Résumé
L’erreur même lorsqu’elle n’implique aucune faute, est culpabilisante pour le médecin. Aussi est-ce un sujet peu abordé dans la littérature médicale. On commence à en mesurer l’importance, principalement grâce à des enquêtes américaines conduites dans le milieu hospitalier. Ces études font ressortir trois données importantes : 1/ la fréquence des erreurs à conséquences sérieuses est proche de 3 % des hospitalisations ; 2/ dans le système de soins moderne, devenu de plus en plus complexe, les erreurs, même si elles relèvent au premier abord d’une défaillance humaine, mettent en cause fréquemment le niveau systémique, c’est-à-dire celui de l’organisation des soins ; 3/ une proportion des erreurs pourrait être évitée ou corrigée par des mesures à ce niveau. L’étude des erreurs est essentielle pour aboutir à une gestion de qualité de l’organisation des soins. D’où l’importance d’une organisation de recueil et d’analyse des accidents médicaux. L’erreur peut être utile, à condition d’être reconnue.
Summary
Error, even if not made through negligence, always affects the physician. That probably explains why the literature on medical error is so sparse. Thanks to large surveys carried out mainly in American hospitals, awareness of the major role of this risk factor begins to appear. These studies demonstrate : three important facts : 1/The frequency of errors with serious consequences is nearly 3 % of all hospitalisations.2/ Because of the growing complexity of modern health care system, medical errors have new characteristics. Even if they apparently originate from individual behaviour, they are in fact frequently rooted in the health care organisation and so are in fact systemic errors. 3 /A lot of these systemic errors could be prevented or corrected by measures at the level of the organisation.The study of mistakes is vital in implementing quality management of health care. Consequently it is the * Membre de l’Académie nationale de médecine . Tirés-à-part : Professeur Georges DAVID, Académie nationale de médecine, 16 rue Bonaparte — 75272 Paris cedex 06. Article reçu le 28 novembre 2002, accepté le 6 janvier 2003. responsability of the organisation to record and analyse adverse events. Each error can be an opportunity for safety improvement, provided it is acknowledged.
Les formidables progrès thérapeutiques accomplis au cours du siècle dernier se sont accompagnés d’une importante modification dans la pratique des soins. Le recours à des techniques toujours plus sophistiquées et variées a entraîné la mise en œuvre conjointe autour du même patient de plusieurs disciplines. Le malade n’est plus dans un rapport singulier avec le médecin. Il est, surtout à l’hôpital, pris en charge par une équipe soignante qui mobilise de plus d’autres équipes pour effectuer les explorations complémentaires. En somme il entre dans un système complexe, en quelque sorte une chaîne de soins qui, à la différence d’une chaîne industrielle, n’est pas figée dans sa configuration mais demande dans chaque cas une adaptation spécifique à une situation individuelle.
La médecine est donc devenue, au niveau de son application, un système complexe avec une double nécessité de rigueur d’exécution mais aussi de souplesse d’adaptation aux patients, tous singuliers, pris en charge. Cette exigence contradictoire constitue déjà un premier facteur différenciant ce système complexe de ceux qu’a appris à gérer le secteur industriel. Mais il en est un autre au moins aussi important c’est que son type d’activité connaît des limites beaucoup plus étroites dans ses possibilités d’automatisation. Dans ce que l’on peut appeler le système soignant, car il associe maintenant bien d’autres intervenants que les médecins, la place des acteurs humains reste dominante, quantitativement et qualitativement. C’est à des hommes et des femmes que reviennent encore les fonctions décisionnelles qui ne peuvent être déléguées à des dispositifs automatiques. Or il est classique de dire, pour les spécialistes de gestion des systèmes complexes, que le maillon faible de toute organisation est le maillon humain.
