Communication scientifique
Session of 9 novembre 2010

Gastroentérites virales des animaux domestiques et zoonoses

MOTS-CLÉS : maladies des porcs, zoonose. rotavirus, norovirus, gastroentérite, bovins
Viral gastroenteritis in domestic animals and zoonoses
KEY-WORDS : rotavirus, norovirus, gastroenteritis, cattle.

Jeanne Brugère-Picoux * et Philippe TESSIER, Philippe Tessier

Résumé

Pendant longtemps les méthodes de diagnostic des diarrhées infectieuses ont été limitées aux bactéries et aux protozoaires et il a fallu les nouvelles techniques de la microscopie électronique et de la biologie moléculaire pour démontrer que les diarrhées pouvaient aussi reconnaître une origine virale chez l’Homme comme chez les animaux. En 1969, c’est chez le veau que l’utilisation de la microcopie électronique a permis d’identifier pour la première fois un virus responsable d’une diarrhée. Ce « réo-like virus » était un rotavirus et ce n’est que quatre années plus tard que l’on a découvert qu’il était aussi à l’origine des diarrhées sévères observées chez les jeunes enfants. A la même période les norovirus, en particulier le virus Norwalk humain, ont été découverts puis, selon les espèces, les coronavirus, les sapovirus, les pestivirus, les astrovirus, les adénovirus entéritiques, les torovirus, les picobirnavirus… Certains de ces virus rencontrés chez l’animal pourraient jouer un rôle zoonotique. Il s’agit principalement des rotavirus. Les rotavirus identifiés dans de nombreuses espèces animales sont généralement spécifiques de l’espèce hôte mais une transmission zoonotique est suggérée soit en raison de l’observation de cas de contaminations croisées, notamment par des reproductions expérimentales, soit par la comparaison des séquences génétiques montrant l’existence d’une parenté étroite entre certains rotavirus animaux et humains ou encore après la découverte, lors de la surveillance épidémiologique des rotaviroses humaines, de nouveaux génotypes qui s’avèrent d’origine animale. Quelques souches animales de norovirus, de sapovirus, de picobirnavirus ou d’astrovirus peuvent présenter des similitudes génétiques avec des souches humaines mais le risque de zoonose n’a jamais été démontré.

Summary

Etiologic investigations of infectious diarrhea were long limited to bacteria and protozoa. The advent of electron microscopy and molecular biology showed that diarrhea could also be caused by viruses, both in humans and in other animals. In 1969, electron microcopy was used to show, for the first time, the responsibility of a virus in a case of calf diarrhea. This ‘‘ reo-like virus ’’ was subsequently identified as a rotavirus, and was shown only four years later to be responsible for severe diarrhea in young children. Noroviruses, and particularly the human virus Norwalk, were subsequently discovered, followed by coronavirus, sapovirus, pestivirus, astrovirus, enteric adenoviruses, torovirus, and picobirnavirus. Some of viruses found in animals, and particularly rotaviruses, can also infect humans. Rotaviruses have been identified in numerous animal species and are generally host-specific, but zoonotic transmission has been suggested by cross-infection (especially in experimental models), by genetic studies showing a close relationship between certain human and animal rotaviruses, and by the discovery of new animal genotypes during epidemiological surveillance of human rotaviroses. Some animal strains of norovirus, sapovirus, picobirnavirus and astrovirus are genetically related to human strains, but their human transmission has not been demonstrated.

INTRODUCTION

Pendant longtemps on a pensé que les diarrhées infectieuses des jeunes enfants et des animaux étaient limitées aux bactéries et aux protozoaires avant l’arrivée de nouvelles techniques telles que de la microscopie électronique et la biologie moléculaire.

C’est en médecine vétérinaire que l’on a démontré pour la première fois en 1969 qu’une diarrhée pouvait reconnaître une origine virale, ceci par l’observation d’un virus « réo-like » en microscopie électronique dans les selles d’un veau diarrhéique [1]. Il s’agissait d’un rotavirus et ce n’est que quatre années plus tard que l’on a découvert qu’il était aussi à l’origine des diarrhées sévères observées chez les jeunes enfants [2]. A la même période les norovirus, en particulier le virus Norwalk humain, ont été découverts puis, selon les espèces, les coronavirus, les sapovirus, les pestivirus, les astrovirus, les adénovirus entéritiques, les torovirus, les picobirnavirus…

Certains de ces virus rencontrés chez l’animal pourraient jouer un rôle zoonotique.

