Communication scientifique
Séance du 30 avril 2002

La spécificité de la psychiatrie de l’adolescent

MOTS-CLÉS : dépression. psychiatrie adolescent. tentative suicide. troubles liés substance toxique. violence.
The specificity of adolescent psychiatry
KEY-WORDS : adolescent psychiatry. suicide, attempted.

D. Marcelli

Résumé

La psychiatrie de l’adolescent est une discipline nouvelle qui concerne des questions essentielles de santé publique et de santé individuelle : tentative de suicide, consommation de produits et toxicomanie, conduite à risque, comportement violent et transgressif, émergence anxieuse et dépressive, troubles du comportement alimentaire. Tels sont quelques-unes de ces conduites les plus caractéristiques qui émergent à cet âge et risquent de se fixer puis de persister à l’âge adulte. Médecine d’un sujet en développement, la psychiatrie de l’adolescent tire son originalité de la relation de soin très particulière à cet âge qui orientera durablement la capacité à prendre soin de soi. Ce travail introductif cherche à démontrer la spécificité et l’originalité de cette discipline nouvelle.

Summary

Adolescent psychiatry is a new discipline implied in mental health and individual health as suicide attempts, substance abuse and drug addiction, anxiety disorders, mood disorders, eating disorders… This disorders appears at this age and often continue with the adult. Adolescent psychiatry is an original practice with young people in development which had to learn the self-care. This work is an illustration of this point of view.

Substance-related disorders. Depression. Violence.

L’adolescence est à la mode, mais les modes ne sont pas faites pour durer ! Au-delà de cet effet de mode, la médecine de l’adolescent en général, la psychiatrie de
l’adolescent en particulier a-t-elle acquis un statut, une reconnaissance suffisante pour en faire sinon une discipline à part entière, du moins une branche assez autonome qui s’appuie sur une sémiologie, une conception théorique, un mode d’approche et de traitement qui lui soient propres ? Clinique souvent transdisciplinaire et transnosographique, approche théorique nécessairement syncrétique au confluent de l’individuel, du familial et du social, modalités de soin et de traitement inscrites dans une relation très particulière et originale, la psychiatrie de l’adolescent est une discipline spécifique qui concerne des domaines essentiels de santé individuelle et de santé publique prenant en compte le jeune dans sa situation actuelle mais aussi dans son devenir de futur adulte.

ADOLESCENCE ET SANTÉ PUBLIQUE ?

Plusieurs questions majeures de santé publique concernent la population adolescente. Il s’agit notamment des tentatives de suicide et dans une moindre mesure des suicides ; des diverses consommations de produits ; des prises de risque avec leurs conséquences en terme d’accidents de circulation ; enfin de tout ce qui relève de la violence, qu’elle soit subie ou agie. Quelques données épidémiologiques permettront de fixer les idées.

Suicides et tentatives de suicide

Le suicide est dans la majorité des pays européens la seconde cause de mortalité après les accidents de circulation pour la tranche d’âge des 15-24 ans. A eux seuls les suicides représentent 15 % de la mortalité [1]. Les tentatives de suicide sont particulièrement fréquentes chez les 15-24 ans puisque la morbidité suicidaire atteint des taux de 500/100 000 chez les filles et de 200/100 000 chez les garçons. En outre toutes les enquêtes épidémiologiques montrent la fréquence des récidives allant de 20 % environ dans l’année qui suit la première TS jusqu’à des taux de 37 % voire 45 % si l’enquête porte sur une plus longue durée. Un très récent article [2] portant sur le taux de récidive chez des adolescents qui ont été reçus une première fois au service d’urgence hospitalière pour une TS apporte des données inquiétantes puisqu’on trouve 24,1 % de récidives et 14,4 % d’hospitalisations en milieu spécialisé dans les 6 mois. De plus, toutes les enquêtes montrent la forte vulnérabilité des adultes qui ont effectué une TS durant leur adolescence.

Les consommations de produit

Les travaux d’épidémiologie descriptive d’une part, d’épidémiologie analytique d’autre part ont montré que la consommation de produit commence le plus souvent à l’adolescence et traduit dans un nombre important de cas une situation à risque.

Contentons-nous de reprendre les résultats des enquêtes françaises [3, 4] : entre 12 et 19 ans le pourcentage de fumeurs passe de 3 à 51,4 %. Tandis qu’à 12 ans plus de la
moitié des jeunes disent ne jamais avoir bu d’alcool, entre 12 et 19 ans les trois quarts des adolescents ont consommé de l’alcool mais surtout 40 % déclarent avoir été ivres et pour 8 % d’entre eux, au moins une dizaine de fois… La consommation de produits illicites, le cannabis dans 98 % des cas, concerne plus du quart des jeunes (28,3 %) et 22,8 % en ont pris dans les douze derniers mois. Enfin 28 % des filles, 14 % des garçons prennent des médicaments contre la « nervosité », la prise de médicaments auto-prescrits augmentant sensiblement chez les plus âgés.

Avec l’âge la consommation cumulée de plusieurs produits augmente pour concerner jusqu’à 27 % des jeunes (tabac et alcool, alcool et cannabis, tabac, alcool et cannabis, …). Si tous les consommateurs ne répondent pas aux critères de la dépendance [5], certaines enquêtes ont montré que le risque d’une dépendance aux produits à l’âge adulte est d’autant plus fort que la consommation a commencé pendant l’adolescence. Le risque de dépendance ultérieure diminue à mesure que le début de la consommation du sujet a été plus tardif [6]. Il y a donc un lien entre consommation abusive ou dépendance à l’âge adulte et début de consommation à l’adolescence : si assurément tous les adolescents consommateurs ne sont pas de futurs toxicomanes, la très grande majorité des adultes consommateurs abusifs ou toxicomanes ont débuté leur consommation dès l’adolescence : plus on les repère tôt, mieux on peut espérer les traiter efficacement.

Prises de risque et accidents

La mortalité par accident représente presque la moitié (48,6 %) des causes de mortalité pour les 15-24 ans et vient largement en tête de toutes les autres causes.

