Communication scientifique
Séance du 28 octobre 2008

La prévention des accidents vasculaires cérébraux chez les malades drépanocytaires. Résultats, problèmes et avenir

MOTS-CLÉS : accident vasculaire cérébral. drépanocytose. échographie doppler transcrânienne. transfusion sanguine. transplantation
Stroke prevention in sickle-cell disease : results, hurdles and future perspectives
KEY-WORDS : anemia, sickle cell. blood transfusion. stroke. transplantation. ultrasonography, doppler, transcranial

Françoise Bernaudin, Suzanne Verlhac

Résumé

La drépanocytose est la cause la plus fréquente de survenue d’accidents vasculaires céré- braux (AVC) durant l’enfance. Les accidents vasculaires cérébraux (AVC) surviennent chez 11 % des enfants drépanocytaires homozygotes laissant de fréquentes séquelles motrices et cognitives. Le Doppler transcrânien (DTC) en mesurant la vitesse du flux artériel cérébral permet de détecter les patients à risque d’AVC et doit être pratiqué annuellement dès l’âge de 12-18 mois : ceux ayant des vitesses moyennes maximales >= 2m/sec ont un risque de survenue d’AVC de 40 % dans les trois ans que la mise en route d’un programme transfusionnel permet de réduire à moins de 2 %. Ceci a pu être vérifié au sein de notre cohorte néonatale systématiquement explorée par DTC depuis 1992 par DTC et chez laquelle le risque d’AVC avant l’âge de dix-huit ans a été réduit à 1,9 %. Le problème restant est celui du programme transfusionnel à long terme avec les risques viraux éventuels, l’allo-immunisation et la surcharge en fer que seule la greffe de cellules souches hématopoïétiques permet d’arrêter de façon sécuritaire. Les chances de guérison après greffe géno-identique étant désormais de 95 %, les indications en ont été élargies et la cryopréservation des sangs placentaires de la fratrie encouragée. Les possibilités de diagnostic pré-implantatoire devraient permettre d’augmenter les chances d’avoir un donneur compatible. * Hématologie-Pédiatrie, Hôpital Intercommunal de Créteil, 40 avenue de Verdun 94000 Créteil ** Radio-Pédiatrie, Service d’Imagerie Médicale Centre de Référence des Syndromes Drépanocytaires Majeurs, Hôpital Intercommunal de Créteil Tirés à part : Professeur Françoise Bernaudin, même adresse. Article reçu et accepté le 13 octobre 2008

Summary

Sickle cell disease (SCD) is the most frequent cause of stroke during infancy, and stroke is the most serious complication of SCD in children. Sludge-induced distal vasculopathy explains 25 % of strokes in SCD, while proximal vasculopathy is responsible for 75 % of cases. The stenoses observed in SCD-related proximal vasculopathy are progressive and can be detected by transcranial Doppler (TCD), a reliable, non-invasive and low-cost imaging method. High velocities (> 2 m/s) are associated with a 40 % risk of stroke within 36 months, but initiation of a transfusion program maintaining the HbS level under 30 % reduces the risk to less than 2 %. TCD must be performed in all children at 12-18 months of age to detect cerebral vasculopathy and prevent stroke. This approach has been adopted in our institution, based on a cohort of SCD newborns screened at birth: the risk of stroke was reduced from the expected 11 % to less than 2 % at 18 years. Genoidentical stem cell transplantation, which safely obviates the need for transfusion programs and provides a 95 % chance of cure, should be offered early to patients at risk of stroke. When possible, sibling cord blood cryopreservation is recommended.

INTRODUCTION, ÉPIDÉMIOLOGIE

La drépanocytose est actuellement la maladie génétique la plus fréquemment dépistée en néonatal puisque environ quatre-cents nouveaux cas de syndromes drépanocytaires majeurs sont dépistés chaque année à la naissance en France (données AFDPHE).

L’accident vasculaire cérébral (AVC) est la complication la plus sévère de la drépanocytose, grevée d’une lourde morbidité et mortalité. L’étude américaine CSSCD basée sur le suivi de plus de 4 000 patients pendant dix ans dont 700 enfants depuis la naissance a retrouvé un risque d’AVC de 11 % à vingt ans, 15 % à trente ans et 24 % à quarante-cinq ans chez les patients SS et respectivement 2 %, 4 % et 10 % chez les patients SC (1). Les accidents étaient surtout ischémiques avant vingt ans avec un risque maximum entre un et neuf ans et après trente ans et hémorragiques entre vingt et vingt-neuf ans [1].

