Communication scientifique
Session of 16 janvier 2007

Exposition individuelle à la pollution de l’air en milieu urbain : l’exemple de Marseille

MOTS-CLÉS : exposition environnement. grandes villes. pollution air. pollution environnement
Individual exposure to air pollution in urban areas : the example of Marseille
KEY-WORDS : air pollution. cities. environmental exposure. environmental pollution

Frédérique Grimaldi, Alain Viala

Résumé

L’objectif de la présente étude était d’évaluer l’exposition individuelle d’une population urbaine à divers polluants de l’air : dioxyde d’azote NO , benzène et ses dérivés BTXE, 2 monoxyde de carbone CO, ozone O , aldéhydes et particules fines PM . Les mesures ont 3 2,5 été effectuées en été et en hiver, pendant 48 heures en continu, sur des volontaires nonfumeurs, à l’aide de capteurs passifs et actifs et d’une méthodologie analytique appropriée. Les concentrations en NO ont été relativement faibles, plus basses en été qu’en hiver ; la 2 corrélation entre l’exposition individuelle globale et l’habitat était forte et significative. Les teneurs de l’air en benzène ont été importantes pour l’exposition individuelle et pour l’habitat et plus fortes en hiver qu’en été ; 47 % des volontaires étaient exposés à des concentrations moyennes dépassant les 5 µ g.m-3 (valeur limite pour l’air extérieur en moyenne annuelle) ; pour les dérivés du benzène les niveaux ont été également plus élevés en hiver qu’en été. L’exposition des volontaires au CO a été faible, et liée notamment aux déplacements en voiture et à la fumée de tabac environnementale (FTE). Les concentrations moyennes en O ont été faibles en hiver, plus élevée en été, en relation avec une pollution 3 photochimique plus importante. Dans le groupe des aldéhydes, le formaldéhyde, l’acétaldé- hyde et l’acroléine étaient les composés majoritaires ; l’exposition des volontaires a été néanmoins faible ; pour le formaldéhyde l’exposition individuelle globale était corrélée avec les concentrations intérieures. Les PM ont atteint des niveaux élevés, en hiver pour 2,5 l’habitation, en été pour l’exposition individuelle.

Summary

We examined the exposure of an urban population to the following air pollutants, in the home and outdoors : nitrogen dioxide, benzene and its derivative BTXE, carbon monoxide, ozone, aldehydes and particulate matter (PM) . Measurements were made continuously 2,5 during 48-hour periods in summer and in winter, in non-smoking volunteers, using passive and active samplers and appropriate analytical methods. NO concentrations were relatively 2 low (lower in summer than in winter). Individual overall exposure correlated strongly with levels in the home. Benzene levels were high both outdoors and in the home, and were higher in winter than in summer ; 47 % of the volunteers were exposed to mean values up to 5 µ g.m-3 (annual mean value outdoors). Benzene derivative levels were also higher in winter than in summer. Personal exposure to CO was low and related to determinants such as traffic and environmental tobacco smoke (ETS). Mean concentrations of O were low in winter 3 and higher in summer, owing to higher outdoor photochemical pollution. The most abundant aldehydes were formaldehyde, acetaldehyde and acrolein ; personal exposure was low. Overall personal exposure to formaldehyde correlated with concentrations in the home. PM reached high levels in the home in winter and outdoors in summer. 2,5

INTRODUCTION

Le risque toxique d’une substance dépend de sa toxicité intrinsèque (constituant une potentialité d’atteinte de la santé) et de l’exposition à cette substance, elle-même en rapport avec les barrières artificielles ou naturelles qui la séparent de sa cible dans l’organisme. Les effets, et par conséquent le risque couru, varient en fonction de la dose de substance, de la fréquence et de la durée d’exposition, de facteurs raciaux et individuels, etc. Pour évaluer un tel risque dans le cas des polluants de l’air, les études d’exposition (« expologie ») se recommandent particulièrement, car elles prennent en considération la pluralité des environnements fréquentés par les personnes concernées (sachant que l’homme passe 70 à 90 % de son temps à l’intérieur de locaux), la diversité des polluants et la variabilité spatio-temporelle de leurs concentrations. Les données recueillies sont au besoin corrélées pour chaque individu à des bioindicateurs soigneusement choisis. Différentes enquêtes ont abordé ce problème en prenant en compte un nombre nécessairement limité de polluants. Ainsi, en mesurant pendant un même laps de temps, d’une part la nicotine dans l’air, d’autre part la nicotine et ses métabolites excrétés dans les urines de sujets exposés passivement, de façon occasionnelle ou chronique, nous avons constaté que l’imprégnation des non-fumeurs par la fumée de tabac environnementale (FTE) était en général faible [1, 2], y compris chez les enfants qui étaient soumis au tabagisme parental.

