Communication scientifique
Session of 3 avril 2007

La méta-analyse des essais cliniques : son utilité et ses pièges

MOTS-CLÉS : essais cliniques [meta-analyse]
Meta-analysis of clinical trials : uses and pitfalls
KEY-WORDS : clinical trials [meta-analysis]

Jean-Pierre Boissel

Résumé

La méta-analyse des essais cliniques est l’instrument qui permet de faire une synthèse quantitative des informations disponibles sur l’efficacité d’une thérapeutique. A ce titre, elle est indispensable. Elle procède d’un pilier de l’activité scientifique, la synthèse critique des connaissances toujours mise à jour.

Summary

Meta-analysis of clinical trials allows all available quantitative evidence on therapeutic efficacy to be condensed. Critical appraisal of all available evidence is a pillar of clinical science.

Introduction

Inventée au début des années 1970 par Glass et Smith qui cherchaient à démontrer l’efficacité des psychothérapies, la méta-analyse est un ensemble de techniques permettant une synthèse quantitative reproductible, des informations produites par toutes les études concernant une question précise [1, 2]. Glass oppose cette approche non seulement aux revues générales mais aussi aux synthèses qualitatives utilisant un modèle statistique simple, voire simpliste comme le ‘‘ comptage des votes ’’.

Depuis l’œuvre pionnière de cet auteur, de nombreux progrès ont été accomplis sur
la méthode et ses conditions d’application [3, 4]. Ainsi, si déjà Glass se préoccupait de la sélection des études par leur qualité méthodologique qui pour lui était l’étape clé de la démarche, cet aspect capital du processus est aujourd’hui bien mieux maîtrisé. La méta-analyse est donc une nouvelle forme de la synthèse des connaissances qui est probablement aussi vieille que la science. Nous n’imaginons guère l’activité du chercheur non précédée d’une revue exhaustive et critique des connaissances disponibles ni suivie de l’intégration de ses résultats dans le corpus. Le transfert des connaissances scientifiques s’est toujours appuyé sur leur revue critique. En allant plus loin, le regard critique sur l’activité du chercheur est un pilier de la vraie science [5]. Et nous verrons plus loin que la méta-analyse est inséparable du regard critique.

Dans Medline, on repère actuellement plusieurs centaines de méta-analyses par an (575 en 1997). Même les médecines alternatives sont concernées. La Commission de Bruxelles a utilisé l’approche pour répondre à une question du Parlement Européen sur l’efficacité de l’homéopathie [6]. La collaboration Cochrane dont les productions sont incontournables, pour qui s’intéresse à l’efficacité des thérapeutiques, s’est bâtie autour de la méta-analyse [7].

Pourquoi ce succès ?

La connaissance, dans les sciences de la nature donc en médecine, ne procède pas d’expériences ou d’observations uniques. Implicitement, la communauté scientifique exige la répétition confirmative de l’expérience ou de l’observation. En outre, et corrélativement, l’information factuelle ne devient fait scientifique que lorsqu’un certain degré de cohérence externe est atteint. La répétition engendre une variabilité plus au moins grande des résultats, éventuellement par le simple jeu du hasard, mais aussi parce qu’un certain degré d’interaction avec l’objet de l’étude et son environnement est inévitable et les effets des médicaments n’échappent pas à cette règle.

La synthèse critique des données disponibles sur l’efficacité des thérapeutiques est donc une étape obligée de la démarche médicale. Elle est essentielle pour tous ceux qui doivent prendre des décisions, face à un patient, pour établir une stratégie commune pour des groupes de patients similaires, ou pour formuler des hypothèses de recherche en médecine, en épidémiologie, ou en politique et administration de santé 1.