Le risque d’AVC dans l’enfance est deux cent vingt fois plus important dans la drépanocytose (risque de 285 pour 100 000 par an) que dans la population non drépanocytaire (risque de 1,29 pour 100 000 par an) comme le montre une étude menée aux USA entre 1988 et 1991 dans le Washington DC et recensant tous les AVC survenant chez les enfants âgés de un à quatorze ans [2]. En ce qui concerne le risque d’AVC ischémique, il est même quatre cent dix fois plus important que dans la population générale infantile [2].

À ce risque d’AVC cliniques, il faut ajouter celui des AVC « dits silencieux » correspondant à des lésions ischémiques visibles à l’IRM, ne se traduisant pas par des signes neurologiques moteurs ou sensitifs mais pourvoyeurs d’atteinte cognitive [3] et touchant 17 à 35 % des enfants drépanocytaires sans antécédent d’AVC cliniques [3-5].

 

PHYSIOPATHOLOGIE

La mutation ponctuelle caractéristique de la drépanocytose, substituant la valine par l’acide glutamique en sixième position de la chaine β [6, 7] , est responsable du remplacement de l’hémoglobine A normale par l’hémoglobine S polymérisant dans les situations d’hypoxie, d’acidose, de déshydratation et d’infection. La polymérisation de l’hémoglobine S présente dans les syndromes drépanocytaires majeurs (homozygotes SS, doubles hétérozygotes SC ou Sβ-Thal) aboutit à la déformation des globules rouges en faucilles qui deviennent rigides et hyper-adhérents. D’une part la durée de vie des hématies est raccourcie expliquant l’anémie, d’autre part les hématies falciformées interagissent avec la paroi vasculaire et provoquent des phénomènes de vaso-occlusion. [8]. Ce processus de polymérisation est d’abord réversible en cas de réoxygénation de l’hémoglobine. Après plusieurs cycles de polymérisation et de dépolymérisation, des lésions oxydatives des membranes érythrocytaires apparaissent, et la polymérisation devient irréversible. L’adhésion des drépanocytes aux cellules endothéliales favorise la thrombose par exposition des phospholipides et diminution des inhibiteurs de la coagulation (protéines S et C). La thrombine active ensuite les plaquettes qui augmentent encore adhésion et vasoocclusion. Un cercle vicieux faisant intervenir les cellules endothéliales, les molécules d’adhésion, neutrophiles et monocytes aboutit sur le lieu d’agression endothé- liale à l’hyperplasie de l’intima conduisant au rétrécissement artériel. Par ailleurs, un manque de disponibilité du vasodilatateur NO au cours des crises drépanocytaires contribue à la constriction des petits vaisseaux [9].

Bien que maladie monogénique, la drépanocytose a une expressivité clinique variable et dépendant d’un environnement multigénique. La drépanocytose expose à la survenue de complications cliniques très différentes telles que les crises douloureuses vaso-occlusives (CVO), les syndromes thoraciques aigus (STA), qui surviennent surtout chez les patients avec importante leucocytose et anémie moins sévère et chez lesquels l’hydroxyurée a montré son efficacité dans la réduction de la fréquence des crises. Par contre, les complications telles que les AVC, les priapismes, les ulcères cutanés et l’hypertension pulmonaire touchent préférentiellement les patients dré- panocytaires présentant l’anémie hémolytique la plus intense [9].

Physiopathologie de la vasculopathie cérébrale du drépanocytaire

La vasculopathie cérébrale du drépanocytaire comporte une vasculopathie distale de la microcirculation en rapport avec l’effet sludge lui-même induit par la falciformation des globules rouges drépanocytaires et une vasculopathie proximale des grosses artères, sténosante et progressive [10-14].

Dans 75 % des cas environ, la lésion principale de la drépanocytose est une sténose progressive des artères de la base du crâne, touchant surtout le système carotidien :

