultats ne sont que partiellement positifs en raison d’un contexte socioculturel : — l’appel au « 120 » (équivalent du 15 en France et dépendant de la municipalité) ou au 999 (numéro privé dépendant de la Croix Rouge chinoise) est devenu la règle pour la population, mais encore trop d’appels sont régulés par les permanenciers qui envoient de façon quasi systématique une équipe médicale et qui orientent le patient sur les urgences du secteur quelle que soit sa pathologie. Cette orientation sur les urgences du secteur est largement favorisée par la forte concurrence entre les établissements. La mauvaise couverture maladie de la majorité de la population limite aussi considérablement l’efficacité de la régulation pré-hospitalière, il est par exemple impensable d’envoyer un patient en urgence en salle de cathétérisme cardiaque sans avoir au préalable vérifié sa solvabilité auprès de sa famille. Il en résulte souvent un long passage par le service d’urgences du secteur. La destination dépend aussi du cout financier des soins à l’arrivée à l’hôpital. Dans un CHU de niveau 3 la consultation aux urgences pour un motif médical est facturée avec le bilan biologique et la radiographie pulmonaire environ 1000 RMB (120 euros) généralement à la charge de la famille du patient. A titre indicatif le salaire minimum est d’environ 1200 RMB par mois et la pension d’un ouvrier retraité 2300 RMB. — La qualité de la médicalisation sur place est variable car les médecins préhospitaliers sont en général moins bien formés, moins rémunérés et ils exercent exclusivement en extrahospitalier. Dans le passé, outre leur défaut de reconnaissance, ils ne disposaient pas d’une réelle autonomie en terme de décision médicale et, bien que l’équipement des ambulances le permettait, rares étaient ceux qui osaient initier une ventilation mécanique ou débuter un quelconque traitement. Grâce à l’année passée en France durant laquelle plusieurs d’entre eux ont été affectés dans les SAMU et les SMUR de l’APHP, grâce au CFCFMUC où des séminaires de haut niveau leurs ont été ouverts, grâce à la promotion d’une spécialité de médecine d’urgence, les comportements se sont modifiés permettant ainsi dans plusieurs quartiers de Pékin de médicaliser des interventions notamment en traumatologie urbaine…

Concernant la prise en charge hospitalière , plusieurs secteurs ont bénéficié du partenariat franco-chinois. Ainsi, jusqu’à une période récente, les urgences n‘étaient pas des structures autonomes, les médecins affectés aux urgences étaient le plus souvent détachés d’autres services et l’absence de spécialité de médecine d’urgence, évoquaient une situation qui ressemblait fort à celle que nous connaissions en France au début des années 80. Une autre caractéristique, universelle celle-ci, était l’encombrement majeur des structures, en lien avec l’augmentation régulière du nombre de passages et des difficultés à hospitaliser les patients en raison du manque de lits d’aval [10]. Cet encombrement prend un relief particulier en Chine pour plusieurs raisons : — Les hôpitaux chinois sont classés en trois niveaux : le niveau trois correspond à nos CHU français ; ce sont des hôpitaux universitaires de grande taille bénéficiant de moyens importants. Les hôpitaux de niveau deux sont intermédiaires avec ceux du niveau un, proches d’un dispensaire de quartier. Compte tenu de la liberté de circulation, les patients ont plutôt tendance à venir consulter dans les services d’urgences des hôpitaux de niveau trois, malgré le coût plus élevé des soins (en règle générale totalement à leur charge), et le risque majeur d’attente prolongée, — les consultations et les urgences ont le même le même guichet d’entrée et les soins se déroulent sur le même lieu, — la perfusion, habitude culturelle en Asie, offre ce spectacle étonnant où plusieurs dizaines de fauteuils, sont tous occupés par des patients qui reçoivent pour leur plus grand bien une perfusion de glucosé ou de sérum physiologique.

