Résumé
Si la nutrition parentérale à domicile (NAPD) reste aujourd’hui le « traitement de réfé- rence » de l’insuffisance intestinale bénigne mais chronique jugée irréversible. Une meilleure connaissance des différentes composantes de l’insuffisance intestinale est le pré-requis des thérapeutiques adjuvantes ou alternatives médico-chirurgicales à la NPAD, i.e., les facteurs trophiques intestinaux, la chirurgie réhabilitatrice du grêle court (rétablissement de la continuité colique, anse jéjunale anti-péristaltique dans le grêle court de type II) ou la transplantation intestinale. La transplantation intestinale est maintenant une thérapie mature avec une indication formelle en particulier en cas d’échec de la nutrition parentérale à domicile notamment en cas d’hépatopathie associée à l’insuffisance intestinale qui peut conduire à une insuffisance hépatique en l’absence de transplantation combinée foie-grêle. Pour les patients à haut risque de décès, l’indication dite préemptive avec une transplantation intestinale isolée du grêle pourra être discutée avant que les complications de nutrition parentérale à domicile se produisent. Si les résultats en termes de survie des patients se sont améliorés au cours des vingt dernières années, la survie à cinq ans ne dépasse pas 50 %. Ainsi, chaque cas doit être discuté dans un centre tertiaire dédié. Le « ESPEN Home Artificial Nutrition Working Group » a réalisé une enquête en 2004 pour évaluer les candidats potentiels à une greffe intestinale en France, parmi la population adulte des malades en nutrition parentérale à domicile. La prévalence a été estimé à environ 20 % soit environ quarante nouveaux adultes par an, candidats potentiels à une greffe intestinale. Bien que les techniques chirurgicales de la greffe intestinale isolée, de la greffe combinée foie et grêle, et de la greffe multiviscérale aient été mises au point au début des années 1960, seules quelques greffes avaient été réalisées avant les années 1990 car les traitements immunosuppresseurs initiaux condamnaient l’intervention à l’échec. En effet, la greffe intestinale aboutissait au décès de la plupart des malades dans les jours ou les mois qui suivaient l’intervention. Les mauvais résultats observés alors étaient liés à des complications techniques, à l’infection, et à l’incapacité des traitements immunosuppresseurs à contrôler le rejet intestinal. L’introduction du tacrolimus comme traitement immunosuppresseur au début des années 1990, associée à une amélioration des techniques chirurgicales, à l’utilisation de nouveaux immunosuppresseurs, à une meilleure prophylaxie anti-infectieuse, et à une meilleure sélection des malades, conduisaient à une amélioration significative de la survie des greffons et des malades pour tous les types de greffe intestinale. En transplantation intestinale adulte, trois types de greffes intestinales sont réalisées : la greffe d’intestin isolée, la double greffe foie et grêle, et plus rarement la greffe multiviscérale. Dans la greffe intestinale isolée, le greffon intestinale mesure au moins un mètre cinquante à deux mètres mais dépend de la taille du receveur (et du volume souvent réduite de sa cavité abdominale). Il est anastomosé avec le duodénum (ou le jéjunum restant du receveur), et l’extrémité distale est mise en stomie temporaire afin de permettre des biopsies systématiques pour détecter précocement des signes de rejet. Les anastomoses vasculaires sont habituellement faite directement sur l’aorte pour l’artère, et soit sur la veine porte soit sur la veine cave native pour la veine mésentérique supérieure du greffon. En double greffe foie et grêle, on évite une anastomose veineuse puisque le greffon est en monobloc foie et grêle. Enfin, une des particularités de la greffe intestinale est que le plus souvent le receveur a été multiopéré, et qu’il n’a plus d’intestin grêle. Ceci entraîne donc une réduction très importante du volume de la cavité abdominale, ce qui pose des problèmes pour mettre le greffon intestinal qui ne doit absolument pas être comprimé lors de la fermeture abdominale. Il faut donc le plus souvent dans un premier temps mettre une prothèse pariétale car la fermeture même seulement cutanée est impossible.
