Communication scientifique
Séance du 27 mars 2012

Implantation par cathétérisme cardiaque de la valve aortique dans le rétrécissement aortique dégénératif

MOTS-CLÉS : cathétérisme. procédures de chirurgie cardiaque. valve aortique
Catheter-assisted implantation of aortic valves in degenerative aortic stenosis
KEY-WORDS : cardiac surgical procedures. catheterization.

Alain Cribier *

Résumé

Si le remplacement valvulaire aortique reste incontestablement aujourd’hui pour une majorité de patients le ‘‘ gold standard ’’ pour le traitement de cette maladie redoutable en raison d’excellents résultats sur le court et long terme, l’implantation valvulaire par cathétérisme cardiaque est une grande source d’espoir pour des milliers de patients laissés jusqu’alors sans traitement.

Summary

While aortic valve replacement gives excellent short-term and long-term results and is now the ‘‘ gold standard ’’ treatment for the vast majority of patients with degenerative aortic stenosis, implantation by cardiac catheterization represents a source of hope for thousands of patients who previously had no effective treatment option. Dans quelques jours, le 13 mai aura lieu au CHU de Rouen la célébration du dixième anniversaire d’une première mondiale qui semble avoir marqué un tournant dans l’histoire de la cardiologie, le remplacement de la valve aortique sans chirurgie cardiaque, en utilisant une simple technique de cathétérisme. Cette technique, dont le concept a été pendant des années considéré comme strictement impossible, permet d’éviter la chirurgie thoracique lourde aux patients âgés, fragiles, atteints d’une maladie particulièrement fréquente et redoutable, le rétrécissement aortique calcifié. Ces patients étaient pour la plupart laissés sans aucun traitement efficace jusqu’à l’essor de cette technologie, avec une mortalité atteignant 80 % à deux ans. Aujourd’hui, dans la majorité des cas, un remplacement valvulaire peut être réalisé par voie percutanée, sous anesthésie locale, en passant par l’artère fémorale ponctionnée au pli de l’aine. Les patients peuvent sortir au troisième jour et rentrer chez eux, sans recours à la rééducation fonctionnelle. L’intérêt est énorme, tant sur les plans cliniques que psychologiques. Si l’artère fémorale n’est pas accessible, une technique « mini-invasive » chirurgicale a été développée qui permet d’implanter cette même prothèse valvulaire, valve sans ouverture du sternum et à cœur battant (voie trans-apicale). Dix ans après le premier cas cette technique a été appliquée à plus de 50 000 patients à travers le monde, dans cinq cents centres en Europe (trente trois centres en France) à l’aide de deux modèles de valve, celle que nous avons développée avec la société Edwards Lifesciences et une valve concurrente (Medtronic Corevalve). Le marquage CE a été obtenu en 2007, le remboursement par la Sécurité Sociale en France en 2010. Aux États-Unis, la Food and Drug Administration a tout récemment validé cette technique pour la valve d’Edwards uniquement, ce qui peut être considéré comme un grand succès et un sujet de fierté pour une technique conçue an France, au CHU de Rouen. Plus de quatre cents centres d’implantation vont être ouverts dans l’année aux États-Unis. Il a fallu plus de quinze ans de recherche pour aboutir au premier cas mondial. Le concept est né au CHU de Rouen, lié aux résultats insuffisants de la simple « dilatation valvulaire aortique par ballonnet », une technique développée aussi par notre équipe et qui a donné lieu à une première mondiale en 1985. Cette technique été rapidement appliquée à travers le monde jusqu’à ce qu’on s’aperçoive qu’elle était associée à un fort taux de récidive. La seule solution possible était de compléter la dilatation par la mise en place d’une valve artificielle par cathétérisme cardiaque à l’aide d’un stent (grillage métallique) contenant une valve artificielle. En 1993, la validation du concept de stent intra-valvulaire aortique dans cette maladie a été réalisée en post-mortem sur des modèles de rétrécissement aortique