Les limitations les plus gênantes des méthodes traditionnelles de la revue générale en médecine sont devenues évidentes à mesure que la demande de synthèse s’accroissait :

— l’absence de méthodologie explique l’absence de reproductibilité du résultat ;

— le résultat n’est pas quantitatif. L’importance de ce dernier point reste encore mal perçue par nos collègues. Pour beaucoup l’effet d’une thérapeutique est 1. Discours de la ministre de la santé des Pays-Bas à l’ouverture du Colloque Cochrane à Lyon en 2000.

d’abord qualitatif : existe-t-il ? Au plan théorique, il est impossible de répondre à la question prise à la lettre. Nous ne faisons que démontrer un effet supérieur à une certaine quantité mais pas que l’effet est nul. Mais pour l’efficacité d’une thérapeutique, la pratique devrait être la meilleure justification de la perspective quantitative. En effet la connaissance de la grandeur, ou intensité, de l’effet est essentielle, non seulement pour le décideur en santé publique mais aussi le prescripteur et le malade à qui cette thérapeutique sera prescrite. Cette notion de quantité d’effet est centrale dans l’intérêt porté à la méta-analyse.

Le principe

Il est très simple. L’efficacité d’une thérapeutique est estimée conjointement par plusieurs essais cliniques, dont chacun possède sa spécificité. Cette ‘‘ quantité ’’ peut être scindée en deux parties (Figure 1). L’une est commune à tous les essais. Elle fournit une estimation de la quantité d’effet moyenne dans l’ensemble de la population étudiée, avec sa précision traduite par la largeur de l’intervalle de confiance de cette quantité. L’autre est spécifique de chaque étude. Celle-ci est elle-même la somme de deux quantités d’information, l’une générée par les fluctuations d’échantillonnage, redevable du simple hasard, l’autre vraiment spécifique et média des interactions entre l’effet étudié et les caractéristiques des sujets et de leur environnement.

De ce principe général, on déduit que :

Toutes les études réalisées doivent être prises en compte. Sinon l’information totale est tronquée, voire biaisée, et la précision du résultat n’est pas la meilleure posssible.

— Les « bonnes » techniques de méta-analyse doivent permettre la séparation des deux types d’information.

— L’information spécifique qui médie les interactions avec les patients est au moins aussi importante que l’information commune.

Comprendre le processus méta-analytique n’est pas suffisant

En effet, le processus s’appuie en pratique sur une série de notions et de constats qui ne sont pas évidents à l’œil non averti et qui pourtant sont déterminants pour la validité du résultat et aussi, et tout simplement, pour la pratique médicale.

Les indices d’efficacité

Pour exprimer l’intensité de l’efficacité (sur un critère clinique, donc binaire) d’une thérapeutique, on utilise les indices d’efficacité. Ces expressions sont toutes dérivées de la différence entre l’évolution sous le traitement et celle sous traitement contrôle, qui peut être un placebo, aucun traitement, ou un traitement de référence.

FIG. 1 Ils sont construits à partir de R(E), le risque de l’événement dans le groupe contrôle — que nous appellerons le risque ‘‘ spontané ’’, bien que rarement les patients de l’essai soient dépourvus de traitement — et Rt(E), le risque de l’événement dans le groupe traité.

— le bénéfice absolu par sujet traité qui est la différence des risques : BA = R(E) — Rt(E) — le nombre de patients à traiter pour éviter un échec : NPT = 1/BA — le rapport des risques ou risque relatif : RR = Rt(E)/R(E) — le bénéfice relatif : BR = 1 — RR Ces indices sont calculés à partir des résultats d’un essai ou, mieux, par une méta-analyse. Le tableau 1 illustre un cas, l’aspirine, et plusieurs de ses indications.

Les valeurs proviennent de méta-analyses des essais contrôlés. Les risques de base, R(E), ne sont pas comparables d’une indication à l’autre car ils ont été observés sur des patients différents (et des durées variables). Les intervalles de confiance des indices ne figurent pas dans le tableau pour ne pas le surcharger. Il est instructif de comparer les deux dernières lignes, concernant la prévention secondaire après accident ischémique cérébral et l’angor instable. Les risques relatifs sont voisins :

22,5 % et 21,9 % respectivement. Or les nombres de sujets à traiter sont dans un rapport de deux : 20 et 39 respectivement. Parce que les R(E) sont dans un rapport de deux : 22,2 % et 11,8 %. Ces exemples montrent aussi que si tous les indices d’efficacité sont calculés à partir des mêmes données, ils n’expriment pas les mêmes aspects de l’efficacité d’un traitement. Le bénéfice relatif et le RR sont équivalents mais ∆ et RR sont d’essences différentes. Le bénéfice absolu représente le mieux ce que va gagner le patient. Pour le même bénéfice relatif de 20 %, ce gain est bien différent si le risque absolu du patient est de 40 % (BA = 8 %) ou de 4 ‰ (BA = 0,08 %).