Summary
Optimised Home Parenteral Nutrition is still, after 35 years of progress, the ‘‘ gold standard ’’ for benign but chronic Intestinal Failure. better recognition of chronic Intestinal Failure, in its multiple facets, is needed to improve Home Parenteral Nutrition by adding associated treatments such as intestinal trophic factors, rehabilitative surgery (reestablishment of colonic continuity, reverse jejunal segment in severe short gut type II) and/or reconstructive surgery (intestinal transplantation for end-stage intestinal failure). Intestinal transplantation is now a mature therapy with formal indications, especially in case of failure of Home Parenteral Nutrition (mainly Home Parenteral Nutrition-associated severe liver disease), where combined Liver-intestine transplantation is indicated before end-stage liver failure occurs. For high-risk patients, ‘preemptive’ intestinal transplantation alone should be discussed before home parenteral nutrition-related complications occur. Even, if the results in terms of patient survival have improved over the past 20 years, the 5- year survival rate still does not exceed 50 %. Thus, each case should be discussed in a dedicated tertiary center. The ESPEN Home Artificial Nutrition Working Group conducted a survey in 2004 to assess potential candidates for intestinal transplantation in France, among the adult population of patients with home parenteral nutrition. The prevalence of potential candidates for intestinal transplantation was estimated at about 20 % (about 40 new adult cases per year). Even though surgical techniques for isolated intestine, liverintestine, and multivisceral transplantation were developed in the 1960s, very few patients were transplanted before 1990, because of inadequate initial immunosuppressive regimens. most patients died within days or months after Intestine transplantation. The discouraging results of the first clinical trials were due to technical complications, sepsis, and the failure of conventional immunosuppression to control rejection. By 1990, the development of tacrolimus-based immunosuppression, as well as improved surgical techniques, the increased array of potent immunosuppressive medications, infection prophylaxis, and better patient selection helped to improve actuarial graft and patient survival rates for all types of intestine transplantation. In adult intestinal transplantation, three kinds of graft can be proposed: isolated small bowel, combined liver and small bowel, and multivisceral transplantation. In isolated small bowel transplantation, the length of the graft ranges between 1.5 and 2 meters, but depends on the size of the recipient (and the abdominal cavity volume, which is reduced). The graft is anastomosed with the recipient’s duodenum or remnant proximal jejunum. the Distal part of the small bowel graft is on a temporary stoma, in order to allow biopsies for early detection of rejection. Vascular anastomoses are usually performed directly on the aorta for the superior mesenteric artery and either the recipient’s portal vein or vena cava for the donor superior mesenteric vein. In combined liver and intestinal transplantation, one venous anastomosis is avoided because the graft is in one piece. Finally, one specificity of this transplantation is the fact that it usually concerns patients with numerous previous abdominal operations and with total or subtotal enterectomy. Thus, the residual abdominal cavity is usually very small, and this can be a major problem for graft insertion. For this reason, abdominal closure is performed with a temporary prosthesis, because even cutaneous closure remains impossible if a compartment syndrome is to be avoided.
La transplantation intestinale est aujourd’hui un traitement que l’on peut proposer en cas d’insuffisance intestinale bénigne mais chronique (IIC) c’est à dire irréversible. Si elle n’est pas encore arrivé au stade réellement clinique, comme par exemple la transplantation hépatique, car très peu de centres la réalise de manière courante en France, son développement récent notamment chez l’adulte, font qu’elle prend une place de plus en plus importante dans l’arsenal thérapeutique des patients en IIC.
L’insuffisance intestinale chronique
L’insuffisance intestinale bénigne mais chronique (IIC) est une des principales complications des entéropathies sévères et des résections intestinales étendues. Sa définition princeps est la réduction de la masse fonctionnelle intestinale en deçà du minimum requis pour une absorption adéquate des nutriments.[1]. Elle a été redé- finit récemment comme étant l’absence d’autonomie nutritionnelle en alimentation orale ‘normale’ [2]. Il apparaît une malnutrition protéino-énergétique. Le traitement de référence de l’insuffisance intestinale est la nutrition parentérale à domicile (NPAD).