Il s’agit principalement des rotavirus, responsables de la majorité des diarrhées d’origine virale rencontrées aussi bien chez l’Homme que chez les animaux. Chez les animaux, le taux de morbidité des rotaviroses est important mais le taux de mortalité est faible. Il n’en est pas de même pour les diarrhées dues aux coronavirus. Mais on peut remarquer que, contrairement à l’espèce humaine, les diarrhées animales dues au coronavirus s’accompagnent de symptômes aigus sévères avec des taux de mortalité parfois importants dans de nombreuses espèces domestiques (ruminants, porcs, chevaux et volailles) alors que la seule zoonose connue avec cette classe de virus n’a été observée qu’avec le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) dont le réservoir animal est principalement la chauve-souris.

 

Rotaviroses des animaux domestiques

Les rotavirus du principal groupe sérologique, le Groupe A (GARVs), sont responsables de près d’un million de décès chez les enfants par an. Ces virus représentent aussi un problème majeur lors d’entérites chez les veaux et les porcelets (au sevrage et au post-sevrage), les poulains ou les volailles. Ils ont été aussi identifiés chez d’autres espèces animales domestiques telles que le chat, le chien ou le lapin ou non domestiques comme le singe, le rat et la souris. En règle générale, les infections à rotavirus surviennent par épidémies saisonnières (saison hivernale dans les pays tempérés, saison humide dans les pays tropicaux).

Classiquement la diarrhée due au rotavirus a été considérée comme une diarrhée osmotique par malabsorption en raison de l’abrasion des villosités intestinales associée à une diminution de la production de lactase mais (plus récemment) il a été montré qu’une toxine pouvait aussi intervenir car il n’y avait pas toujours une corrélation entre les lésions intestinales et la diarrhée La diarrhée à rotavirus comporte également une hypersécrétion modérée du chlore dans la lumière intestinale. La glycoprotéine non structurale NSP4 du rotavirus est la première entérotoxine virale connue [3], capable d’induire une diarrhée sécrétoire. Les mécanismes d’action de NSP4 apparaissent très différents de ceux impliqués par les entérotoxines bactériennes. NSP4 pourrait agir en augmentant le calcium intracellulaire par l’intermédiaire du système nerveux entérique (SNE) [4].

En raison de l’importance de l’excrétion virale (aussi bien chez les animaux atteints cliniquement que lors d’infection subclinique ou asymptomatique) et de la forte résistance des rotavirus dans le milieu extérieur, le risque infectieux augmente progressivement dans l’environnement des troupeaux atteints. L’abondance de l’excrétion fécale au cours d’une rotavirose peut expliquer la découverte précoce de ces virus par l’utilisation de la microscopie électronique et des premiers outils de la biologie moléculaire ayant permis d’aborder l’analyse du génome directement à partir du prélèvement sans la nécessité d’une purification, d’une concentration ou d’une amplification préalable.

Les maladies animales

Ruminants

C’est chez les bovins que l’on a observé le premier rotavirus dans un cas de diarrhée chez le veau [1], dénommée de virus de la diarrhée néonatale du veau. Alors que 90 % des bovins ont pu être contaminés, on observe une diarrhée dans 20 % des cas, surtout pendant les deux premières semaines de vie : le veau est surtout sensible avant l’âge de trois semaines, avec un pic à l’âge de six jours [5]. Les rotavirus du groupe A sont les plus fréquemment isolés dans les diarrhées du veau âgé d’une à deux semaines et il s’agit de la cause majeure des diarrhées virales du veau dans le monde. Les pertes économiques liées principalement au coût des traitements et à la perte de poids varient en fonction des facteurs associés à la diarrhée : co-infections (virus, bactéries, protozoaires), conduite d’élevage, environnement, statut immunologique du veau. En effet, la maladie n’est pas toujours sévère car les veaux peuvent être protégés de la maladie du fait d’une immunité passive d’origine colostrale, ce qui ne les empêche pas d’excréter les virus et de maintenir l’infection au sein du troupeau. Du fait de la contagiosité le virus se propage chez tous les animaux et l’excrétion virale va en croissant dans la ferme. En France il existe des vaccins pour la prévention des diarrhées néonatales dues aux rotavirus chez les bovins (souvent associés à un vaccin destiné aux coronavirus). Ces vaccins sont administrés aux vaches en fin de gestation (vaccins inactivés ou vivants atténués) pour permettre la protection passive du veau nouveau-né, en particulier par l’apport du colostrum. D’autres pays utilisent aussi des vaccins vivants atténués administrés aux veaux dès la naissance.