Quant à la morbidité elle est très élevée puisque 51 % des garçons, 36 % des filles déclarent avoir eu au moins une fois un accident [3] ; certes il s’agit le plus souvent d’un accident bénin, mais le taux de répétition est important : 28 % des jeunes ayant eu un accident récidiveront dans l’année suivante, alors que le taux est de 8 % chez les non accidentés. Parmi ceux qui ont eu plusieurs accidents le taux de répétition est de 62 % ! Les études de cas et les enquêtes prospectives [7] montrent que les adolescents ayant eu un accident de circulation diffèrent sensiblement des jeunes qui ont eu un accident de sport (situation heureusement la plus fréquente) et des jeunes tout venant, mais que cette différence est encore plus grande dans le cas de récidive d’accident (taux de dépression, d’anxiété significativement supérieurs). La fatalité n’est pas seule en cause et une approche globale de ces jeunes qui multiplient les conduites à risque et les accidents est hautement souhaitable.

Violences et conduites transgressives

Souvent, trop souvent peut-être, les mots violence et adolescence sont associés en particulier dans les médias. Dans l’enquête Baromètre Santé Jeune [4] 8 % des adolescents (12,2 % des garçons, 3,5 % des filles) reconnaissent avoir eu un comportement violent au cours des douze mois précédents. Dans les statistiques produites
par le Ministère de la Justice, on constate une augmentation des conduites violentes aussi bien contre les objets (vandalisme, saccage, destruction, incendies volontaire :

+ 20 %) que contre les personnes (racket : + 34 % ; coups et blessures : + 25 % ;

agressions sexuelles : les mineurs représentent 18 % des individus mis en cause).

Toutefois les conduites agressives, violentes ou sous forme de passages à l’acte plus « ordinaires » (fugues, bagarres, cris et injures, crises de nerf…) sont surtout le fait des jeunes adolescents, dans la tranche des 12/15 ans et la fréquence de ces conduites tend à diminuer avec l’âge. Elles concernent principalement les « collégiens » ce qui explique d’ailleurs en grande partie les difficultés rencontrées par les établissements scolaires qui accueillent les jeunes appartenant à cette tranche d’âge [8].

Mais il ne faut pas oublier que, de façon tout aussi constante, les adolescents eux-mêmes sont victimes de violence familiale ou extra-familiale : 10 % des filles, 2 % des garçons ont été victimes d’abus sexuels, 10,3 % des garçons, 5,3 % des filles ont été victimes de violence physique dans les douze mois précédents [3]. Quant au lien entre la violence subie et la violence agie il est particulièrement fort ; sans aller jusqu’à dire que tout adolescent violent a été dans son enfance ou son adolescence lui-même victime de violence, force est de reconnaître que cette affirmation est d’autant plus fondée que l’acte ou la violence commis est grave et répété.

L’ADOLESCENCE, UN RISQUE POUR CHAQUE INDIVIDU ?

A côté de ces questions de santé publique très médiatisées, des difficultés psychopathologiques plus individuelles surviennent avec une forte concomitance au processus pubertaire. Citons entre autres : les troubles du comportement alimentaire, les manifestations anxieuses, la dépression. Même si ces difficultés ne sont pas spécifiques de l’adolescence et peuvent s’observer à d’autres âges de la vie, il existe un lien assez clair entre l’émergence de ces symptômes et la période de l’adolescence.

Certains pourront s’étonner de l’absence de référence à la schizophrénie, maladie mentale traditionnellement rattachée à l’adolescence. Or s’il est incontestable qu’il existe des débuts de schizophrénie dès l’adolescence, c’est-à-dire entre 12 et 18/19 ans, toutes les enquêtes épidémiologiques sérieusement documentées confirment que l’âge moyen d’apparition de cette maladie se situe en début d’âge adulte, 27,4 ans [9] et qu’il n’y a pas de concordance démontrée entre puberté et émergence de la psychose schizophrénique comme on a pu le montrer dans le cas des désordres anxieux ou dépressifs [10].

En revanche, pour les troubles du comportement alimentaire, l’âge de survenue de l’anorexie mentale (AM) connaît deux pics : l’un plutôt en début d’adolescence et contemporain de la puberté (vers 12/14 ans), l’autre plus tardif vers 18/20 ans, en fin d’adolescence. La prévalence est estimée entre 0,1-0,5 % [11] (critères rigoureux) et 3,7 % avec des critères moins stricts [12]. L’incidence (pour 100 000) serait de 14,6 chez les femmes et de 1,8 chez les hommes à tout âge, mais ces taux sont beaucoup plus élevés dans la tranche d’âge 15-24 ans. Cette incidence a augmenté depuis
cinquante ans mais essentiellement parmi les sujets les plus jeunes (passant de 16,6 en 1935-1936 à 26,3 en 1980-1984 chez les 15-24 ans) [13]. Ceci tendrait à montrer que la fréquence des formes graves et chroniques reste assez stable alors que celle des formes liées à la période de l’adolescence augmente [14]. Il faut signaler la gravité de l’évolution au long cours puisque, sur un suivi de 7,5 ans, seuls 33 % des patients présentent une bonne évolution [15, 16]. On note dans toutes les catamnèses environ 5 % de décès moitié par suicide, moitié de complications liées à la dénutrition. En outre cette mortalité augmente avec la durée du suivi et dans une enquête sur plus de 20 ans elle atteint 20 % [17].

En ce qui concerne la boulimie nerveuse (BN), l’âge de survenue paraît un peu plus tardif, vers la fin de l’adolescence (18/20 ans), si on prend en compte les formes répondant aux critères stricts avec une prévalence évaluée à 1,1 % chez les filles et à 0,2 % chez les garçons [18-20]. En revanche, les crises boulimiques sont beaucoup plus précoces (dès 14/15 ans) et concerneraient presque 4 % des adolescents scolarisés (7 % des filles et 1 % des garçons) [21]. L’évolution au long cours est moins bien connue que celle de l’AM avec un recul de 1 à 2 ans, 25 à 30 % des patients présentent une amélioration [22], 50 à 70 % des patients étant améliorés après l’évaluation à court terme mais les rechutes concernent 30 à 50 % des patients après 6 mois [13].

Pour la pathologie anxieuse, l’originalité de l’adolescence est de faire cohabiter les formes cliniques caractéristiques de l’enfance, angoisse de séparation et phobies simples, et celles qui surviennent à l’âge adulte, phobie sociale et anxiété généralisée, avec dans l’un et l’autre cas une prévalence d’environ 8 %, certains auteurs [23] ayant avancé des arguments en faveur du passage de l’angoisse de séparation à la phobie sociale avec l’âge. Ces chiffres assez constants d’une étude à une autre sont proches des taux rencontrés chez l’adulte mais sensiblement plus élevés que ceux rencontrés chez l’enfant [24]. La phobie scolaire représente une des formes les plus typiques de l’angoisse de séparation avec une fréquence de 0,3 à 1,7 % de l’ensemble de la population scolaire [25]. Les manifestations anxieuses centrées sur le corps sont aussi particulièrement fréquentes à cet âge, souvent en corrélation avec la puberté.