artères carotides internes (CI) au niveau du siphon et du segment terminal, céré- brales moyennes (ACM) et cérébrales antérieures(ACA) dans leur segment proximal, aboutissant à l’obstruction et s’accompagnant du développement d’un réseau de collatérales, notamment au niveau des vaisseaux lenticulostriés, réalisant l’aspect de moyamoya décrit en artériographie, qui expose secondairement au risque d’hémorragie. La sténose est progressive, circonférentielle par hyperplasie de l’intima et de la média, pouvant aboutir à l’occlusion. Le mécanisme est multifactoriel. On évoque une adhésivité anormale et une activité procoagulante des drépanocytes, des perturbations des cellules endothéliales et de la réactivité vasculaire, des anomalies de l’hémostase et les barotraumatismes chroniques liés aux vitesses élevées et aux turbulences qui existent au niveau des artères du polygone de Willis chez ces patients anémiques. Le mécanisme en cause à l’origine de ces sténoses n’est pas complètement élucidé. Il pourrait s’agir d’un processus de cicatrisation d’une lésion de l’endothélium vasculaire provoquée par les drépanocytes rigides et adhé- rents, favorisée par l’hypoxie, dans les segments artériels où les vitesses de circulation du sang sont très rapides et le flux turbulent du fait de la conformation anatomique des bifurcations et de l’augmentation du débit cardiaque et du débit sanguin cérébral secondaire à l’anémie et à la vasodilatation artériolaire cérébrale, qui existe chez le drépanocytaire et particulièrement chez le jeune enfant. Ces sténoses entraî- nent une réduction de l’apport sanguin et en oxygène aux territoires d’aval et la survenue d’accidents ischémiques de la substance blanche et grise préférentiellement dans les zones frontières entre deux territoires artériels. Ces lésions artérielles sont responsables d’infarctus dans le territoire parenchymateux irrigué par l’artère lésée, mais aussi dans les territoires jonctionnels corticaux et les territoires jonctionnels profonds des artères perforantes dans la substance blanche. Les sténoses et la polymérisation de l’hémoglobine S vont favoriser la survenue de thrombose à l’origine de l’accident vasculaire clinique. L’infarctus peut être lié à une interruption du flux sanguin, mais aussi à une chute importante du débit sanguin cérébral local responsable d’une hypoxie tissulaire, et parfois à la mobilisation d’embols. Les lésions sont bilatérales dans la moitié des cas. Elles peuvent être précoces dès l’âge de 2 ans et progresser pendant des mois ou des années avant la survenue de l’accident clinique. Les sténoses avec ou sans occlusion sont responsables du développement d’un réseau de collatérales de type Moya—Moya, notamment au niveau des vaisseaux lenticulo-striés. Ce réseau collatéral est fragile et sa rupture est à l’origine des accidents vasculaires hémorragiques observés surtout après l’âge de vingt ans. Des anévrysmes en particulier au niveau du cercle de Willis sont également observés, ils se développent avec l’âge et sont susceptibles de se rompre. Le système vertébrobasilaire serait rarement touché.

Dans 25 % des cas environ, les AVC sont expliqués par une obstruction des petits vaisseaux corticaux et sous corticaux. Il est probable que l’hypoxie et l’effet sludge c’est-à-dire le ralentissement et l’agglomération des drépanocytes dans les petits vaisseaux jouent un rôle. Dans ces cas, il n’existe pas de lésion des gros troncs artériels et on invoque un mécanisme touchant les petits vaisseaux avec troubles hémodynamiques. En effet, il existe chez le drépanocytaire des modifications hémo- dynamiques réactionnelles à l’anémie chronique comportant une augmentation du débit cardiaque et du débit sanguin cérébral et une diminution des résistances vasculaires périphériques par vasodilatation. La fonction d’autorégulation du flux cérébral est perturbée et une aggravation brutale de l’anémie, une chute tensionnelle ou une hypoxie peuvent provoquer une hypoperfusion diffuse ou focale, aggravée par des phénomènes de ralentissement du flux et obstruction de la lumière des petits vaisseaux par effet sludge.

ACCIDENTS VASCULAIRES DU DREPANOCYTAIRE

Accidents vasculaires cérébraux cliniques

Les AVC sont ischémiques dans 75 % des cas et hémorragiques dans les autres cas.

Ils sont liés dans 72 % des cas à l’atteinte des gros vaisseaux : 41 % des cas par occlusion des artères cérébrales antérieures (ACA), moyennes (ACM), des carotides internes (CI) et 31 % des cas correspondent à des accidents jonctionnels tandis que 28 % des cas sont liés à une atteinte des petits vaisseaux ou à une embolie [15]. Ils surviennent surtout entre 5 et 10 ans (37 % des cas) mais 20 % surviennent avant 5 ans, 29 % de 10 à 15 ans et 14 % de 15 à 19 ans [10]. Les symptômes cliniques les plus fréquents sont l’hémiparésie, l’aphasie ou la dysphasie avec ou sans convulsions.

