Communication scientifique
Session of 20 novembre 2007

Introduction

Gérard Conac et Pierre Ambroise-Thomas

Séance commune Académie des sciences d’Outre-Mer Académie nationale de médecine A l’Académie nationale de médecine

Maladies infectieuses et l’Outre-Mer

Introduction

Gérard CONAC *

Monsieur le Président de l’Académie nationale de médecine, Monsieur le Secrétaire perpétuel, Mesdames, Messieurs les membres de l’Académie nationale de médecine, Au nom de mes consœurs et confrères, je vous remercie d‘avoir invité l‘Académie des sciences d’Outre-Mer dans vos locaux prestigieux pour tenir une séance commune avec l’Académie nationale de médecine.

Comme l’indique votre site, vous avez siégé à plusieurs reprises avec l’Académie des sciences, l’Académie de pharmacie, l’Académie d’agriculture de France pour étudier des problèmes qui appelaient une approche pluridisciplinaire. Mais, sauf erreur de ma part, c’est la première fois que nos deux Académies sont officiellement réunies, la première fois que les membres de l’une et de l’autre ont été convoqués sur un programme choisi et défini bilatéralement, comme le diraient les diplomates.

Croyez, Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire perpétuel, que pour les membres de notre Académie c’est une grande fierté d’être ainsi associés à vos travaux dans un esprit de confraternité.

L’Académie nationale de médecine est de beaucoup notre aînée. C’est en effet en 1776 que sous Louis XVI était fondée la Société royale de médecine, qui ne survivra pas à la révolution. Mais sa résurrection s’imposa vite et en 1820 sous le règne de Louis XVIIl le baron Portal, votre refondateur, obtint l’institution d’une Académie
royale de médecine, indépendante des autres académies de l’Institut de France pour mieux affirmer sa spécificité. Reconnue en 1947 comme Académie nationale de médecine, votre compagnie n’a cessé de renforcer son autorité scientifique, son utilité sociale et son rayonnement international.

Quant à elle, l’Académie des sciences d’Outre-Mer est encore loin d’être centenaire.

En effet, l’Académie des sciences coloniales a d’abord été créée en 1923 et elle comptait parmi ses membres fondateurs trois futurs présidents de la République :

Gaston Doumergue, Paul Doumer et Albert Lebrun. Cette nouvelle société savante avait pour objet de promouvoir une meilleure connaissance des problèmes sociaux, économiques et culturels des pays d’Outre-Mer, que la République française avait à cette date la responsabilité d’administrer. Son premier président, Gabriel Hanotaux, membre de l’Académie française, la voulait très innovante, n’hésitant pas à la définir comme un « laboratoire d’idées ».

En 1957, débaptisée, elle devenait l’Académie des sciences d’Outre-Mer, dont les statuts furent modifiés en 1972 par un décret signé du regretté Pierre Messmer, alors Premier ministre.

Depuis cette date, son champ d’investigation s’est universalisé. Ses membres étrangers sont de plus en plus nombreux. Ses recherches et ses réflexions ne sont plus limitées aux aires géographiques de l’ancien Empire francais. Tout en assumant le devoir de mémoire, elle se fixe pour vocation de faciliter le dialogue des cultures et de promouvoir des débats intellectuels et scientifiques entre des personnalités françaises et étrangères sur les grands problèmes du monde contemporain « dans un esprit de complète objectivité et d‘entier désintéressement ». Aujourd’hui parmi ses membres associés étrangers notre Académie compte sept chefs ou ancien chefs d’Etat, Monsieur Boutros Boutros-Ghali, ancien Secrétaire général des Nations Unies, Monsieur Abdou Diouf, Secrétaire général de la Francophonie, Monsieur Mohamed Bedjaoui, ancien président de la Cour internationale de Justice, ainsi que des professeurs, des chercheurs, des écrivains. Notre dernier élu est Aimé Césaire, qui prend ainsi le relais de son grand ami Léopold Sedar Senghor. Parmi nos membres titulaires plusieurs appartiennent également à votre Académie, Monsieur le vice-président Marc Gentilini, Monsieur Yves Coppens, Monsieur Pierre Pène.

De tels cumuls remontent aux origines de l’Académie des sciences d’Outre-Mer, puisque plusieurs membres fondateurs et plusieurs parmi les tout premiers élus étaient d’éminents membres de votre compagnie.

Et certains par leur découvertes sont considérés comme des bienfaiteurs de l’humanité. Permettez-moi au cours de cette séance exceptionnelle de rendre hommage à plusieurs d’entre eux en les citant :

— Albert Calmette, décédé en 1933, un des premiers à expérimenter le BCG contre la tuberculose, — Alexandre Yersin, décédé en 1943, découvreur du bacille de la peste,
— Émile Marchoux et Eugène Jamot, qui luttèrent efficacement contre la maladie du sommeil.