Ainsi les bénéfices résultant de la complexité ont-ils comme rançon une plus grande vulnérabilité à l’erreur. Certes l’erreur médicale a toujours existé. En vertu de quelle grâce la médecine, activité humaine par excellence, y aurait-elle échappé ? Certes le médecin, rigoureusement formé et hautement conscient de ses devoirs à l’égard du patient et de la société, a-t-il toujours été attentif à l’éviter. Y est-il toujours parvenu ? On ne pourrait l’affirmer sans être immédiatement contredit par le rappel d’affaires judiciaires où l’erreur était flagrante. Pour le médecin, même si l’erreur ne revêt pas le caractère de faute elle est toujours culpabilisante, et d’autant plus qu’est grand le sens de son devoir. Aussi peut-on comprendre que l’erreur médicale ait toujours été l’objet d’une grande discrétion, au point pendant longtemps de n’avoir fait l’objet d’aucune étude sur sa fréquence, encore moins sur ses conditions de survenue.
La médecine contemporaine, telle que nous l’avons présentée dans sa toute puissance technique et sa complexité, loin d’éliminer l’erreur, l’a sans doute accrue. De
plus elle en a changé la nature en la situant dans un fonctionnement collectif. A côté de l’erreur individuelle s’est ouverte une nouvelle catégorie, l’erreur systémique.
Autre changement, on commence à réaliser qu’en dehors de ses conséquences fâcheuses, elle peut avoir la valeur d’un avertissement révélant un dysfonctionnement caché de l’organisation des soins et qu’à ce titre il convient d’en faire un objet d’étude dans un but d’amélioration de la qualité des soins. Ce changement d’attitude à l’égard de l’erreur est né dans un tout autre secteur que la médecine, le secteur industriel et celui des transports, domaine d’accidents dont on s’est rendu compte que la prévention passait par la compréhension du mécanisme des défaillances. La transposition de cette approche à la médecine a commencé aux Etats-Unis, au cours de la dernière décennie, puis a gagné le Royaume-Uni plus récemment. Il serait important que la France puisse s’engager dans cette voie dont nous essaierons ici de mettre en évidence l’intérêt et les difficultés.
Fréquence de l’erreur médicale
Les données dont on dispose dans ce domaine concernent exclusivement le secteur hospitalier. Par ailleurs elles sont principalement américaines. Deux études, du fait de leur ampleur et de leur qualité sont habituellement citées. La plus importante a été conduite dans l’Etat de New York sur un échantillon de plus de 30 000 patients provenant d’une sélection par tirage au sort de 51 hôpitaux [1, 2]. Des effets indésirables, traduits par un allongement d’hospitalisation ou une incapacité à la sortie sont survenus dans 3,7 % des hospitalisations, entraînant la mort pour 13,6 % de ces complications et une incapacité permanente pour 2,6 % d’entre elles. Une étude plus récente [3], conduite dans les Etats du Colorado et de l’Utah sur un échantillon de 15 000 patients, a retrouvé un taux d’effets indésirables assez proche, 2,9 %. Mais avec une différence importante sur leurs conséquences, la mortalité étant plus faible de moitié, 6,6 %.
L’ Institute of medicine a récemment utilisé les données de ces deux études, confortées par des travaux plus ponctuels, pour attirer solennellement l’attention sur la gravité de cette situation. Le rapport de cette institution [4], intitulé bien symboliquement « To err is human », en extrapolant les données à l’ensemble des hôpitaux des Etats-Unis a estimé le nombre annuel de morts par erreur médicale à au moins 44 000 si est pris comme référence le taux de mortalité de la seconde étude et à 98 000 si est pris comme base celui de la première étude. Le rapport fait remarquer que même en acceptant le chiffre le plus faible cette cause de mortalité dépasse celle des accidents de la route (43 000 pour les États-Unis).
Mais ce rapport capital fait encore ressortir d’autres faits :
— les deux séries sont fondées sur une analyse rétrospective des dossiers d’hospitalisation et elles n’ont retenu que les erreurs ayant donné lieu à des conséquences d’un certain degré de gravité, ce qui permet d’avancer qu’elles ne rendent compte que d’une partie du phénomène ;
— l’analyse des circonstances fait ressortir que la majorité des erreurs entre, directement ou indirectement, dans la catégorie des erreurs systémiques ;
— qu’une proportion importante pourrait être évitée par une organisation des soins répondant à un objectif de qualité soucieux de la sécurité.