L’AVC peut survenir sans prodrome ou lors d’une crise vaso-occlusive (CVO) plus ou moins fébrile ou d’une crise palustre. Parfois l’AVC peut avoir été favorisé par l’hyperviscosité induite par une transfusion trop importante ou au contraire par une saignée trop abondante lors d’un échange. L’évolution immédiate peut être le décès (seconde cause de décès chez l’enfant après l’infection) mais dans 98 % des cas les enfants survivent à ce premier AVC. La plupart (62,5 %) récupèrent complètement sur le plan moteur [10] mais les séquelles cognitives sont pratiquement constantes et s’accentuent avec le temps du fait des difficultés d’acquisition [16]. Le risque cognitif est d’autant plus élevé que l’AVC est survenu chez un enfant plus jeune. Les facteurs de risque de survenue d’AVC retrouvés dans différentes études sont l’anémie sévère de base, un antécédent d’accident ischémique transitoire (AIT), la survenue récente ou fréquente de syndrome thoracique (STA) [1] et l’hypoxie nocturne [17]. La constatation d’une augmentation de risque d’AVC dans la fratrie drépanocytaire d’un enfant drépanocytaire ayant fait un AVC suggère l’existence d’une prédisposition familiale [18]. Les gènes candidats incluent ceux impliqués dans l’adhésion à l’endothélium, l’inflammation et la thrombose. Certains groupes HLA [18] et certains polymorphismes du récepteur de l’IL4 et du TNF influent sur le risque de macrovasculopathie [20].

Accidents vasculaires infracliniques ou silencieux

La pratique systématique de l’imagerie cérébrale par IRM a permis de mettre en évidence chez des enfants drépanocytaires sans antécédents cliniques neurologi- ques, l’existence de lésions ischémiques dites infracliniques ou silencieuses : la prévalence varie de 10 à 38 % selon les études et l’âge du patient [21-23]. L’étude multicentrique française (PHRC 95) menée dans cinq centres et concernant 173 enfants drépanocytaires âgés de 5 à 15 ans avait retrouvé une incidence de 15 % d’AVC infracliniques [3] mais avec l’amélioration des techniques d’imagerie, l’expé- rience plus récente est en faveur d’une incidence plus importante puisque de 38 % à 15 ans chez les patients SS/Sb0 [23]. IL est clairement démontré que ces lésions ischémiques dites « silencieuses » sont associées à des perturbations cognitives [3] et qu’elles sont prédictives d’un risque accru d’AVC cliniques et de survenue de nouvelles lésions [22, 24]. Les facteurs de risque d’infarctus silencieux sont un antécédent de convulsions, la fréquence faible de crises douloureuses vasoocclusives, un taux bas d’hémoglobine [25, 26], une hyperleucocytose, le génotype beta S Senegal [25], la présence de sténoses et le sexe male [26].

PRÉVENTION DES ACCIDENTS VASCULAIRES

Prévention des récidives d’AVC cliniques

En l’absence de traitement, l’AVC récidive dans 67 % des cas dans les 12 à 24 mois suivant le premier épisode. Les transfusions au long cours réduisent ce risque à 10 % [27] et l’allogreffe génoidentique à 6 % [28]. L’Hydréa a été utilisé par certains chez des patients intransfusables mais un risque de récidive précoce de 19 % a été observé [29].

Apport du Doppler transcrânien pour la prévention primaire des AVC cliniques

Le Doppler transcrânien (DTC) est une technique d’échographie qui permet de visualiser les artères intracrâniennes, de vérifier leur perméabilité et de détecter la sténose d’une artère intracrânienne en enregistrant une accélération localisée anormale de la vitesse circulatoire [30-32]. Une accélération de la vitesse correspond soit à une réduction de la lumière artérielle sans changement de débit, soit à une augmentation de débit sans changement du calibre de l’artère en rapport avec une anémie profonde ou en réponse à une hypoxie tissulaire distale.

La technique du Doppler couleur permet de repérer les artères et de placer la fenêtre de Doppler pulsé en adaptant la position et l’orientation de la sonde de manière à aligner l’axe de tir Doppler et l’axe du vaisseau et obtenir le meilleur spectre Doppler [32].

L’absence de fenêtre acoustique est rare chez l’enfant, rencontrée dans 1 à 6 % des cas [33]. Elle peut être unilatérale et variable d’un examen à l’autre. Elle peut être secondaire à un épaississement de la voûte en rapport avec un infarctus avec atrophie du parenchyme cérébral sous jacent et incite à réaliser une IRM [23].