J’ajouterai à cette liste deux membres de notre Compagnie, qui, bien que n’ayant pas été à ma connaissance membres de votre Académie, méritent une mention spéciale :

— Louis Simond, qui découvrit le mode de transmission de la peste et, — Marcel Léger, dont les travaux portent sur l’étiologie de la peste et la lutte contre le paludisme.

Pour témoigner de nos convergences, il faudrait citer d’autres noms de membres de votre Académie, qui nous ont plus récemment quittés, après avoir contribué au progrès de la médecine tropicale, notamment les professeurs Emile et Lucien Brumpt, père et fils, membres de votre Académie, et leur disciple, Georges Jeager, fondateur et directeur du Centre eurafricain de biologie humaine, qui, bien qu’il ne fut pas membre de votre compagnie, en fut lauréat.

Comme on le voit, tant par leurs champs de compétences que par les liens personnels qui les unissent, nos deux Académies, loin d’être étrangères l’une à l’autre, sont très complémentaires et j’oserais même dire « consanguines ». Deux de nos présidents furent d’ailleurs d’éminents spécialistes des maladies tropicales : en 1937 Jules Emily, membre fondateur, et en 1961 Georges Girard, directeur de l’Institut Pasteur de Tananarive, qui a laissé à Madagascar un souvenir inoubliable. Actuellemment nous comptons parmi nous une vingtaine de membres qui relèvent des professions médicales.

Notre quatrième section, d’ailleurs la plus active de notre Académie : sciences physiques, naturelles, biologique et leurs applications, est souvent appelée à traiter de sujets relatifs aux problèmes de santé. Ce serait fastidieux de chercher à énumérer les titres de toutes les communications qui ces dernières années relevaient de vos domaines de recherche. Je citerai un peu au hasard : la grippe aviaire, le sida en Afrique (Guy Charmot), le rôle des insectes dans la transmission des maladies (Pierre Salou), séance en liaison avec la Société de pathologie exotique, le changement climatique et les risques sanitaires (Jeanne-Marie Amat-Roze), les écoles et instituts de médecine tropicales de Marseille (Le Pharo), de Bordeaux et de Lyon, les instituts Pasteur, La Croix Rouge (Marc Gentilini). Nous envisageons également des communications sur l’OMS, Médecins sans frontières et Médecins du monde dans le cadre de notre programme annuel portant sur les organisations internationales ainsi que sur les grandes associations d’aide au tiers-monde.

Enfin, je pressens une possibilité de coopération à l’occasion du projet que met au point notre commission sur la « Présence française dans le monde ». Cette commission envisage en effet de préparer un ouvrage sur l’apport des chercheurs et des médecins français aux progrès de la médecine tropicale. Cet ouvrage serait ainsi un hommage à tous les professionnels de santé, médecins, vétérinaires, infirmiers métropolitains ou autochtones qui ont servi Outre-Mer pour combattre les grandes endémies, pour soigner les populations dans des conditions souvent très difficiles et
non sans risques pour leur propre santé, car nombreux furent ceux qui laissèrent leur vie au contact de leurs malades. Puis-je suggérer que l’Académie nationale de médecine s’associe à ce projet qui devrait permettre à nos deux Compagnies d’acquitter une dette de reconnaissance à leur égard ?

Certes si nos approches et nos objectifs peuvent être différents, lorsque nous sommes amenés à étudier des sujets qui nous sont communs, nous partageons la même éthique humanitaire. C’est au point que, tout en respectant parfaitement le serment d’Hypocrate, vous pourriez sans état d’âme adhérer à notre devise : savoir, comprendre, respecter, aimer. Nos travaux, que ce soit rue Bonaparte ou rue Lapérouse, ne sont-ils pas inspirés par les valeurs de l’humanisme, l’esprit de service, le respect de la personne humaine, le souci de protéger tout ce qui fait de notre terre « l’Univers de la vie » ?

La communication de votre confrère, Claude Chastel, est intitulée « Les virus bougent, périls planétaires ». Mais ce sont aussi les conditions climatiques qui changent, les populations qui se déplacent, les idées qui se transmettent instantané- ment, les cultures qui se rencontrent parfois pour s’entrechoquer, les technologies qui s’exportent, dont la technologie nucléaire, la plus prometteuse et la plus terrifiante quand elle est détournée de ses usages pacifiques. Oui, au siècle de la mondialisation les périls sont planétaires. Quelles que soient nos disciplines, nous devons nous concerter pour tenter de relever des défis communs, qui mettent en cause l’avenir même de notre planète. Il faut donc que l’humanité soit plus solidaire, moins destructrice, mieux organisée et mieux gérée. Or, malgré les efforts des grandes instances de la communauté internationale, bien des conflits ne peuvent être résolus pacifiquement et l’environnement ne cesse de se dégrader.

