Résumé
La drépanocytose est une des maladies génétiques les plus fréquentes et représente actuellement un véritable problème de santé publique dans notre pays. Elle est caractérisée par la présence d’une hémoglobine anormale, l’hémoglobine S, entraînant une rhéologie anormale des hématies à l’origine de manifestations vaso-occlusives. Les patients drépanocytaires sont exposés à des crises vaso-occlusives aiguës et à des complications viscérales chroniques d’origine ischémique pouvant toucher pratiquement tous les organes. Il existe également un risque d’infection en partie lié à une asplénie fonctionnelle qui s’installe dés la petite enfance. Les complications aiguës vaso-occlusives osseuses et pulmonaires représentent le principal motif d’admission et la principale cause de décès chez l’adulte. Les complications vasoocclusives peuvent plus rarement se manifester par un priapisme, par des accidents neurologiques centraux, ischémiques ou hémorragiques et par un syndrome douloureux abdominal. La base du traitement dans ces situations repose sur la transfusion qui doit répondre à des règles strictes.
Summary
Sickle cell disease is an inherited disease characterized by the presence of an abnormal haemoglobin. It is the more prevalent genetic disease at birth in Ile-de France area. Sickle cell disease can be complicated by acute vaso-occlusive crisis, chronic visceral involvement related to ischemic process, and infectious complications. In adults, acute vaso-occlusive crisis is the major clinical problem prompting admission to hospital and the main cause of death. It mainly manifests by osteoarticular pain and acute chest syndrome and can be complicated by multiorgan failure. Acute vaso-occlusive crisis can be also manifested by priapism, ischemic or haemorragic stroke, or abdominal pain. The main treatment of severe acute vaso-occlusive crisis is based on transfusion.
INTRODUCTION
La drépanocytose est une maladie génétique autosomique récessive caractérisée par la présence d’une hémoglobine anormale, l’hémoglobine S, qui a pour propriété de polymériser dans certaines conditions telles que l’hypoxie, l’acidose, ou la déshydratation [1, 2]. Les hématies acquièrent alors des propriétés rhéologiques anormales à l’origine de manifestations vaso-occlusives. On regroupe sous le terme ‘‘ syndrome drépanocytaire majeur ’’ la forme homozygote S/S et les formes hétérozygotes composites S/C et S bêta + ou bêta 0 thalassémie. La forme homozygote SS a une évolution plus sévère mais la plupart des complications, y compris les plus graves, peuvent être observées au cours des formes hétérozygotes composites. Les patients drépanocytaires sont exposés à des crises vaso-occlusives et à des complications viscérales chroniques d’origine ischémique pouvant atteindre pratiquement tous les organes (œil, appareil ostéo-articulaire, poumon, cœur, système nerveux, …). Il existe également un risque d’infection, en partie expliqué par une asplénie fonctionnelle qui s’installe dès la petite enfance. Les complications vaso-occlusives aiguës représentent néanmoins le principal motif d’admission chez l’adulte et la principale cause de décès [3]. Avec l’amélioration de la prise en charge pédiatrique, la majorité des patients drépanocytaires atteignent l’âge adulte aux Etats-Unis et dans les pays occidentaux [4]. La drépanocytose représente actuellement le premier risque génétique en Ile-de-France et on estime à plus de 3000 le nombre de patients adultes suivis en métropole. Compte tenu de la fréquence et de la gravité des manifestations cliniques, tout médecin même non spécialiste peut être confronté à la prise en charge des adultes drépanocytaires, surtout lors de la survenue d’une complication vaso-occlusive aiguë. Le but de cet article est d’insister sur les modalités de prise en charge des principales complications aiguës survenant chez les adultes drépanocytaires.
LES COMPLICATIONS VASO-OCCLUSIVES AIGUES
Il s’agit de situations urgentes où le pronostic vital peut être mis en jeu. Dans la plupart des situations compliquées, un échange transfusionnel (ou une transfusion simple en cas d’anémie profonde) doit être réalisé en urgence. Les modalités transfusionnelles doivent répondre à des règles très strictes qui seront détaillées ultérieurement [5].