L’insuffisance intestinale sévère et chronique imposant une NPAD a deux causes principales : la dysfonction motrice (principalement l’occlusion intestinale) et les syndromes de malabsorption. Les deux anomalies peuvent coexister lorsqu’il existe une fistule de l’intestin grêle, laquelle représente 10 à 20 % des indications à la NPAD. L’occlusion intestinale peut ou non s’accompagner de sténose(s) : dans le premier cas, il s’agit principalement de cancer, de maladie de Crohn ou d’entérite radique ; dans le second cas, il existe une pseudo-obstruction intestinale chronique (POIC) Etiologie et prévalence
Les principales causes de l’IIC, en dehors des causes néoplasiques, sont un intestin grêle hypo-fonctionnel, secondaire à : — une résection de grêle très étendue (J 2 m) laissant en place moins de 100 cm de grêle avec ou sans continuité digestive (75 à 80 % des cas), — la pseudo-obstruction intestinale chronique (15 à 20 % des cas) et — les maladies atrophiantes diffuses duodéno-jéjuno-iléales (moins de 5 % des cas), pathologies ‘‘ résistantes ’’ aux traitements spécifiques. L’indication de la NP n’est posée qu’en présence d’une impossibilité ou d’un échec de la nutrition entérale quelle que soit la voie d’accès au tube digestif (gastro- ou jéjuno-stomie ou réinstillation intestinale). Soixante-quinze pour-cent des patients adultes ayant une IIC ont un SGC dont la moitié présente une IIC permanente ou définitive. Leur prévalence (maladies rares) est de 7 à10 patients/an/million d’habitants. Leur incidence annuelle est de 2 à 4 patients/an/million d’habitants. Les principales causes du SGC avec insuffisance intestinale transitoire ou permanente sont, en France, par ordre décroissant : l’ischémie (artérielle (32 %) > veineuse (7 %) J volvulus + traumatisme (7 %), l’entéropathie radique chronique (21 %), les complications post-opératoires (19 %) ; dans notre série, la maladie de Crohn (6 %) arrive au même rang que la POIC réséquée (6 %). Au Canada, au Royaume Uni, au Danemark, la maladie de Crohn est la principale cause de SGC [3-5].
Reconnaissance de l’insuffisance intestinale permanente ou irréversible : le syndrome de grêle court (SGC)
Chez l’adulte, trois variables, deux cliniques et une biochimique, permettent de distinguer, dans les conditions ‘usuelles’ de traitement, l’IIC transitoire de l’IIC permanente : l’anatomie intestinale restante, la durée de dépendance à la NPAD, le taux plasmatique de citrulline. De façon schématique, une durée de dépendance > à deux ans [6] associé à, passé ce délai, une citrullinémie < à 20 μmol/L (soit moins de 50 % de sa valeur usuelle) témoignent d’une II permanente avec une VPN et une VPP proches de 90 % [6, 7]. Il existe cependant des sevrages de NPAD ‘tardifs et spontanés’ passé le délai de deux ans et ce au sein même de candidats potentiels à la transplantation (Tx) [8]. Le délai de deux à trois ans correspond en pratique clinique à la période d’ adaptation physiologique — sous contrôle de l’hyperphagie orale et de ses médiateurs neuro-hormonaux. Si à ces deux paramètres on ajoute les caracté- ristiques anatomiques du SGC, on a cependant moins de chance de mal-classer les patients : un SGC de type I (entérostomie jéjunale), de type II (anastomose jéjunocolique) et de type III (anastomose jéjuno-iléale) resteront dépendants ‘permanents’ de la NPAD (quelque soit le degré de dépendance) pour une longueur de grêle restant post-duodénal sain respectivement < à 100, 60 et 30 cms. [6, 9].
En pratique, pour les SGC de type I, II et III, le sevrage à la NPAD est acquis et pérenne dans de bonnes conditions — digestives et nutritionnelles sous réserve de la poursuite des thérapeutiques gastroentérologiques et nutritionnelles — pour respectivement plus de 150, 100 et 50 cm de grêle restant post duodénal sain . Cependant, le pré requis indispensable de cette autonomie orale est une hyperphagie compensatrice de la malabsorption : celle-ci est observée dans environ deux tiers des cas [9].
Précisons que le taux plasmatique de citrulline, acide aminé non incorporé dans les protéines, indépendant de l’état nutritionnel et d’un état inflammatoire [10], est significativement corrélé à la longueur de grêle restant post-duodénal et à l’absorption résiduelle du grêle et est un marqueur valide de l’IIC sévère et permanente comme dans toute situation où il existe une réduction majeure de la masse entérocytaire. Chez l’enfant avec grêle court, un seuil de citrulline comparable (19 μmol/l) a été retrouvé, avec une VPN de 100 % et une VPP de 87 %, pour obtenir le sevrage à la NPAD [7, 11].
Il n’y a pas dans les autres causes d’insuffisance intestinale, notamment les POIC de marqueur biologique pertinent d’insuffisance intestinale d’où sa définition par la ‘non autonomie orale’ et la dépendance à la NP. Lors des maladies villositaires atrophiantes (coeliaque notamment) un seuil de citrulline < à 10 μmol/L témoigne d’une IIC avec dépendance à la NPAD.
