Présentation ouvrage
Séance du 13 novembre 2018

Frédéric Chopin (1810-1849) Un musicien de génie atteint d’une maladie rare, la mucoviscidose par Michel A. Germain

Bernard LECHEVALIER*

Nul ne saurait contester les talents d’historien de la médecine de notre collègue Michel Germain : professeur et chirurgien des hôpitaux de Paris, spécialiste à l’Institut Gustave Roussy de la chirurgie vasculaire, membre correspondant de notre Académie.

Après avoir rendu hommage à son maître spirituel René Leriche, il accepta, tâche délicate, de rédiger un livre sur Alexis Carel qui lui fut demandé, en réussissant à « séparer le bon grain de l’ivraie ».

Outre de nombreuses publications, avec « Maladies et morts des musiciens célèbres » présenté ici même, Michel Germain inaugura –t-il une nouvelle série ? On est en droit de l’espérer en raison de la qualité et de l’intérêt de son nouvel ouvrage de 134 pages édité chez l’Harmatan : « Frédéric Chopin (1810-1849) un musicien de génie atteint d’une maladie rare : la mucoviscidose ».

Nous tenterons de mettre en valeur la double question posée par l’auteur et les réponses qu’il en a données : De quelle maladie est mort à 39 ans Frédéric Chopin? Secundo : La maladie du musicien a-t-elle influencé son génie ?

Répondre à la première question a nécessité de la part de notre collègue la consultation de plus de 250 documents, et l’analyse de ce qui reste de sa correspondance, jusqu’à se rendre à Varsovie. Le résultat est à la mesure des efforts déployés .Nous sommes en présence d’un document appelé à devenir un classique, animé à la fois par la culture et la rigueur du médecin et la passion du mélomane.

Étudier les antécédents du compositeur ne pouvait se faire sans les replacer dans son contexte familial et historique. Son père Nicolas Chopin est né près de Nancy en 1771. Comment est –il devenu professeur de français à Varsovie ? Le duché de Lorraine avait été offert au roi exilé de Pologne Stanislas Leczinski par Louis XV, qui épousa sa fille ; même quand la Lorraine incomba à la France après la mort du royal émigré, de nombreux polonais restèrent sur place dans l’entourage de Nicolas Chopin. Celui-ci prit pour épouse une authentique polonaise Justyna elle vécut 87 ans et son mari 70 ans. Des 4 enfants du couple 3 sont morts jeunes : Fréderic à 39 ans, sa sœur ainée à 47 ans de maladie respiratoire. La plus jeune : Emilia souffrit d’accès de dyspnée et de toux depuis l’âge de 11 ans, elle est morte, très amaigrie, d’une hématémèse à 14 ans et notre auteur fait le diagnostic de cirrhose infantile dont une mucoviscidose peut être la cause.

Concernant le musicien, Michel Germain signale que dès son adolescence il souffrait d’une intolérance aux aliments gras et de fréquentes diarrhées entrainant amaigrissement et fatigabilité excessive aux efforts physiques, de plus, il avait souvent des accès de dyspnée. Néanmoins depuis l’âge de 20 ans, il mena à Paris une vie mondaine, accumulant les leçons bien rémunérées et les concerts où il était acclamé.

Des symptômes patents évoquant la mucoviscidose, apparaissent dans sa 26è année associant troubles digestifs et pulmonaires : diarrhées graisseuses l’obligeant à se nourrir exclusivement de glucides, quintes de toux, dyspnée et surtout hémoptysies. S’y ajoutent un amaigrissement (45k°) ,une fatigue telle qu’ il ne peut plus jouer « fortissimo », il lui est même arrivé de ne pouvoir quitter le clavier sans aide , il se plaignait encore de transpirations abondantes, et s’interrogeait sur son absence totale de barbe.

Le patient ne fut pas indemne de troubles neurologiques : à plusieurs reprises, il interrompit un concert du fait d’ hallucinations visuelles de petits personnages qui sortaient du piano, évoquant non pas l’épilepsie temporale , mais des hallucinoses pédonculaires décrites par Jean Lhermitte dont Jean Cambier a rapporté des observations.

