Résumé
Les leucémies aiguës lymphoblastiques sont le plus fréquent des cancers de l’enfant. Les premiers médicaments actifs dans cette maladie, permettant d’obtenir une rémission complète transitoire, ont été connus dans les années 50. Durant la décennie 1960-1970, ont été découverts tous les médicaments les plus efficaces, aujourd’hui à notre disposition, avec l’élaboration des premiers protocoles de polychimiothérapie et l’obtention de rémissions prolongées évoquant la possibilité d’une guérison. Parallèlement, les progrès permanents dans la connaissance des cellules leucémiques, grâce aux développements de la biologie, et l’identification de facteurs pronostiques tels que la leucocytose, l’âge, les anomalies cytogé- nétiques et moléculaires, ou la sensibilité précoce au traitement des cellules leucémiques, ont permis d’adapter les stratégies thérapeutiques dans le cadre de protocoles de recherche, multicentriques, randomisés, nationaux ou internationaux, et d’augmenter régulièrement les chances de guérison au cours des trois dernières décennies. Ainsi, dans les pays socio économiquement favorisés, la survie globale des enfants traités pour une leucémie aiguë lymphoblastique se situe aujourd’hui entre 85 et 90 %.
Summary
Acute lymphoblastic leukaemia is the most frequent childhood malignancy. The first effective drugs, which provided only short-lived complete remission, started to be used in the 1950s. All the effective drugs currently in use were discovered in the 1960s, when the first multidrug chemotherapy regimens were shown to confer prolonged complete remission, raising the possibility of a cure. Simultaneously, progress in our knowledge of leukaemic cells, and the identification of prognostic factors such as leukocytosis, age, cytogenetic and molecular abnormalities, and the early therapeutic response of leukaemic cells, led to randomized multicenter national and international trials. As a result, the chance of cure increased gradually over the last three decades. In rich countries, the overall survival rate among children with acute lymphoblastic leukaemia now reaches 85 to 90 %.
Les leucémies aiguës lymphoblastiques (LAL) sont le plus fréquent des cancers de l’enfant et représentent près de 25 % de l’ensemble des pathologies malignes entre 0 et 15 ans [1]. Ces trente dernières années ont été réalisés des progrès très importants, d’une part dans la classification des LAL initialement cytologique puis immunologique, aujourd’hui cytogénétique et moléculaire avec une connaissance de plus en plus fine du génome des cellules leucémiques, et d’autre part dans la prise en charge thérapeutique avec des stratégies de polychimiothérapie de mieux en mieux adaptées aux facteurs pronostiques initiaux et à la sensibilité des cellules leucémiques au traitement.
La classification ‘‘ FAB ’’ (franco-américano-britanique), reposant sur les aspects cytologiques et cytochimiques des cellules leucémiques des leucémies aiguës (LA) et publiée en 1976, a isolé les LAL des LA myéloblastiques, en distinguant pour chaque type plusieurs sous groupes cytologiques [2]. A la fin des années 70, le développement des anticorps monoclonaux et la mise en évidence d’antigènes spécifiques de la différentiation cellulaire à la surface des cellules leucémiques a permis de mieux distinguer les LAL de la lignée T des LAL de la lignée B avec une majorité de formes exprimant l’antigène ‘‘ calla ’’ (‘‘ common antigen lymphoblastic leukemia ’’) ou CD10+ [3]. Le développement de la cytogénétique et des techniques de biologie moléculaire a montré la grande hétérogénéité des LAL de l’enfant avec des anomalies chromosomiques variables, soit quantitatives (hyperploïdie, hypoploïdie) soit qualitatives (translocations, délétions,…) ou associées. Les translocations chromosomiques conduisent à un échange réciproque de matériel génétique le plus souvent entre deux chromosomes, et à la création de gènes de ‘‘ fusion ’’ et de ‘‘ transcrits de fusion ’’ à l’origine des premières étapes de la leucémogénèse [4]. Ces transcrits de fusion ou l’hyper expression de certains gènes peuvent être détectés par des techniques de biologie moléculaire permettant ainsi de mieux caractériser la prolifération leucémique. L’analyse du clone lymphocytaire leucémique par l’étude du locus des gènes des immunoglobulines, ou du récepteur T à l’antigène (TCR) permet également une évaluation quantitative de la maladie résiduelle infra cytologique, après traitement d’induction et de consolidation [5].