Le rapport a tiré de cette analyse un certain nombre de recommandations à l’intention des responsables de la Santé publique. On en mentionnera particulièrement deux :
— la création d’un organisme central, à l’échelon fédéral, chargé de la sécurité des soins qui exploiterait les données concernant les erreurs médicales ;
— le souhait que soit favorisée la déclaration spontanée des erreurs afin de pouvoir tirer de leur analyse des mesures préventives. Sur ce dernier point le rapport a été jusqu’à recommander qu’une disposition législative protège d’une exploitation judiciaire les signalements spontanés. On sait qu’un projet de loi est actuellement en instance d’examen par le Congrès des États-Unis [5].
Principale cause d’erreur, la médication ; données françaises
L’étude de Harvard [1, 2] donnait la fréquence suivante des principales erreurs :
erreurs de médication, 19 % ; infections nosocomiales, 14 % ; erreurs techniques, 13 %.
Ainsi la médication entendue au sens large, allant de la prescription à l’administration en passant par la dispensation, représente la cause majeure de toutes les erreurs.
La fréquence des erreurs de médication avait d’ailleurs été signalée, il y a dix ans, dans une étude française à laquelle malheureusement n’avait pas été accordée une attention suffisante. Il s’agit d’un travail présenté à l’Académie nationale de médecine par P. Queneau [6, 7] au nom de l’Association Pédagogique Nationale pour l’Enseignement de la Thérapeutique (APNET). C’était une enquête descriptive transversale des cas de iatrogénie, réalisée un jour donné (13 juin 1992) dans 43 services cliniques. Elle avait réuni 109 cas sur 1 733 malades hospitalisés, soit 6,28 %. On notera que ce pourcentage est nettement plus élevé que dans les études américaines, mais il faut rappeler que ces dernières comportaient un risque de sous estimation, reconnu par le rapport de l’ Institute of Medicine du fait du recueil rétrospectif des données. Ce qui n’était pas le cas de l’enquête française qui avait l’avantage de relever d’une démarche prospective. L’analyse des causes faisait ressortir que les erreurs de médication étaient les plus nombreuses, représentant 76 % du total. Cette proportion est 4 fois plus élevée que dans les études américaines.
Ce qui pourrait s’expliquer par un recueil plus complet et peut-être aussi par la proportion des patients qui recevaient avant leur hospitalisation une médication lourde et de ce fait plus exposés à des erreurs. Ce dernier facteur est corroboré par le taux élevé, dans cette population, des accidents dus à une automédication ou à une mauvaise observance, 18 %.
Une autre enquête, plus récente, conduite dans un centre hospitalier universitaire anglais [8] apporte un éclairage supplémentaire, mettant en évidence le rôle des facteurs systémiques. Elle a le double avantage d’avoir été prospective et surtout de s’être concentrée sur une partie seulement des erreurs médicamenteuses, celle qui concerne la prescription, responsabilité exclusivement médicale. Sur une période de 2 mois, dans cet hôpital de 550 lits, ont été relevées 88 erreurs graves, susceptibles de conséquences sérieuses. Une enquête très soigneuse, centrée sur les circonstances de survenue de ces erreurs qui se présentent typiquement comme des erreurs humaines personnelles a, en fait, mis en évidence la fréquence élevée de facteurs supplémentaires tenant à l’environnement de travail ou à l’organisation générale des soins.
Nous voyons ici le rôle des facteurs systémiques dans des erreurs d’apparence humaines. Mais cette part est difficile à dépister si elle ne fait pas l’objet d’une recherche programmée.
Difficulté de la mise en évidence des défaillances systémiques
Les défaillances dans un système complexe se produisent généralement au niveau d’un chaînon humain. Comme nous venons de le voir dans l’étude anglaise précé- demment citée la responsabilité systémique est plus ou moins occultée par l’évidence de la responsabilité personnelle. D’autre part lorsque la défaillance est totalement ou principalement d’origine systémique ses conséquences risquent d’être noyées dans le flux des complications évolutives attribuables aux évolutions pathologiques.