TABLEAU 1. — les indices d’efficacité de l’aspirine en prévention des accidents cardio-vasculaires fatals ou non fatals indications R(E) (%) RR (%) ∆ ou BA (%) NPT IDM aigu 14,4 29,4 4,2 24 post IDM 17,1 24,6 4,2 24 post AVC/ADT 22,2 22,5 5,0 20 angor instable 11,8 21,9 2,6 39 légende : IDM : infarctus du myocarde ; AVC : accident vasculaire cérébral ; ADT : accident déficitaire transitoire Interactions entre l’intensité de l’effet et le risque spontané

Considérons l’exemple illustré figure 2. Sur le plan normé par deux axes dont l’un (abscisse) représente le risque de décès à un an dans le groupe contrôle, l’autre (ordonnée) le risque correspondant dans le groupe traité, on a fait figurer par un point chacun des essais contrôlés randomisés des essais de bêtabloquants dans le post-infarctus du myocarde. L’arrangement des points sur le plan suggère une relation linéaire sous-jacente aux données. Cette relation est appelée modèle d’effet.

Elle montre que les indices définis au paragraphe précédent pour exprimer l’efficacité d’une thérapeutique ne sont pas forcément constant d’une population à l’autre simplement parce que le risque ‘‘ spontané ’’ moyen varie.

Pour comprendre cette interaction, il suffit de considérer les définitions du bénéfice absolu et du risque relatif. Il apparaît que si le risque relatif est constant, le bénéfice absolu ne peut pas l’être. Il varie proportionnellement au risque ‘‘ spontané ’’ ! Voilà constatée l’interaction ‘‘ arithmétique ’’. Elle est dite arithmétique parce qu’à première vue elle ne dépend pas des caractéristiques des sujets [8].

Interactions entre les caractéristiques des patients et l’intensité de l’effet

Nous venons de constater que le bénéfice absolu, indice le plus approprié pour représenter l’intensité de l’effet que le patient peut espérer variait « automatiquement » avec le risque ‘‘ spontané ’’. Mais d’autres causes de variation de l’effet du traitement sont envisageables. Les malades susceptibles d’être traités par une thérapeutique sont tous différents les uns des autres. Ils diffèrent par leur patrimoine génétique, leur environnement, leur mode de vie, les traitements concomitants. Tous ces facteurs vont affecter l’observance, le devenir — c’est-à-dire in fine la concentration de la substance au site d’action lorsqu’il s’agit d’un médicament —, les réactions de l’organisme. Ce sont les interactions ‘‘ biologiques ’’, opposées par commodité aux interactions arithmétiques [8].

FIG. 2. — Représentation en dans le plan Rt, Rc des résultats sur la mortalité à un an des essais contrôlés randomisés de bêta-bloquants dans le post-infarctus du myocarde Les deux types de méta-analyse

Méta-analyse sur données résumées

C’est l’approche traditionnelle. Les calculs se font à partir du résultat de chacun des essais. Des logiciels faciles à utiliser sont disponibles [9]. Les techniques statistiques sont spécifiques.

Méta-analyse sur données individuelles

Les bases de données des essais sélectionnés sont rassemblées en une seule. La covariable « essai » est ajoutée. Les techniques d’analyse comprennent l’ensemble des méthodes multivariées, et d’autres en cours de développement [10]. La démarche est plus lourde qu’une méta-analyse sur données résumées. Mais les informations obtenues sont beaucoup plus fouillées comme le montre l’exploitation de la base INDANA qui regroupe les essais de traitement pharmacologiques de l’hypertension artérielle dont les critères étaient cliniques [11-13]. C’est l’approche d’avenir.

Quelques étapes essentielles où les erreurs sont fatales

Rapidement après l’introduction de la méta-analyse des essais cliniques, certaines étapes sont considérées comme les clés de la validité du résultat de la méta-analyse, comme l’exhaustivité du recueil des données sources ou le biais de publication.