Pronostic de l’II permanente en NPAD
Chez l ‘adulte, dès la fin des années 1980, la survie des patients à cinq ans atteignait en centre agréé 75 % [12]. L’âge est un facteur pronostique indépendant avec un survie meilleure avant quarante ans, quelle que soit la catégorie diagnostique, atteignant 85 % à cinq ans [13]. C’est pour cette raison que la maladie de Crohn apparaît souvent comme ayant un meilleur pronostic. Cependant à l’intérieur d’un même groupe pathogénique, la survie varie : elle est ainsi significativement diminuée pour le SGC ischémique d’origine artérielle (50 % à cinq ans) [6] Adaptation intestinale
C’est à la période intermédiaire de l’évolution du SGC, c’est-à-dire entre la période post opératoire et la période séquellaire, que survient l’adaptation intestinale (AI).
Cette période correspond à une amélioration clinique des symptômes (diminution du poids et du nombre de selles) qui survient en deux à trois ans. Cette adaptation spontanée (AIS) n’est cliniquement significative que pour le SGC de type II et III ;
i.e., présence d’un court segment iléal et/ou présence de tout ou partie du colon. Elle ne se manifeste pas dans l’IIC du SGC de type I (jéjunostomie) où les pertes stomiales hydro-sodées ne tendent pas à diminuer, contrairement à celles d’une iléostomie distale, au cours de l’évolution.
Chez l’homme au niveau du grêle restant, à la différence des modèles animaux où est observée une hyperplasie, l’AIS est essentiellement fonctionnelle : amélioration de l’absorption du glucose, du calcium et des acides aminés par unité de longueur, du cholestérol et de la vitamine B12 après by-pass plusieurs mois à plusieurs années après la chirurgie. Par contre, au niveau du colon restant, par rapport à un groupe contrôle, plus de deux ans après chirurgie, une hyperplasie cryptique significative avec prolifération et apoptose maîtrisées a été démontré vient d’être démontrée [14, 15]. Ainsi, tout ou partie du côlon est utile non seulement pour la réabsorption d’eau et des électrolytes [16], mais aussi pour la récupération énergétique des glucides malabsorbés secondaire à leur hyperfermentation colique, laquelle survient en quelques semaines, avec hyperproduction des acides gras à chaînes courtes dont l’acétate. La récupération calorique colique peut atteindre 1000 kcal/j [17].
Des facteurs trophiques intestinaux
Des traitements dont le but est l’amélioration de l’absorption intestinale ont été étudiés ou sont en cours d’évaluation. La RHGH (0,10 mg/kg /j pendant un mois) associée à une nutrition enrichie en glutamine (IV et orale), et à un régime enrichi en glucides fermentescibles a permis d’observer chez 47 adultes en NPAD de longue durée (six ans en moyenne et SGC type I < à 100 cm, et < à 50 cm dans les types II et III) après un suivi d’un an, un sevrage à la NPAD et une réduction de la fréquence des perfusions nutritives dans 80 % des cas. Un essai contrôlé a abouti début 2004 à l’autorisation par la FDA de son utilisation (0,10 mg/kg/j pendant un mois) dans les SGC dépendants de la NPAD. L’ensemble des résultats laisse espérer que la NPAD puisse être réduite de un à deux cycles par semaine dans le SGC de type II à condition de poursuivre le traitement car l’effet de la RHGH n’est pas pérenne [5,18].
Le GLP-2 est un entéropeptide clé qui semble être impliqué dans l’adaptation morphologique et l’amélioration de l’absorption chez les sujets SGC [19, 20]. En effet, les résultats préliminaires d’une étude au long cours avec administration de GLP2 sous sa forme recombinante (six à douze mois de traitement) ont montré une réduction du débit de selles de 750ml/j avec réduction du volume hebdomadaire de NP J à 20 % dans près d’un cas sur deux à la dose de 0,05mg/Kg/J avec, fait physiopathologique original chez l’homme, une adaptation morphologique villositaire significative. Parallèlement, la citrullinémie augmentait significativement avec une réduction du nombre de perfusions hebdomadaire non précisé. Le bénéfice du GLP-2 semble présent quelque soit le type de SGC. Une étude confirmatoire de son effet positif est en cours [21]. A ce jour, ce traitement n’ est toujours pas disponible et les effets escomptés sont une amélioration de l’absorption essentiellement hydroelectrolytique permettant une réduction du volume à perfuser.