De nouvelles techniques plus sophistiquées permettent aujourd’hui d’analyser le profil d’expression génomique d’un très grand nombre de gènes des cellules leucé- miques offrant des perspectives nouvelles dans la classification et le traitement de ces maladies [6].
Les premiers médicaments permettant d’obtenir des rémissions transitoires dans les LAL de l’enfant ont été l’Aminopterine, analogue de l’acide folique et précurseur du Méthotrexate [7], l’ACTH ou la cortisone et la 6-mercaptopurine (Purinéthol®), conduisant aux premières associations médicamenteuses au milieu des années 50 [8].
Durant la décennie 1960-1970, ont été découverts et introduits dans le traitement des LAL tous les médicaments aujourd’hui à notre disposition tels que la Vincristine, les Anthracyclines (Daunorubicine ou Rubidomycine, Doxorubicine ou Adriamycine), la Cytosine Arabinoside ou Aracytine®, l’Asparaginase mais aussi la prophylaxie méningée avec les injections intrathécales et l’irradiation de l’encéphale.
Les premiers protocoles de polychimiothérapie sont apparus au début des années 60 aux États-Unis au Saint Jude Children’s Research Hospital avec Donald Pinkel [9] et en France à l’Hôpital Saint Louis à Paris sous l’impulsion de Jean Bernard, Claude Jacquillat et Gérard Schaison [10, 11]. Ainsi d’une maladie constamment mortelle avant 1960, les chances de guérison atteignaient 40 % à l’aube des années 80 [11, 12]. Les meilleurs résultats étaient alors obtenus par une chimiothérapie continue intensive à la base des futurs protocoles du groupe allemand ‘‘ BFM ’’, puis de l’ensemble des protocoles internationaux [13]. Le développement de stratégies thérapeutiques plus performantes adaptées selon des facteurs pronostiques, l’intensification des traitements dans certaines formes de LAL, l’explosion des connaissances biologiques, la collaboration internationale autour de formes rares et graves de LAL telles que chez le nourrisson de moins d’un an, ont conduit à une amélioration majeure du pronostic des LAL de l’enfant et de l’adolescent au fil de ces vingt-cinq dernières années. Ainsi la survie globale des enfants ayant été traités pour une LAL à la fin des années 90 est de 85 % et probablement proche de 90 % pour les enfants traités actuellement [12, 14].
Dès les années 70, il est rapidement apparu que certains facteurs pouvaient influencer le pronostic de manière défavorable telle qu’une hyperleucocytose, un âge élevé, un syndrome tumoral important ou une mauvaise réponse précoce au traitement [10]. Au cours des années, de nouveaux facteurs pronostiques sont apparus, cliniques, mais aussi hématologiques, immunologiques, cytogénétiques, thérapeutiques.
Les stratifications pronostiques sont rapidement devenues trop hétérogènes d’un groupe à l’autre sur le plan international pour permettre une comparaison simple des résultats. A titre d’exemple, l’hyperleucocytose était définie comme un facteur de mauvais pronostic et donc susceptible d’entraîner un traitement plus intensif à partir de 25 000 GB/mm3 pour certains, 50 000 ou 100 000 GB/mm3 pour d’autres [15]. En 1996, le National Cancer Institute (NCI) a publié une classification pronostique des LAL de la lignée B à partir de critères simples que sont l’âge et la leucocytose [16]. Un âge < un an ou Jdix ans ou une hyperleucocytose J 50 000/mm3 sont considérés comme des facteurs de mauvais pronostic justifiant une intensification thérapeutique, le risque ‘‘ standard ’’ étant ainsi défini pour les LAL survenant à un âge entre un et neuf ans avec une leucocytose < 50 000/mm3. Ces critères peuvent être enrichis par des données cytogénétiques ou moléculaires et par l’appréciation de la sensibilité au traitement des cellules leucémiques évaluée précocement en cours et en fin de traitement d’induction.