D’ailleurs, pour la pathologie anxieuse, un lien a pu être démontré entre les stades de Tanner et l’incidence des attaques de panique chez les filles [26] : cette incidence, nulle chez les jeunes aux stades I et II de Tanner, augmente progressivement avec les stades suivant pour atteindre 8 % au stade V, incidence comparable à ce qui s’observe dans la population adulte. Fait essentiel, la corrélation est plus forte pour les stades de Tanner que pour l’âge, ce qui démontre bien la relation entre émergence anxieuse et processus pubertaire. Une étude rétrospective dans la population adulte [27] avait auparavant bien montré que ces adultes faisaient remonter l’apparition de leurs attaques de panique à l’adolescence. D’autres manifestations anxieuses peuvent s’observer telles la crise anxio-dépressive [28] ou l’état de Stress Post Traumatique (ESPT), avec comme particularité à cet âge, une importance très élevée de la co-morbidité [29]. Cette co-morbidité avec les troubles dépressifs, les troubles du comportement alimentaire, les prises de risques et conduites dangereuses [30], les
consommations de produits et conduites toxicomaniaques, etc, est une des caracté- ristiques de la pathologie anxieuse de l’adolescence et explique le fait qu’elle soit souvent méconnue passant au second plan derrière des désordres en apparence plus bruyants qui, pour une part, peuvent être considérés comme des tentatives d’autotraitement : c’est le cas typique pour les consommations de produits.

Nous terminerons avec les données épidémiologiques relatives à la dépression dont toutes les enquêtes s’accordent à reconnaître la relative rareté dans l’enfance (pré- valence autour de 1 %) et l’augmentation régulière pendant l’adolescence, années au cours desquelles la prévalence passe de 1 à 7/8 % environ [31]. Cette prévalence semble en augmentation depuis 30 ans et sur l’adolescence « vie entière » (c’est-à- dire pour toute la durée de l’adolescence) elle atteint des valeurs de 15 à 20 %. En outre il existe une ambiance dépressive (morosité, tristesse, crise de larme) qui, sans répondre à l’ensemble des critères de l’Épisode Dépressif Majeur, témoigne cependant d’une sensibilité à la pathologie dépressive avec des taux d’incidence oscillant entre 28 et 44 % [32-34]. Cette ambiance dépressive représente souvent la porte d’entrée dans des conduites plus franchement pathologiques : passage à l’acte suicidaire, conduites toxicomaniaques, prises de risque et accidents, etc. Enfin toutes les études de catamnèse, en particulier celles d’Harrington [35-37] montrent que le lien entre dépression de l’adolescent et dépression de l’adulte est assez serré, beaucoup plus fort qu’entre dépression de l’enfant et dépression de l’adulte, et qu’en particulier la survenue de TS à l’âge adulte est fortement corrélée avec l’existence d’un état dépressif à l’adolescence.

Que conclure de toutes ces données ? Certes, leur accumulation ne doit pas faire oublier qu’un nombre important d’adolescents vont bien ! Cependant il convient aussi d’entendre ce qu’elles signifient : incontestablement l’adolescence est une période de haute vulnérabilité et c’est autour de l’adolescence que d’une part émergent des désordres psychiques, dépression, anxiété, trouble du comportement alimentaire mais aussi troubles obsessifs-compulsifs, troubles de l’identité sexuée, etc, qui dans un pourcentage élevé de cas se poursuivront durant une grande partie de la vie du futur adulte et que, d’autre part, se mettent en place des styles de vie potentiellement nuisibles à la santé : consommation de produits licites ou illicites, conduites à risque, passages à l’acte violent, etc., qui là aussi caractériseront durablement le comportement du futur adulte : ce qui s’installe à l’adolescence risque de perdurer. D’une certaine manière on peut dire que, à cet âge, l’individu investit pour son propre compte un « souci de soi » et une manière de « prendre soin de soi » qui caractériseront durablement, si ce n’est la vie entière, le rapport de ce sujet à son corps et à son psychisme, c’est-à-dire à sa santé, physique comme mentale. Certes, les fondements de cette relation ne surgissent pas ex nihilo mais s’enracinent dans l’histoire de ce sujet en particulier dans son enfance, mais c’est à l’adolescence qu’ils se fixent. De ce point de vue, la qualité de la relation de soin représente le modèle sur lequel l’adolescent peut s’appuyer pour apprendre ensuite à prendre soin de lui-même. La question de l’observance est exemplaire, en particulier chez les adolescents atteints de maladie chronique. Ainsi, la manière dont
l’adolescent pourra être entendu et accompagné par un médecin déterminera sa capacité à devenir un « sujet » actif dans l’appropriation et la préservation de sa santé ou au contraire un « patient » objet de soin soumis à la fatalité et à la maladie comme à un destin inéluctable auquel on ne peut échapper qu’en trichant. Cette « pédagogie de la relation de soin », caractéristique du cadre de soin que le médecin se donne et des besoins propres au « sujet adolescent », constitue la base de la psychiatrie de l’adolescent, fait son originalité fondamentale et explique les particularités des prises en charges à cette période de la vie. C’est ce que nous nous proposons de voir brièvement.

LES ADOLESCENTS ONT-ILS DES BESOINS SPÉCIFIQUES ?

Il n’est pas dans notre intention de développer ici les multiples travaux sur ce qu’on a appelé la « crise d’adolescence » ni sur la psychopathologie de l’adolescence. Cette période se caractérise par une vigueur particulièrement grande des pulsions et des besoins pulsionnels opposée à une vulnérabilité psychique et environnementale elle aussi particulièrement élevée. C’est ce qui explique la fréquence des troubles dont souffrent les adolescents pendant cette période de transition qui, comme toutes les phases de changement, sert de révélateur aux fragilités de chacun. Ces fragilités peuvent provenir des défaillances de la petite enfance et de ce point de vue il existe une continuité entre l’enfance et l’adolescence ; elles peuvent aussi provenir des défaillances de l’environnement immédiat, défaillances auxquelles l’adolescent est particulièrement sensible. Les symptômes constatés représentent toujours un compromis entre cette part issue du passé et la pression exercée par les contraintes actuelles, qu’elles soient intra-psychiques ou environnementales, si bien que le « jeu » est extrêmement ouvert : avancer une prédiction, faire un pronostic est, à l’adolescence, un exercice très périlleux, souvent trompeur ! Mais on sait aussi que l’attentisme n’est pas de mise car le retard à prendre en charge un adolescent qui multiplie les conduites pathologiques risque d’installer ce sujet dans un état plus ou moins fixe évoluant vers la chronicité. Cette tension est inhérente à la psychiatrie de l’adolescent et la différencie assez nettement de la pratique pédo-psychiatrique ou de la psychiatrie de l’adulte.