La crise vaso-occlusive osseuse
Il s’agit sans conteste du principal motif d’admission chez l’adulte. On retrouve parfois un facteur déclenchant telle que de la fièvre, une variation thermique, une acidose ou une déshydratation. Elle se manifeste par une douleur osseuse intense pouvant toucher un ou plusieurs os longs, le rachis lombo-sacré, les côtes, le sternum, le bassin, ou les mandibules. De la fièvre est souvent présente mais elle ne traduit pas forcément la présence d’une infection. Au plan biologique, on note une hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles, même en dehors de toute complication infectieuse, et une augmentation des LDH dont l’importance paraît corrélée à la sévérité de la crise. Les crises vaso-occlusives osseuses sévères peuvent parfois évoluer vers un tableau de défaillance multiviscérale grave. Le traitement comprend le repos au chaud, une hyperhydratation et une alcalinisation qui peuvent être effectuées par voie orale dans les formes mineures (apport d’eau de Vichy). Un traitement antalgique utilisant les antalgiques morphiniques est pratiquement toujours nécessaire, dés lors que la sévérité de la crise nécessite une hospitalisation. Le traitement comprend également l’apport systématique de folates. Les antiinflammatoires non stéroïdiens sont utilisés par de nombreuses équipes avec pour objectif de raccourcir la durée de la crise. Leur efficacité n’a cependant pas été confirmée lors d’une étude contrôlée récemment réalisée au sein de notre équipe. Les corticoïdes ont également été proposés. Il a cependant été démontré qu’ils pouvaient favoriser la survenue d’un syndrome thoracique. Ils sont d’autre part, dans notre expérience, associés à une majoration du risque d’infection déjà élevé sur ce terrain.
L’oxygénothérapie n’est pas nécessaire lors des crises vaso-occlusives simples sans syndrome thoracique. La transfusion est la mesure thérapeutique essentielle des crises vaso-occlusives graves. Elle est indiquée en cas de crise vaso-occlusive sévère qui se prolonge, ou en cas de complications associées pouvant mettre en jeu le pronostic vital ou fonctionnel (infection, syndrome thoracique grave, accident vasculaire cérébral, priapisme réfractaire, anémie profonde et mal tolérée, etc…). Il peut s’agir soit d’une transfusion simple en cas d’anémie profonde, ou d’un échange transfusionnel partiel (de 30 à 50 ml/kg selon la gravité de la situation) lorsque le taux d’hémoglobine est voisin de celui observé à l’état basal. L’objectif de l’échange transfusionnel est d’abaisser le pourcentage d’hématies S en dessous de 30 à 50 %. Il consiste à effectuer une saignée associée à une transfusion de concentrés érythrocytaires, volume pour volume, pour éviter une augmentation de la viscosité sanguine.
La transfusion doit répondre à des règles très strictes afin de limiter les risques d’alloimunisation dont les conséquences peuvent être graves chez des patients atteints d’une maladie pouvant nécessiter des transfusions itératives. Le support transfusionnel devra toujours être effectué avec des concentrés érythrocytaires phénotypés dans les systèmes Rhésus et Kell afin de limiter le risque d’alloimmunisation.
Le syndrome thoracique aigu ou ‘‘ acute chest syndrome ’’
Il est défini par la survenue de signes thoraciques (douleurs thoraciques, dyspnée, toux) associés à un infiltrat radiologique accompagnés le plus souvent de fièvre [6].
Une crise vaso-occlusive osseuse précède souvent l’apparition des signes pulmonaires. La radiographie thoracique montre un foyer uni— ou bilatéral, parfois accompagné d’un épanchement pleural. La gazométrie artérielle révèle une hypoxémie associée dans près de la moitié des cas à une hypercapnie témoignant d’une hypoventilation alvéolaire. Les prélèvements bactériologiques sont habituellement stériles chez l’adulte. Le pronostic peut être grave, en particulier dans les formes survenant au cours de la grossesse avec une mortalité voisine de 5 %. La physiopathologie du syndrome thoracique n’est pas univoque et plusieurs mécanismes peuvent s’associer au cours d’un même épisode. Une thrombose in situ par falciformation au niveau de la microcirculation pulmonaire peut constituer le mécanisme principal. Une origine infectieuse est rare chez l’adulte. Les études bactériologiques effectuées dans ce contexte par fibroscopie retrouvent en effet moins de 20 % de prélèvements positifs. Les deux mécanismes les plus souvent en cause sont des atélectasies secondaires et des embolies graisseuses. Les atélectasies peuvent être réactionnelles à un infarctus costal car la douleur entraînée par l’infarctus peut aboutir à une hypoventilation, elle-même source d’atélectasie. L’embolie graisseuse secondaire à des infarctus médullaires est dans notre expérience une des principales causes de syndrome thoracique. Ceci a pu être démontré grâce à la réalisation de lavages bronchoalvéolaires (LBA) ou la réalisation de crachats induits avec une technique de coloration des graisses (coloration oil red O) [7]. Le traitement du syndrome thoracique repose sur les modalités thérapeutiques de toutes crises vasoocclusives (calmer la douleur, apporter des folates, réhydrater et lutter contre l’acidose) et sur l’apport d’oxygène. Bien que le syndrome thoracique de l’adulte soit rarement d’origine infectieuse, une antibiothérapie active contre le pneumocoque est justifiée, dès lors que le malade est fébrile. Un transfert en unité de soins intensifs est justifié dans les formes sévères et une ventilation mécanique peut être indiquée.