Certains indiquent que les effets les plus importants du tabagisme passif se font surtout sentir dans les couples, et en milieu professionnel où il arrive que plusieurs personnes fument à l’intérieur de locaux en présence de non-fumeurs, et en cas d’expositions massives et répétées.

De telles études ne peuvent pas être réalisées sur un nombre très élevé de sujets, compte tenu de la lourdeur des protocoles à respecter, mais elles ont le mérite de
« coller » à la réalité et de pouvoir être renouvelées sur les mêmes personnes à intervalles plus ou moins courts. Récemment Ambroise et al. [3] ont bien fait ressortir les enseignements et avantages, sanitaires et autres, que les enquêtes d’expologie peuvent apporter, mais ils soulignent aussi leurs limites et les progrès qu’elles ont encore à accomplir.

MÉTHODOLOGIE

Présentation de l’étude

Le travail présenté fait partie d’une étude multicentrique menée sous l’égide de l’Association pour la Prévention de la Pollution Atmosphérique (APPA) dans quatre villes françaises : Grenoble, Dunkerque, Lille et Marseille. On lui a donné l’appellation de « Sentinelles de l’air », du fait que les personnes incluses dans le protocole mis en œuvre étaient les témoins de leur propre pollution.

Dans les quatre agglomérations on a mesuré, pendant deux fois quarante-huit heures, en continu et selon un même protocole, l’exposition de ces personnes aux oxydes d’azote NO (dont le dioxyde NO ) et aux BTXE (benzène, toluène, xylènes X 2 et éthylbenzène). Chaque ville pouvait en outre s’intéresser à d’autres aérocontaminants ; ce fut le cas à Marseille pour le monoxyde de carbone, l’ozone, les aldéhydes et les particules fines de diamètre ≤ 2,5 µm (PM ). Nous rapportons ici les seuls 2,5 résultats obtenus dans l’agglomération marseillaise sur trente volontaires [4, 5], déclarés auprès de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL). L’objectif de l’étude était essentiellement d’évaluer la part de la pollution « intérieure » dans l’exposition individuelle totale, et de connaître les principaux déterminants de cette dernière en tenant compte des données d’exposition et des renseignements fournis par les volontaires sur leur cadre de vie et leur emploi du temps. Les résultats ont fait l’objet d’une exploitation statistique.

Déroulement de l’étude

La particularité de l’étude consistait dans le fait que les volontaires recrutés devaient porter en permanence (et sans s’écarter de leurs conditions de vie habituelles) pendant quarante-huit heures consécutives et à deux reprises, une fois en hiver et une fois en été, un sac à dos contenant le matériel de prélèvement et d’analyse approprié, placé de telle manière que l’échantillonnage des polluants ait lieu autant que possible près du nez (figure 1) . Pour le NO , les BTXE, les aldéhydes et les 2 PM , l’un des capteurs était destiné à appréhender l’exposition globale sur les 2,5 quarante-huit heures, l’autre n’était mis en service que pendant la période où le volontaire était à son domicile en vue de déterminer la part correspondante à cette pollution « intérieure » dans l’exposition.

FIG. 1. — Volontaire équipé du sac à dos contenant le matériel d’échantillonnage et d’analyse Recrutement des volontaires

Pour être choisis, les volontaires devaient :

— être adultes, — être non-fumeurs et peu soumis au tabagisme passif, — ne pas être exposés professionnellement à des sources de pollution spécifique, — résider et, si possible, travailler dans l’agglomération retenue, — ne pas avoir de projet immédiat de déménagement (habitat et/ou lieu de travail).