Revenons à la crise d’adolescence : quels en sont les déterminants ? Nous les présentons souvent comme une triple tâche :

— pour le sujet et par rapport à son corps se reconnaître et s’accepter dans un corps nouveau, différent du corps infantile, porteur d’une puissance génitale nouvelle, la possibilité d’orgasme dont au début le sujet ne sait que faire ;

— pour l’ancien enfant, par rapport à sa famille et ses parents, instaurer de nouveaux rapports qui tiennent compte de cette maturité, en se dégageant des positions et des attitudes de l’enfance, ce qui impose un remaniement complet du style de relation aux parents réels comme imaginaires ;

— pour cet adolescent, par rapport à l’environnement social, accepter le regard nouveau que les autres vont porter sur lui dans ce statut de presque adulte avec les exigences identificatoires nouvelles que cela implique aussi bien en termes de rôle sexué que de rôle social.

Ce travail psychique a fait l’objet de multiples théorisations, différentes d’un auteur à l’autre, mais qui toutes prennent en compte l’une ou l’autre de ces dimensions.

Ainsi, la notion de poussée « pubertaire » [38] essaie de rendre compte des multiples conduites qui poussent le jeune à attaquer, maltraiter un corps qui le dérange du fait des transformations sexuées douloureusement intégrables dans ses aménagements de vie et de pensée, comme on le voit dans les tentatives de suicide mais aussi les troubles du comportement alimentaire, les conduites de non-observance thérapeutique, les troubles de l’identité sexuée, etc. [39]. Cette exigence pubertaire met plus précisément en cause le changement de statut du corps et sa sexualisation avec les contraintes psychiques qui en découlent. Le remaniement des relations aux parents a été théorisé comme un second travail de séparation-individuation, par comparaison à la première phase de séparation-individuation décrite chez le petit enfant, poussant le sujet à se « désengager de ses liens à ses objets œdipiens » ou en d’autres termes à désirer se séparer et s’éloigner de ses parents [40] : c’est tout l’enjeu de la séparation à l’adolescence avec en arrière plan les multiples émergences anxieuses.

La phobie scolaire, de plus en plus fréquente et sur laquelle nous avons personnellement travaillé [41], est le modèle même des achoppements de ce difficile travail de séparation. Une grande partie de la stratégie de soin auprès des adolescents pose d’ailleurs la question des aménagements possibles d’une séparation pensable puis acceptable par l’adolescent comme par ses parents [42]. La nécessité pour l’adolescent de s’appuyer sur son environnement, en particulier ses pairs, à la fois pour pouvoir s’éloigner de ses proches et pour se sentir reconnu dans son statut et ses besoins de presque adulte illustre la fragilité relative de l’adolescent par rapport à son environnement et montre la forte dépendance dans laquelle il s’inscrit toujours malgré ses velléités constantes d’indépendance. Cette problématique de la dépendance est centrale à cet âge [43], très spécifique par ses conséquences dans la relation médicale et dans les aménagements thérapeutiques indispensables, ce qui apparaît évident dans le cas des désordres tels que les troubles du comportement alimentaire, les consommations de produits illégaux, cannabis, cocaïne, ectasy, d’allure toxicomaniaque ou les comportements violents. Elle explique aussi la vulnérabilité de l’adolescent à son environnement et le poids que prend la dimension sociale et la place des pairs, y compris dans les stratégies de soins.

Pourquoi ces remarques théoriques ? Parce que, à l’adolescence, le clinicien a un besoin indispensable de repères s’il ne veut pas faire n’importe quoi, se laisser entraîner par des exigences étrangères à la déontologie, stigmatiser l’individu à la moindre déviance. Cela est d’autant plus nécessaire que désormais nous disposons d’un « arsenal » thérapeutique qu’il convient d’utiliser avec discernement, qu’il s’agisse des psychotropes, des psychothérapies de plus en plus diversifiées, des
traitements institutionnels dont la palette elle aussi s’étend, voire d’appoint éducatif, judiciaire ou autres. Cela est encore plus nécessaire pour ce qui concerne la qualité de la relation de soin à instaurer avec le patient lui-même et avec ses parents :

une grande partie de la spécificité de la psychiatrie de l’adolescent siège précisément à ce point et dans ce paradoxe : le sujet adolescent doit être entendu pour lui-même mais la prise en charge thérapeutique doit impérativement prendre en compte les besoins propres des parents qui sont loin d’être toujours congruents aux besoins du jeune lui-même. Le psychiatre d’adolescent occupe très souvent une place exiguë et inconfortable, coincé entre des demandes et des besoins contraires voire inconciliables, d’autant plus inconciliables d’ailleurs que la psychopathologie est grave, ceux de l’adolescent d’un côté, des parents de l’autre !

Les parents ont donc une place nécessaire et indispensable dans l’évaluation clinique comme dans l’approche thérapeutique de leur enfant : méconnaître cette place, c’est prendre le risque de voir ces parents se détourner du soin, refuser l’alliance thérapeutique avec le consultant ce qui risque de maintenir au mieux, aggraver au pire, une situation souvent déjà difficile et douloureuse. Pourquoi les parents sont-ils ainsi conviés dans l’espace de consultation et de traitement de ce sujet « adolescent » qui sort de l’enfance et entre dans l’âge adulte ?