L’intérêt de la ventilation non invasive est actuellement en cours d’investigation dans notre institution. La base du traitement des formes graves reste la transfusion qui peut-être une transfusion simple ou un échange transfusionnel selon les modalités indiquées précédemment. Des études pédiatriques ont suggéré que les corticoï- des permettraient de raccourcir la durée d’évolution mais cette option thérapeutiques ne nous paraît pas raisonnable chez l’adulte en raison des risques infectieux déjà évoqués. Le syndrome thoracique n’est pas une indication à un traitement anticoagulant, en tous les cas à dose hypocoagulante, dans la mesure où il n’existe pas de thrombose fibrinocruorique mais uniquement une thrombose de la microcirculation pulmonaire, situation au cours de laquelle ni les héparines, ni l’aspirine n’ont fait la preuve de leur efficacité. Les épisodes de syndrome thoracique, lorsqu’ils se répètent, peuvent entraîner une hypertension artérielle pulmonaire
pré-capillaire sévère chronique et fixée à l’origine d’une insuffisance respiratoire et d’une insuffisance cardiaque droite.
Le priapisme
Il s’agit d’une complication grave et fréquente [8]. Il peut être intermittent spontanément résolutif, invalidant par sa répétition, ou aigu et sévère évoluant sans rémission sur plusieurs heures et pouvant alors aboutir en l’absence de traitement urgent à une fibrose définitive de la verge. Le priapisme aigu est une urgence nécessitant impérativement une hospitalisation, un drainage des corps caverneux sans lavage, suivi d’une injection intracaverneuse d’étiléfrine. Un échange transfusionnel est souvent nécessaire. En cas d’échec du traitement conservateur, une intervention chirurgicale est proposée (anastomose cavernospongieuse distale ou proximale, voire cavernosaphène) mais le risque de séquelles est alors malheureusement élevé.
Accident vasculaire cérébral
Il peut s’agir d’accidents ischémiques qui sont les plus fréquents chez l’enfant ou d’accidents hémorragiques qui s’observent plutôt chez l’adulte [9]. Leur pronostic est sévère, avec une mortalité pouvant atteindre 50 %. Les accidents ischémiques sont liés à une occlusion des gros vaisseaux ou une atteinte de la microcirculation avec des aspects de sténose pouvant toucher n’importe quel territoire vasculaire. Il peut également se développer des lésions anévrysmales qui peuvent être à l’origine d’accidents hémorragiques, classiquement sous-arachnoïdiens, mais parfois parenchymateux ou intra-ventriculaires. Des complications hémorragiques peuvent également être secondaires à des lésions de ‘‘ moya moya ’’ qui correspondent à des dilatations des artérioles perforantes. Le traitement des accidents ischémiques consiste en un échange transfusionnel total réalisé en urgence, afin d’abaisser le taux d’HbS en dessous de 30 %. La thrombolyse est déconseillée en raison de la fréquence des lésions anévrysmales ou de lésions de moya moya dont la présence majorerait le risque d’accident hémorragique. L’emploi des anticoagulants est également déconseillé. Au décours d’un accident ischémique, la mise en route d’un protocole transfusionnel prévient le risque de récidive qui est spontanément élevé. Le traitement des accidents hémorragiques est moins bien codifié. Un échange transfusionnel est souvent nécessaire, en particulier si un acte neurochirurgical ou une artériographie sont envisagés. L’intérêt de la mise en route d’un protocole transfusionnel au décours d’un accident hémorragique n’est pas démontré.
