Résumé
Une série de 3 000 transplantations rénales adultes a été analysée. Les principales complications chirurgicales survenant sont les complications vasculaires dans 7,4 % des cas et urinaires dans 9,8 % des cas. Les thromboses artérielles ou veineuses et les fistules urinaires étaient les plus graves. Plusieurs approches chirurgicales ont permis d’en réduire la fré- quence : l’implantation de l’artère rénale dans l’artère iliaque externe plutôt qu’interne a été associée à une réduction du taux de sténoses de l’artère rénale de 18,8 % à 8,9 %. L’allongement de la veine rénale droite a été associé à une réduction du taux de sténose de l’artère rénale de 15,9 % à 9,5 %. Les fistules urinaires étaient précoces et leur fréquence a été réduite de 6,6 % à 2,8 % avec l’utilisation de sondes JJ. A l’inverse, les sténoses urinaires sont une complication tardive dont la fréquence reste élevée (5,4 %). Le traitement médical exclusif des sténoses de l’artère rénale était possible dans 94 % des cas et les résultats de la chirurgie et de la dilatation en radiologie interventionnelle étaient identiques avec un taux de succès de 82 %. Il est donc préférable de dilater les sténoses artérielles en cas d’échec d’un traitement médical. Les traitements endourologiques des complications urinaires avaient un taux de succès de 64 % pour les fistules et de 46 % pour les sténoses. L’analyse de cette série et de la littérature montre l’importance d’améliorer la technique du prélèvement et de réduire la durée de l’ischémie froide qui est un facteur de retard de reprise de la fonction rénale.
Summary
This article reviews a series of 3 000 consecutive kidney transplantations. Vascular and urinary complications occurred in respectively 7.4 % and 9.8 % of recipients. Arterial and venous thrombosis and urinary fistulas were the most serious complications. The frequency of arterial stenosis fell from 18.8 % to 8.9 % when the artery was implanted in the external rather than the internal iliac artery. The frequency of artery stenosis fell from 15.9 % to 9.5 % when the right renal vein was extended by using the transected cadaver vena cava. Urinary fistulas were an early complication, but their incidence fell from 6.6 % to 2.8 % with the use of JJ stents. Urinary stenosis remained frequent (5.4 %) despite the use of JJ stents. Surgical and endoscopic treatment of renal artery stenosis gave very similar success rates (82 %), indicating that dilation of a stenosed artery is a good option when medical treatment fails. Endourological treatment of urinary complications was successful on 64 % of fistulas and 46 % of stenoses. The results of this series and an analysis of the literature show the importance of improving the organ harvest technique and reducing the cold ischemia time, which is the main reason for delayed recovery of graft function.
INTRODUCTION
Depuis les premières transplantations rénales [1], les complications vasculaires et urinaires restent fréquentes malgré le perfectionnement des techniques chirurgicales [2-12]. Une série de trois mille transplantations rénales réalisées par la même équipe médico-chirurgicale de 1971 à 2010 a été analysée. Toutes les données ont été enregistrées de façon prospective. L’objectif de ce travail est d’analyser les complications urinaires (fistules urinaires, sténoses urinaires, calculs) et vasculaires (thromboses artérielles, thromboses veineuses, sténoses de l’artère rénale, anévrismes mycotiques) et d’en préciser les principaux facteurs de risques chirurgicaux, leur prévention et leur traitement.
PATIENTS ET MÉTHODES CHIRURGICALES
Donneurs : 987 donneurs cadavériques, dont 102 sur donneurs à cœur arrêté, et 220 reins donneurs vivants, ont été prélevés localement. Les reins cadavériques étaient prélevés sans patch aortique (n=535) au début de notre expérience, puis avec patch (n=2 245) après 1977. A partir de 1984, la veine cave était prélevée avec le rein droit pour en allonger sa veine [13]. Des lésions athéromateuses ont été objectivées sur 274 greffons. Des artères multiples étaient retrouvées sur 733 greffons avec patch et sur 146 sans patch. Dans 27 cas, il a été noté qu’une l’artère polaire inférieure avait été sectionnée.