Parce que la « crise d’adolescence » ne surgit pas du néant ! Si incontestablement ses déterminants se retrouvent dans l’actualité de ce que vit le jeune comme consé- quence de la transformation pubertaire, le sens de cette crise s’ancre dans un passé, dans une histoire. Dans le passé de ce sujet d’abord, son enfance, sa petite enfance :

la qualité des relations, des interactions précoces est essentielle : elle représente le socle sur lequel ce travail psychique pourra se dérouler. Pour fixer les idées, illustrons cela par trois exemples :

Que, grâce aux bons soins précoces dont il a été l’objet, l’enfant ait acquis une confiance en soi suffisante, une estime de soi normalement tempérée, ni trop déficiente ni trop excessive, alors les aléas de cette crise, les contraintes imposées par les transformations physiques et psychiques ne seront pas vécues comme une menace de désorganisation source d’angoisse, de passages à l’acte, de refus d’inté- gration ou d’élaboration.

Inversement quand l’enfant a vécu des situations douloureuses de perte, de carence, de discontinuité affective ou éducative, toutes situations qui ont en général entraîné des défaillances dans ce qui fait le sentiment de sécurité et de continuité d’existence qu’on nomme le narcissisme, rendant celui-ci vulnérable, fragile et surtout dépendant des apports immédiats de l’environnement, alors les conditions sont réunies pour que l’enfant confronté aux exigences nouvelles de son corps pubère n’en supporte pas les contraintes, en particulier celle-ci : devoir nécessairement attendre avant que les conditions d’une possible satisfaction soient réunies.

De façon en apparence paradoxale, quand cet autre enfant n’a connu dans son passé que comblement, satisfaction immédiate, avalanche de gratifications, relation de symbiose heureuse ou lien anxieux particulièrement serré, prendre le risque d’un
éloignement, vivre des moments d’attente, de tension et d’insatisfaction transitoire est inacceptable, totalement refusé, dénié pour s’installer dans une exigence infantile et omnipotente de tout, tout de suite, façade qui masque médiocrement la fragilité de l’assise narcissique sous-jacente. Par ces quelques exemples nous souhaitons insister sur l’importance du point de vue développemental dans la psychiatrie de l’adolescent, lequel nous semble consubstantiel à cette pratique.

Ainsi l’adolescence peut être regardée comme le révélateur d’un cliché qui aurait été pris dans l’enfance, elle en constitue le couronnement et les parents apparaissent comme les dépositaires de cette histoire d’enfance. A contrario , les troubles qui émergent à l’adolescence sont aussi le révélateur des défaillances vécues dans l’enfance et constituent un point de fixation potentielle pour la pathologie de l’adulte. La crise d’adolescence prend aussi racine dans l’histoire familiale de ce sujet et de son groupe d’appartenance : l’adolescent interpelle ses parents d’aujourd’hui mais il aimerait aussi connaître ses parents d’autrefois, ceux qui, un jour, ont eu son âge. Car pour regarder l’avenir en face, sans trop d’angoisse ni de frayeur il convient d’être adossé à un passé solide et sûr. Connaître ses ancêtres, se sentir inscrit dans une histoire repérable est pour l’adolescent une des meilleures protections face aux aléas et aux évènements de vie négatifs auxquels il risque toujours d’être confronté dans l’actualité de sa crise. De ce point de vue, l’histoire des parents est aussi l’histoire de l’adolescent et c’est à cet âge qu’il semble particulièrement important de la lui restituer. Cette dimension transgénérationnelle fait aussi partie de l’évaluation clinique et des actions thérapeutiques.

LES ADOLESCENTS ONT-ILS BESOIN D’UN DISPOSITIF DE SOIN SPÉCIFIQUE ?

Pour conclure, il nous paraît évident que la relation de soin avec le sujet adolescent est pleine d’ambiguïtés et de paradoxes, située à l’intersection de l’individuel, du familial et du collectif, toujours inscrite dans un point de vue développemental. Si l’objectif de tout médecin d’adolescent est d’aider ce sujet à « prendre soin de lui-même » au moyen d’une pédagogie de la relation médicale particulièrement attentive, pour le psychiatre d’adolescent l’objectif correspondant est de permettre à cet adolescent d’investir sa propre pensée, d’en faire un objet d’intérêt : l’adolescence est l’âge de la « subjectivation » [44], l’âge où le sujet s’affirme par lui-même et prend sa propre pensée comme objet de pensée (« Pourquoi est-ce que je pense à cela ? »). Une grande partie des troubles qui émergent à cet âge ont un rapport étroit avec cette nécessité. Mais avant d’en arriver là, le psychiatre d’adolescent aura dû très souvent accompagner son patient dans des stratégies de contournement, de médiation parce que, pour lui précisément, investir cette pensée en son nom est ce qui apparaît particulièrement douloureux [45].

Il y a quelques années il arrivait d’entendre dire que tel adolescent ne demandait rien pour lui-même et que, au nom de cette absence de demande il n’était ni possible ni
souhaitable de le prendre en charge. Ce genre de débat n’a plus lieu d’être et tout psychiatre d’adolescent est convaincu de la nécessité fréquente de prendre en charge un jeune même si celui-ci ne demande rien, en apparence. C’est en énonçant son propre souci, son propre point de vue et en le communiquant à l’adolescent que le psychiatre peut initier une relation de soin sans exiger de cet adolescent ce qu’il se refuse à avouer : l’éventuel besoin d’un autre quand précisément toutes ses conduites pathologiques sont érigées pour dénier la profondeur de ce besoin.

Mais il faut aussi proposer à ce jeune un cadre propice où pourront se déployer des investissements nouveaux, des rencontres multiples, non seulement avec divers soignants mais aussi avec des pairs susceptibles de relancer la dynamique du fonctionnement psychique… Les unités de soin pour adolescents ne sont pas seulement une exigence conjoncturelle, c’est aussi un moyen indispensable pour les premiers temps d’un abord thérapeutique souvent difficile avec ces patients : leurs offrir des lieux où l’utilisation de médiateurs permet à l’adolescent de réinvestir progressivement une pensée qui l’effraie, des unités de soins où il pourra retrouver d’indispensables relations avec le groupe des pairs, des lieux où une séparation du milieu familial est possible et pensable, des structures qui prennent en compte ses besoins développementaux, en particulier scolaires, et qui dans une perspective toujours transnosographique acceptent une interdisciplinarité en général difficile à faire vivre au quotidien… Les modalités de traitement ont considérablement évolué ces dernières années, se sont diversifiées et sollicitent des compétences élargies :