Syndrome douloureux abdominal
Une crise vaso-occlusive peut être à l’origine d’un syndrome douloureux abdominal pseudo-chirurgical par ischémie mésentérique. Cette complication est surtout ren-
contrée chez l’enfant. Il faut toujours éliminer une urgence chirurgicale chez l’adulte avant d’envisager un tel diagnostic. Les patients drépanocytaires sont en effet exposés au risque de lithiase vésiculaire pigmentaire secondaire à l’hémolyse chronique pouvant se compliquer d’accident infectieux ou de migration lithiasique. Un iléus fonctionnel est souvent observé en cas de crise vaso-occlusive osseuse, surtout si de fortes doses de morphine sont nécessaires. Des crises vaso-occlusives hépatiques responsables d’un tableau d’insuffisance hépato-cellulaire de pronostic sévère peuvent également survenir. Il faut souligner la fréquence et la gravité potentielle des pyélonéphrites qui peuvent être à l’origine de douleurs abdominales fébriles. Un syndrome douloureux abdominal associé à une hématurie peut également être en rapport avec une nécrose papillaire qui est une complication néphrologique classique de la drépanocytose. En pratique, un échange transfusionnel permet parfois de lever l’hésitation diagnostique dans les cas difficiles entre une urgence chirurgicale et une crise vaso-occlusive à expression digestive car l’amélioration rapide de la symptomatologie après l’échange plaide en faveur de la seconde hypothèse.
Atteinte musculaire ischémique
Il s’agit d’une complication rare [10]. Elle entraîne une douleur musculaire intense survenant au décours d’une crise vaso-occlusive osseuse. Le muscle est tendu et inflammatoire avec souvent une arthrite réactionnelle des articulations adjacentes.
Un syndrome des loges peut compliquer l’évolution et s’accompagner d’une rhabdomyolyse nécessitant une décompression chirurgicale. Le traitement n’est pas codifié mais un échange transfusionnel doit être proposé dans les formes graves.
Une situation à risque : la grossesse
La grossesse est une période à haut risque de survenue de manifestations vasoocclusives graves pouvant mettre en jeu le pronostic vital de la mère et du fœtus. Le risque de complications obstétricales (toxémie gravidique, hématome rétroplacentaire…) est majoré sur ce terrain. Les accidents graves chez la mère surviennent surtout en période de post-partum. Il est donc indispensable que la grossesse soit suivie par une équipe médico-obstétricale ayant l’habitude de prendre en charge cette pathologie. La mise en route d’un protocole transfusionnel est souvent nécessaire pendant la grossesse, généralement à partir du deuxième trimestre, pour prévenir la survenue de ces complications.
AGGRAVATION DE L’ANÉMIE
En l’absence de complication, le taux d’hémoglobine est normalement peu modifié lors des crises vaso-occlusives simples par rapport aux valeurs observées à l’état basal qui dépendent du type de drépanocytose. L’anémie est surtout marquée dans
les formes homozygotes S/S (le chiffre d’hémoglobine est généralement voisin de 7g à 9g/dl) alors qu’elle est plus modérée au cours des formes hétérozygotes composites SC et S β thalassémie. Une majoration importante de l’anémie au cours d’une crise vaso-occlusive doit faire suspecter la survenue d’une complication hémorragique ou de complications plus spécifiques de la drépanocytose. Parmi celles-ci, la nécrose médullaire se caractérise par l’apparition d’une pancytopénie souvent profonde associée à des douleurs osseuses intenses. Le diagnostic est confirmé par l’étude du myélogramme [11].Une pancytopénie peut également être due à une carence aiguë en folates qui peut se révéler brutalement à l’occasion d’une crise vaso-occlusive si le malade ne reçoit pas une supplémentation en folates. L’érythroblastopénie se traduit par une majoration importante de l’anémie associée à un effondrement du taux des réticulocytes. Elle est généralement liée à une infection par le parvovirus B19 dont le diagnostic pourra être confirmé par la sérologie ou par une mise en évidence du DNA viral par biologie moléculaire sur un prélèvement de moelle [12]. Une anémie associée à une augmentation brutale du volume de la rate traduit une séquestration aiguë splénique. Il s’agit d’un accident grave rencontré rarement chez l’adulte. La majoration brutale de l’anémie devra également faire évoquer le diagnostic d’accident transfusionnel par alloimmunisation si le patient a été transfusé dans les jours précédents et si il existe des signes d’hémolyse intravasculaire. Le diagnostic repose sur l’étude de l’hémoglobine avec la disparition rapide de l’Hb A transfusée. Il est rare que l’on puisse mettre en évidence l’alloanticorps responsable.