Ainsi, malgré les progrès réalisés en termes de connaissance physiopathologique de l’adaptation au cours du syndrome de grêle court, et en termes de prise en charge des patients avec insuffisance intestinale, l’incidence de l’insuffisance intestinale chronique bénigne reste estimée à environ trois par millions d’habitants pour l’adulte en France.
La transplantation intestinale
Malgré l’optimisation de la prise en charge en centre experts des patients ayant une IIC, la NPAD expose toujours à des complications qui mettent en jeu le pronostic vital, notamment infections et thromboses veineuses reliées au cathéter, complications métaboliques et altération des fonctions hépatiques. Entre 1964 et 1984, moins de dix transplantations intestinales ont été réalisées sans succès. Entre 1980 et 1990, la greffe intestinale a été réalisée sous ciclosporine. Parmi les vingt cas rapportés, il existe actuellement deux survivants dont un cas français. A partir des années 1990, les résultats ont radicalement progressé sous tacrolimus (FK506) et la transplantation intestinale a réellement pris son essor. Ainsi depuis cette période, la transplantation intestinale isolée (TIx) ou associée à la transplantation hépatique (TIFx) est proposée comme une alternative thérapeutique logique à la NPAD pour IIC jugée irréversible dès lors que l’échec de la NPAD mets en jeu le pronostic vital à moyen terme.
Indication : elle concerne l’IIC jugée irréversible dont — le pronostic vital est engagé à moyen terme par une complication sévère de la NPAD, et/ou — une pathologie sous-jacente à haut risque de décès, et/ou — une qualité de vie mauvaise sous traitement optimal (tableau 1). Ces critères approuvés aux Etats Unis d’Amérique par les assurances Medicare et Medicaid associés aux recommandations de la Société Américaine de Transplantation ont permis d’harmoniser l’ensemble des pratiques des différents centres aussi bien pédiatriques qu’adultes [22].
Candidats à la greffe intestinale
En pratique, la greffe intestinale est envisagée chez un malade porteur d’une insuffisance intestinale permanente, qui remplit les critères actuels de sélection, et ne présente pas de contre-indications à la greffe. L’objectif du bilan prégreffe est donc de répondre à plusieurs questions fondamentales : — l’insuffisance intestinale est-elle définitive ? — le malade est-il candidat à une greffe intestinale selon les critères actuels ? — existe-t-il des contre-indications à la greffe ?
Les critères de greffe intestinale
On peut distinguer les indications dites de sauvetage, c’est à dire les cas où en l’absence de greffe le pronostic vital est engagé à court terme, des indications dites pré-emptives. A l’évidence l’indication de sauvetage s’adresse aux patients avec IIC définitive présentant une insuffisance hépatique pour lesquels une transplantation combinée foie-grêle est la seule solution.
(1) Indications à la transplantation intestinale : insuffisance intestinale irréversible et échec de la nutrition parentérale, et/ou risque élevé de décès en raison de la pathologie sous-jacente, et/ou mauvaise qualité de vie Concernant les autres indications classées comme « échec de la NPAD », c’est-à- dire les infections sur cathéter centraux répétées ou graves, les thromboses veineuses rendant un accès veineux difficile, elles doivent être discutées au cas par cas. En effet, une amélioration de la prise en charge des techniques de perfusion, peut diminuer la récidive des infections et l’infection ou la thrombose veineuse ne sont pas des facteurs péjorant le pronostic en NPAD.
Aussi, les indications dites pré-emptives doivent tenir compte de notre connaissance de la survie en NPAD et après greffe intestinale. Dans les centres de référence, la survie du patient et du greffon à un an peut atteindre 90 %, résultat proche des autres transplantations d’organes abdominaux solides. Devant l’amélioration des résultats, de nouveaux centres se sont créés et aux États-Unis, vingt centres ont réalisé au moins une transplantation intestinale en 2007. L’augmentation de l’offre semble se traduire aux États-Unis par une tendance à promouvoir plus largement la transplantation isolée du grêle dite « préemptive » c’est-à-dire avant que ne surviennent les complications de la NPAD. Ces candidats potentiels sont de fait quatre à cinq fois plus nombreux que ceux ayant une indication indiscutable de transplantation secondaire à l’échec de la NPAD. Il s’agit d’un sujet polémique au sein même de la société internationale de transplantation intestinale et plus encore au sein des milieux médicaux concernés. Cette controverse est également nourrie par un délai important sur liste d’attente qui laisse place à un taux de décès important par hépatopathie sévère associée à l’insuffisance intestinale notamment en pédiatrie. De plus, le gain de survie considérable de la première année post-transplantation ne s’accompagne pas parallèlement d’une amélioration de la survie à moyen terme.