Porcins

Comme chez les bovins les rotavirus sont présents dans tous les élevages porcins chez des animaux diarrhéiques ou asymptomatiques et sont le plus souvent du groupe A. Depuis 1975 on sait qu’ils sont impliqués surtout chez les porcelets entre l’âge de une et huit semaines, dans les entérites du sevrage et du post-sevrage.

Comme chez les veaux la maladie peut être multifactorielle pouvant accentuer sa gravité économique, en particulier lors de surinfection par les colibacilles entérotoxinogènes et/ou par les coccidies ( Isospora suis ) [6]. Les infections virales peuvent être mixtes. Ainsi, Martella et al ont montré que, dans douze élevages porcins atteints de diarrhée où 70.8 % des porcs âgés de un à trois mois étaient positifs pour le rotavirus, 50,7 % des animaux positifs sont aussi positifs pour les calicivirus et les rotavirus du groupe C mais il reste à démontrer le rôle pathogène de ces derniers [7].

Il n’existe pas de vaccin en France pour lutter contre la rotavirose porcine.

Chevaux

Les rotavirus sont le plus souvent en cause dans les diarrhées du poulain âgé de moins de deux mois (surtout entre l’âge de 5 à 35 jours) mais il existe peu de données sur les sérotypes en cause. Comme chez les bovins et les porcins, la présence d’anticorps sériques chez la plupart des chevaux adultes montre que la rotavirose équine peut être ubiquitaire.

Lapins

Parmi les virus isolés chez le lapin, les rotavirus semblent les plus fréquents. Chez le lapereau âgé de une à trois semaines, les rotaviroses provoquent une morbidité et une mortalité élevées.

Oiseaux

Depuis 1977, les rotavirus sont rencontrés chez des nombreux oiseaux domestiques, causant une diarrhée bénigne à sévère, une déshydratation, un amaigrissement et une augmentation du taux de mortalité. On peut aussi les isoler chez des oiseaux asymptomatiques. Il s’agit surtout de virus différents des virus des mammifères.

 

Chiens et chat

Contrairement aux espèces animales domestiques de rente, les rotaviroses des chiens et des chats ne représentent pas un problème de santé majeur.

Rotavirus et risque zoonotique

Les rotavirus sont généralement spécifiques de l’espèce hôte. Leur génome est composé de onze segments à double brin d’ARN. Ce génome code pour six protéines structurales (VP) et, selon la souche virale, cinq ou six protéines non structurales (NSP). La protéine VP6 formant la capside interne a permis de définir sept sérogroupes (A à G). A et C ont été identifiés à la fois chez l’Homme et diverses espèces animales domestiques et de ce fait suspects d’être à risque zoonotique, le groupe E n’ayant été observé que chez le porc alors que les groupes D, F et G n’ont été identifiés que chez les oiseaux. Les protéines structurales de la capside interne VP7 et de la capside externe VP4 correspondent aux antigènes G (Glycoprotéine) et P (sensible aux protéases) respectivement induisant la production d’anticorps neutralisants. Ainsi, ces antigènes ont permis de définir les types G et P des souches virales et ainsi de mieux connaître d’une part les souches prédominantes dans les diarrhées humaines et d’autre part de les comparer aux souches isolées chez les animaux en vue d’identifier un éventuel risque zoonotique. La comparaison des séquences génétiques a permis de montrer l’existence d’une parenté étroite entre certains rotavirus animaux et humains ou de découvrir de nouveaux génotypes humains qui pourraient reconnaître une origine animale, démontrant que la spécificité d’hôte pouvait être rompue facilement (tableaux 1 et 2). Depuis le nouveau système de classification des virus défini par Matthunssens et al [8, 9], on comprend mieux les interactions complexes entre les rotavirus humains et animaux. Actuellement il y a au moins 23 génotypes G (VP7) et 32 génotypes P (VP4) identifiés [9].