Questionnaires

Deux questionnaires étaient à remplir par les volontaires :

— le questionnaire Cadre de vie , qui concernait l’habitat et le lieu de travail ; il permettait de considérer d’éventuelles sources intérieures de pollution susceptibles d’influer sur les mesures ; les moyens de chauffage et de ventilation y étaient mentionnés, de même que les activités utilisant des produits capables de modifier les résultats, et les modes de transport ;

— le questionnaire Budget Espace-Temps-Activité (BETA), qui s’intéressait, pour un pas de temps de quinze minutes, à la mobilité spatio-temporelle des volontaires, en indiquant les principaux modes de transport utilisés (transports en commun, véhicules automobiles, deux roues, marche à pied), et les microenvironnements intérieurs et extérieurs fréquentés (domicile, travail ou autre lieu) ;

ils précisaient aussi les activités potentiellement à l’origine de l’émission de polluants (tabagisme, cuisine, bricolage, remplissage de réservoir de carburant, etc.) ; ce questionnaire portait sur cinq jours ouvrés, incluant les deux jours consécutifs de mesurage, en vue de déceler un éventuel biais comportemental occasionné par le port du matériel d’analyse.

TABLEAU 1. — Méthodes d’échantillonnage et d’analyse des polluants étudiés :

Voie de

Polluant

Type d’échantillonneur

Méthode de dosage prélèvement

Passive Tubes à diffusion de type Colorimétrie NO2 axial PASSAM® Passive Tubes à diffusion de type Chromatographie en phase BTXE radial RADIELLO® gazeuse Active Analyseur portatif Electrochimie CO automatique DRA ı GER® Passive Badge à diffusion Colorimétrie O3 PASSAM® Passive Tubes à diffusion de type Chromatographie en phase Aldé- radial RADIELLO® liquide à haute performance hydes Active Pompe GILAIR 5® et Gravimétrie PM2,5 Impacteur avec tête de coupure à 2,5 µm Polluants mesurés

Les méthodes d’échantillonnage et d’analyse des polluants retenus sont citées dans le tableau 1. Dans le cadre d’une précédente étude de faisabilité, des « procédures d’opérations standards » (POS) ont été testées et observées, notamment pour le recueil des échantillons, leur stockage, leur conservation et leur envoi au laboratoire d’analyse. Les échantillonneurs « passifs » utilisés avaient déjà montré leur fiabilité, par comparaison avec les méthodes « actives ». Leur faible encombrement et leur insonorité étaient également appréciables. Par ailleurs ce sont toujours les mêmes laboratoires qui ont effectué les mêmes analyses.

Les oxydes d’azote (NO ) se forment lors de toute combustion. NO est le plus x 2 dangereux. À l’extérieur ses principales sources sont liées au trafic automobile ainsi qu’aux foyers industriels et domestiques. À l’intérieur il est émis par les cuisinières à gaz ou à bois, les chauffe-eau, les poêles à bois ou à hydrocarbures, les cheminées à foyer ouvert, la combustion du tabac, etc. C’est un irritant des voies aériennes, voire des yeux, pouvant aggraver la maladie asthmatique ; l’exercice physique, en augmentant la fréquence respiratoire, peut majorer ses effets irritatifs. Après piégeage passif sur support imprégné de triéthanolamine, NO a été dosé par colorimétrie 2 consécutivement à une diazo-copulation.

Le benzène a encore quelques applications industrielles, comme solvant en particulier. Il est également ajouté à des carburants automobiles dans des proportions qui ne doivent pas dépasser 1 %. Il est présent dans l’aérosol tabagique. Il est bien connu pour ses propriétés leucémogènes et cancérogènes. Ses dérivés sont moins toxiques.

Après prélèvement passif sur cartouche de carbone graphité, une désorption thermique était faite à 320° C et le dosage des BTXE était réalisé par chromatographie gazeuse avec détection par ionisation de flamme.