calcifié. Pendant cinq ans, la recherche d’un financement français ou étranger a échoué compte tenu de l’opposition unanime des experts (« le projet le plus stupide jamais proposé … »). Une start-up a été crée en 1999 aux USA, et les premiers prototypes conçus en Israël en 2000. L’évaluation expérimentale a été menée par notre équipe à Paris, à l’Institut Montsouris avant la première implantation chez l’homme en Avril 2002. Après ce premier cas historique qui a soulevé beaucoup d’étonnement et un immense enthousiasme dans la communauté médicale, une première série de 40 patients a pu être menée à Rouen en situation compassionnelle, aboutissant à l’acquisition de notre start-up par la compagnie américaine Edwards Lifesciences en 2004. Les progrès ont été ensuite très rapides avec l’amélioration de la technique et du matériel. Des centaines de patients ont été inclus dans des études internationales de faisabilité jusqu’au marquage CE en 2007. Les études post-marketing ont pu alors débuter, avec une amélioration constante des résultats et de multiples avancées technologiques. Aux Etats Unis, une grande étude randomisée contre la chirurgie cardiaque ou traitement médical chez des patients à hauts risques opératoires ou contre-indiqués pour l’opération a été menée avec la valve Edwards en 2008 (Etude PARTNER) dont les résultats publiés récemment (fin 2010 et 2011), ont abouti à la validation de la FDA pour les patients non opérables. Une extension de cette validation pour les patients opérables à hauts risques est en attente. Les résultats du registre français portant sur plus de 3 500 patients, et qui constitue le plus grand registre mondial sur cette technique, vont être publiés en Mai ou Juin 2012 dans le prestigieux journal ‘‘ The New England Journal of Medicine ’’, ce qui est un sujet de fierté pour l’ensemble des cardiologues et chirurgiens cardiaques français. Ceci n’est pas la fin de l’histoire. D’autres indications sont en évaluation et déjà très avancés (valve pulmonaire, traitement des bioprothèses chirurgicales dégénérées) et d’autres modèles de valves apparaissent sur le marché au sein d’une quinzaine de projets dans le monde. Une extension des indications aux sujets plus jeunes et moins gravement malades est à prévoir dans les cinq ans après d’autres études contrôlées. Plus de deux cents équipes françaises et étrangères (1 200 médecins) ont suivi à Rouen l’entraînement du Centre de Formation Européen à cette technique, ouvert en 2008 à l’université de médecine, et plus de cent cinquante centres ont été supervisés sur place par moi-même à l’occasion des premiers cas. La reconnaissance des équipes vis-à-vis d’une technique qui est considérée par tous comme une révolution thérapeutique comparable à celle crée par l’angioplastie coronaire, est réellement remarquable. La nécessité de travailler la main dans la main au sein d’équipes soudées multidisciplinaires tant pour la sélection des patients que pour la réalisation des gestes est un des autres aspects positifs associés à cette technologie. L’impossibilité de financement d’un projet de cette envergure en France ont imposé une fois de plus le recours aux fonds privés américains, seule solution possible. Bien entendu, les brevets obtenus ont été conservés par la compagnie américaine. C’est une perte sèche pour l’initiateur du projet, le CHU de Rouen, et la France. Plusieurs développements industriels complémentaires ont été en outre associés à cette technologie, notamment dans le domaine de l’imagerie et de la technologie médicale que l’on aurait souhaité voir se développer en France.

Aortic valve L’auteur déclare recevoir des honoraires en tant que consultant pour la compagnie Edwards Lifesciences

Alain CRIBIER *

 

<p>* Cardiologie — Hôpital Charles Nicolle, 1 rue de Germont — 76038 Rouen cedex CHU Rouen ; e-mail : alain.cribier@chu-rouen.fr Tirés à part : Professeur Alain Cribier, même adresse Article reçu et accepté le 26 mars 2012</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2012, 196, no 3, 659-661, séance du 27 mars 2012