Dans le groupe A les sérotypes G1, G2, G3 et G4 représentent à eux seuls 95 % des souches isolées chez l’Homme, avec une prédominance du type G1P[8] [10].

On a identifié trois groupes géniques chez les rotavirus humains du groupe A :

Wa-like, DS-1-like et AU-1-like [11]. La nouvelle classification a permis de montrer l’évolution d’une étroite parenté d’une part entre la souche humaine Wa-like et les souches de rotavirus porcins et d’autre part entre la souche humaine

DS-1-like et les souches de rotavirus bovins, suggérant ainsi que les rotavirus humains majeurs G et P pourraient reconnaître une origine animale [8]. Une troisième famille de rotavirus, AU-1-like, est composée de nombreux segments retrouvés dans les rotavirus circulant chez les animaux (tableau 3). La fréquente co-existence d’infections mixtes (par deux souches différentes de rotavirus), surtout notée lors d’un pic épidémique, sera à l’origine d’échanges de gènes entre les virus (réassortiments) qui expliquent la diversité des souches, en particulier dans certains pays en voie de développement.

Enfin, l’émergence de sérotypes P et G inhabituels chez l’Homme témoigne des nombreuses variations possibles liées à des réassortiments entre des rotavirus de groupes différents ou entre des rotavirus de même groupe et de même sérotype.

 

Dans le groupe A comparant les souches de rotavirus rencontrées chez l’Homme et les animaux domestiques, le sérotype G3 est prédominant (ce sérotype est aussi fréquent chez le singe, animal non domestique) [12]. Au sein du sérotype G3, on a pu noter différents types de réassortiments témoignant des multiples possibilités de transmission de gènes d’origine animale (tableau 3). Le rotavirus est en constante évolution, soit par mutation ponctuelle ou à la suite d’un réassortiment génétique et de nombreuses souches inhabituelles humaines et/ou animales ont émergé dans de nombreux pays [13] et la liste des souches humaines de rotavirus pouvant reconnaî- tre un segment génomique d’origine animale est loin d’être complète. Ainsi de Grazia et al [14] ont découvert récemment en Italie chez des enfants atteints de diarrhée deux nouvelles souches humaines G3P [9] reconnaissant un assortiment entre des gènes félins, bovins et humains. Cependant, on ne sait pas si un nouveau rotavirus transmis de l’animal à l’Homme sera un « cul de sac épidémiologique » ou un virus émergent capable de se transmettre secondairement au sein de l’espèce humaine pour provoquer une nouvelle épidémie.

De nombreux exemples ont permis de montrer la transmission inter-espèce des rotavirus ou de suggérer la possibilité une origine zoonotique des rotavirus humains, principalement dans le groupe A selon les données de la littérature, mais également le groupe C pour les souches porcines. De nombreuses espèces domestiques sont concernées, animaux de rente comme animaux de compagnie) (tableau 3) :

Porcins Dès 1996, on a montré expérimentalement que la souche Wa du rotavirus humain G1P [8] était pathogène chez le porc gnotobiotique [15]. De plus, seules les souches humaines pathogènes provoquent une diarrhée chez le porc alors que ce n’est pas le cas pour les souches humaines atténuées [16], ce qui permet d’utiliser le modèle porcin dans les épreuves destinées à vérifier l’efficacité des vaccins contre les rotavirus humains.

— En Europe, les souches humaines de rotavirus ressemblant aux souches porcines du groupe P [6] VP4 ont été souvent identifiées et d’autres sérotypes d’origine porcine ont été notées dans des diarrhées infantiles observées dans des pays non européens (Brésil, Argentine, Paraguay, Inde, Thaïlande) [12].

