Résumé
La relation médecin-malade évolue au fil du temps en fonction des techniques nouvelles d’information et des impératifs législatifs (lois de mars 2002 et août 2004). Cependant l’article 35 du code de déontologie trouve un regain d’actualité : « l’information doit ainsi être loyale, claire et appropriée à l’état du patient … le médecin tient compte de sa personnalité dans ses explications et veille à leur compréhension ». Ainsi comment le médecin peut-il et doit-il adapter cet enrichissement de l’information par internet à chacun de ses patients internautes ? Internet est-il un intrus ou un tiers compétent dans le colloque singulier médecin-malade ? Le devoir du médecin n’est-il pas d’amener son malade, grâce à la déontologie et à internet, non seulement sur la voie du mieux être mais sur la voie du plus être ?
Summary
The doctor-patient relationship is evolving with the advent of new technologies and new legal obligations. In particular, it is now stipulated in France that ‘‘ Information has to be trustworthy, clear and tailored to the patient… the doctor’s explanations must be understandable and take the patient’s individuality into account. ’’ In this respect, is the web a plus or a minus in the doctor-patient relationship ?
L’INFORMATION PAR INTERNET
Cette information par le Net se fait sur des sites très différents quant à leurs objectifs et à la qualité de leurs informations. Aussi la loi d’août 2004 a chargé la HAS d’une mission difficile : « Établir une procédure de certification des sites informatiques dédiés à la santé » !
Citons les principaux sites visités reconnus et dont les informations sont médicalement validées :
Doctissimo.fr 4 305 000 visiteurs en décembre 2006 E.sante.fr 767 000 visiteurs en décembre 2006 Wikipedia Cismef lancé par le Centre Hospitalier Universitaire de Rouen Orange health care Health on the net : garant des bonnes pratiques — publie des recommandations destinées aux patients.
Quelques mots sur les objectifs mercantiles d’autres sites moins honorables où sont vendus sans aucune garantie DHEA et autre VIAGRA …
Ainsi l’E.sante est une réalité et le médecin doit en avoir une connaissance suffisante pour pouvoir guider son patient dans sa recherche d’information.
LE PATIENT INTERNAUTE
Tout utilisateur d’un ordinateur est un patient potentiel. Tout patient potentiel succombe à la tentation légitime de compléter son information par le net. Cependant essayons de décrypter la demande de ces patients internautes.
Avant la consultation , ces patients essaient d’établir une approche diagnostique en fonction de leur ressenti personnel de quelques signes physiques a priori pathologiques.
Parmi ces patients, nous retrouvons bien sûr les internautes habituels à la juste recherche d’une information validée mais aussi tous les hypocondriaques ou les grands anxieux recherchant inlassablement l’« exceptionnelle maladie » dont ils sont victimes.
Ces informations glanées sur le Net peuvent amener un auto-diagnostic puis un auto-traitement et à ce stade, ce « jeu » peut devenir très dangereux.
Après la consultation , les patients internautes vérifient si le médecin a « dit juste », n’a pas oublié certains éléments, enfin … si le médecin ne s’est pas trompé … et si l’information est complète !
Parmi ces patients, nous retrouvons le lot de tous les « vérificateurs » atteints pour certains de « trouble obsessionnel compulsif » … toujours insatisfaits car submergés par la vague incontrôlable de leur anxiété.
Heureusement lors d’une consultation ultérieure, il arrive qu’une petite phrase soit prononcée : « Docteur, j’ai tout vérifié sur le net et vous ne vous êtes pas trompé ».
LES RÉACTIONS DU MÉDECIN
Réaction négative : certains médecins vivent l’intrusion du Net dans la relation médecin-malade d’une manière très négative, comme une véritable perte de « pouvoir » et une remise en question de leur attitude paternaliste et bienveillante :
« — Je ne suis plus le patron, ce n’est plus moi qui dirige la relation avec mon patient — Les malades vérifient tout ce que je dis et souvent en savent plus que moi.
— Je n’ai pas fait dix ans d’études pour être contrarié en permanence par mes patients. »
Ainsi le médecin n’est plus le « sachant » n’ayant plus l’exclusivité du savoir et de l’information et vit l’intrusion du Net comme une détérioration de la relation médecin-malade.
Réaction positive : certains médecins sont au contraire très satisfaits de cet enrichissement de leur relation médecin-malade par ces voies nouvelles de l’information :
— « Je peux enfin dialoguer avec mes patients qui comprennent et acceptent beaucoup mieux mon message. L’information que j’apporte est partagée dans un véritable partenariat avec mes patients.
— Enfin mes patients participent à leur diagnostic, au choix thérapeutique et sont coresponsables des décisions médicales.
— La relation que j’ai avec mes patients est enrichie par le Net. La connaissance amène une meilleure compréhension et une meilleure adhésion à la « conduite à tenir » et au traitement et renforce ainsi la relation de confiance. »
LE RÔLE DU MÉDECIN
Revenons à l’article 35 : « le médecin tient compte de la personnalité du patient … et veille à leur compréhension ».