À l’évidence, cette réalité socioculturelle n’a pu être réglée à Pekin comme elle ne l’est nulle part ailleurs dans le monde [11]. Cependant, le travail coopératif avec les collègues chinois a fait progresser la réflexion (et l’action) dans plusieurs domaines :

— grâce à la volonté affirmée du Ministère chinois de la Santé, relayée par le Bureau de la Santé, la restructuration des services d’urgence s’est accélérée, avec des médecins formés à l’urgence et spécifiquement affectés dans ces services ; — le triage des patients à l’arrivée, par une infirmière d’accueil et d’orientation, spécifiquement dédiée à la tâche d’établir des priorités de passage en fonction de la gravité, a fluidifié la chaîne de soins ; — la création de la spécialité de médecine d’urgence, avec des échanges réguliers entre Paris et Pékin a largement contribué à l’amélioration de la qualité des soins et l’enseignement de la médecine de catastrophe a permis de donner une cohérence entre le préhospitalier (au contact de la catastrophe) et l’hospitalier (accueil programmé des blessés dans le cadre du plan blanc).

Les modifications d’organisation des services d’urgences de nombreux CHU sont le reflet le plus apparent des résultats du programme de coopération franco-chinois en médecine d’urgence. La généralisation de l’IAO, du triage des patients, de la salle de soins d’urgences vitales sont observables dans de nombreux CHU. La jeune géné- ration de médecins chinois formés en France entre 2004 et 2008 occupe aujourd’hui des postes à responsabilité dans leurs services et influe directement sur l’organisation de ceux-ci. Le chef de service des urgences de l’hôpital Meitan, le chef de service du département international de l’hôpital sino-japonais, le chef des soins intensifs de l’Hôpital Friendship, le chef de la régulation du 120, le directeur adjoint des urgences de l’hôpital Beida… ont tous passés un an en France dans le cadre du programme d’échange. Aujourd’hui ces services répondent en terme d’organisation à des normes occidentales. La vocation du Centre est aujourd’hui de favoriser ces échanges à long terme dans le cadre d’une coopération de haut niveau interuniversitaire.

La simulation comme méthode pédagogique

La pratique de la simulation en médecine répond à une problématique pédagogique essentielle, celle de former les médecins sans faire courir de risques aux patients. Elle permet également de former au travail en équipe, de faire face à des situations de crise, de former à des pathologies graves ou rares.

Bien que la dissection des cadavres dans les écoles de chirurgie fut une première approche de la simulation, c’est la gestion des situations de crise, empruntée au monde de l’aviation, qui, appliquée à l’anesthésie, a marqué le début de cette technique pédagogique dans le domaine de la médecine [12, 13].

La simulation englobe toute technologie ou processus recréant un contexte et un environnement proche du réel permettant à l’apprenant de se former de façon sécurisée. Elle permet ainsi de se confronter aussi bien à des pathologies fréquentes qu’à des pathologies d’urgence vitale rarement rencontrées.

La simulation médicale s’inscrit dans un projet précis, et dans le respect d’un « cercle d’apprentissage », elle doit répondre à des objectifs prédéfinis et peut être adaptée au niveau des apprenants [14]. Le « cercle d’apprentissage », qui intègre la simulation dans le processus de formation, commence avec l’acquisition de connaissances théoriques ; il se poursuit avec la maitrise des gestes techniques puis par l’apprentissage des algorithmes de prise en charge, enfin par la mise en place des stratégies de travail en équipe qui peut alors avoir lieu sur un simulateur de haute fidélité. La dernière étape est la mise en application des connaissances sur le patient, dans des conditions de sécurité rendues optimales par les étapes précédentes.

Aujourd’hui, la simulation médicale s’étend à de nombreux domaines, médecine d’urgence, chirurgie, obstétrique, pédiatrie, psychiatrie… En médecine d’urgence, elle représente un outil pédagogique de choix, tout à fait adapté aux situations et pathologies rencontrées. Les avancées techniques permettent d’améliorer le réalisme des simulateurs humains (larmes, cyanose, modification des pupilles, convulsions, ampliation thoracique, pouls…) et d’adapter leur usage aux conditions particulières du préhospitalier.