Un enjeu essentiel dans la prise en charge du patient avec insuffisance intestinale chronique est de déterminer si les indications actuellement retenues sont adaptées et de définir quel est le « bon » moment pour proposer une greffe intestinale.
Bonnes indications et place de la greffe intestinale
Des données provenant de centres expérimentés ont été comparées favorablement à la survie rapportés dans les séries rétrospectives de patients en NPAD, ce qui suggère que les indications de la TI reconnues actuellement (procédure dite de sauvetage pour les patients ayant développés des complications potentiellement mortelles notamment liées à nutrition parentérale) devrait être élargies aux indications dites pré-emptives/réhabilitatives applicables à tous les patients souffrant d’insuffisance intestinale irréversible, dans le but d’éviter le développement de l’échec à de la NP et de recouvrer l’autonomie du patient plus complète. Un premier travail prospectif sur trois ans, comprenant adultes et enfants en NPAD pour insuffisance intestinale, a comparé des « non-candidats » pour la TI (n’ayant ni indication, ni contreindication) a des ‘‘ candidats ’’ qui avait une indication sans contre-indication. Les résultats confirment l’utilisation de la NPAD comme le traitement principal pour l’insuffisance intestinale et seuls les patients en échec de la NPAD due à une insuffisance hépatique ou à des complications sévères liées au cathéter central avaient un risque accru statistiquement significatif de décès en NPAD. Il a été suggéré que la TI devrait être proposée comme procédure de sauvetage pour les patients atteints de ces complications. Cette étude a fourni des informations permettant d’améliorer la sélection des patients pour une greffe, mais les expériences les plus récentes et les nouvelles données pouvaient avoir changé l’applicabilité de ses conclusions [8]. Ainsi, cette cohorte unique a été soumise à une enquête complé- mentaire de deux ans. Cette étude prospective de cinq ans a comparé 389 noncandidats (aucune indication, aucune contre-indication) à 156 candidats (indication, aucune contre-indication) à la TI. Les indications étaient : l’échec à la NPAD (insuffisance hépatique ; plusieurs épisodes de thrombose veineuse liée au cathéter ou de septicémie ; déshydratation sévère), une pathologie à haut risque de décès (tumeurs desmoides intra-abdominale ; maladie congénitale de l’épithélium intestinale ; grêle ultra-court), et morbidité élevée liée à l’insuffisance intestinale. La probabilité de survie à cinq ans, en intention de traiter, était de 90 % chez les non-candidats et 79 % chez les candidats (p <0,001). Au cours du suivi ; 90 noncandidats et 5 candidats ont été sevrés de la NPAD, 1 non-candidat et 20 candidats ont été transplantés (grêle isolé, N=16/foie+grêle,N= 5). Chez les patients noncandidats non sevrés et non transplantés, la survie était plus faible chez ceux qui avaient la plus courte durée de NPAD lors de l’inclusion. Chez les candidats non sevrés et non transplantés, la survie était de 73 % dans le groupe échec de la NPAD, 86 % dans le groupe risque élevé de la maladie et 100 % dans le groupe morbidité élevée de l’insuffisance intestinale (p = 0,032). Dans le groupe échec de la NPAD, la survie était de 65 % chez ceux présentant une insuffisance hépatique et 77 % pour ceux ayant des complications liées au cathéter central (P <0,001 et P = 0,078 vs non candidats, respectivement). Chez les transplantés, la survie était de 51 %. Le taux de mortalité était de 38 % chez ceux qui étaient à la maison (N=18/21) lors de l’appel et de 100 % chez ceux qui étaient hospitalisés (p = 0,017) [23].
En conclusion, dans une étude rapportant des résultats de centres uniquement européens, ces données — confirment que la NPAD reste la première option thérapeutique pour l’insuffisance intestinale chronique, — montrent que l’échec à la NPAD liée à un atteinte hépatique ou la présence de tumeurs desmoides intraabdominales sont les seules indications de « sauvetage », — indiquent que les complications liées au cathéter central ainsi que le grêle ultra-court et les maladies congénitales de l’épithélium intestinale pourraient être des indications pour une greffe pré-emptive/réhabilitative ; — suggèrent que, dans les premières années de NPAD, la TI pourrait être nécessaire pour certains patients qui sont à risque plus élevé de décès liés à la maladie sous-jacente.