l’approche médicamenteuse et psycho-pharmacologique occupe une place importante mais non exclusive, posant de multiples questions dont la moindre n’est pas le difficile maniement de l’alliance thérapeutique avec le jeune lui-même comme avec ses parents, ce qui est la condition indispensable d’une bonne observance ; les diverses approches psychothérapeutiques, qu’elles soient relationnelles ou cognitivo-comportementales, s’adressent en priorité au jeune lui-même mais les parents (ou la famille élargie) sont souvent sollicités pour des troubles dont le retentissement sur l’équilibre familial est toujours considérable. La question de la séparation est habituelle [46], ce qui fait intervenir toutes les possibilités d’aménagement du cadre de vie de l’adolescent par rapport à ses parents (internat, foyer, hospitalisation, etc…), car contrairement à ce qu’on observe chez l’enfant, la séparation quand elle est bien négociée et préparée possède un incontestable pouvoir thérapeutique. Mais dans tous les cas les capacités de négociation du médecin avec l’adolescent lui-même et avec ses parents représentent une originalité qui désarçonne nombre de cliniciens et conditionne la qualité de l’observance thérapeutique, question essentielle et souvent occultée dans la relation de soin : de ce point de vue la médecine et la psychiatrie de l’adolescent ont directement conduit à se poser ces questions fondamentales.

Effectivement les adolescents ont des besoins spécifiques, en particulier pour ce qui concerne le cadre de soin. Sans aller jusqu’à une politique ségrégative où tous les adolescents ne devraient se retrouver qu’entre eux, il n’en reste pas moins vrai que les besoins de soins sont actuellement très loin d’être satisfaits même partiellement
et les conduites pathologiques que ces jeunes présentent peuvent aussi être comprises comme le symptôme d’une inadéquation fondamentale entre ce que la société offre aujourd’hui à ses jeunes et ce dont ils ont besoin pour leur santé physique ou psychique. Mais pour répondre à leur mission, les unités de soin d’adolescents doivent bénéficier d’un personnel correctement formé et cette mission passe aussi par la reconnaissance d’une psychiatrie de l’adolescent qui, sans être une spécialité totalement indépendante, doit bénéficier cependant de la reconnaissance d’une autonomie réelle.

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[46] Marcelli D. — Adolescence et Séparation : trajets de soin. Poitiers : 2001, FIREA éd, 1 vol.

COMMENTAIRES et DISCUSSION

M. Philippe JEAMMET 1

Le professeur Marcelli a bien montré ce qui constitue, pour nous psychiatres d’adolescents, les enjeux et les spécificités psychopathologiques de cet âge et plus particulièrement son rôle révélateur des vulnérabilités de l’enfance marqué par l’émergence de troubles psychiques et comportementaux propres à l’adolescence. Ce qui frappe le clinicien c’est combien à vulnérabilité égale les destins de ces adolescents peuvent être différents.

Certains vont faire de cette fragilité une force qui va les pousser à une quête d’auto affirmation et une recherche de la restauration de leur image par l’acquisition de connaissances et le développement d’activités créatrices. D’autres vont au contraire faire de leur faiblesse une force et s’enfoncer dans des conduites d’auto-sabotage de leurs potentialités et de destruction d’eux-mêmes et des autres.

Ils ont souvent en commun une même insécurité interne, une mauvaise image d’euxmêmes qui les rendent très « environnement dépendants » pour assurer leur équilibre psychique et un minimum d’estime d’eux-mêmes. Cette excessive dépendance de l’exté- rieur, pour assurer leur image et leur estime d’eux-mêmes, les rend particulièrement vulnérables et intolérants aux attitudes des autres à leur égard. Ils supportent mal la 1. Institut Mutualiste Montsouris — 42, Bld Jourdan — 75674 Paris cedex 14.

frustration et plus encore la déception et y réagissent par la tentation du négatif et de la destruction, qu’elle soit dirigée contre eux ou contre les autres et souvent les deux.

Ces adolescents illustrent tragiquement cette capacité propre à l’homme de s’autodétruire sans limites, contrepartie de sa capacité créatrice elle aussi potentiellement indéfinie. Le plaisir comme la réussite ont une fin, sont limités, ne dépendent jamais entièrement de nous et nous font sentir notre dépendance à l’égard des autres et de la réalité externe. L’échec et la capacité de détruire sont en revanche toujours à la disposition de celui qui se sent impuissant face aux autres et au monde. L’adolescent peut découvrir le pouvoir que lui confère cette capacité destructrice et notamment autodestructrice et utiliser ce recours au négatif comme une véritable drogue. L’insatisfaction, la plainte, l’opposition et les conduites d’auto-sabotage deviennent un moyen de réguler la distance avec ceux dont il se sent particulièrement dépendant et notamment les parents.

Il inquiète et suscite l’attention des adultes. Il est enfin vu et pris en compte mais en même temps ne perçoit plus sa dépendance à l’égard des adultes dans la mesure où par son insatisfaction et la persistance de ses conduites négatives il fait la preuve de leur impuissance et échappe à leur pouvoir.

L’insistance du professeur Marcelli sur l’importance du dispositif de soin aux adolescents me paraît de ce fait particulièrement bienvenue. On comprend, comme il le souligne, qu’il ne faut pas attendre que les adolescents de plus en plus en difficulté soient demandeurs d’une aide. Ils le sont indirectement par leurs comportements destructeurs.

Il sont pris et nous avec eux dans ce paradoxe que s’ils sont laissés à eux-mêmes ils se sentent abandonnés mais si on vient vers eux ils se sentent envahis voire persécutés. Il faudra donc savoir leur prescrire ce dont en fait ils ont envie sans qu’ils le vivent comme une soumission ou une reddition. Le travail avec les parents et l’entourage, comme la diversité des offres de soin, en sont les meilleurs moyens.

M. Philippe PARQUET 2

Le professeur Daniel Marcelli a insisté sur les troubles psychopathologiques et les troubles mentaux rencontrés à l’adolescence, troubles anxieux, en particulier troubles obsessionnels compulsifs, troubles dépressifs, troubles des conduites alimentaires, comportements suicidaires, troubles liés aux consommations de substances psychoactives. Sa communication a été essentiellement centrée sur les troubles mentaux. Il s’agit là d’une mission essentielle de la psychiatrie infanto-juvénile qui s’inscrit dans l’ordre du sanitaire, de l’expertise et du soin.