Un fait négatif prend une certaine importance diagnostique : bien que viril sexuellement, malgré ses nombreuse liaisons et son concubinages avec Georges Sand (qui avait plusieurs enfants), il n’engendra pas de descendance faisant discuter une stérilité ?

De quelle façon Michel Germain est-il arrivé au diagnostic de mucoviscidose ?

1°) Tout d’abord en récusant celui de tuberculose pulmonaire admis universellement dans le cas Chopin. Comment une tuberculose marquant sa gravité par des hémoptysies révélatrice aurait-elle pu sans traitement efficace à l’époque entrainer une survie de 13 ans ? Et cela sans contaminer George Sand sa compagne pendant 9 ans, morte à 75 ans, ni ses deux enfants ?

2°) Parmi ses nombreux médecins le Pr. Jean Cruveilhier, le fondateur de l’Anatomie pathologique, est resté célèbre. C’est à lui que Chopin demanda de faire son autopsie. Malheureusement le compte rendu a été perdu. Néanmoins Il a témoigné par la suite que les poumons étaient moins atteints que le cœur et qu’il ne s’agissait pas d’une phtisie C’est dans un tableau d’insuffisance cardiaque que Chopin mourut à Paris à 39 ans avec une dyspnée extrême et des œdèmes des membres inférieurs .Selon sa volonté son cœur a été transporté a Varsovie et repose dans urne de cristal scellée dans un pilier de l’église de la Sainte Croix, sans que l’autorisation d’y faire une recherche génétique n’ait jamais été autorisée.

En effet, la mucoviscidose est une maladie génétique à transmission récessive, à laquelle Michel Germain consacre un chapitre entier clair et précis. Selon lui, elle aurait entrainé la mort de la sœur cadette du musicien à 14 ans. La cause en est une des nombreuses mutations possibles du gène CFTR(Cystic fibrosis transmembrane conductance regulator) situé sur le chromosome 7 codant pour la protéine du même nom qui intervient dans les échanges transmembranaires du chlore surtout au niveau des poumons , du pancréas, des canaux spermatiques, de la peau ( test à la sueur) Les traitements actuels permettent une survie de 40 ans, appelée à gagner une durée plus longue du fait des recherches génétiques actuelles.

Si le but de l’ouvrage est avant tout d’ordre médical, l’auteur a posé une seconde question: la maladie a-t-elle influencé le génie du compositeur ? Cette influence fut selon moi moins importante qu’on le pense. En effet, bien avant qu’apparaissent les symptômes notables de sa maladie, depuis la première polonaise à 8 ans suivie du premier concert un an plus tard, il avait déjà composé une quantité d’œuvres remarquables (dont l’auteur donne le catalogue complet) en particulier sa Marche funèbre et ses deux concertos pour piano.

Sa principale source d’inspiration n’a-t-elle pas été sa chère Pologne, rayée de la carte du monde par la Russie (Il refusa de jouer devant le tzar). Après l’insurrection manquée de Varsovie en 1830, avec l’approbation de ses parents, il s’exila, il n’avait pas 20 ans ! D’abord à Prague puis à Paris. A la fin de sa vie, ses dernières œuvres sont des Polonaises, des valses et des mazurkas. Michel Germain fait remarquer que « C’est dans la maison de George Sand à Nohant que Chopin a écrit et révisé la majorité de son œuvre alors qu’il est atteint de sa maladie pulmonaire, il y connait une accalmie ». Un compositeur qui souffre peut trouver dans la musique plutôt qu’une façon de gémir une source d’énergie et de réconfort : Schubert et Beethoven nous l’ont montré !

En plus de la réponse à ces deux questions , l’auteur a parsemé ses 18 chapitres de nombreuses informations concernant le musicien : ses amis, George Sand , Majorque, son voyage en Angleterre un an avant sa mort; informations étayées par une importante bibliographie et richement illustrées.

Voici donc un ouvrage remarquable assuré de pérennité qui fait honneur à l’auteur et donc à notre académie.

* Membre de l'Académie nationale de médecine

Bull. Acad. Natle Méd., 2018, 202, nos 8-9, 2109-2112, séance du 13 novembre 2018