Ne sombrons toutefois pas dans le désespoir. Les scientifiques ont su vaincre des maladies particulièrement contagieuses. Leurs succès nous laissent espérer que face à la montée des périls les politiques auront le réflexe collectif de la survie. Tout dans l’évolution actuelle n’est d’ailleurs pas négatif. Le juriste que je suis peut observer que depuis la décolonisation les états indépendants se sont multipliés, mais que jamais les peuples n’ont été aussi interdépendants les uns des autres pour le meilleur et pour le pire, ce qui devraient les inciter à coopérer. Quant à la mondialisation, elle fait naître des institutions régulatrices et juridictionnelles, tout en renforçant la légitimité et l’influence de l’Organisation des Nations Unies comme instance suprême de conciliation en cas de crise grave opposant les états les plus puissants.

Invités la semaine dernière à La Haye, où notre Académie a tenu une séance à la Cour Internationale de Justice, nous avons pu constater que discrètement s’élaborait un droit international jurisprudentiel de plus en plus précis et respecté, même s’il est encore loin d’être un droit de l’universel.

Pardonnez-moi d’avoir été un peu long et de conclure par un texte du zoologiste et naturaliste Jean Dorst, tiré de son livre l’Univers de la vie, cité par Théodore Monod lorsqu’il le reçut dans notre Académie le 5 mars 1982 : « tout en étant vulnérables, nous sommes devenus très puissants. A nous de trouver une morale à la mesure de
notre pouvoir. Séparée d’une éthique, la science n’est qu’un leurre. Elle aurait créé en même temps les conditions de notre domination et les facteurs de notre perte. Elle aurait conduit à la destruction de nos moyens de subsistance, après les avoir généreusement dispensés. Elle aurait ruiné notre esprit, après nous avoir révélé comment celui-ci peu à peu émergea au cours d’une évolution sinueuse, dont nous sommes l’aboutissement, sans en être le moteur ».

Introduction

Pierre AMBROISE-THOMAS *

Le monde change.

Le monde change et des maladies jadis rarissimes, ignorées ou largement méconnues en France sont de plus en plus fréquemment observées dans notre pays. L’augmentation considérable des voyages internationaux et l’immigration en provenance de pays des zones tropicales en sont des causes bien connues. Mais cette évolution résulte aussi de l’émergence d’affections nouvelles, favorisées notamment par des modifications climatiques ou environnementales. Cette situation nous impose un double devoir. Comme médecins, être capables d’identifier et de traiter comme il convient ces maladies. Comme enseignants, pour ceux d’entre nous qui sont hospitalo-universitaires, assurer aux futurs médecins la formation professionnelle qui leur permettra de faire face à des maladies auxquelles ils seront de plus en plus souvent, ou en tout cas de moins en moins rarement, confrontés.

Pour s’ouvrir sur ce monde de la Pathologie Tropicale, l’Académie nationale de médecine ne pouvait mieux faire que de s’associer à l’Académie des sciences d’Outre Mer dont nous avons le plaisir d’accueillir le Président, Monsieur Gérard Conac que je salue et que je remercie, ainsi que plusieurs des membres de son Académie dont certains sont également membres ou membres correspondants de l’Académie nationale de médecine.

Cette réunion commune est une première. Elle s’inscrit pourtant dans une tradition déjà longue de l’Académie nationale de médecine qui, tient régulièrement des séances bi-académiques avec l’Académie des sciences, l’Académie nationale de pharmacie, l’Académie nationale de chirurgie, l’Académie d’agriculture de France.

Mais si aujourd’hui notre réunion a, pour premier objectif, de nous ouvrir sur le monde tropical, elle correspond aussi à un devoir de mémoire. Au fil des siècles, de très nombreux médecins français, illustres ou anonymes, ont en effet été les ambassadeurs de la médecine française dans des territoires lointains. Beaucoup y ont consacré, et quelquefois, laissé leur vie. Ils ont permis à des millions de malades de guérir, à des régions jusque là inexploitables de s’ouvrir enfin au développement. La page que ces confrères ont écrite est l’une des plus belles de l’histoire de la médecine * Président de l’Académie nationale de médecine Tirés à part : Professeur Pierre AMBROISE-THOMAS, 2, allée des Marronniers, 38240 Meylan
française. Les pays étrangers, quelles que soient leurs relations politiques avec la France, lui rendent unanimement hommage. Or, très injustement, elle demeure largement méconnue ou même inconnue dans notre pays. L’Académie nationale de médecine se devait de le rappeler. C’est ce que nous avons fait récemment dans une séance commune avec le Service de Santé des Armées, une séance consacrée au centenaire du prix Nobel d’Alphonse Laveran, le premier Prix Nobel de médecine attribué à un français. C’est ce que nous faisons maintenant avec l’Académie des sciences d’Outre Mer, avec laquelle je souhaite que nous ayons à l’avenir d’autres et fructueuse occasions de rencontres

* Président de l’Académie des sciences d’Outre-Mer, 15, rue Lapérouse, 75116 Paris Tirés à part : Professeur Gérard CONAC, même adresse

Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 8, 1543-1550, séance du 20 novembre 2007