Résumé
La question du risque éventuel sur la santé par exposition aux champs électriques et/ou magnétiques est devenue une préoccupation des scientifiques et un débat public important. Dans le présent travail nous avons réalisé une double approche, fondamentale et clinique. Sur le plan fondamental, des rats mâles Wistar ont été exposés à différentes intensités du champ magnétique (1, 10 et 100 µ T) avec un système fonctionnant selon le principe des bobines d’Helmholtz. Les animaux ont été divisés en deux groupes : l’un exposé pendant 12 heures (exposition aiguë) et l’autre pendant un mois à raison de 18 heures par jour (exposition chronique). L’exposition aiguë (12 heures) au champ magnétique n’entraîne une diminution du pic nocturne de la mélatonine sérique et de l’activité NAT qu’avec l’intensité la plus élevée (100 µ T). L’exposition chronique (un mois) au champ magnétique de 10 et 100 µ T entraîne une diminution du pic nocturne de la mélatonine sérique ainsi que de l’activité de la NAT. L’apparition d’un effet avec 10 µ T en exposition chronique est donc en rapport avec la durée d’exposition et peut correspondre à un effet cumulatif des champs magnétiques. Sur le plan clinique, une première étude a été réalisée sur 32 hommes volontaires âgés de 20 à 30 ans en bonne santé. Les sujets ont été divisés en deux groupes de 16 sujets chacun : un groupe étant exposé et l’autre constituant le groupe témoin non exposé. Deux modalités d’exposition de champ ont été utilisées, permanente et intermittente (10 µ T) pendant 9 heures. L’exposition nocturne des jeunes hommes à un champ magnétique de 50 Hz (10 µ T) pendant 9 heures n’a révélé aucun changement des profils circadiens de la mélatonine sérique et de la 6-sulfatoxymélatonine urinaire chez les sujets exposés par comparaison aux sujets témoins. Dans la dernière partie de ce travail, nous avons étudié le rythme circadien de la mélatonine chez 15 hommes travaillant au niveau de postes très haute tension exposés quotidiennement et sur une longue durée (1 à 20 ans) à un champ magnétique de 50 Hz (0,1 à plus de 0,3 µ T). Nous n’avons observé aucun effet sur la sécrétion de mélatonine (concentration et profil circadien) des travailleurs exposés chroniquement aux champs magnétiques. Ce travail montre clairement que l’hypothèse de la diminution de la sécrétion de mélatonine chez l’homme pour expliquer le lien potentiel, suggéré dans certaines études épidémiologiques, entre l’exposition à un champ magnétique de 50 Hz et l’incidence de maladies (dépression, cancer) ne peut être retenue.
Summary
The consequences of electromagnetic exposure on human health are receiving increasing scientific attention and have become the subject of a vigorous public debate. In the present study we evaluated the effects of magnetic field on pineal function in man and rat.Two groups of Wistar male rats were exposed to 50-Hz magnetic fields of either 1, 10 or 100 µ T. The first group was exposed for 12 hours and the second for 30 days (18 hours per day). Short-term exposure depressed both pineal NAT activity and nocturnal serum melatonin concentration but only with the highest intensity used (100 µ T). Long-term exposure to a magnetic field significantly depressed the nighttime peak of serum melatonin concentration and pineal NAT activity with 10 and 100 µ T. Our results show that sinusoidal magnetic fields altered the production of melatonin through an inhibition of pineal NAT activity. Both duration and intensity of exposure played an important role in this effect. In the second step of this study, thirty-two young men (20-30 years old) were divided into two groups (control group, i.e., sham-exposed : 16 subjects ; exposed group : 16 subjects). The subjects were exposed to the magnetic field from 23h to 08h (i.e. for 9h) while lying down. In one experiment the exposure was continuous, in the second one, the magnetic field was intermittent. No significant differences were observed between sham-exposed (control) and exposed men for serum melatonin and 6-sulfatoxymelatonin. In our last and more recent study, we looked for the circadian rhythm of melatonin in 15 men exposed chronically and daily for a period of 1-20 years, in the workplace and at home, to a 50 Hz (exposure 0.1 to > 0.3 µ T) magnetic field. The results are compared to those for 15 unexposed men who served as controls. Blood samples were taken hourly from 2000 to 0800. Nighttime urine was also collected and analyzed. This work shows that subjects exposed over a long period (up to 20 years) and on a daily basis to magnetic fields experienced no changes in their plasma melatonin level, their urinary 6-sulfatoxymelatonin level, or the circadian rhythm of melatonin. It thus clearly rebuts the ‘‘ melatonin hypothesis ’’ that a decrease in plasma melatonin concentration — or a disruption in its secretion — explains the occurrence of clinical disorders or cancers possibly related to magnetic fields.
Évaluation de l’effet des champs magnétiques (50 Hz) sur la sécrétion de mélatonine chez l’homme et le rat.
Étude circadienne
Assessment of the effects of magnetic fields (50 Hz) on melatonin secretion in humans and rats.