Transplantations : 1 472 reins droits et 1 528 reins gauches ont été greffés. La transplantation rénale a été réalisée isolement dans 2 760 cas, associée à une transplantation hépatique dans 118 cas, à une transplantation pancréatique dans 122 cas et 36 bigreffes ont été réalisées. Il s’agit de premières transplantations rénales (n=2 682) réalisées alors en fosse iliaque droite, de deuxièmes greffes en fosse iliaque gauche (n=293), avec anastomose urétéro-vésicale dans les deux cas. Les troisièmes greffes (n=22) étaient faites en position haute à droite, avec anastomose veineuse dans la veine cave, artérielle dans l’artère iliaque commune et urinaire dans l’uretère.
Réimplantations vasculaires : au début de notre expérience, les artères rénales ont été réimplantées en termino-terminal dans l’artère iliaque interne (n = 458), puis à partir de 1983 l’artère rénale a été réimplantée dans l’artère iliaque externe, avec un patch. La veine a été réimplantée dans la veine cave (n=212), puis à partir de 1984, dans la veine iliaque externe (n=2 788). Les artères rénales doubles prélevées sans patch étaient anastomosées en canon de fusil (n=112) puis réimplantées en latéroterminal, ou réimplantées séparément dans l’artère iliaque externe [6]. Huit cent neuf reins droits ont eu un allongement de la veine rénale. Deux cent dix sept receveurs avaient de l’athérome sur l’artère iliaque externe, dont dix patients qui ont eu une endartériectomie lors de la transplantation. Pour dix autres, l’anastomose artérielle a été faite dans une prothèse vasculaire préalablement implantée (n=8) ou mise en place lors de la transplantation (n=2).
Anastomoses urinaire : l’anastomose urinaire a été réalisée au début de notre expérience par anastomose urétéro-urétérale (n=286) puis selon la technique de Leadbetter sans endoprothèse urétérale (n= 901) dont quatre réimplantations uré- térales dans une vessie psoïque, puis selon la technique de Grégoir, sans sonde JJ (353 fois) et à partir de 1989 avec une sonde JJ (n=1 448) [14]. Nous avons aussi réalisé douze réimplantations urétérales dans une vessie agrandie avec de l’iléon et dix réimplantations urétérales dans une urétérostomie cutanée de Bricker.
Diagnostic et prise en charge des complications chirurgicales vasculaires :
Le critère diagnostique de thrombose de l’artère rénale était l’occlusion complète d’une artère unique en échographie doppler, ou l’occlusion de l’un des troncs artériels s’ils étaient multiples. Le critère diagnostique de thrombose veineuse était l’occlusion de la veine du greffon en échographie-doppler. Le diagnostic de sténose de l’artère rénale était posé en échographie doppler, confirmé par l’angiographie montrant un rétrécissement du ou d’un des troncs de l’artère rénale.
En cas de thrombose artérielle ou veineuse, les greffons étaient détransplantés. Pour les sténoses de l’artère rénale, trois types de traitement ont été utilisés : le traitement médical de l’hypertension artérielle, suivi selon les périodes, de réparation chirurgicale ou de dilatation endoluminale. Les réparations chirurgicales ont associé une résection de la sténose et une réimplantation directe dans l’artère iliaque, ou une interposition d’un greffon artériel ou saphène. Les dilatations endovasculaires ont été réalisées en radiologie interventionnelle [15-19]. Les anévrismes mycotiques ont été opérés en urgence [20].
Diagnostic et prise en charge des complications chirurgicales urinaires :
Le diagnostic de fistule urinaire était posé par la présence d’urine dans les drains confirmée par la mise en évidence d’une fuite de produit de contraste en imagerie. Le diagnostic de sténose urinaire a été posé en échographie et complété par un uroscanner ou une ponction des cavités rénales.