— On a montré la présence d’un rotavirus porcin du groupe C chez un enfant brésilien atteint de diarrhée [17]. On peut d’ailleurs noter le contraste frappant entre la faible diversité génétique des souches humaines isolées dans le groupe C (responsable des cas de diarrhée avec hospitalisation chez moins de 5 % des enfants) et la grande variabilité des souches porcines de ce groupe.

Bovins Certaines souches de rotavirus bovins ont pu présenter un risque zoonotique par transmission directe sans réassortiment génétique à des jeunes enfants présentant une diarrhée telle que la souche G 10 [P11] en Inde [17] ou la souche G8P[1] au Nicaragua en 1969 [18].

— La souche de rotavirus G6P [6] B1711 peut être le résultat d’un réassortiment entre la souche humaine du rotavirus DS-1-like et des rotavirus bovins [19].

— Les souches humaines P [14] peuvent être le résultat de multiples transmissions interespèces avec certains réassortiments du mouton et d’autres ruminants vers l’Homme [20].

Lapins Dès 1997, Ciarlet et al [21] ont montré les parentés existant entre quatre souches de rotavirus comportant le sérotype P [14] chez le lapin et des souches humines isolées en Italie, en Finlande ou en Thaïlande.

— La souche humaine B4106 du groupe G3P [14], détectée dans une diarrhée infantile, est très proche de la souche lapine 30/96.

— Bien que les souches G3P [14] aient été souvent isolées chez les lapins, et plus sporadiquement chez les humains, il a été montré ultérieurement que les protéines VP4 des souches humaines P [14] étaient plus apparentées aux souches isolées chez les espèces d’ongulés de l’ordre des artiodactyles que chez les lapins, suggérant que le principal réservoir de ces souches de rotaviroses humaines dans le monde pouvaient être des ruminants, en particulier le mouton [22].

Chien et chat Les infections sont souvent subcliniques mais on a pu montrer expérimentalement la sensibilité du chien dès 1978 au rotavirus humain [23].

— Plusieurs cas ont indiqué la possibilité d’une contamination de l’Homme par des animaux de compagnie porteur de rotavirus G3, soit avec une souche féline isolée d’un enfant et de son chat de compagnie [24] ou chez un bébé âgé de 3 semaines infecté par le chiot de la maison [25].

— Puis, en 1982, Engleberg et al [26] ont montré que les cas de diarrhée infantile à rotavirus dans une réserve indienne américaine pouvaient être associés à la possession d’un chien de façon significative (P = 0,05).

— Les souches humaines Ro1845 et HCR3A du groupe G3P [3] sont étroitement apparentées aux souches canines CU-1, K9 et A79-10 ainsi qu’à la souche féline Cat97 dans tous les segments du génome [27].

Modes de transmission de l’animal à l’Homme

Les ruminants et les porcins ont souvent été mis en cause dans l’étiologie des rotaviroses humaines. Ainsi, une estimation du risque d’exposition d’un fermier au rotavirus bovin a été réalisée au Royaume-Uni en comptant le nombre de fermes laitières (18 000) ayant en moyenne quatre-vingts vaches par troupeau et le nombre de jours de contact veau-Homme par an (6 570 000) [29]. Un veau excrétant 1×106 particules virales par millilitre de fèces, les auteurs ont estimé qu’un fermier peut ingérer 1 μl de fèces par jour soit 1×103 virus s’il est en contact avec un veau excréteur. Une étude effectuée chez des volontaires [30] ayant déterminé que 1 000 particules virales suffisent pour infecter 85 % des personnes contaminées par la voie orale, Cook et al [29] concluent au risque non négligeable d’une contamination des fermiers anglais par les rotavirus. Celles-ci peuvent être asymptomatiques mais une propagation de ces virus est possible secondairement au sein de leur famille. Ce type de contamination directe à l’étable est aussi possible dans d’autres circonstances, en particulier avec l’accès des enfants aux fermes pédagogiques en saison de vêlage. Ce risque fécal est surtout connu avec les colibacilles entérotoxinogènes et les cryptosporidies et a justifié de nombreuses recommandations pour limiter un tel risque chez les enfants [31]. D’autres modes de contamination de l’Homme sont possibles avec les rotavirus animaux :

— contamination de l’environnement par les lisiers du bétail ;

— contamination fécale de l’eau voire de l’eau de boisson comme l’ont observé Gratacap-Cavaillier et al [32] en Isère en identifiant des rotavirus d’origine porcine et bovine dans l’eau de boisson de cinquante-six enfants atteints de gastroentérite à rotavirus ;

— contamination des végétaux consommés crus où les virus peuvent survivre jusqu’à trente jours à + 4° C [33] ;

— la contamination par aérosols est également suggérée pour les rotavirus, surtout dans les élevages porcins [29].