Là encore elles ne peuvent apparaître que si elles font l’objet d’une recherche orientée en ce sens, ce qui nécessite parfois une évaluation de l’organisation des soins dans sa dimension la plus large ou à son niveau le plus élevé. Pour l’illustrer nous prendrons un exemple relevant du domaine des soins infirmiers.
Un récent et important travail américain [9] a examiné la relation entre le nombre de patients par infirmier(e) et le taux de mortalité dans des services d’hospitalisation de maladies aiguës. L’enquête a porté sur un effectif de plus de 230 000 patients et 10 000 infirmier(e)s réparti(e)s dans168 hôpitaux de l’Etat de Pennsylvanie. Les variations importantes d’un hôpital à l’autre du rapport quantitatif infirmier(e)s/ malades ont permis d’étudier le rôle de ce facteur, après ajustements destinés à neutraliser les autres facteurs. Il en ressort que l’augmentation du nombre de patients par infirmier(e) s’accompagne d’une augmentation de la mortalité dans des proportions notables, 7 % en moyenne par patient supplémentaire. Le passage de 4 à 6 patients accroît le risque de 14 % et le passage de 4 à 8 patients l’augmente de 31 %. Cette enquête examine encore d’autres conséquences, à savoir le degré d’épuisement et d’insatisfaction des soignants qui est un facteur d’aggravation du déficit en infirmier(e)s. Mais pour en revenir à notre sujet il est bien clair que l’analyse d’un accident mortel par erreur humaine manifeste devrait prendre en compte ce facteur qui démontre une responsabilité systémique au plus haut niveau de l’organisation des soins.
Nécessité d’une démarche d’assurance de la qualité dans l’organisation des soins
L’analyse du mécanisme des erreurs doit entraîner l’élaboration, le renforcement ou la révision des pratiques et des procédures du système de soins. C’est dire que c’est un élément majeur justifiant l’extension et la généralisation à l’organisation des soins des principes de gestion connus sous la dénomination d’assurance de la qualité.
L’assurance de qualité est fondée sur la formalisation précise, donc écrite, de règles à respecter pour l’exécution des tâches. Le respect de ces règles doit garantir un résultat optimal. Cependant il ne faut pas se dissimuler que ce formalisme comporte des risques : alourdissement des tâches, fragmentation du travail, diminution de l’investissement individuel. Ces risques doivent être prévenus et compensés par une attention des autorités responsables à entretenir une communication, une coordination et une coopération entre les différents éléments du système. En somme l’assurance de qualité est bénéfique à une double condition :
— qu’elle ne soit pas considérée comme un but en soi mais comme un moyen ;
— qu’elle soit soumise à des indicateurs d’efficacité. C’est ici que réapparaît un autre rôle de l’erreur, celui d’être un excellent signal de défaillance d’organisation.
L’application de l’assurance de qualité exige une formation spéciale pour ceux qui ont la charge de l’introduire dans les structures dès lors que celles-ci ont une certaine dimension ; ce qui est devenu le cas des centres hospitaliers actuels. On peut de ce point de vue regretter que le corps hospitalier de haut niveau (catégorie A de la fonction publique) récemment créé sous la dénomination de « directeur des soins » [10] n’ait pas été intitulé « directeur de la qualité des soins » avec une exigence de formation spéciale à l’assurance de qualité et une mission d’en développer les pratiques au sein de l’hôpital.
La récente loi du 4 mars 2002 [11] envisage une déclaration obligatoire des accidents médicaux. D’une part à l’autorité administrative, en l’occurrence l’Agence nationale d’accréditation et évaluation en santé (ANAES), d’autre part au patient qui en serait victime. Il sera important d’en observer l’application qui risque, du fait de l’obligation d’information du patient, de freiner une politique de signalement systématique.