Les techniques chirurgicales de greffe intestinale
En fonction des antécédents chirurgicaux du malade, l’intervention dure entre huit et dix heures, parfois plus longtemps. La longueur de l’intestin réséqué va du ligament de Treitz à la valvule ilécæcale lorsque le côlon est sain [24-26]. Lorsque le côlon est pathologique, la résection intestinale emporte le plus souvent la totalité du côlon, jusqu’à la charnière rectosigmoïdienne. La vascularisation du greffon est réalisée par une anastomose entre l’artère mésentérique supérieure et l’aorte abdominale sous-rénale. En revanche, le site d’anastomose de la veine mésentérique supérieure, soit dans la veine cave inférieure sous-rénale, soit dans le système porte, est discuté. L’intervention se termine par une iléostomie permettant d’assurer ensuite le suivi du fonctionnement intestinal. La continuité digestive est rétablie en amont par une anastomose entre l’intestin grêle proximal du receveur et l’extrémité proximale du greffon intestinal. En aval de l’iléostomie, la continuité digestive est le plus souvent rétablie entre le greffon et le colon ou l’intestin grêle restant.
Dans la greffe intestinale isolée, le greffon intestinale mesure au moins 1m50 à 2 mètres mais dépend de la taille du receveur (et du volume souvent réduite de sa cavité abdominale). En effet, une des particularités de la greffe intestinale est que le plus souvent le receveur a été multiopéré, et qu’il n’a plus d’intestin grêle. Ceci entraîne donc une réduction très importante du volume de la cavité abdominale, ce qui pose des problèmes pour mettre le greffon intestinal qui ne doit absolument pas être comprimé lors de la fermeture abdominale. Il faut donc le plus souvent dans un premier temps mettre une prothèse pariétale car la fermeture même seulement cutanée est impossible.
La greffe combinée foie-grêle
La technique la plus utilisée est la greffe en bloc du foie et de l’intestin [27]. Le rétablissement de la continuité digestive est semblable à ce qui a été décrit pour la greffe isolée de l’intestin.
La greffe multiviscérale
Dans la greffe multiviscérale incluant le foie, les anastomoses vasculaires sont les mêmes que dans la greffe combinée foie et intestin. Seul le niveau du rétablissement de la continuité digestive varie. Lorsque le foie est exclu du greffon, l’artère de celui-ci est implantée directement dans l’aorte sous-rénale et la veine est anastomosée à la veine cave inférieure sous-rénale [27].
CONCLUSION
Si la NPAD reste le traitement de référence de l’insuffisance intestinale, la greffe d’intestin a effectué un bond spectaculaire ces dix dernières années, la faisant passer du stade de traitement expérimental à celui de traitement efficace de l’insuffisance intestinale définitive notamment chez les patients avec des complications sévères telles que l’hépatopathie. Dans les meilleures équipes, les résultats de la greffe intestinale sont de l’ordre de 80 à 90 % à un an mais la survie reste aux alentours de 50 % à cinq ans ce qui est largement inférieur aux résultats globaux en termes de survie en NPAD. Un des challenge pour les années à venir, est de déterminer les patients à haut risque de décès en NPAD pour référer les candidats à la greffe au meilleur moment.
BIBLIOGRAPHIE [1] Fleming C, Remongton M. — Intestinal failure. In: Hill GI e, ed. Nutrition and the surgical patient: Clinical Surgery International. Edingburgh, Churchill Livingstone, 1981, 21-35.
[2] O’Keefe SJ., Buchman AL., Fishbein TM. et al. — Short bowel syndrome and intestinal failure: consensus definitions and overview.
Clin. Gastroenterol. Hepatol. , 2006, 4 , 6-10.
[3] Buchman AL., Scolapio J., Fryer J. — AGA technical review on short bowel syndrome and intestinal transplantation. Gastroenterology , 2003, 124 , 1111-34.
[4] Raman M., Gramlich L., Whittaker S. et al. — Canadian home total parenteral nutrition registry: preliminary data on the patient population.
Can. J. Gastroenterol. , 2007, 21 , 643-8.
[5] Messing B., Corcos O., Amiot A., et al. — Insuffisance intestinale : de l’adaptation à la
Transplantation.
Gastroentérol. Clin., et Biol., 2009, 33 , 648-659.
[6] Messing B., Crenn P., Beau P. et al. — Long-term survival and parenteral nutrition dependence in adult patients with the short bowel syndrome.
Gastroenterology, 1999, 117 , 1043-50.