Le paramètre mesuré est la moyenne des vitesses maximales au cours d’un cycle obtenue après tracé électronique ou manuel de l’enveloppe d’un ou deux spectres.

 

C’est cette vitesse moyenne exprimée en mètres par seconde et non la vitesse systolique ni la vitesse moyenne instantanée qui est utilisée car elle est moins affectée par les variations hémodynamiques générales (fréquence cardiaque, résistances périphériques) que les vitesses systoliques et diastoliques. À l’état normal, les vitesses de l’ACM sont les plus élevées. Et les vitesses dans le système carotidien sont supérieures aux vitesses du système vertébrobasilaire. La différence de vitesse entre les artères cérébrales moyennes droite et gauche est normalement inférieure à 30 %.

Les vitesses circulatoires intracrâniennes sont plus élevées chez l’enfant drépanocytaires que chez l’enfant non drépanocytaire et que chez l’adulte, inversement proportionnelles à l’hématocrite, du fait de l’anémie par augmentation du débit cardiaque, diminution de la viscosité sanguine et baisse des résistances intracrâniennes, ce qui permet de maintenir malgré l’anémie, une bonne oxygénation du cerveau. Elles varient avec l’âge et sont plus hautes entre 3 et 12 ans avec un pic de vitesse vers 5-7 ans [23], âge où le débit sanguin cérébral est le plus élevé.

L’examen est normal lorsque toutes les vitesses sont inférieures à 1,70 m/sec, « limite » lorsqu’au moins une des vitesses est comprise entre 1,70 et 1,99 m/sec et pathologique lorsqu’au moins une des vitesses est supérieure ou égale à 2 m/sec.

Les études américaines [30, 34] ont retrouvé un risque d’ AVC de 10 % par an chez les enfants drépanocytaires ayant une vitesse moyenne dans la CI terminale ou l’ACM supérieure ou égale à deux mètres par seconde, alors que le risque n’est que de 0,5 à 1 % si les vitesses sont normales. En cas de vitesses limites entre 1,70 et 1,99 m/sec, le risque est intermédiaire de 2 à 5 %. Le risque d’AVC est aussi augmenté en cas de vitesse pathologique dans les ACA, isolément ou associée à une accélération dans les ACM/CI [35].

Réduction du risque primaire d’AVC clinique par le programme transfusionnel

Une vaste étude américaine (STOP I), multicentrique [33] randomisant un programme transfusionnel mensuel versus la simple observation chez 130 enfants drépanocytaires ayant un DTC pathologique avec une vitesse supérieure à deux mètres par seconde a montré que le programme transfusionnel visant à maintenir le taux d’HbS en dessous de 30 % permettait de réduire le risque d’AVC très significativement de 92 % (p<0,001). Après 24 mois d’observation, dix AVC et un hématome intracérébral sont survenus chez les 67 patients non transfusés contre un seul AVC chez les soixante-trois transfusés. La différence était très significative et a conduit à l’interruption prématurée de l’étude. Parmi les enfants ayant un DTC pathologique, le risque d’AVC était d’autant plus grand que les vitesses étaient plus élevées et l’ARM initiale pathologique [36].

Prévention des AVC infracliniques

L’intérêt d’un traitement préventif transfusionnel n’est pas encore clairement établi et fait l’objet d’une étude internationale à laquelle nous participons (Silent Infarct

Transfusion Trial) et randomisant un programme transfusionnel de trois ans et une simple observation.

RÉSULTATS DE LA PRÉVENTION

L’efficacité du protocole de prévention par DTC et intensification du traitement a été confirmée par la chute spectaculaire du nombre des AVC en Californie [37] et dans la cohorte des dépistés néonataux de Créteil explorés systématiquement annuellement depuis 1992 dès l’âge de 12-18 mois et dans laquelle le risque de survenue d’AVC clinique avant l’âge de 18 ans a été inférieur à 2 % [23] au lieu des 11 % attendus [1,38] PROBLÈMES POSÉS PAR LA PRÉVENTION

Les problèmes de la prévention sont liés au programme transfusionnel, à son coût, aux risques de transmission virale très faibles actuellement mais surtout à ceux de l’alloimmunisation [39-42] et au risque de surcharge en fer.