Le monoxyde de carbone (CO) est un gaz incolore, inodore et sans saveur. Il se forme lors de la combustion incomplète de matières organiques, aussi bien à l’extérieur (circulation automobile) qu’à l’intérieur (fonctionnement défectueux d’appareils de chauffage ou de production d’eau chaude domestique, fumée de tabac, etc.). Il se fixe sur l’hémoglobine pour donner de la carboxyhémoglobine, incapable d’assurer la fonction respiratoire, et possède aussi une toxicité cardiovasculaire. Les intoxications qu’il détermine peuvent être mortelles. Les teneurs de l’air en CO ont été mesurées en continu grâce à un analyseur portatif automatique programmable, fonctionnant sur le principe de l’électrochimie, les données étant ensuite traitées au moyen d’un logiciel spécifique. Un seul détecteur est employé ; le mode d’enregistrement des données permet de connaître et l’exposition globale et celle correspondant à telle ou telle période que l’on voudrait isoler.

L’ ozone (O ), au niveau de la troposphère, est un polluant « secondaire », qui se 3 forme à partir de l’oxygène (O ) en présence de NO et de composés organiques 2 X volatils (COV), sous l’effet du rayonnement solaire, ce qui explique que ses concentrations atmosphériques soient plus fortes en été. Il se forme en périphérie des zones émettrices de polluants primaires et peut ensuite être transporté sur de grandes distances. Il intervient par ailleurs dans l’atmosphère pour oxyder NO en NO .

2 Depuis l’extérieur il peut pénétrer dans les locaux, d’autant plus intensément que les fenêtres sont ouvertes. C’est un irritant des voies respiratoires et des muqueuses (oculaires en particulier). L’ozone était prélevé par échantillonnage passif, au cours duquel il décomposait par oxydation le 1,2-di (4-pyridyl) éthylène (PDE) avec formation de pyridylaldéhyde. Celui-ci était ensuite dosé colorimétriquement après réaction avec la 3-méthyl-2-benzothiazolinone-hydrazine (MBTH). Les concentrations d’ozone dans l’air « intérieur » étant en général dépendantes de l’extérieur, seules l’exposition globale a été déterminée.

Trois aldéhydes , majoritaires sur une série de neuf, ont été retenus pour l’étude : le formaldéhyde, qui peut être relargué à partir de mobilier en bois aggloméré, d’isolants ou de revêtements pour lesquels des colles urée-formol ont été utilisées ;

l’acétaldéhyde, qui est présent notamment dans la fumée de tabac environnementale ; l’acroléine, qui peut être libérée par surchauffe des huiles et des graisses, voire à partir de certaines peintures acryliques, ou trouvée également dans les effluents automobiles et dans la fumée de tabac. Ces produits sont des irritants respiratoires.

Le formaldéhyde est un « agent cancérogène pour l’homme » (groupe 1 du Centre International de Recherche contre le Cancer : CIRC) ; l’acétaldéhyde est classé 2B (« agent potentiellement cancérogène ») ; quant à l’acroléine, sa cancérogénicité potentielle est peu documentée. Les aldéhydes ont été prélevés passivement sur cartouche de florisil imprégné de dinitrophénylhydrazine (DNPH) puis élués à l’acétonitrile et dosés par chromatographie liquide à haute performance avec détection UV.

Les particules fines (PM ) ont une origine ubiquitaire. Leur petite taille leur permet 2,5 de pénétrer jusqu’aux alvéoles pulmonaires. Elles peuvent être notamment le support de différents métaux et non-métaux et d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) , dont certains sont cancérogènes. Elles ont été mesurées par gravimé- trie à l’aide d’une microbalance, après récolte sur membrane en téflon par aspiration au moyen d’une pompe portable.

RÉSULTATS ET DISCUSSION

Données concernant les volontaires

Sur trente volontaires recrutés pour l’étude, il y avait quinze hommes et quinze femmes, d’une moyenne d’âge de trente-quatre ans, dont trois artisans, six cadres ou appartenant à des professions intellectuelles, deux employés, cinq ayant des professions intermédiaires, un retraité, deux sans activité et onze étudiants. Ils passaient la majeure partie de leur temps à l’intérieur de locaux, principalement à leur domicile (16 heures sur 24 en moyenne l’hiver et 14 heures sur 24 en moyenne l’été), ce qui se vérifie aussi avec les allemands (15,7 h en moyenne hiver comme été), les américains (15,6) et les canadiens (15,8) [6]. Le reste du temps était réparti entre les locaux de travail (4 et 6 h), les transports (2 h été comme hiver), d’autres lieux intérieurs (1 et 1 h) et l’extérieur (1 et 1h). Parmi les modes de transports utilisés la voiture arrivait en tête (44 % en hiver, 55 % en été) ; venaient ensuite la marche à pied (35 % été comme hiver), le métro (9 et 2 %), le bus (6 et 4 %) et les deux-roues (6 et 4 %).