Un changement de culture
Réhabiliter l’erreur, ne plus la cacher, s’en servir pour améliorer la qualité des soins va à l’encontre de la conception classique de l’erreur médicale, celle qui prévaut malheureusement encore en France. Cette conception s’appuie sur la notion que la lourdeur de la responsabilité à l’égard du patient interdit l’erreur. Le médecin doit être infaillible. Si, cependant, survient un accident, il ne peut connaître que deux
explications, aléa ou faute. L’aléa, relevant de l’imprévisible, donc inévitable, ne saurait, par nature, être imputé au médecin. Quant à la faute, manque intolérable au devoir d’infaillibilité, elle est reconnue comme méritant sanction. Sanction acceptée par la profession comme gage et démonstration de l’absolu du dogme. Juge, plaignant et société s’accommodent de cette fiction. Le premier ne cherchant qu’à poursuivre la faute, le second y trouvant matière à obtenir réparation, la troisième voyant ainsi justifiée son éternelle illusion de risque zéro, s’appuyant sur cette autre utopie qu’est la possibilité d’erreur zéro.
Il est clair que la négation de l’erreur, de son éventualité même, entraîne son occultation. Elle interdit donc son étude, sa compréhension, la mise à jour de ses mécanismes dans leur diversité, leur complexité et leur perversité. Une telle attitude est hautement contre-productive. La négation de l’erreur ne la supprime pas, elle l’aggrave en la privant des possibilités de prévention.
Mais passer d’une attitude de dissimulation systématique à une attitude de proclamation active n’est certainement pas chose facile. On doit reconnaître que l’on demande là au corps médical plus qu’une évolution, une véritable révolution d’ordre culturel. Mais elle s’est bien amorcée ailleurs. Pourquoi pas chez nous aussi ?
Un autre argument sera certainement entendu : le risque de compromettre la si nécessaire, mais toujours fragile, confiance que doit inspirer la médecine. A cela il est facile de répondre que la révélation judiciaire de certaines erreurs, initialement dissimulées, ébranle beaucoup plus fortement la confiance du public qui découvre que non seulement le médecin peut faillir mais, plus grave encore, qu’il peut mentir.
Il conviendrait d’avoir à l’égard de la société, concernant l’erreur médicale, une politique de clarté et de responsabilité. Cette société, si exigeante en matière d’information et de sécurité, intolérante au risque, devrait comprendre pourquoi la médecine contemporaine toujours plus efficace est devenue, par sa complexité technique et organisationnelle croissante, de plus en plus vulnérable à la défaillance.
L’affirmation d’une prise en compte de ces risques nouveaux, fondée sur une nouvelle politique dans la détection de l’erreur, condition de sa prévention, loin d’altérer la confiance du public, devrait la renforcer. La société n’aurait-elle pas la preuve que cette médecine, fière de sa puissance technique, est devenue aussi consciente de ses devoirs en matière de sécurité que de ses pouvoirs en matière d’efficacité ?
BIBLIOGRAPHIE [1] BRENNAN T.A., LEAPE L.L., LAIRD N.M., HEBERT L., LOCALIO A.R., LAWTHERS A.G., NEWHOUSE J.P., WEILER P.C., HIATT H.H. — Incidence of adverse events and negligence in hospitalized patients : results of the Harvard Medical Practice Study I. N Engl J Med., 1991, 324 , 370-376.
[2] LEAP L.L., BRENNAN T.A., LAIRD N.M., LAWTHERS A.G., LOCALIO A.R., BARNES B.A., HEBERT L., NEWHOUSE J.P., WEILER P.C., HIATT H. — The nature of adverse events in hospitalized patients : Results of the Harvard Medical Practice Study II. N Engl J Med., 1991, 324 , 377- 384.
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[7] QUENEAU P., CHABOT J.M., RAJOANA H., BOISSIER C., GRANDMOTTET P. — Iatrogénie observée en milieu hospitalier. II — Analyse des causes et propositions pour de nouvelles mesures préventives. Bull. Acad. Natle Méd .,1992, 176 , 651-667.
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[9] AIKEN L.H., CLARKE S.P., SLOANE D.M., SOCHALKI J., SILBER J.H. — Hospital nurse staffing and patient mortality, nurse burnout, and job dissatisfaction. JAMA , 2002, 288 , 1989-1993.