[7] Crenn P., Coudray-Lucas C., Thuillier F. et al. — Postabsorptive plasma citrulline concentration is a marker of absorptive enterocyte mass and intestinal failure in humans.
Gastroenterology , 2000, 119 , 1496-505.
[8] Pironi L., Forbes A., Joly F. et al. — Survival of patients identified as candidates for intestinal transplantation: a 3-year prospective follow-up.
Gastroenterology , 2008, 135 , 61-71.
[9] Carbonnel F., Cosnes J., Chevret S. et al . — The role of anatomic factors in nutritional autonomy after extensive small bowel resection.
JPEN , 1996, 20 , 275-80.
[10] Crenn P., Messing B., Cynober L. et al . — Citrulline as a biomarker of intestinal failure due to enterocyte mass reduction.
Clin. Nutr. , 2008, 27 , 328-39.
[11] Rhoads J., Plunkett E., WU G. et al . — Serum citrulline correlates with enteral tolerance and bowel length in infants with short bowel syndrome.
J. Pediatr. , 2005, 146 , 542-7.
[12] Messing B., Lemann M., Landais P. et al . — Prognosis of patients with non malignant chronic intestinal failure receiving long-term home parenteral nutrition.
Gastroenterology , 1995, 108 , 1005-10.
[13] Cavicchi M., Beau P., Crenn P. et al . — Prevalence of liver disease and contributing factors in patients receiving home parenteral nutrition for permanent intestinal failure.
Ann. Intern. Med. , 2000, 132 , 525-32.
[14] Joly F., Mayeur C., Bruneau et al . — Drastic changes in fecal and mucosa-associated microbiota in adult patients with short bowel syndrome.
Biochimie, 2010, 92 , 753-61.
[15] Joly F., Mayeur C., Messing B. et al . — Morphological adaptation with preserved proliferation/transporter content in the colon of short bowel syndrome patients.
Am. J. Physiol.
Gastrointest. Liver Physiol ., 2009, 297 (1):G116-121.
[16] Nordgaard I., Hansen BS., Mortensen PB. — Colon as a digestive organ in patients with short bowel. Lancet , 1994, 343 , 373-6.
[17] Nordgaard I., Hansen BS., Mortensen PB. — Importance of colonic support for energy absorption as small-bowel failure proceeds. Am. J. Clin. Nutr. , 1996, 64 , 222-31.
[18] Seguy D., Vahedi K., Kapel et al — Low-dose growth hormone in adult home parenteral nutrition-dependent short bowel syndrome patients: a positive study.
Gastroenterology , 2003, 124 , 293-302.
[19] Jeppesen PB., Hartmann B., Hansen BS. et al . — Impaired meal stimulated glucagon-like peptide 2 response in ileal resected short bowel patients with intestinal failure.
Gut , 1999, 45 , 559-63.
[20] Jeppesen PB., Hartmann B., Thulesen J. et al . — Elevated plasma glucagon-like peptide 1 and 2 concentrations in ileum resected short bowel patients with a preserved colon.
Gut , 2000, 47 , 370-6.
[21] Jeppesen PB., Hartmann B., Thulesen J. et al . — Glucagon-like peptide 2 improves nutrient absorption and nutritional status in short-bowel patients with no colon.
Gastroenterology, 2001, 120 , 806-15.
[22] Kaufman SS., Aktinson JB., Bianchi A. et al . — Indications for pediatric intestinal transplantation: a position paper of the American Society of Transplantation.
Pediatr Transplant , 2001 , 5 , 80-7.
[23] Pitroni L., Joly F., Forbes et al . — Long term follow-up of patients on home parenteral nutrition in Europe: implications for intestinal transplantation.
Gut. , 2011, 60 , 17-25.
[24] Sudan DL., Kaufman SS., Shaw BW. et al . — Isolated intestinal transplantation for intestinal failure.
Am. J. Gastroenterol. , 2000, 95 , 1506-15.
[25] Yandza T., Schneider S., Canioni D. et al . — La greffe intestinale. Gastroentérol. Clin. Biol. , 2007, 31 , 468-479.
[26] Abu-Elmagd K., Fung J., Bueno et al . — Logistics and technique for procurement of intestinal, pancreatic, and hepatic grafts from the same donor.
Ann. Surg. , 2000, 232 , 680-7.
[27] Sudan DL., Iyer KR., Deroover A. et al . — A new technique for combined liver/small intestinal transplantation.
Transplantation , 2001, 72, 1846-48.
Bull. Acad. Natle Méd., 2012, 196, no 2, 393-404, séance du 7 février 2012