Données concernant les polluants mesurés

L’ensemble des données de mesurage des polluants est présenté dans le tableau 2 .

Dioxyde d’azote

Dans le cadre de l’exposition individuelle globale, les teneurs de l’air en NO sont 2 relativement faibles et plus basses en été qu’en hiver. Elles sont du même ordre de grandeur que celles mesurées en Ile de France [7] et dans les autres villes de la présente enquête. Dans l’habitat les concentrations de NO sont également plus 2 faibles en été qu’en hiver ; en outre elles sont corrélées de façon significative à celles trouvées pour l’exposition globale.

Les concentrations de NO sont plus fortes dans les habitats équipés de cuisinières à 2 gaz que dans ceux pourvus d’un équipement électrique. Elles sont également plus importantes (exposition individuelle globale et habitat) chez les volontaires exposés à la fumée de tabac environnementale dans leur domicile. On peut aussi noter avec Saintot et al. [7] que la circulation automobile, à l’origine de la production de NO , 2 contribue à l’augmentation du NO à l’intérieur des domiciles proches d’un axe 2 routier.

TABLEAU 2. — Résultats des mesures (moyennes et intervalles minimum — maximum) en µg.m-3 (ppm pour le CO) :

Polluant

Exposition individuelle globale

Habitat

Eté

Hiver

Eté

Hiver

Dioxyde d’azote 32,9 45,1 30,5 44,2 (8,6-125,6) (0,3-80,7) (4,3-157,6) (3,6-54,5) 4,1 6,5 4,1 8,1 Benzène (2-11,3) (1,4-14,9) (<lq*- 10,6) (1,5-44,3) 16,1 37,5 16,0 32,6 Toluène (6,3-35,7) (8,2-80,0) (<lq-34,9) (4,1-120,1) 15,5 61,9 14,1 96,3 Xylènes (7,0-25,2) (7,1-493,9) (<lq-26,1) (6,9-1044,2) 3,6 11,2 3,3 16,7 Ethylbenzène (1,0-7,3) (1,6-82,7) (1,8-6,8) (1,6-169,9) 0,9 3,6 Monoxyde de carbone (<lq-3,9) (<lq-16,0) (ppm) 48,1 18,1 Ozone (19,7-127,2) (6,6-70,0) 3,0 0,5 3,0 0,9 Formaldéhyde (1,2-6,8) (0,1-21,3) (0,3-6,1) (0,1-2,9) 3,2 3,8 3,1 5,3 Acétaldéhyde (0,7-6,8) (<lq-20,8) (<lq-10,8) (0,1-23,3) 0,4 (<lq-1,5) 1,3 0,4 3,8 Acroléine (<lq-5,1) (<lq-0,9) (0,5-27,2) 86,8 21,2 41,7 80,7 Particules fines PM2,5 (14,7-219,1) (0,58-82,5) (<lq-175,3) (3,7-339,1) *lq : limite quantifiable Rappelons qu’au 1er Janvier 2010 l’objectif à atteindre pour NO dans l’air « exté- 2 rieur » sera de 40 µg.m-3 en moyenne annuelle.

Benzène

Les concentrations de benzène dans l’air varient selon la saison : elles sont plus élevées en hiver qu’en été (en moyenne 6,5 et 8,1 µg.m-3). La même constatation a été faite à Grenoble. Dans une étude menée à Rouen chez des parents et leurs enfants, Kouniali et al. [8] mettent en évidence des concentrations de benzène respectivement de 14,4 et 11,1 µg.m-3 au titre de l’exposition individuelle, donc au-dessus de 5 µg.m-3, valeur limite fixée pour l’air « extérieur » en moyenne annuelle, celle-ci
devant s’abaisser en tant qu’objectif de qualité à 2 µg.m-3. 47 % des volontaires sont exposés à des teneurs en benzène dépassant la valeur limite actuelle, 13 % à des concentrations supérieures à 10 µg.m-3 et 97 % à des niveaux supérieurs à 2 µg.m-3.