Le traitement des fistules urétérales consistait au début de notre expérience en une réimplantation urétéro-vésicale en cas de fistule sans nécrose ou une anastomose urétéro-urétérale en cas de nécrose urétérale [21]. À partir de 1986 nous avons développé les techniques endourologiques : mise en place d’une néphrostomie dans les cavités rénales, descente d’une sonde JJ, quand celle-ci n’avait pas été mise lors de la transplantation et aspiration [14, 21-22]. Une réimplantation urétéro-vésicale a été réalisée au début de notre expérience en cas de sténose urinaire localisée et une anastomose urétéro-urétérale en cas de sténose étendue. À partir de 1986 le traitement des sténoses urinaires a consisté en une néphrostomie percutanée, puis en une dilatation et descente d’une endoprothèse. En cas de récidive de la sténose, le malade était réopéré et la technique dépendait de l’uretère du receveur : anastomose urétéro-uretérale pour un uretère utilisable, ou anastomose urétéro-vésicale si l’uretère n’était pas utilisable. Les patients présentant un calcul post-greffe ont été pris en charge avec les mêmes traitements que chez les non greffés [23-25].
RÉSULTATS
Nous avons analysé les patients ayant présenté des complications chirurgicales vasculaires et urinaires puis les avons comparé à la population de malades n’ayant eu aucune complication chirurgicale ni urinaire, ni pariétale, ni vasculaire (n= 1 791).
Nous avons distingué les complications chirurgicales précoces survenant moins de 3 mois après la transplantation, des complications tardives plus de 3 mois après.
Nous avons répertorié 276 complications chirurgicales précoces, 83 vasculaires et 193 urologiques, et 290 complications chirurgicales tardives, 179 complications urologiques, 111 complications vasculaires.
Ces complications influent fortement sur la survie des greffons : celle-ci est de 3,6 ans pour les thromboses artérielles, de 1an pour les thromboses veineuses, de 9,3 ans pour les sténoses de l’artère rénale opérées, de 9,3 ans pour les sténoses dilatées, de 8,4 ans pour les sténoses traitées médicalement. La survie des greffons est de 5ans pour les fistules urinaires, de 7,9 ans pour les sténoses urinaires. À l’opposé la survie des greffons est de 10,4 ans pour les greffés sans complications chirurgicales.
COMPLICATIONS VASCULAIRES
Parmi les complications vasculaires nous avons relevé 73 thromboses d’artère rénale, 30 thromboses de veine rénale et 121sténoses de l’artère rénale (4 %) ayant nécessité un geste interventionnel et 9 anévrismes mycotiques. La morbidité vasculaire était de 7.4 %.
Le taux de sténose de l’artère rénale était significativement plus bas avec les anastomoses artérielles termino-latérales (p=0,0001) Tableau no 1.
Tableau 1. — Fréquence des complications vasculaires selon les différentes anastomoses artérielles Thromboses
Thromboses
Toutes sténoses artérielles veineuses artères rénales
Anastomose artérielle termino2.6 % 4.1 % 18.8 % terminale Anastomose artérielle latéro1.9 % 0.8 % 8.9 % terminale Anastomose artérielle latéro1.8 % 0.9 % 9 % terminale sans patch Anastomose artérielle latéro1.8 % 0.8 % 8 % terminale avec patch La comparaison des complications vasculaires des malades avec et sans allongement de la veine rénale droite montre 9,5 % contre 15,9 % de sténose de l’artère rénale, respectivement (p=0,008). La comparaison des complications vasculaires chez les patients avec et sans réparation de l’artère rénale montre respectivement 17 % et 10,5 % de sténose de l’artère (p=0,05). L’athérome du receveur augmente le risque de complication vasculaire si une endartériectomie est nécessaire [26].
Cinquante-six sténoses artères rénales ont été opérées, sept ont récidivé, une a présenté un anévrisme et deux une thrombose soit 17,8 % d’échecs. Cent-trente sténoses artères rénales ont été dilatées, dix ont récidivé et dix ont thrombosé au décours de la dilatation. Un patient a présenté une fistule artério-veineuse et deux un anévrisme, soit 17,6 % d’échecs Dans notre série, il n’y a pas de différence de résultats entre les traitements médical, chirurgical et l’angioplastie [17]. Ces deux dernières techniques ont un taux d’échec identiques de 18 % qui plaide pour la voie endovasculaire, moins lourde [17].
La prise en charge des anévrismes mycotiques est difficile. Nous avons à déplorer un décès per opératoire, chez un malade ayant rompu un anévrisme mycotique dans l’intestin grêle. Ces anévrismes mycotiques doivent être pris en charge en urgence si on veut éviter le risque d’hémorragie cataclysmique [20].