Durant la dernière décennie, d’autres composantes sont apparues importantes.

Le choix de la technique statistique

Les techniques de méta-analyse quantitative disponibles aujourd’hui reposent sur un modèle d’effet spécifique. Or le plus souvent il est impossible de prévoir le modèle d’effet avant que les essais cliniques aient été réalisés. On ne peut choisir a priori la technique appropriée. Il faut donc utiliser toutes les techniques disponibles, ou au moins une représentant chaque modèle. Comme tous les modèles d’effet possibles ne sont pas représentés dans la panoplie des techniques disponibles, rien ne permet de conclure a priori à la justesse des résultats, une exploration par méta-régression paraît indispensable.

Homogénéité

Une hypothèse sous-jacente lors de la combinaison de plusieurs études par les techniques les plus courantes comme celle de Mantel-Haenzel est que les différences entre les résultats des études sont dues au hasard seul, qu’il n’existe pas d’interaction entre le facteur étude et l’intensité de l’effet et que ces résultats sont homogènes.

Cette hypothèse est éminemment discutable. Si le test d’homogénéité explorant l’hétérogénéité est significatif, il est conseillé de passer à une technique reposant sur un un modèle aléatoire, ce qui permet souvent de faire disparaître l’hétérogénéité.

On cache ainsi le problème sans le résoudre. On peut aussi, et c’est l’attitude la plus raisonnable, considérer que l’hétérogénéité est la règle, même si on ne sait pas la mettre en évidence et que dans tous les cas elle est source de connaissance. Plutôt que de l’escamoter par un tour de passe-passe, il convient donc de l’explorer. Ce qui, en pratique, revient à chercher les interactions.

Analyse de sensibilité

Dans la pratique, le déroulement d’une méta-analyse est une succession de choix guidés par une bonne connaissance de la méthodologie en général, une expérience du processus méta-analytique et une expertise dans le domaine de la question posée..

L’étape cruciale est la sélection des essais. On souhaite parvenir à une synthèse reproductible en dépit de quelques variations dans la procédure. Par exemple, les résultats sont-ils différents si on inclut les essais de qualité médiocre ? Cette question est d’autant plus pertinente qu’il n’existe pas de standard pour évaluer la qualité d’un essai, que les publications disponibles sont le plus souvent assez peu informatives sur des points cruciaux — si bien que la classification en bons et mauvais essais est entachée d’arbitraire — et que la qualité du matériau utilisé, les essais, détermine en grande partie le niveau de preuve du résultat. Les études peuvent être regroupées selon des caractéristiques des différents groupes de patients ou du plan d’étude (allocation aléatoire centralisée ou non centralisée, dose faible/forte,…), de façon à déterminer l’influence de ces caractéristiques sur les résultats de la méta-analyse.

C’est l’analyse de sensibilité.

On peut également s’intéresser à la robustesse du résultat à travers l’exploration des sous-groupes de patients comme dans l’exemple du BBPP ci-dessous. Les analyses de sous-groupes au sein d’un essai clinique posent deux problèmes : les comparai-
sons multiples conduisent à une inflation du risque de faux positif et la puissance de chaque comparaison est faible. La méta-analyse en sous-groupes augmente la puissance de chaque comparaison mais laisse entier le premier problème qui peut être abordé graphiquement — voir l’exemple BBPP.

Interprétation des résultats

Comme tous les résultats d’une démarche scientifique, ceux d’une méta-analyse s’interprètent, c’est-à-dire s’appréhendent et se replacent dans leur contexte (la validité externe). L’expérience et la culture du chercheur vont alors intervenir, et des résultats objectifs et reproductibles de la méta-analyse nous passons à une interpré- tation partiellement subjective. Des auteurs par ailleurs parfaitement respectables peuvent donc interprèter différemment le résultat de la même méta-analyse, comme ils le feraient pour celui d’un d’essai clinique.