Gonzales-Flesca et al. [9] avaient déjà obtenu des résultats alarmants : 75 % des personnes testées étaient exposés à des niveaux supérieurs à 5 µg.m-3. L’examen des questionnaires BETA de la présente étude expliquerait la présence des teneurs en benzène supérieures à 10 µg.m-3 par l’intervention des combustions automobiles, du remplissage des réservoirs de carburant, du tabagisme passif, des travaux de peinture et des activités de ménage et de bricolage.

Les concentrations de benzène relevées pour l’exposition individuelle globale sont fortement corrélées avec les concentrations intérieures, les sources de benzène étant majoritairement « intérieures ».

L’exposition à ces niveaux relativement élevés de benzène dans l’air, en dehors de toute origine professionnelle, remet en exergue les risques sanitaires de ce composé, du fait notamment de son activité leucémogène et cancérogène.

Toluène

Il existe une différence hautement significative entre les saisons, aussi bien pour l’exposition individuelle globale que pour l’habitat, avec des valeurs plus élevées en hiver. Par ailleurs, les teneurs trouvées dans le cadre de l’exposition individuelle globale sont significativement corrélées aux teneurs mesurées dans l’habitat, quelle que soit la saison, traduisant là aussi l’origine principalement « intérieure » du toluène.

Xylènes et éthylbenzène

Les mêmes tendances sont notées pour ces composés avec prédominance de l’origine intérieure. Il faut aussi signaler qu’à des concentrations élevées en benzène (supérieures à 10 µg.m-3) correspondaient les teneurs les plus importantes en toluène, xylènes et éthylbenzène.

Monoxyde de carbone

Les moyennes sont significativement plus élevées en hiver qu’en été (respectivement 3,6 et 0,9 ppm). Elles sont relativement faibles et proches de celles mises en évidence par Georgoulis et al. (0,4 à 3,5 ppm) [10]. Le monoxyde de carbone étant un gaz très diffusible, il exerce ses méfaits essentiellement à l’intérieur des locaux. L’intoxication oxycarbonée demeure la principale cause d’accident domestique en France.

Dans la présente étude aucune concentration anormalement élevée en hiver ne s’est manifestée auprès des volontaires chez qui se trouvaient des appareils fonctionnant au gaz, entretien et réglage étant régulièrement assurés. Par contre, pour certains volontaires, les enregistrements obtenus avec le détecteur de CO montraient la présence de pics en été comme en hiver ; l’examen du questionnaire BETA a permis
de noter la correspondance de ces pics avec le temps passé dans l’habitacle d’un véhicule en marche ou avec une exposition à la fumée de tabac environnementale.

Ozone

Les concentrations moyennes ont été significativement plus élevées en été (48,1 µg.m-3) qu’en hiver (18,1 µg.m-3). Les mesures faites pendant la période chaude correspondaient pour certains volontaires à un épisode de canicule avec production importante d’ozone enregistrée par les stations fixes du réseau automatique AIRMARAIX. Pour l’une de ces personnes la concentration moyenne atteignait 127,2 µg.m-3, valeur supérieure à celle recommandée par l’OMS ([dH] 110 µg.m-3 en moyenne sur 8 heures). À la période chaude de l’année précédente, où l’ensoleillement et les températures extérieures étaient moindres, la moyenne se situait à 25,5 µg.m-3. Les concentrations moyennes hivernales (18,1 µg.m-3) traduisaient une exposition individuelle faible mais non négligeable ; elles étaient proches de celles mesurées en Ile de France en période froide (16,0 µg.m-3) par Saintot et al.

[7]. La présence d’ozone dans les atmosphères « intérieures » est due pour sa plus grande part aux transferts depuis l’extérieur.

