L’Académie Nationale de Médecine a consacré sa séance du 10 février 2015 à la Pharmacoépidémiologie. Les Professeurs Jean-Paul Giroud et Jean-Louis Montastruc, organisateurs de la réunion, avaient demandé les contributions des Professeurs Antoine Pariente et Joan-Ramon Laporte.
L’évaluation des médicaments nécessaire à la demande d’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) repose sur des essais respectant une méthodologie rigoureuse mais obligatoirement limitée dans le temps et le nombre de sujets étudiés. Ces conditions ne peuvent tenir compte de l’hétérogénéité des malades, des formes cliniques de la maladie, des possibles interactions médicamenteuses, des différences génétiques individuelles et entre populations… Il est maintenant possible d’aller plus loin, de poursuivre de façon systématique l’étude du médicament en situation réelle dans un souci à la fois médical mais aussi économique et de santé des populations : tel est l’objectif de la pharmacoépidémiologie, branche nouvelle de la Pharmacologie Clinique, définie comme l’étude en conditions réelles et sur de grandes populations, de l’usage, de l’efficacité et du risque des médicaments. La pharmacoépidémiologie concerne donc la prescription des médicaments dans la « vraie vie », c’est-à-dire après et à distance de leur mise sur le marché.
La pharmacoépidémiologie doit contribuer à la juste prescription du médicament, en permettant notamment de choisir les prescriptions médicamenteuses à partir de critères cliniques pertinents : morbidité, mortalité, qualité de vie.
S’appuyant sur les données qui lui ont été présentées, l’Académie Nationale de Médecine juge nécessaire de formuler les recommandations suivantes :
- l’enseignement de la Pharmacoépidémiologie doit être partie intégrante de l’enseignement de Pharmacologie Médicale aux médecins, tant au cours de leur formation initiale que de leur développement professionnel continu ;
- Après l’obtention d’une première AMM, les industriels du médicament doivent être incités à mettre en œuvre de façon systématique des études de pharmacoépidémiologie vérifiant le bon usage et évaluant l’efficacité attendue, l’émergence possible de nouvelles indications et les nouveaux risques éventuellement encourus en situation réelle. Ces études devraient être prises en compte dans le renouvellement des AMM à l’échelon européen ;
- Il est nécessaire d’engager, au sein de chaque région, sous la responsabilité des Centres Régionaux de PharmacoVigilance (CRPV), la mise en place d’un dispositif d’aide à la juste prescription individualisée, pour chaque médecin, et reposant sur les données de pharmacoépidémiologie ;
- Il faut faire en sorte que les prescripteurs puissent bénéficier d’un accès plus facile et plus rapide à la liste des médicaments qui, dans les maladies chroniques, ont démontré ce que nous proposons de désigner par leur « effectivité », c’est-à-dire leur action sur les critères cliniques pertinents, morbidité, mortalité, qualité de vie (lorsque c’est possible) au-delà des seules modifications des critères dits « intermédiaires » de biologie (comme la glycémie, le cholestérol, les triglycérides…), d’imagerie, d’électrocardiographie…. ;
- L’accès aux bases de données concernant les médicaments doit être facilité dans la perspective d’améliorer la prescription comme la recherche en pharmacoépidémiologie. A cet égard, l’Académie Nationale de Médecine souhaite que, à l’instar des autres grands pays européens, ces bases de données deviennent médicalisées, c’est-à-dire contiennent, à côté des traitements médicamenteux ou autres et des caractéristiques sociodémographiques des patients, les données cliniques et thérapeutiques essentielles [indication(s) de la (des) prescription(s), pathologie principale, comorbidités, évolution, complications…] permettant une vraie recherche médicalisée en pharmacoépidémiologie.
Trois rapports compléteront utilement ce communiqué.
- Le premier, coordonné par B. Bégaud et D. Costagliola, date de janvier 2006. Il s’intitule « La Pharmacoépidémiologie en France. Evaluation des Médicaments après leur mise sur le marché. Etat des lieux et propositions »
- Le second rapport, de ces mêmes auteurs, concerne la surveillance et la promotion du bon usage du médicament. Ces deux textes indiquent la place que doit occuper désormais la pharmacoépidémiologie.
- Le troisième, sur la sécurité du médicament, à l’initiative commune des trois Académies, Médecine, Pharmacie et Sciences, fait la synthèse des évaluations successives de la balance bénéfice/ risques du médicament au cours des différentes étapes, allant de sa conception jusqu’à son utilisation à grande échelle. L’observation post AMM inclut la pharmacovigilance et la pharmacoépidémiologie.