Un premier élément de variabilité de l’interprètation est la signification clinique de l’intensité de l’efficacité estimée par la méta-analyse. Un deuxième est le choix de l’indice d’efficacité. La présentation du résultat implique donc déjà une décision subjective. Un troisième élément concerne le sens associé à la valeur du ‘‘ p ’’ d’association. Strictement parlant, la règle classique ne s’applique pas car nous sommes dans une situation de tests statistiques multiples pour la même hypothèse sur les mêmes données. Cependant, aucun consensus ne permet de se référer à un seuil de signification propre à la méta-analyse. Certains ont proposé au maximum 1 % [2], mais la plupart se contente, de 5 %. La réflexion épistémiologique sur la méta-analyse s’est arrêtée. Il est interessant de se demander pourquoi. Mais cela dépasse le cadre de cet article.

Exemple d’une démarche méta-analytique

En 1988, plus d’une dizaine d’essais de prévention secondaire après infarctus du myocarde testant des bêta-bloquants avaient été réalisés et publiés. Si certains essais étaient nettement positifs (p < 0,05), d’autres ne l’étaient pas ou conduisaient même à des risques relatifs supérieurs à 1, donc en faveur du placebo. Plusieurs explications furent avancées pour ces discordances. Il était impossible de choisir : effet du hasard ou réelle(s) interaction(s) ? Particularités de certaines substances, tout spécialement rôle de l’activité sympathicomimétique ? Existence de patients répondeur, et d’autres chez lesquels les bêta-bloquants étaient néfastes ?

La méta-analyse a d’abord confirmé que les bêta-bloquants ont un effet favorable sur la mortalité après infarctus du myocarde. L’effet commun est un bénéfice relatif de 21 % sur la mortalité à un an (ce qui correspond à un risque relatif de 79 %). Pas d’hétérogénéité marquée et donc les résultats apparemment peuvent très bien être le fait du simple hasard. Mais la question d’une interaction entre l’effet du traitement bêta-bloquant et le profil des patients se posait. D’une part la puissance de nos outils pour explorer l’hétérogénéité est modeste. D’autre part la situation étudiée était en elle-même porteuse d’une interrogation puisque les populations étudiées ne

FIG. 3. — Représentation côte à côte des rapports des cotes (gris foncé) et de la mortalité à un an dans les groupes contrôles (gris clair) des essais de bêta-bloquants dans le post-infarctus du myocarde pour différents sous-groupes de risque. On observe aucune corrélation entre les deux valeurs alors que la seconde diminue régulièrement.

représentaient qu’un sous-groupe à risque modéré et que les bêta-bloquants étaient jugés, à l’époque, formelement contre-indiqués chez les sujets à mauvaise fonction ventriculaire, lot commun à de nombreux patients après un infarctus du myocarde et facteur de risque secondaire établi. Une méta-analyse a donc été entreprise sur des sous-groupes définis a priori [14]. Ce fut le ‘‘ Beta-Blocker Pooling Project ’’ (BBPP). Aucun sous-groupe pour lequel le traitement aurait été plus particulièrement bénéfique ou néfaste n’a été identifié, comme le montre la Figure 3. En outre, ce travail a suggéré que le bénéfice ne diminuait pas chez les patients à haut risque.

La conclusion n’a pas pu être plus ferme en raison du faible nombre de sujets à très haut risque inclus dans les essais. C’est pourquoi l’essai APSI a été réalisé [15], confirmant l’impression que les bêta-bloquants étaient bénéfiques chez les sujets à plus haut risque et exemple de l’apport de la méta-analyse dans la stratégie de la recherche thérapeutique.

Utilité en résumé

Les développements ci-dessus et les deux exemples montrent que la méta-analyse
des essais cliniques est non seulement utile, mais indispensable pour la synthèse et le transfert de la connaissance en thérapeutique. Elle est aussi devenue, au moins dans certains pays (pas encore la France), une étape indispensable préalable à la préparation de tout projet de recherche. Le problème est plutôt que les essais cliniques (leur méthodologie et la qualité de leur réalisation) ne sont pas toujours au niveau requis et surtout que l’accès aux données n’est pas toujours possible.

Limites de la méta-analyse

Comme toute application d’une méthode scientifique, la méta-analyse est exposée à des biais. C’est ainsi qu’il convient d’envisager ceux qui sont propres à cette approche. Nous nous contenterons de les signaler, le lecteur pouvant s’adresser à des articles dédiés à la question [16, 17].