Aldéhydes

Pour le formaldéhyde les concentrations moyennes étaient significativement plus élevées en été (3 µg.m-3) qu’en hiver (0,5 µg.m-3 et 0,9 µg.m-3). L’exposition individuelle globale était fortement corrélée aux concentrations intérieures. Les niveaux de formaldéhyde dans l’air ambiant et dans l’habitat étaient très inférieurs à celui recommandé à l’échelon européen : <100 µg.m-3 sur trente minutes.

Entre l’exposition individuelle globale et l’habitat les teneurs de l’air en acétaldéhyde étaient proches en été (moyennes respectives : 3,2 et 3,1 µg.m-3) et légèrement différentes en hiver (moyennes respectives : 3,8 et 5,3 µg.m-3). Aucune corrélation n’a été trouvée entre les concentrations de l’exposition individuelle et les mesures intérieures.

Les mêmes phénomènes se retrouvent pour l’ acroléine .

Les concentrations intérieures en formaldéhyde et acétaldéhyde sont nettement moins élevées que celles (respectivement 27,4 et 10,1 µg.m-3) retrouvées à Paris par Clarisse et al. [11] et celles dosées dans l’étude qui portait sur l’exposition au formaldéhyde de la population suédoise (22 µg.m-3) [12].

L’exposition au formaldéhyde et à l’acétaldéhyde est due à plus de 90 % à l’environnement intérieur et à plus de 60 % à l’habitat [13], confirmant l’existence de sources intérieures non négligeables. Les faibles teneurs en acroléine peuvent indiquer que les volontaires n’ont pas utilisé le mode de cuisson par friture, qui provoque le dégagement de ce composé par suite d’une décomposition thermique des graisses.

Aussi bien le formaldéhyde que l’acétaldéhyde doivent faire l’objet d’une vigilance accrue du fait de leur cancérogénicité.

Particules fines

Les teneurs en PM sont relativement élevées (moyennes supérieures à 20 µg.m-3) 2,5 et plus fortes en hiver qu’en été dans l’habitat, ce qui peut s’expliquer notamment par une aération moindre ou par une exposition plus importante à la fumée de tabac environnementale, comme l’indiquent les questionnaires BETA. La forte exposition individuelle aux PM pourrait s’expliquer par l’intervention de la FTE ou encore 2,5 par l’existence de travaux de construction ou de rénovation à proximité du lieu de travail. Les concentrations mesurées à Grenoble par Boudet et al. [14] étaient plus faibles en été qu’en hiver aussi bien pour l’exposition individuelle que pour l’habitat.

En outre, à l’inverse de Williams et al. [15, 16], la présente étude n’a décelé aucune corrélation entre les concentrations déterminées dans le cadre de l’exposition individuelle et celles obtenues dans l’habitat. Il semble que des facteurs divers, locaux, individuels, méthodologiques, etc. puissent être impliqués dans la variabilité des teneurs de l’air en PM .

2,5 CONCLUSION

L’étude présentée a permis de mettre en évidence l’exposition réelle d’une population urbaine à la pollution de l’air, notamment la part qui revient à l’habitat et d’une façon générale à l’intérieur des locaux, où nous passons le plus clair de notre temps.

Cette façon d’opérer est beaucoup plus représentative de la réalité que les seules mesures dans l’air « extérieur » pour évaluer les risques sanitaires qui peuvent se présenter. Les mesures personnalisées des polluants de l’air et leurs corrélations avec les questionnaires « Budget Espace — Temps — Activités » et « Cadre de vie » permettent d’identifier les principaux déterminants de l’exposition individuelle des volontaires recrutés : combustions d’origine automobile, fumée de tabac environnementale, cuisinières et appareils de chauffage au gaz, travaux de ménage et de bricolage, etc. Les mesures ont porté sur le dioxyde d’azote, le benzène et ses dérivés, le monoxyde de carbone, l’ozone, les aldéhydes et les particules PM , toxiques 2,5 respiratoires, cardiovasculaires, cancérogènes ou autres. Cette liste pourrait certes, comporter bien d’autres aérocontaminants susceptibles d’avoir, eux aussi, des effets délétères, du fait, notamment, de propriétés cumulatives, mais, pour des raisons pratiques de mise en œuvre des appareils de prélèvement et d’analyse, elle est forcément limitée à des polluants-tests. De plus le nécessaire volontariat des personnes à choisir pour de telles enquêtes peut parfois constituer un handicap. L’étude donne confirmation de l’impact des saisons et plus largement des conditions climatiques sur les variations de la pollution. Elle suscite aussi des actions de prévention rigoureuse contre des toxiques insidieux comme le benzène, dont l’élévation des concentrations est très alarmante. Elle implique une surveillance attentive de toute augmentation des teneurs en particules fines, sans négliger pour autant la toxicité des autres polluants mesurés. Les méthodologies analytiques sont également astreintes à des performances leur permettant de quantifier des produits, cancéro-
gènes ou autres, à l’échelon de la fraction de nanogramme, voire de picogramme. Par ailleurs les résultats ainsi obtenus devraient pouvoir être corrélés avec ceux concernant des biomarqueurs spécifiques, si tant est que ceux-ci existent et ne nécessitent pas de techniques de prélèvement trop invasives. Il est néanmoins possible, sans être utopique, d’envisager que dans un proche avenir, le recours à la modélisation fera progresser les études expologiques en limitant leur lourdeur de mise en œuvre et en diminuant leur coût.