— enfin, les chiens et les chats peuvent aussi être à l’origine d’une exposition fécale de l’Homme aux rotavirus.

Autres virus animaux responsables de gastroentérites et risque zoonotique

Quelques souches animales de norovirus, de sapovirus, de picobirnavirus ou d’astrovirus peuvent présenter des similitudes génétiques avec des souches humaines mais le risque de zoonose n’a jamais été démontré.

Norovirus et Sapovirus

Ces virus, de la famille des

Caliciviridae, ont tout d’abord été identifiés en 1968 par

Kapikian [34] lors d’une épidémie dans une école à Norwalk, Ohio sous les noms de Norwalk-like viruses, puis de Norovirus . La détection des ces virus dans les fèces des animaux domestiques malades montre qu’il pourrait s’agir d’une zoonose sans que l’on connaisse exactement comment ces virus circulent de l’animal vers l’Homme et réciproquement ou si les animaux représentent un réservoir de ces agents pathogè- nes pour l’Homme (35].

Les norovirus ont été identifiés chez les bovins diarrhéiques dès 1976 ( Newbury agent-1 ) et 1980 ( Jena virus ). Cependant il a fallu plusieurs années d’études en biologie moléculaire pour classer ces virus d’un clade différent du virus Norfolk dans la famille des Caliciviridae sous le nom de Jena dans le génogroupe III et il ne s’agit pas d’agents pathogènes majeurs. Le risque de zoonose reste incertain pour les calicivirus bovins du génogroupe III car ceux-ci ne sont pas apparentés aux norovirus humains. Depuis on connaît aussi le virus Newbury-2 , non classé.

D’autres norovirus d’origine animale pourraient infecter l’Homme. Il s’agit des norovirus du génogroupe II. Certains ont été détectés chez des porcs asymptomatiques aux Pays-Bas [36] et au Japon [37]. D’autres ont été identifiés chez la souris mais aussi chez un lion et un jeune chiot atteints d’entérite [38, 39]. Enfin, la détection relativement récente de séquences apparentées aux génogroupe II.4 humain dans les fèces et la viande de porcs et de bovins au Canada pourrait modifier cette évaluation du risque zoonotique [40].

CONCLUSION

L’étude des rotavirus a bénéficié des outils de la biologie moléculaire très précocement du fait de l’importance de l’excrétion virale dans les fèces et de la facilité de l’analyse directe du double brin d’ARN de son génome, insensible aux RNases. Si le lien entre les rotavirus des animaux domestiques semble bien établi, il reste à déterminer les facteurs de virulence en cause dans les séquences spécifiques de ces virus pour une meilleure prévention de ces maladies. L’évolution permanente des rotavirus, notamment par réassortiment et/ou par l’émergence de nouveaux sérotypes G, sera à l’origine de nouvelles mosaïques virales justifiant l’importance d’une épidémiosurveillance constante en médecine humaine et vétérinaire de ce péril fécal présent dans notre environnement (lisier, air, sol et eau). Le phénomène de réassortiment est la cause principale des échecs à la vaccination que nous connaissons en médecine vétérinaire mais permet aussi l’emploi de souches animales atténuées pour la vaccination en médecine humaine.

Enfin, il reste à démontrer le rôle zoonotique des autres virus rencontrés dans les gastroentérites des animaux domestiques.

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<p>* Membre de l’Académie nationale de médecine, e-mail : jbrugere-picoux@vet-alfort.fr Tirés à part : Professeur Jeanne Brugère-Picoux, même adresse Article reçu et accepté le 8 novembre 2010</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2010, 194, no 8, 1439-1449, séance du 9 novembre 2010