L’enseignement de la médecine en Chine suit en règle générale une approche centrée sur l’enseignant, avec une transmission passive des savoirs de l’enseignant vers les apprenants à l’occasion de cours magistraux généralement très fréquentés. Ce paradigme de formation est renforcé par la culture confucianiste très présente, qui inscrit le respect et la soumission de l’étudiant vis à vis de son professeur comme des vertus importantes [15]. Dès lors, l’application dans ce contexte des principes pédagogiques de la simulation médicale, centrés à la fois sur l’apprentissage (l’acquisition de compétences) et sur l’apprenant (réponse aux besoins de l’apprenant), représente une petite révolution pour les étudiants chinois. Tout particulièrement lors du débriefing de la séance de simulation, l’enseignant tient plus alors un rôle de facilitateur que de directeur de l’apprentissage [16]. Le travail d’apprentissage est partagé entre les apprenants et l’enseignant. Ajouté à cela, la notion primordiale dans la culture chinoise de « face », où la perte de « face » représente une des plus graves atteintes à la dignité humaine et l’on mesure alors tout le défi de l’implantation de l’entraînement par simulation. Comment dans ce contexte affronter le débriefing, le travail sur vidéo, le regard de ses pairs ? Il nous a fallu expliquer que la simulation ne sert pas à juger l’apprenant, mais à lui permettre de s’exercer en toute sécurité. Le débriefing n’est pas une séance de mise en accusation, mais une séance d’auto- analyse et de retours partagés entre les membres d’une équipe.

CONCLUSION

Le CFCFMUC de Pékin est un exemple de diplomatie sanitaire française en Chine et illustre les possibilités qu’un partenariat public — privé peut accomplir en terme de coopération internationale. Cependant, dans le cas présent, si certes nos résultats sont largement positifs, la modestie doit rester de mise en soulignant plusieurs points : — les échanges ont été bilatéraux et les collègues chinois nous ont largement sensibilisés à des domaines frontières à l’urgence comme la gestion des grands nombres, la place essentielle de la médecine d’urgence dans la future réforme du système de santé et comme observatoire de santé publique ; — Il s’agit d’une réalisation parmi d’autres en médecine d’urgence. Nonobstant le nombre important de collaborations, toutes spécialités confondues, on peut ainsi citer en médecine d’urgence, le diplôme interuniversitaire de médecine d’urgence entre l’université Paris Diderot et l’université de Wuhan (Pr B. Riou), ainsi que la coopération de longue date entre l’université Paris Descartes et la province de Shanghai (Pr. P.

Carli), qui a permis notamment d’organiser le 12 mai 2010 un séminaire francochinois sur la médecine d’urgence au pavillon français de l’exposition universelle de Shanghai. Ces partenariats sont révélateurs, d’une part des demandes importantes des autorités chinoises d’aide à l’organisation de leurs structures d’urgence et, d’autre part, de la vitalité de la médecine d’urgence française et de la vocation du modèle français à s’exporter. A terme, avec les progrès considérables de la médecine et de la recherche en Chine, ces coopérations s’éloigneront d’un modèle d’échange « nord-sud » pour évoluer vers des coopérations horizontales de haut niveau, notamment dans le cadre d’échanges interuniversitaires.

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<p>* Urgences, Hôtel-Dieu, Place du Parvis Notre-Dame — 75004 Paris ; e-mail : jean-louis.pourriat@htd.aphp.fr Tirés à part : Professeur Jean-Louis Pourriat, même adresse Article reçu le 28 octobre 2011, accepté le 7 novembre 2011</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2012, 196, nos 4-5, 1017-1029, séance du 22 mai 2012