— Biais de publication : toutes les études de la population ne sont pas publiées.

— Biais de détection : toutes les études publiées ne sont pas retrouvées, et/ou des études publiées plusieurs fois sont considérées comme différentes.

— Biais de sélection : on utilise un critère de sélection inapproprié, comme la langue de publication ou le type de publication.

— Biais d’extraction : erreur dans l’extraction des données à partir du rapport d’étude.

— Biais de justesse : l’erreur dans les chiffres fournis par le rapport, plus fréquente qu’on le croit.

— Biais de transparence : le rapport de l’essai dissimule, volontairement ou non, des informations utiles à la méta-analyse.

Tous ces biais sauf deux concernent la qualité du matériau, l’essai et sa publication.

Ils représentent les limites de l’approche et sont à l’origine de beaucoup des critiques.

Comme on peut l’imaginer, de nombreux auteurs critiquent l’approche métaanalytique [18]. La principale concerne le principe même. Il ne serait pas scientifique de combiner les résultats d’études utilisant des patients et des techniques de mesure différents, et réalisées à des moments différents, critique qui est souvent exprimée ainsi : on ne doit pas mélanger des oranges et des pommes. En fait, il s’agit, on l’aura compris, d’extraire le fruit et non de mélanger pour en faire une salade. La multiplicité des techniques statistiques aussi peut poser problème. Justifiée par la diversité des modèles d’effet sous-jacents, elle ne les prend pourtant pas tous en compte comme le montre l’exemple des antiarythmiques de classe Ic [19]. D’autres critiques concernent le matériau et non la technique elle-même : le biais de publication est inévitable, la validité de la méta-analyse dépend du degré de complétude et de précision de l’information rapportée dans les différentes études… Ces dernières critiques sont fondées. elles illustrent la vraie limite des méta-analyses.

Futur de la méta-analyse

Amélioration du matériau

Des avancées récentes comme les registres d’essais cliniques et la publication électronique ou encore l’appropriation de la méthodologie de la recherche clinique par les cliniciens devraient conduire à une amélioration de la qualité des essais cliniques et de l’accès aux informations nécessaires à une méta-analyse de qualité, reflétant plus exactement l’état des connaissances.

Recherche des répondeurs et définition de la population cible d’une thérapeutique

Il est évident que dans de nombreuses situations des traitements efficaces sont prescrits à des sujets qui même sans eux n’auraient pas présenté l’objectif thérapeutique et à d’autres qui le présenteront malgré le traitement. Pour les patients et pour la communauté qui paie l’idéal serait évidemment de ne pas prescrire le traitement à ceux-ci ni à ceux-là, et de ne traiter que les répondeurs, c’est-à-dire ceux qui bénéficieront avec un bon degré de certitude de ce traitement.

On commence à saisir l’importance d’un modèle d’effet cohérent avec les données pour atteindre cet objectif. De l’application de ces modèles on peut tirer des informations utiles sur les interactions, sur le seuil de bénéfice, sur le risque spécifique induit par le traitement…On peut donc approcher d’une manière scientifique la définition de la population cible de la thérapeutique, voire celle des répondeurs. La recherche de corrélats génotypiques avec la réponse, c’est-à-dire l’intensité de l’effet, est une voie intéressante. Mais il reste beaucoup à faire avant de pouvoir atteindre cet objectif.

Conclusion

La méta-analyse est devenu un outil de routine. Comme tous les outils très performants, elle peut conduire à des aberrations si les conditions d’application ne sont pas respectées. Malgré ses imperfections et incertitudes la méta-analyse constitue un progrès considérable. Sa pratique est en passe de transformer l’information thérapeutique. Elle permet une utilisation maximum des informations accumulées lors de essais cliniques. Elle a ouvert la voie à la solution d’un problème particulièrement irritant et capital pour les prescripteurs, l’identification des répondeurs et à une décision médicale plus rationnelle.

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* RTH, Laennec — Lyon 1. Tirés-à-part : Professeur Jean-Pierre BOISSEL, même adresse. Article reçu et accepté le 12 mars 2007.

Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, nos 4-5, 759-771, séance du 3 avril 2007