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L’évaluation de l’exposition personnelle : comment faire et pour quoi faire.

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DISCUSSION

M. Roger NORDMANN

Vous avez relevé, à propos des transports automobiles, la relation entre l’élévation du monoxyde de carbone et les embouteillages. Ne conviendrait-il pas d’alerter la population (notamment celle de Paris) sur l’augmentation de la pollution (notamment par l’élévation du CO) qui résulte des travaux en cours destinés théoriquement à diminuer la circulation automobile, alors qu’ils favorisent considérablement les embouteillages (non seulement par leur présence mais par les restrictions qu’ils entraîneront une fois achevés) ?

Dans notre étude, nous avons en effet observé une augmentation du CO au cours des embouteillages, mais nous avons aussi enregistré des teneurs bien plus importantes dans l’habitat quand les appareils de chauffage fonctionnaient mal. En France, depuis 1981, les associations agrées de surveillance de la qualité de l’air ont pour mission de mesurer en continu et de façon automatique tous les quarts d’heure les principaux traceurs de la pollution de l’air (dont le CO) et d’informer chaque jour les populations ; en cas de dépassement des normes, des mesures d’urgence, établies dans les plans de protection de l’atmosphère de chaque région, sont prises pour abaisser les niveaux de pollution ; les parisiens sont donc informés sur la qualité de l’air.

M. Jean NATALI

Existe-t-il des différences observées selon les vents dominants, en raison des risques de pollution importants générés par la proximité d’installations industrielles de l’étang de Berre ?

Dans notre région, le vent favorise la dispersion des polluants de l’air, mais peut aussi entraîner le transfert des masses polluantes et la retombée de la pollution sur des sites où
il n’y a pas de sources locales ; ainsi des petites villes côtières peuvent subir ce phénomène.

M. Claude GIUDICELLI

Je voudrais savoir si vous avez observé des différences importantes entre les différentes villes et si vous avez pu, dans l’affirmative, retenir une cause particulière ?

Dans notre étude multicentrique, seuls les oxydes d’azote et les hydrocarbures mono aromatiques (benzène, toluène, éthylbenzène et xylènes) ont été pris en compte dans les quatre villes ; aucune différence importante n’a été observée ; les mêmes teneurs importantes, notamment en benzène ont été enregistrées dans les quatre villes. Par contre, pour le monoxyde de carbone, mesuré à Dunkerque, Lille et Marseille, des teneurs très importantes ont été observées dans certains habitats du Nord-Pas-de-Calais en raison du mauvais fonctionnement de chauffages d’appoint ; les pics de CO enregistrés à Marseille, moins élevés qu’à Dunkerque, étaient en relation avec les combustions automobile et tabagique.


* Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine. ** Professeur de Toxicologie, Faculté de Pharmacie, 27 Bd Jean Moulin, 13385 Marseille cedex 05. Tirés à part : Professeur Alain Viala, 7 rue du Portail, 13005 Marseille. Article reçu le 7 février 2006, accepté le 27 mars 2006

Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 1, 21-34, séance du 16 janvier 2007