La question de la durée nécessaire du programme transfusionnel a été posée dans une seconde étude prospective multicentrique (STOP II) randomisant 79 enfants ayant eu un DTC pathologique mais ayant normalisé les vitesses sous programme transfusionnel et ne présentant pas de sténose évidente à l’ARM : deux AVC et quatorze récidives de DTC pathologiques ont été observés parmi les 41 enfants après arrêt des transfusions versus aucun dans le groupe des transfusés [43]. Nous avons cependant montré qu’il était possible d’arrêter le programme transfusionnel en switchant vers l’hydroxyurée chez certains patients ayant une ARM normale et des vitesses normalisées : cette attitude impose par contre un contrôle trimestriel du DTC et la reprise du programme transfusionnel en cas de récidive de DTC pathologique qui survient dans 50 % des cas [44].

AVENIR

L’exploration systématique par DTC dès l’âge de 12-18 mois, associée à la mise en route d’un programme transfusionnel ayant montré son efficacité pour réduire le risque attendu d’AVC cliniques durant l’enfance de 11 % à moins de 2 %, il est fondamental de permettre à tout enfant drépanocytaire d’avoir accès à ces explorations et au programme transfusionnel. Des sessions de formation de doppléristes doivent être soutenues et il convient par ailleurs d’encourager le don de sang parmi les ethnies à risque sans méconnaître le problème posé par la déleucocytation des culots AS. Pour limiter les problèmes de surcharge en fer, les échanges transfusionnels doivent être privilégiés et l’apparition sur le marché du nouveau chélateur oral va en simplifier la prise en charge [45]. Enfin, seule l’allogreffe permettant une interruption sécuritaire du programme transfusionnel [28], la recherche d’un donneur génoidentique familiale doit être encouragée. Les possibilités nouvelles de diagnostic pré-implantatoire avec double sélection HLA-maladie devraient augmenter les chances d’avoir un donneur compatible. Le développement des banques de sangs placentaires non apparentés et la thérapie génique pourraient donner des chances de greffe à ceux n’ayant pas de donneur familial.

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DISCUSSION

M. Charles LAVERDANT

En dépit du fait que l’anesthésie générale favorise la falciformation veino-occlusive, certains auteurs africains préconisent une splénectomie préventive pour éviter les redoutables crises de séquestration splénique. Que faut-il penser de ce point de vue ?

La splénectomie est effectivement conseillée chez les enfants ayant fait des séquestrations spléniques (définies par une augmentation brutale de la taille de la rate et une déglobulisation nette < 6g/dl d’Hb). Dans notre service à Créteil ainsi qu’aux USA et au Canada, la splénectomie n’est réalisée qu’au-delà de l’âge de deux ans après avoir effectué la vaccination par le Pneumo 23 et en attendant cet âge, ces enfants sont placés sous programme transfusionnel mensuel pour diminuer les risques vitaux liés aux séquestrations. Néanmoins cette attitude doit être nuancée en fonction de chaque pays et des possibilités transfusionnelles.

 

M. Pierre RONDOT

Pourquoi utiliser le doppler pour étudier la circulation cérébrale plutôt que l’angio IRM, méthode plus fiable ?

Parce que les anomalies au doppler précèdent l’apparition des sténoses à l’angio IRM.

Les vitesses anormalement élevées (vitesses moyennes maximales > 2m/sec) sont prédictives d’un risque de survenue d’ AVC de 40 % dans les trente-six mois alors que ce risque n’est que de 2 % en cas de normalité des vitesses. Les recommandatons sont donc d’effectuer le doppler dès l’âge de 12-18 mois.

Mme Aline MARCELLI

Quelle est la raison pour laquelle les sangs de cordon, pour les greffes de moelle osseuse de sujets non apparentés, sont encore peu utilisés ?

Parce que jusqu’à maintenant, les cordons stockés dans les banques proviennent presque exclusivement de donneurs caucasiens ayant des différences antigéniques importantes avec les receveurs africains. Sur les premières greffes réalisées aux USA à partir de ces cordons seulement 4/6 identiques ont été décevantes avec un taux élevé de réaction du greffon contre l’hôte et de rejets alors que notre expérience de greffes géno-identiques familiales donne une espérance de « guérison » de 95 %. Nous espérons cependant améliorer les résultats des greffes de cordons non apparentés en stimulant le recueil de cordons parmi les ethnies concernées grâce au recueil dans les maternités de Debré à Paris et Créteil par exemple à forte fréquentation africo-antillaise.

 

Bull. Acad. Natle Méd., 2008, 192, no 7, 1383-1394, séance du 28 octobre 2008