COMPLICATIONS URINAIRES
Parmi les complications urinaires, nous rapportons 124 fistules urinaires, 119 pré- coces et 5 tardives. Parmi les fistules urinaires précoces, 27 étaient liées à une nécrose urétérale, 96 étaient d’origine vésicale ou anastomotiques, et les 5 fistules urinaires tardives étaient d’origine iatrogène. Le taux de fistules urinaires précoces était plus bas avec le mise d’une sonde endourétérale JJ (p=0,008) Nous rapportons 173 sténoses urétérales, 69 précoces et 104 tardives soit une fréquence de 5,7 % des cas.
Nous n’avons pas mis en évidence de facteurs de risques chirurgicaux en dehors des antécédents de fistule urinaire. Les anastomoses dans la vessie semblent entraîner moins de sténoses, mais aucune technique n’a fait la preuve de sa supériorité.
Tableau 2. — Fréquence des complications urinaires selon les différentes anastomoses urinaires Fistules
Fistules
Sténoses
Sténoses urinaires urinaires urinaires urinaires précoces tardives précoces tardives
Anastomoses Urétéro6.6 % 0 % 1.3 % 4.8 % Urétérales Leadbetter 4.3 % 0.3 % 1.4 % 4.2 % Grégoire sans JJ 5.6 % 0.3 % 0.8 % 1.9 % Grégoire avec JJ 2.8 % 0.1 % 3.3 % 3 % Bricker 0 % 0 % 8 % 8 % Agrandissement vésical 16 % 0 % 10 % 0 % Le taux de succès du traitement endourologique des fistules urinaires est de 64 % et de 46 % pour les sténoses de l’uretère.
Vingt-huit calculs sont apparus au cours du suivi de la greffe, et trois ont été greffés avec le rein. Leur fréquence est passée de 2,1 % dans les années 70 à 0,5 % dans les années 2000. Le diagnostic a été fait en moyenne 8,5 ans après la greffe. L’apparition de ces calculs a été favorisée par une sténose urétérale dans 12 cas (41 %), un obstacle infravésical dans 4 cas (14 %).Les anastomoses urinaires dans une vessie agrandie ou un Bricker, ont un risque de 22,7 % de calcul. Un malade a été traité en urgence pour une anurie calculeuse, trois calculs du rein ont été traités par lithotritie extracorporelle. Trois calculs de l’uretère ont été traités par urétéroscopie, deux par néphrolithotomie par voie percutanée. Quatre calculs vésicaux ont été traités par lithotritie vésicale. Neuf ont eu une chirurgie ouverte pour ablation du calcul et reprise de l’anastomose qui était sténosée ; les autres ont été surveillés, La durée de fonction moyenne, de ces reins est de 12,6 ans.
DISCUSSION
Les complications vasculaires, leurs étiologies, leur prévention et leur prise en charge
Le taux global de complications vasculaires est de 7,4 %, leurs étiologies, le meilleur type d’anastomose artérielle, d’allongement de la veine rénale droite et de la stratégie de leur prise en charge ont été étudiés.
Les principales causes vasculaires de perte précoce du greffon ont été les thromboses artérielles et veineuses. La fréquence des thromboses a diminué grâce à l’amélioration des techniques chirurgicales mais celle des sténoses à peu varié. Elle était de 7,4 %, dont 4 % ont nécessité un traitement interventionnel. Ces sténoses d’artère étaient associées une réduction de la survie du greffon de 10,4 à 8,7 ans. Leur origine est multifactorielle et impliquerait à la fois la technique du prélèvement, la qualité des vaisseaux du receveur, la technique de transplantation, les infections à cytomé- galovirus et le retard de reprise de fonction rénale. La comparaison des techniques d’anastomose a montré une réduction des complications vasculaires avec les anastomoses artérielles termino-latérales plutôt que termino-terminales. L’absence de patch sur les artères des greffons n’augmente pas le taux de sténoses de l’artère rénale mais elle en complique l’anastomose. La transplantation d’un rein avec une veine courte et une artère rénale longue coudée est un facteur de sténose que l’on peut réduire avec un allongement de la veine rénale droite, ou en éloignant l’implantation artérielle de l’implantation veineuse. Nos résultats de réparations ex vivo restaient décevants avec un taux de sténose artérielle de 17,8 % versus 10 % lorsqu’aucune réparation n’était nécessaire [6].