[10] Décret no 2002-550 du 19 avril 2002 portant statut particulier du corps de directeur des soins de la fonction publique hospitalière. — J.O. 23 avril 2002, 7187-7190.Loi 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
J.O . 5 mars 2002, 4118-4158.
COMMENTAIRE ET DISCUSSION
M. Bernard GUIRAUD-CHAUMEIL
Le traitement de l’erreur et de la faute doit, dans le milieu médical et judiciaire, radicalement changer. La nécessité du changement a plusieurs causes : tout d’abord l’exercice de la médecine n’est plus uniquement individuel et fait intervenir de nombreux praticiens qui doivent former une collégialité organisée, ensuite l’erreur, n’est plus, comme l’a bien montré le monde industriel, le fait d’un seul, mais le plus souvent le fait d’un dysfonctionnement, dans l’organisation.
Pour juger de la qualité des pratiques médicales, il n’existe que deux méthodes, évaluer le résultat ou évaluer les « process » mis en jeu. Notre connaissance des maladies, des soins et de la prévention, est trop lacunaire pour que le résultat et son étude permettent d’évaluer la qualité. C’est donc sur l’ensemble des opérations qui constituent l’action médicale que nous pouvons évaluer la qualité. L’erreur vient alors d’un dysfonctionnement de la chaîne opératoire. C’est en analysant les différents éléments de cette chaîne que l’on peut proposer des améliorations : écrire ce qui est à faire, écrire comment le faire, faire ce qui est écrit, dire ce qui est à faire et vérifier que ce qui est dit est fait, représentent les différents temps de la démarche qualité. Dans toute action, dans toute opération, l’amélioration de la qualité est liée à la mise en place de cette démarche. L’écrit soutient
l’oral. Les procédures sont écrites pour faire référence. La démarche permet de diminuer les erreurs et d’augmenter les bénéfices et la sécurité.
La démarche qualité est donc devenue essentielle dans la prévention des erreurs en médecine. Réparer l’erreur est toujours plus coûteux que de la prévenir. D’un point de vue économique, on sait que la qualité coûte cher, mais la non qualité coûte aussi encore plus cher. Toute non qualité supprimée dégage des moyens pour l’amélioration de la qualité. Ce concept de démarche qualité est la base de la diminution des erreurs. Il doit pénétrer l’esprit des juges qui eux aussi ne sont pas à l’abri de l’erreur. Ils ne doivent plus penser que toute erreur doit être considérée comme une faute individuelle. Médecins et juges doivent travailler ensemble sur la démarche qualité et trouver le modus vivendi du traitement de l’erreur qui n’est pas toujours faute.
M. André VACHERON
Vous avez souligné à juste titre l’augmentation du risque d’accidents et notamment d’accidents mortels en milieu hospitalier en fonction du nombre de malades confiés aux infirmiè- res. Dans les enquêtes de New-York et du Colorado-Utah une distinction a-t-elle pu être établie entre les accidents fautifs et les accidents par aléa ?
On trouve la réponse à votre question dans l’enquête de New-York. Le taux des effets indésirables dans cette enquête est de 2,9 % des hospitalisations. Dans ce groupe 29,2 % relèvent d’une « négligence » définie comme « le non respect des normes de soins attendus d’un médecin qualifié pour la prise en charge de patients ».
M. Roger NORDMANN
L’erreur de prescription est-elle fréquemment en cause dans la mortalité ? Pour définir une erreur de prescription, doit-on se référer à l’inobservation de recommandations élaborées par des conférences de consensus ou autres instances spécialisées ? A-t-on tenu compte, pour définir une « erreur », de l’évolution de l’affection du patient si aucune prescription médicale (ou chirurgicale) n’était intervenue ?
L’erreur de prescription apparaît typiquement comme une erreur individuelle. Elle peut en effet l’être. Mais le travail anglais que j’ai cité fait apparaître qu’elle peut comporter une composante systémique, en liaison par exemple avec une surcharge de travail ou avec une information incomplète sur le patient. D’une manière globale c’est-à-dire en considérant l’ensemble de la chaîne qui va de la prescription à l’administration du médicament, il ressort de la plupart des études que la médication est la principale cause d’accident médical.