Le médecin a ainsi l’obligation déontologique non seulement d’adapter l’information à chaque patient mais aussi de l’aider à comprendre à trier puis à s’approprier l’information du Net. Cette adaptation, compréhension puis appropriation de l’information par chaque patient passe par les temps forts incontournables et traditionnels de chaque consultation : l’écoute, la parole, le geste de l’examen clinique…
Ainsi le Net ne s’immisce pas dans la relation médecin-malade mais l’enrichit par la connaissance dans le respect éclairé des identités du médecin comme du patient.
L’examen clinique, l’écoute puis la parole demeurent les outils fondamentaux de l’expression du malade comme du médecin.
En particulier, l’écoute redevient une phase essentielle de l’acte médical. Le professeur Pierre Ambroise-Thomas disait le 26 avril 2007 au jeudi de l’Ordre : « avant d’apprendre à parler, apprendre à écouter ».
L’ÉCOUTE
Cette écoute doit être attentive, éclairée par la connaissance de la culture de nos patients.
Cette écoute doit se faire au cours de l’anamnèse, temps indispensable et ô combien primordial de l’exercice médical.
Cette écoute doit s’enquérir de l’habitus des antécédents personnels familiaux, des conditions de survenue de la maladie et des informations apportées par le patient.
Cette écoute doit laisser toute liberté à la parole du patient.
De la qualité de cette écoute dépend toute l’empathie que nous devons développer à l’égard de nos patients. « Je t’écoute, je te reçois ».
LA PAROLE
La parole du médecin doit toujours faire preuve d’un très grand respect mais doit être suffisamment claire et explicite afin d’être comprise et intégrée par le patient.
La parole complète les informations glanées sur le Net, explique les techniques d’investigation, le diagnostic, le traitement … et de la qualité de cette information, adaptée à chaque patient, dépend le consentement éclairé du patient.
La parole soigne — la bonne parole — un mot, une explication, suffisent quelque fois à calmer une anxiété majeure engendrée par la maladie et ainsi faire parler l’esprit et renaître l’espoir.
La parole annonce le diagnostic, décrit le traitement.
Elle peut tout autant annoncer la guérison ou le caractère chronique voire incurable de la maladie.
La parole accompagne les derniers instants de nos patients et peut être d’un puissant réconfort aux abords de la vie à la mort. Et si la parole accompagne et respecte la vie, elle se doit d’accompagner et respecter la mort.
La connaissance , le respect , l’écoute et la parole constituent les éléments indispensables de l’anamnèse. Le trop rapide recours à des techniques d’investigation quelquefois inappropriées occulte bien souvent ce temps de l’anamnèse. Et c’est bien sûr durant ce temps exceptionnel de l’anamnèse que nous pouvons appréhender, adapter et nous approprier le degré d’information internet de nos patients.
ÉCOUTER, PARLER, RESPECTER, INFORMER
Et encore apprendre à écouter, à parler, à respecter, à informer même au travers du Net.
Voilà les valeurs déontologiques fondamentales de la relation médecin-malade « rencontre d’une conscience et d’une confiance » ou peut-être maintenant de « deux consciences », rencontre enrichie par l’information inépuisable issue de nos technologies modernes — l’Internet.
N’est-ce pas là le devoir du médecin d’amener son malade grâce à Internet, non seulement sur la voie du « mieux être » mais aussi sur la voie du « plus être ».
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[16] Textes législatifs : Loi du 4 mars 2002, Loi du 6 août 2004.
[17] Code de déontologie médicale DISCUSSION
M. André VACHERON
Vous avez souligné, à juste titre, l’importance du temps d’écoute, du temps de dialogue avec le patient. Beaucoup de médecins redoutent l’apparition du dossier médical personnel informatisé qui va encore raccourcir le temps que peut consacrer le médecin à l’écoute et au dialogue. Qu’en pensez-vous ?
Il est vrai que le temps d’écoute, de la parole, du geste est un temps fondamental du colloque singulier médecin-malade et que ce temps est trop souvent occulté par le recours immédiat à des techniques d’investigation parfois inappropriées. Quant au dossier médical personnel informatisé, ce projet est actuellement irréalisable car irréaliste. Dans une seule et même consultation, le médecin ne peut s’occuper de son patient, de son dossier professionnel et du dossier médical personnel. Ce dossier médical personnel fait d’ailleurs l’objet d’une judiciarisation extravagante avant même d’être existant. En résumé, le dossier médical personnel ne peut exister que si c’est un outil professionnel avant d’être la propriété du patient.
* Médecin généraliste, Président du conseil départemental des médecins des Vosges , Conseiller national Région Lorraine, Président de la Commission Formation et Compétences Médicales. Tirés-à-part : Docteur Xavier DEAU, 30 bis rue Thiers, 80000 Épinal. Article reçu et accepté le 15 octobre 2007.
Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 8, 1497-1502, séance du 6 novembre 2007