Nos résultats ont également montré que le principal facteur de risque chirurgical des thromboses artérielles, veineuses et des sténoses de l’artère rénale était l’état vasculaire du receveur [26], même si la prévention des complications vasculaires doit débuter dès le prélèvement des reins en évitant de tirer sur l’artère au moment de l’exérèse [10]. D’autres travaux ont mis évidence le rôle des infections à cytomégalovirus dans l’apparition des sténoses artérielles [27], ou celui du retard de la reprise de fonction rénale dans l’apparition de complications vasculaires. Cette publication rapportait 8.3 % de complications vasculaires sur 10 ans et une augmentation de ce risque si la reprise de la fonction rénale était retardée [28]. En comparant une série de 29 receveurs avec sténose de l’artère rénale à une série de 58 témoins sans sténose, Audard a démontré que les infections à cytomégalovirus et un retard à la reprise de la fonction rénale étaient deux facteurs de risque significatifs de la survenue de sténose de l’artère rénale du greffon [29].
Pour les sténoses artérielles, l’intérêt de commencer par un traitement médical a récemment été rappelé en raison des résultats comparables des traitements médical et interventionnel [30]. Ainsi le traitement chirurgical ou radiologique des sténoses des artères rénales ne doit pas être systématique. Dans notre série un traitement anti hypertenseur efficace a effectivement permis d’éviter un geste de revascularisation dans 94 % des cas. La voie d’abord incisionnelle ou endovasculaire n’avait pas d’influence sur le taux de succès (82 %), a résultats équivalents, la technique percutanée présente l’avantage d’être mini-invasive et est privilégiée en cas d’échec du traitement médical.
Les complications urinaires, leurs étiologies, leur prévention et leur prise en charge
Le taux global de complications urologiques était de 9,8 %, avec 4,1 % de fistules et 5,7 % de sténoses urinaires. Leurs facteurs de risque, leur prise en charge, le site d’implantation de l’uretère et l’utilisation de prothèse urétérale ont été étudiées.
Les fistules urinaires étaient la complication urinaire précoce la plus fréquemment rencontrée et mettaient en jeu la survie du greffon. Leur fréquence dans notre série était de 8 % avec des uretères laissés longs, contre 3 % quand l’uretère était court afin de minimiser le risque d’ischémie en distalité. Les 6 cas de fistules urinaires survenus chez les vingt-sept receveurs (22 %) d’un greffon ayant eu une artère polaire infé- rieure sectionnée illustrent également l’importance majeure de la vascularisation urétérale dans la survenue des fistules urinaires [3, 8] La survenue d’une fistule urinaire était associée à une diminution de la durée de fonction du greffon à 5 ans, contre 10,4 ans dans la population n’ayant aucune complication chirurgicale. Si le débat de l’implantation urétérale dans l’uretère ou dans la vessie est toujours d’actualité, nous avons fait le choix de l’implantation dans la vessie afin de préserver le ‘‘ capital urétéral ’’ en cas de complications urinaires ultérieures [31, 32]. D’autres équipes conseillent la réalisation d’une anastomose urétéro-urétérale première pour réduire le risque de reflux, diminuer le risque de fistule urinaire et faciliter le traitement des sténoses par voie endoscopique [33]. Notre expérience a montré qu’un patient inscrit sur la liste de greffe est potentiellement candidat à plusieurs greffes qui peuvent chacune se compliquer, la préservation initiale de l’uretère natif permet d’éventuelles réparations chirurgicales. De même, l’utilisation d’endoprothèse urétérale est débattue ; dans notre série, leur mise en place systématique après 1989 a réduit le risque de fistule urinaire précoce de 5,9 % à 2,7 %. Nos arguments pour justifier l’intérêt de l’endoprothèse sont qu’elle permet de réduire le risque de fistule urinaire, de décaler les complications chirurgicales précoces, et d’en faciliter le traitement chirurgical avec une sonde déjà en place lors d’une reprise éventuelle.