Sur le plan cytogénétique, il est aujourd’hui admis par tous la valeur pronostique favorable d’une hyperdiploïdie J 50 chromosomes [4, 17] d’une translocation t(12 ;
21) ou t(1 ; 19) et l’impact pronostique défavorable d’une translocation t(9 ; 22) ou t(4 ; 11) [4].
La corticosensibilité des cellules leucémiques évaluée dès le début du traitement d’induction après une semaine de Prednisone (60 mg/m2/jour) et une injection intrathécale de méthotrexate est un facteur pronostique important, surtout dans les LAL de la lignée T [18], de même que la chimiosensibilité évaluée sur un myélogramme en cours d’induction [19].
Plus récemment a été démontré l’impact pronostique défavorable d’une maladie résiduelle élevée avec plus de 10-2 ou 10-3 cellules leucémiques dans la moelle osseuse en fin d’induction, conduisant à une intensification de la chimiothérapie ou à une greffe de cellules souches hématopoïétiques, selon les cas [5, 20].
Cette table ronde sur les LAL de l’enfant et de l’adolescent permettra d’aborder nos connaissances de la cellule leucémique, les défis actuels dans l’approche thérapeutique de ces patients, avec la nécessité du suivi des enfants guéris, de plus en plus nombreux, devenus adultes, et les bénéfices de la collaboration avec le milieu associatif.
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DISCUSSION
M. Géraud LASFARGUES
Quel est le devenir des enfants guéris ? Comment aide-t-on les enfants atteints de la leucémie aiguë en Afrique ?
L’objectif est de guérir le maximum d’enfants avec le minimum de séquelles. Durant ces vingt dernières années, la limitation des doses cumulatives d’anthracyclines et de cyclophosmamide et la réduction des indications d’irradiation cérébrale prophylactique ont contribué à limiter au minimum les séquelles cardiaques, gonadiques et au niveau de la croissance, ainsi que le risque de deuxième cancer. Il importe que le traumatisme psychologique de la maladie soit limité au mieux chez ces enfants, futurs adultes. Vis-à-vis de l’Afrique, les pays socio-économiquement favorisés ont un rôle à jouer de soutien et de formation auprès des équipes locales, avec des protocoles thérapeutiques adaptés. Le Groupe Franco-Africain d’Oncologie Pédiatrique qui a été soutenu par l’Académie nationale de médecine, propose depuis trois ans un protocole pour le traitement des leucémies aiguës lymphoblastiques de l’enfant avec des effets déjà objectifs sur le pronostic de ces enfants.
Mme Odile RETHORE
Quand vous parlez de la translocation 21q 21q s’agit-il d’un iso 21 ou de deux (21) différents ? Je vois beaucoup de rechutes testiculaires chez les trisomiques 21 qui ont eu une leucémie. Est-ce plus fréquent chez eux ?
Les anomalies acquises concernant le chromosome 21 peuvent se voir dans les leucémies aiguës lymphoblastiques, telles que des trisomies 21, souvent dans le cadre d’hyperploïdies faisant intervenir plusieurs chromosomes, mais aussi dans l’anomalie de structure la plus fréquente des leucémies aiguës lymphoblastiques de l’enfant, la translocation t(12 ; 21) p(13 ; q22), aboutissant à la création du gène de fusion TEL/AML1. Les rechutes testiculaires sont possibles dans l’évolution d’une leucémie aiguë lymphoblastique. Elles ne semblent pas plus fréquentes chez les enfants ayant une trisomie 21 constitutionnelle.
M. Jacques BATTIN
Les doubles anomalies génomiques dont vous avez parlé pour développer une leucémie sont-elles de même nature que celles invoquées dans la théorie de Knudson à propos des rétinoblastomes ?
La théorie de Knudson s’applique aux cancers avec prédisposition génétique, ce qui n’est pas le cas dans la majorité des leucémies aiguës lymphoblastiques de l’enfant.
Le modèle est celui du rétinoblastome héréditaire avec une délétion constitutionnelle du gène Rb situé sur le chromosome 13 dans lequel la disparition des deux copies alléliques fait suite à une première mutation transmise, présente dans les cellules germinales et une deuxième mutation post zygotique présente au niveau des cellules somatiques.
Bull. Acad. Natle Méd., 2009, 193, no 7, 1495-1500, séance du 13 octobre 2009