Je voudrais attirer l’attention de l’Académie sur le fait qu’une autre mission est dévolue à la psychiatrie infanto-juvénile. Il s’agit de la prise en charge de la souffrance psychique survenant lorsque les enfants et les adolescents sont aux prises avec les difficultés biopsychosociales qui dépassent leurs mécanismes d’adaptation et de défense, par exemple lors d’une maladie chronique face à un dysfonctionnement familial, face à une psychopathologie parentale, face aux effets de la précarité et de l’exclusion et face aux dysfonctionnements des comportements sociaux. Ces adolescents et adolescentes ne présentent pas de troubles mentaux caractérisés et la prise en charge de cette souffrance psychique nécessite d’autres compétences et d’autres dispositifs.

Je souhaiterais affirmer fortement que la plupart des adolescents et des adolescentes dans notre pays vont bien et que ceci fait probablement suite aux actions éducatives pour la 2. Service d’Addictologie — Clinique de la Charité — 57, Bld de Metz — 59037 Lille cedex.

santé et aux actions de prévention. Cette mission est une mission de santé mentale, qui vise à permettre à l’enfant de construire progressivement et d’exercer au moment de l’adolescence et ensuite dans sa vie entière des compétences lui permettant de s’adapter aux exigences personnelles que chaque sujet peut avoir et aux exigences que la société peut avoir sur chacun d’entre nous. Cette mission de santé mentale vise à développer les compétences du sujet face à des déterminants biologiques, psychologiques, socioéducatifs et environnementaux.

Pour certains d’entre nous, seul l’aspect sanitaire prenant en charge les troubles mentaux fait partie des objectifs et des missions de la psychiatrie infanto-juvénile. Pour moi, les missions de prise en charge des souffrances psychiques et le développement de la santé mentale sont aussi tout à fait essentiels et permettent de penser que la psychiatrie infanto-juvénile est autre chose que ce qu’elle était autrefois.

Nous avons à réfléchir sur le fait que, compte tenu des processus de l’adolescence, certains désordres surviennent à ce moment là, que ces troubles peuvent être rencontrés dans la petite enfance mais revêtent une expression clinique singulière avec les compétences et les modes de développement de l’adolescent. Le problème est donc de savoir quelle est la nature même de la spécificité à l’adolescence des troubles, ce qui va entraîner des conséquences sur les modalités de prise en charge et sur les compétences à développer chez les différents acteurs médico-sociaux qui œuvrent auprès des adolescents.

Enfin, la prise en charge des troubles mentaux, la prise en charge de la souffrance psychique, les missions de santé mentale sont toujours des stratégies sanitaires et éducatives intentionnelles. En définitive, nous cherchons à développer les processus de développement du sujet « allant et devenant adultes » ou à réduire l’impact des troubles mentaux. Mais les actions sont déterminées en fonction de l’idée que nous nous faisons de ce que doit être l’adulte. Le soin, l’accompagnement du soutien, l’aide et l’éducation se font toujours dans une dimension humaniste.

M. Maurice TUBIANA

Ces observations posent trois questions étroitement liées : quelles sont les origines de ces comportements ? Pourquoi sont-ils particulièrement répandus en France ? Que peut-on faire pour améliorer la situation ? Dans ce domaine, un rapport récent de l’Académie se termine par trois recommandations : des études sur cohorte suivant des enfants depuis leur toute petite enfance pour mieux cerner la santé mentale des enfants français et leur évolution ;

donner une meilleure formation sur le développement psychique des enfants aux enseignants depuis la maternelle jusqu’à l’école élémentaire, en particulier pour leur permettre de mieux détecter les troubles de santé mentale ; l’éducation parentale afin d’aider et de préparer les parents dans leur tâche difficile.

Effectivement, comme j’ai essayé de le montrer dans mon exposé, il y a de nombreux liens entre l’enfance et l’adolescence. De ce point de vue, l’étude de cohortes suivies pendant un temps qui puisse couvrir l’enfance et l’adolescence serait de la plus haute importance. Il faut bien reconnaître que ce genre d’étude a jusqu’à présent été peu effectué en France.

Des données seraient de la plus grande utilité. En ce qui concerne la formation des enseignants, il y a certainement des progrès à faire pour ce qui concerne la sensibilisation et la formation au développement psychique des enfants, surtout dans la petite enfance.

Il me paraît également important d’insister sur les services de santé scolaire en particulier les médecins scolaires dont le statut et la carrière ne paraissent pas être des plus attrayants. Quant à l’éducation parentale, c’est un domaine particulièrement délicat car,
si en matière d’éducation on sait à peu près ce qu’il est très nuisible de faire, on doit avoir beaucoup de modestie lorsqu’on donne des conseils sur ce qu’il serait utile de faire. À titre d’exemple, trop souvent après avoir identifié une attitude ou une condition négative et nuisible, on en infère aussitôt que l’inverse sera bénéfique pour tout le monde. Ce mode de raisonnement très répandu n’a, en réalité, aucun fondement scientifique et peut parfois se retourner en son contraire.

M. Roger NORDMANN

Notre Compagnie se doit de poursuivre l’étude de la santé mentale de l’enfant et de l’adolescent, thématique que nous nous proposons de suggérer à l’ordre du jour de la Commission V afin d’aboutir, si possible, à l’élaboration de recommandations destinées à réduire la prévalence des conduites à risques des enfants et des adolescents. Plus spécifiquement, il m’apparaît que le chiffre de 28,3 % des jeunes de 12 à 19 ans ayant fait usage de cannabis, chiffre cité par vous, peut être utilement complété par celui de près de 60 % des jeunes de 19 ans, indiquant qu’il s’agit d’un comportement majoritaire dans cette tranche d’âge.

Je n’ai effectivement pas détaillé les niveaux de consommation par tranche d’âge. Il est aisé de comprendre qu’avec l’âge la consommation de produits augmente sensiblement en particulier celle du cannabis et le pourcentage de consommateurs que vous avancez à l’âge de 19 ans (60 %) me semble d’ailleurs plus proche du plancher que du plafond…

Toutefois, ces chiffres masquent aussi des modes de consommation très différents d’un individu à l’autre et c’est surtout sur ce mode de consommation qu’il importe d’insister au plan de la santé individuelle.

M. Didier-Jacques DUCHÉ

Comment analysez-vous l’incidence de la dépression au cours de l’adolescence ? La physiologie pubertaire peut-elle jouer un rôle ? Vous dites qu’il y a un lien entre le début de la consommation de produits illicites à l’adolescence et le risque de dépendance à l’âge adulte.

Existe-t-il des critères prédictifs de cette dépendance ou faut-il considérer comme pathologique toute forme de consommation de drogue à l’adolescence ?