Une analyse de Wilson a montré que les complications urologiques majeures étaient réduites par la mise en place d’une sonde JJ et Briones a confirmé notre expérience d’une diminution du taux de fistules urinaires avec sondes JJ [34, 35]. On peut ajouter que la mise en place de sondes pour protéger les anastomoses urinaires est une précaution habituelle en urologie conventionnelle et qui n’a pas lieu d’être ignorée en transplantation. Pour le traitement des fistules, nous avons fait le choix d’un geste endo-urologique précoce, qui a été efficace dans 64 % des cas. Son inconvénient est qu’il ne permet pas de visualiser l’étendue de la nécrose qui est un facteur de sténose ultérieure retrouvé chez 16 % de nos malades ,aussi certains réopèrent systématiquement ces malades [36].
Les sténoses urétérales sont une complication tardive de la transplantation rénale [37] que nous avons retrouvé chez 5,7 % des receveurs de notre série. C’est un taux concordant avec les résultats d’autres séries suivies sur de longues périodes [9, 12, 37, 38], nous n’avons pas mis en évidence de facteurs de risque chirurgicaux en dehors des antécédents de fistules urinaires. Notre attitude thérapeutique dépend de l’étendue de la sténose et le résultat global des dilatations n’était pas satisfaisant avec 46 % de succès. En cas de sténose urinaire tardive et longue, une anastomose urétérourétérale avec l’uretère natif doit être privilégiée. En cas de sténose courte, le traitement endo-urologique était tenté [14, 21, 22, 39]. Pour diminuer le risque de fistules urinaires et de sténoses urétérales, il faut respecter la vascularisation urété- rale, éviter de lier les artères polaires inférieures, conserver la graisse periuretérale et utiliser un uretère court bien vascularisé [3, 11]. Karam a démontré que la fréquence des sténoses augmentait chez les receveurs âgés de plus de 65 ans, avec les reins à plusieurs artères et en cas de reprise retardée de la fonction rénale [38].
La réduction du nombre des complications chirurgicales n’implique pas uniquement la technique chirurgicale et plusieurs travaux ont montré que leur fréquence était augmentée en cas de reprise retardée de la fonction du greffon ou d’infection à cytomégalovirus [29]. Des règles strictes pendant le prélèvement d’organes et la réduction de la durée d’ischémie froide doivent permettre de diminuer le taux des complications chirurgicales de la transplantation rénale. Cependant la pénurie de reins et la trop longue attente des receveurs obligent à prélever puis greffer des reins ayant une vascularisation ‘‘ limite ’’. Il faut donc lors de la transplantation évaluer la vascularisation de l’uretère, éventuellement le recouper et mettre une sonde JJ.
CONCLUSION
Les complications vasculaires restent fréquentes (7,4 %) et sont dominées par les thromboses et les sténoses de l’artère rénale. Leur prévention doit débuter dès le prélèvement par la non traction des vaisseaux et le prélèvement de toutes les artères rénales avec un patch. Ces précautions permettent de réduire le taux de complication et une bonne sélection du site d’implantation chez les receveurs et leur préparation avant de les inscrire sont essentiels. La transplantation avec anastomose artérielle latéro-terminale avec un patch aortique donne moins de complication qu’une anastomose termino-terminale. L’allongement de la veine rénale droite a réduit le risque de sténose de l’artère rénale. Cependant, la transplantation d’un rein à risque au plan vasculaire, nécessitant une réparation d’artère sur table, ou l’indication d’une endartériectomie chez un receveur sont des facteurs de complication vasculaire. La prise en charge des sténoses des artères rénales doit être médicale dans un premier temps, puis endovasculaire en cas d’échec.
La fréquence des complications urinaires reste élevée (9,8 %) et leurs principaux facteurs de risque retenus sont l’ischémie urétérale et la reprise retardée de la fonction rénale. Leur prévention commence dès le prélèvement d’organes avec la conservation de tous les vaisseaux, en particulier des petits vaisseaux polaires inférieurs, l’utilisation d’un uretère court entouré de sa graisse et la mise en place d’une endoprothèse urétérale permettant à la fois de réduire et de repousser l’apparition d’une éventuelle fistule. Les fistules sont plus graves que les sténoses urinaires car elles réduisent de 50 % la durée de fonction du rein, en revanche, l’utilisation de sondes JJ ne permet pas de diminuer le taux de sténoses urétérales. Celles-ci pourraient dépendre d’autres facteurs et particulièrement de la fibrose périurétérale.