INFECTION
Les infections à germes encapsulés, en particulier par le pneumocoque, représentaient la principale cause de décès chez l’enfant en raison d’une asplénie qui est la conséquence d’infarctus spléniques répétés. Elles sont maintenant rares depuis que des mesures préventives sont systématiquement adoptées dès la période post-natale (vaccination anti-pneumococcique, prescription au long cours de pénicilline V). Les complications infectieuses liées au pneumocoque sont plus rares chez l’adulte en dehors du cas particulier des patients drépanocytaires infectés par le VIH chez qui ce risque reste très élevé [13}. Dans notre expérience, les germes les plus fréquemment rencontrés chez l’adulte sont le staphylocoque doré et les entérobactéries associées aux complications de la lithiase biliaire et sont parfois responsables de surinfections d’infarctus osseux. Les infections nosocomiales représentent près de 50 % des septicémies observées dans notre institution. Il s’agit en majorité de septicémie à staphylocoque doré à point de départ veineux sur cathéter ; il existe alors un risque élevé de métastases septiques ostéoarticulaires qui peuvent survenir avec retard. Il faut souligner le risque d’accès palustre à Plamodium falciparum qui devra toujours être évoqué devant tout épisode fébrile survenant au décours d’un séjour en pays d’endémie. Il faut également insister sur le risque d’infection par le virus de la dengue après un séjour aux Antilles qui peut être très mal toléré sur ce terrain.
CONCLUSION
La drépanocytose est un problème de santé publique majeur dans les pays en voie de développement, mais également en France où les populations originaires des Antilles et de l’Afrique subsaharienne sont largement représentées. Les patients drépanocytaires sont exposés à de nombreuses complications, en particulier vasoocclusives, pouvant mettre en jeu le pronostic vital ou fonctionnel. La transfusion reste la pierre angulaire du traitement des formes graves. La connaissance de ces données par tous les médecins confrontés à la prise en charge des urgences permettra d’assurer au mieux les mesures thérapeutiques nécessaires et d’améliorer ainsi le pronostic de ces patients.
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DISCUSSION
M. André VACHERON
Y a-t-il des douleurs angineuses au cours des syndromes douloureux thoraciques ? Dans votre série de 60 décès, avez-vous observé des infarctus myocardiques ? En effet, il a été décrit des infarctus des muscles papillaires du cœur. Enfin, avez-vous observé des morts subites et quel est le mécanisme des morts subites dans la drépanocytose ?
Nous n’avons pas observé de douleur angineuse chez nos patients et nous n’avons pas non plus observé d’infarctus myocardique dans la série des 60 décès que nous avons colligés. Il faut néanmoins souligner que la plupart de nos patients décédés n’ont pas été autopsiés. Des études échographiques systématiques faites chez des patients drépanocytaires à l’état basal ont montré qu’il pouvait exister des atteintes myocardiques à minima.
La signification et le retentissement clinique de ces anomalies échographiques sont cependant incertains. Comme vous l’indiquiez dans votre question, il a été rapporté des cas de nécroses myocardiques avec à l’autopsie, l’absence de lésions athéromateuses ou thrombotique des gros troncs mais en revanche la présence de lésions de microthromboses, ce qui plaide en faveur du rôle direct de la drépanocytose. Dans notre expérience, l’atteinte cardiaque est néanmoins rare et au second plan par rapport à d’autres atteintes viscérales graves, en particulier pulmonaires ou neurologiques.
M. Patrice QUENEAU
Il est souvent évoqué le fait que la mortalité est plus élevée lorsque le malade arrive tardivement aux urgences. Est-ce que par sa violence et son retentissement hémodynamique, la douleur peut-être susceptible d’aggraver le pronostic sur le plan vital ?
Il est vrai qu’un retard à la prise en charge médicale et en particulier le recours aux structures d’urgence peut avoir des conséquences dramatiques. Dans notre série de patients décédés, il faut souligner que 8 patients sont décédés avant même l’arrivée aux Urgences, dans un contexte de crise vaso-occlusive sévère évoluant souvent depuis 24 à 48 heures et traitée à domicile. On peut s’interroger sur ce retard de prise en charge. Il peut s’agir d’une éducation imparfaite du patient et de son entourage familial. Nous pensons néanmoins qu’il existe également un retentissement psychologique de la maladie qui est sous estimé, le retard du recours aux structures de soins pouvant être le témoin d’un syndrome dépressif et d’une lassitude du patient face à sa maladie. Concernant l’éventuel retentissement hémodynamique de la douleur, j’avoue ne pas avoir de données sur la question. Je tiens en revanche à souligner qu’il existe souvent un facteur psychologique important et en particulier une composante anxieuse qui majore l’importance de la
douleur et qui doit donc être systématiquement évaluée et au besoin prise en charge.