M. Alain LARCAN
Il faut considérer le risque médical comme un des chapitres de la science des accidents ou cindynique exige la définition du risque (nombre d’éventualité par an × gravité), celles de l’aléa, de la vulnérabilité, des enjeux et des conséquences. Il y a incompatibilité entre la déclaration et l’analyse objective et scientifique, des accidents au sein d’un service ou d’un hôpital dans un souci de prévention et d’amélioration, avec la mise à disposition des patients,
de leurs familles et des avocats, d’un dossier médical l’erreur devient faute — la responsabilité n’est pas civile mais pénale et la victime recherche l’indemnisation et la sanction ( vindictam spirans ).
Je ne peux que souscrire à l’intérêt qu’il y aurait à appliquer en médecine et surtout en médecine hospitalière les principes élaborés dans la science du danger qu’est la cindynique. Le rapport de l’ Institute of medicine , sur lequel je me suis appuyé, insiste sur la nécessité que les signalements spontanés soient couverts par une confidentialité totale couvrant les déclarants et les déclarations.
M. Louis AUQUIER
Quels sont les critères de la qualité ? Comment les enseigner et surtout comment les évaluer dans les trois niveaux qui sont l’enseignement théorique, la pratique médicale à son début et aussi dans son devenir au cours de la vie professionnelle comme tente de le faire la formation continue ?
L’assurance de qualité qui s’est généralisée, notamment dans les activités industrielles, repose sur la codification précise des procédures de production et sur la vérification de la qualité du produit fini. La première partie est certainement applicable en médecine hospitalière. En revanche, la qualité du produit est ici beaucoup plus difficile à appré- hender. C’est bien la raison qui, judiciairement parlant, a fait reconnaître à l’acte médical une obligation de moyens et non de résultats. Mais la tendance actuelle va dans le sens d’un élargissement de la responsabilité, comme le prouve par exemple la responsabilité en matière d’infection nosocomiale. La médecine aura sûrement à se pencher sur les méthodes d’évaluation de la qualité tenant compte des résultats. Difficile objectif !
M. Denys PELLERIN
La recherche de la Qualité « systématique » impose que tous les acteurs de l’hôpital y soient associés. Cette démarche conjointe des acteurs concernés, médecins et non médecins, si éloignée de notre actuelle culture hospitalière, peut-elle faire espérer la mise en place, dans le domaine de l’hospitalisation, d’une culture de qualité ?
La démarche de qualité qui s’est imposée dans l’industrie et les transports est encore loin des préoccupations des hospitaliers, médecins et surtout responsables administratifs. Il n’est pour s’en convaincre que de se reporter aux exigences de formation du récent cadre de directeur des soins créé dans les hôpitaux. Il n’y est fait aucune allusion à une formation à la démarche de qualité qui est cependant enseignée dans certaines écoles supérieures et dans des facultés.
M. Bernard GLORION
Le code de déontologie indique que la responsabilité du médecin est individuelle ; la notion de chaîne de soins est difficilement compatible avec cette responsabilité individuelle. Doit-on faire évoluer le code de déontologie ?
Le code de déontologie est essentiellement fondé sur une responsabilité individuelle. Je n’hésiterai pas à dire que, dans une médecine de complexité croissante, avec des acteurs
toujours plus nombreux, il devient de moins en moins adapté aux réalités modernes. Il ne contribue pas à faire évoluer notre culture ni celle du monde judiciaire qui reste fondées sur la recherche de la faute individuelle. En ce qui concerne la nécessaire compétence des médecins je vous accorde qu’elle est liée à la formation continue. Mais là aussi il ne doit pas seulement s’agir de la perception d’une obligation individuelle. C’est une responsabilité du système d’exiger la compétence de ses acteurs.
Bull. Acad. Natle Méd., 2003, 187, n° 1, 129-139, séance du 28 janvier 2003