Leur traitement endourologique doit être proposé en première intention. Son taux de succès est de 46 % pour les sténoses et de 64 % pour les fistules urinaires. Lorsque l’opacification montre une sténose urinaire étendue, il faut préférer la reprise chirurgicale par anastomose urétéro-urétérale si l’uretère natif est présent.
L’analyse de cette série et de la littérature montre que les complications chirurgicales des transplantations rénales restent fréquentes et nous formulons deux recommandations relevant du geste chirurgical :
— Améliorer le soin avec lequel sont prélevés les organes, ce qui impose aux équipes de transplantation de plus s’impliquer dans le prélèvement.
— Réduire la durée de l’ischémie froide, ce qui impose de s’organiser pour faire ces greffes dans le circuit des urgences.
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DISCUSSION
M. Yves CHAPUIS
Vous avez mis l’accent sur l’importance que revêtait la préservation contre l’ischémie chaude, mais également la qualité technique qui devait présider au prélèvement des reins.
Cette affirmation est valable pour tous les organes en particulier pour le foie, qu’il s’agisse de la voie biliaire, de l’artère hépatique, des veines porte et cave sus et sous-hépatique. Quel est à votre avis, à cet égard, la garantie de compétence des préleveurs ? Faut-il à propos de la pénurie d’organes et de reins en particulier mettre la France au pilori ? Certes l’Espagne avec 35 p/mh en matière de prélèvement sur personne en état de mort encéphalique (PEME) nous devance, mais grâce à des avantages financiers très incitatifs pour les équipes. Nous sommes pourtant dans le monde en 4ème position derrière la Belgique et le Portugal avec 25 p/mh. S’agissant de donneurs vivants dont la proportion stagne à 9 % en France, elle atteint certes en Grande Bretagne, en Suède, en Norvège des chiffres de 30 à 40 % mais pourquoi ?
Parce que les taux de prélèvement sur PEME sont faibles. Gardons-nous de comparaisons qui nous dévalorisent. Certes l’application stricte de la Loi Caillavet permettrait de réduire la pénurie. Faut-il rappeler que sur 3 200 donneurs recensés en 2008 par l’ABM, 1 600 seulement ont été prélevés mais parce que 20 % de ces donneurs potentiels présentaient des contrindications médicales. Reste naturellement les 30 % de refus. Or même si ce chiffre était réduit à 0, sur les 10 000 patients en dialyse en attente d’une greffe de rein, seule la moitié pourrait être greffée à la condition de deux greffés par donneur. On sait qu’en raison du vieillissement des donneurs (auquel concourt, en France comme dans d’autres pays européens, la diminution des morts par accidents de la route dont on ne peut que se féliciter) les receveurs âgés demandent deux reins. Ces réflexions montrent combien le sujet est difficile. Elles incitent à ne pas se montrer trop sévère ni culpabilisant sur le comportement de nos concitoyens qui à hauteur de 50 % (100-20-30) acceptent le don.
Le problème de la compétence des préleveurs est essentiel. Le prélèvement est en effet le premier temps de la greffe, cette formation s’organise avec la création d’une école de prélèvement, cependant la mutualisation des prélèvements souhaitée par l’ABM peut conduire à réduire le niveau des compétences des préleveurs. Je pense en effet que ce sont les chirurgiens qui font la greffe qui sont les plus compétents pour le prélèvement : les greffeurs de reins pour prélever les reins par exemple. Pour ce qui est de la pénurie d’organe, mon sentiment est qu’il faut développer les dons du vivant, en particulier, si la Loi l’autorise, les dons croisés. Pour ce qui est des refus du don par les familles d’un proche décédé, je pense que notre société, nos collègues ont plus d’empathie pour ceux qui refusent le don dans ces moments très difficiles que pour ceux qui attendent un greffon en silence, il y là un sujet de réflexion important à mes yeux.
Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, no 2, 351-363, séance du 15 février 2011