Nous utilisons volontiers l’Atarax® qui a l’avantage d’avoir un effet anxiolytique sans avoir d’effet dépresseur respiratoire.
M. Michel BOUREL
Drépanocytose et grossesse : quelle surveillance et quels risques (en dehors du syndrome thoracique) ?
La grossesse est toujours une période à haut risque, à la fois pour la mère et pour l’enfant.
Il existe en effet un risque élevé de complications vaso-occlusives graves, en particulier en fin de grossesse et pendant la période du post-partum. Il faut d’ailleurs souligner que dans la série des 60 décès que nous avons observés, 3 décès sont survenus dans la période du post-partum chez des patientes atteintes d’un syndrome drépanocytaire majeur ayant eu jusqu’ici une évolution relativement calme. Nous avons observé des décès dans cette situation aussi bien chez des patientes homozygotes S/S que chez des femmes atteintes d’une forme hétérozygote composite S/C. Il existe également un risque pour l’enfant avec un risque d’avortement, d’hypotrophie fœtale ou d’accouchement prématuré. Il est donc clair que toute grossesse chez une patiente drépanocytaire doit être suivie par une équipe spécialisée et dans une maternité de niveau 3. L’indication des transfusions systématiques n’est pas consensuelle mais doit être discutée au cas par cas. Dans notre équipe, nous pratiquons volontiers des transfusions mensuelles à partir du 6ème mois, et nous discutons un échange transfusionnel avant la date théorique du terme en fonction du taux d’hémoglobine S obtenu grâce aux transfusions mensuelles. Cette attitude n’est cependant pas partagée par certaines équipes qui ne transfusent qu’en cas de complications.
M. Paul DOURY
Pourriez-vous nous donner la répartition de vos drépanocytaires ? Groupes éthniques ? Type de drépanocytose (SS, SC, SA) ? Le drépanocytaire SA est-il vraiment totalement asymptomatique ?
Concernant la répartition de nos patients drépanocytaires, je vous donne les chiffres précis qui m’ont été communiqués par Frédéric Galacteros, qui dirige le Centre de la drépanocytose de notre hôpital où sont suivis 1 300 patients patients adultes. Il s’agit de 925 patients homozygotes S/S . La répartition des groupes ethniques est la suivante au sein des patients homozygotes : — Centre Afrique : 25 %, — Antilles : 30 %, — Afrique de l’ouest : 35 %, — Afrique du nord : 5 %. Nous suivons 391 formes hétérozygotes composites S/C comportant environ : 50 % de patients originaires des Antilles, et 50 % de patients originaires de l’Afrique de l’ouest. Il n’y a pas de forme S/C en Centre Afrique.
Enfin, environ 130 malades atteints d’une forme hétérozygote composite S/bêta thalassé- mie sont suivis au Centre avec : 45 % de patients originaires d’Afrique de l’ouest, 35 % originaires des Antilles, et 20 % originaires d’Afrique du nord. Concernant la deuxième partie de la question, les patients drépanocytaires hétérozygotes A/S sont dans la grande majorité des cas asymptomatiques. On peut néanmoins observer des complications rénales à type de nécrose papillaire. Ces patients sont également exposés à d’exceptionnelles complications vaso-occlusives à type de douleurs articulaires ou d’infarctus splé- nique dans des conditions de déshydratation ou d’hypoxie extrême. Enfin, il nous arrive d’être confronté à des patients drépanocytaires A/S qui se plaignent de douleurs articu-
laires atypiques, d’allure inflammatoire mais il est difficile de rattacher avec certitude ce tableau rhumatologique atypique à l’anomalie de l’hémoglobine.
M. Roger HENRION
Est-il possible de prescrire une chimiothérapie au cours de la grossesse ?
La prescription de chimiothérapie en particulier d’Hydroxyurée (Hydréa®) est formellement contre-indiquée pendant la grossesse.