Concernant la dépression, il y a effectivement une augmentation sensible au moment de la puberté et l’augmentation d’incidence n’est pas la même selon le sexe. Dans l’enfance, avant la puberté, il y a plus d’états dépressifs chez le garçon que chez la fille. La situation change autour de 13 ans et plus encore autour du stade 3 de Tanner, comme cela a été démontré lors de récents travaux. À l’âge adulte, on sait que le pourcentage de dépression est plus élevé chez les femmes que chez les hommes. C’est au moment de l’adolescence et de la puberté qu’on constate ce changement. Incontestablement, les hormones, en particulier les hormones sexuelles, semblent jouer un rôle. On peut évoquer d’un côté le rôle favorisant des hormones sexuelles féminines, en particulier oestrogènes, mais aussi le rôle « protecteur » des hormones masculines, en particulier testostérone. Cela a été évoqué mais la démonstration scientifique rigoureuse reste délicate à effectuer. La seconde question concerne la consommation des produits à l’adolescence en particulier des produits illicites et le risque de dépendance. Il est vrai qu’un nombre important d’adolescents arrête de consommer dans les deux années qui suivent. L’objectif n’est donc pas de stigmatiser n’importe quelle consommation à l’adolescence mais plutôt d’évaluer le mode de consommation. C’est ainsi que j’ai essayé dans plusieurs travaux de
distinguer ce que j’ai appelé la consommation festive ou conviviale, la consommation auto-thérapeutique ou la consommation dite toxicomaniaque. Ces différents modes de consommation nécessitent d’évaluer le contexte non seulement individuel mais aussi familial, social, scolaire et culturel dans lequel l’adolescent se met à consommer. Il est difficile ici d’entrer dans trop de détails et je me permets, sur ce point, de renvoyer au chapitre « consommation de produits » de notre ouvrage avec Patrick Alvin : Médecine de l’Adolescent.

M. Pierre GODEAU

À côté des problèmes psychiatriques spécifiques que posent les adolescents et qui ont justifié la mise en place de structures particulières pour les prendre en charge, il faut également aborder la question des patients atteints d’affections organiques depuis l’enfance, qu’il s’agisse d’affections génétiques ou acquises ; ces maladies chroniques comportent des contraintes d’observance des traitements difficilement compatibles avec le désir de liberté et d’émancipation des adolescents. Si certains ont mûri précocement du fait même de leur maladie, d’autres restent accrochés à leur enfance — et à leur pédiatre — et les médecins d’adultes sont mal préparés à les traiter. N’y aurait-il pas lieu d’envisager des structures hospitalières particulières en médecine interne ou dans d’autres spécialités, mieux adaptées à ce type de patients ?

Incontestablement, les progrès effectués en matière de soins dans le cadre des maladies chroniques ont permis à nombre d’adolescents d’atteindre cet âge voire de parvenir à l’âge adulte. Ceci explique que le nombre d’adolescents atteints de maladies chroniques parfois graves et invalidantes augmente sensiblement. L’adolescence et la puberté bouleversent souvent de façon très sensible aussi bien l’équilibre physiologique qui avait été plus ou moins bien atteint pendant l’enfance que les conditions psychologiques d’adaptation à la maladie. Ainsi, on sait que la puberté représente une période de résistance relative à l’action de l’insuline, ce qui entraîne une fragilité temporaire de l’équilibre insulinique dans le cadre des diabètes insulinodépendants juvéniles. Mais surtout comme vous le remarquez, le contexte psychologique change profondément. Toutes les enquêtes montrent que la première question et la première inquiétude avancées par les adolescents en cas de maladie chronique sont celles de l’entrave à leur liberté et leur autonomie… Je ne reviendrai pas sur tout ce qui a été écrit concernant l’observance thérapeutique à cet âge, même si ce sujet est loin d’être spécifique des adolescents. Toutes ces remarques devraient justifier largement la création d’unités de soins pour adolescents et je trouve personnellement regrettable qu’il y en ait encore si peu dans les grands centres urbains.

Toutefois, je me permets d’insister sur le fait que de telles unités, pour être viables et efficaces, doivent prendre en compte de façon impérieuse les deux dimensions somatique et psychologique. Ceci devrait se traduire de façon très nette dans l’organigramme des structures de soins jusqu’à l’idée d’une co-direction médecin somaticien — médecin psychiatre, pour ces unités de soins.

M. Pierre PICHOT

Les limites de l’adolescence se modifient. Son début est marqué par un fait biologique, la puberté, qui depuis plusieurs décennies apparaît plus précocement. Sa fin est marquée par l’acquisition d’une indépendance socio-économique, qui tend à être acquise de plus en plus tardivement. Ce fait entraîne que la période d’adolescence est de plus en plus longue, et masquée pour une partie importante par son ambiguïté : le sujet est adulte biologiquement et adolescent socialement. Cette ambiguïté est d’ailleurs exprimée par les hésitations des pouvoirs publics pour fixer les âges qui marquent le passage au statut d’adulte (majorité légale, entre autres).

Incontestablement dans notre époque actuelle, l’adolescence s’étend sur une période de plus en plus longue. D’ailleurs, il n’est pas rare d’entendre dire que désormais nombre de jeunes adultes se comportent comme des adolescents attardés… Puis-je me permettre une remarque sur cette notion « d’attardement ». Notre espèce a dû son succès en grande partie à ce qu’on peut appeler le « retardement d’évolution » lui donnant une capacité d’adaptation et de plasticité bien plus grande que pour toutes les autres espèces. De ce point de vue, l’adolescence peut être conçue comme un « retardement d’évolution sociale » : l’adolescence n’est-elle pas caractérisée par l’importance des changements et la société actuelle, a fortiori la société future, ne demandera-t-elle pas de plus en plus à ses sujets d’être capables de s’adapter et de changer. La longueur de l’adolescence pourrait être ainsi comprise comme une sorte d’adaptation aux conditions sociales futures, en particulier celles qui exigeront des futurs adultes une plasticité adaptative longtemps conservée…


* Professeur de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent — Centre Hospitalier Henri Laborit — BP 587 — 86021 Poitiers Cedex. Tirés-à-part : Professeur Daniel Marcelli, à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 28 janvier 2002, accepté le 25 février 2002.

Bull. Acad. Natle Méd., 2002, 186, no 4, 759-777, séance du 30 avril 2002