M. Pierre BÉGUÉ
Les signes inflammatoires sont très importants dans les crises prolongées ou graves que vous rapportez. Il est difficile, pour les jeunes médecins, d’éliminer une infection. Que pensez-vous de la place des anti-inflammatoires dans ces situations où les signes biologiques de l’inflammation sont très marqués ?
Il est difficile de différencier une infection d’une réaction inflammatoire isolée devant une crise vaso-occlusive sévère fébrile. Une élévation importante des paramètres de l’inflammation et en particulier de la CRP peut-être observée au cours des crises les plus sévères, même en l’absence d’infection. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) ont été proposés comme un traitement adjuvant des crises vaso-occlusives osseuses dans le but de diminuer l’intensité des douleurs. Nous venons néanmoins de terminer une étude prospective randomisée en double insu au cours de laquelle nous avons comparé un AINS, le Kétoprofène (Profenid®), à un placébo. Aucune différence n’a été observée dans les deux groupes, qu’il s’agisse de la durée de la crise, de l’intensité de la douleur, ou la quantité de morphiniques nécessaire pour calmer la douleur. Nous avons donc abandonné l’emploi des AINS chez nos patients hospitalisés. Il est cependant possible que les AINS soient utiles devant des crises inhabituelles par leur sévérité ou leur durée, dans des crises monosegmentaires avec un infarctus osseux très localisé, ou lorsqu’ils sont prescrits très tôt, c’est-à-dire au domicile du patient.
M. Maurice GOULON
Dans les situations d’urgence, certains auteurs ont préconisé l’usage de l’oxygène hyperbare.
Quelle est votre opinion sur ce sujet ?
L’utilisation de l’oxygène hyperbare a été proposée comme traitement de la crise vasoocclusive. Il n’y a cependant aucune étude randomisée qui ait prouvé l’efficacité de ce traitement. Le grand nombre de patients que nous recevons et la difficulté d’accès au caisson hyperbare font que nous n’utilisons pas cette modalité thérapeutique, qui devrait cependant être évaluée avant d’être largement utilisée. Elle peut se discuter au cas par cas devant certaines complications vaso-occlusives spécifiques telle que la surdité aiguë ou certaines formes de priapisme.
COMMUNIQUÉ
Au nom de la Commission V (Troubles mentaux-Toxicomanies)
Consommation d’alcool, de tabac ou de cannabis au cours de la grossesse
Roger NORDMANN *
Les données cliniques les plus récentes ont clairement établi que la consommation d’alcool, de tabac ou de cannabis a des conséquences néfastes sur le déroulement de la grossesse et le devenir de l’enfant.
L’alcool traversant aisément la barrière placentaire exerce une action délétère sur le cerveau fœtal, lequel se trouve particulièrement exposé du fait des caractéristiques circulatoires de l’unité fœto-placentaire. En fonction de la période et de l’intensité de l’exposition prénatale à l’alcool, ce dernier peut affecter les structures primitives du cerveau, la régulation de la migration et de la multiplication des neurones ainsi que de la formation des synapses, ceci en particulier au niveau des structures impliquées dans les processus de mémorisation et d’apprentissage.
Cette toxicité embryo-fœtale se traduit ainsi à l’extrême par le syndrome d’alcoolisation fœtale comportant une dysmorphie cranio-faciale, des malformations, un retard de croissance, ainsi que des troubles comportementaux et cognitifs majeurs. Le plus souvent, cependant, les anomalies sont moins sévères, mais se traduisent néanmoins par des altérations du développement, ainsi que des troubles du caractère, de l’attention, de l’acquisition du langage, de la lecture et de l’écriture, si bien que la consommation d’alcool pendant la grossesse représente la cause majeure de retard mental d’origine non génétique ainsi que d’inadaptation sociale de l’enfant.
II convient de souligner que l’exposition prénatale à l’alcool représente un facteur de risque embryo-fœtal à tous les stades de la grossesse, et notamment à son début, risque qui est commun à toutes les variétés de boissons alcoolisées (vin, bière, cidre, spiritueux, etc.) et qui existe même lors de consommations ponctuelles.
* Président de la Commision V (Troubles mentaux. Toxicomanies)
* Service de Médecine Interne, Hôpital Henri Mondor, 51 avenue de Lattre de Tassigny 94000 Créteil. Tirés à part : Professeur Bernard GODEAU, même adresse Article reçu le 10 septembre 2003, accepté le 19 janvier 2004
Bull. Acad. Natle Méd., 2004, 188, no 3, 507-517, séance du 30 mars 2004