A circadian study
Yvan TOUITOU *, Brahim SELMAOUI*, Jacques LAMBROZO**, André AUZEBY*
Du fait de la diffusion des applications de l’électricité, notamment dans les pays industrialisés, l’exposition aux champs électriques et magnétiques générés par la production, le transport et la distribution de l’électricité (50-Hz en Europe, 60-Hz en
Amérique du Nord) est ubiquitaire. Ces champs se retrouvent dans la plupart des activités de la vie quotidienne avec les multiples récepteurs domestiques et dans tous les exemples d’application de l’énergie électrique (éclairage, chauffage, et les diverses autres applications domestiques de l’électricité). Il existe deux sources principales de champs magnétiques dans l’environnement, l’une naturelle, l’autre liée à l’activité humaine. Le champ naturel est le champ géomagnétique terrestre, appelé aussi champ statique car il ne varie pas avec le temps, qui mesure environ 30 à 60-70 microteslas et augmente avec la latitude. La seconde source, liée à l’activité humaine, est l’électricité dont l’utilisation est croissante dans le monde moderne.
La controverse sur les effets des champs électromagnétiques a été alimentée par un certain nombre d’études épidémiologiques qui ont considéré le lien potentiel entre l’exposition à un champ magnétique de 50-60 Hz et l’incidence de certains types de cancer, en particulier de leucémies [1-4] bien que ces résultats soient controversés [5-7]. D’autres études épidémiologiques ont rapporté un lien entre l’exposition aux champs et des troubles de l’humeur qui peuvent être importants et aller jusqu’à la dépression [8, 9]. Il faut cependant souligner qu’en raison des résultats très conflictuels de la littérature à ce sujet, aucune conclusion ferme ne peut être avancée sur l’effet délétère des champs électromagnétiques sur la santé. Cependant, ces études contradictoires ont largement contribué à alimenter le débat public sur le risque éventuel pour la santé de l’exposition à un champ de fréquence extrêmement basse, et par voie de conséquence entraîné une stimulation de la recherche scientifique à ce sujet. Ainsi un certain nombre de résultats expérimentaux suggèrent que les champs électromagnétiques de basse fréquence peuvent induire des effets sur les fonctions biologiques des rongeurs soumis à certaines conditions d’exposition. L’un des effets les plus constants rapportés chez l’animal est celui de la réduction du taux nocturne de mélatonine plasmatique, ce qui a incité certains auteurs à suggérer l’existence d’une « hypothèse de la mélatonine » pour expliquer les effets observés [10].
Après avoir brièvement exposé les caractéristiques de la sécrétion de mélatonine, nous rapportons ici notre contribution à l’exploration de l’effet des champs magné- tiques de très basse fréquence (50 Hz) sur la sécrétion de l’hormone. Nous avons abordé cette étude en trois étapes successives : d’abord, une étude expérimentale sur le rat soumis à une exposition aiguë et à une exposition chronique, puis une étude chez l’homme volontaire sain soumis à une exposition aiguë, enfin une étude que nous venons d’achever portant sur des travailleurs exposés chroniquement aux champs magnétiques.
CARACTÉRISTIQUES DE LA PRODUCTION DE MÉLATONINE
Métabolisme de l’hormone
La mélatonine (N-acétyl-5-méthoxytryptamine) est un composé indolique dérivé de la sérotonine. Elle est synthétisée dans la glande pinéale à partir d’un précurseur, le
tryptophane, qui est transformé en 5-hydroxytryptophane par la tryptophane hydroxylase puis en 5-hydroxytryptamine ou sérotonine grâce à l’action d’une décarboxylase (Fig. 1). La voie de synthèse à partir de la sérotonine nécessite la présence de deux enzymes, la N-acétyltransférase (NAT) qui est considérée comme l’enzyme-clé capable de contrôler la vitesse à laquelle la mélatonine est synthétisée, et l’hydroxyindole-O-méthyltransférase (HIOMT) [11].
La synthèse de la norépinéphrine (NE), élevée la nuit, est suivie par sa rapide libération. Une fois dans la fente synaptique, la NE interagit au niveau de la membrane du pinéalocyte avec les récepteurs β-adrénergiques et à un degré moindre avec les récepteurs α-adrénergiques. Les récepteurs β-adrénergiques transmettent le stimulus au système adénylate cyclase via les protéines stimulatrices liées aux nucléotides guanines (protéines Gs) ; il en résulte une augmentation intracellulaire en AMPc qui entraîne la synthèse de NAT, enzyme-clé [11].
Le catabolisme de la mélatonine est surtout hépatique. Elle y est 6-hydroxylée par une hydroxylase microsomale en composé biologiquement inactif avant d’être soit sulfo-conjuguée (70 à 80 %) soit glucuro-conjuguée (environ 5 %). L’élimination se fait par les fèces (20 %) et par les urines (70 %), essentiellement sous forme de glucuro- et sulfo-conjugués de la 6-hydroxymélatonine.
Rythme circadien et régulation de la sécrétion
Principale hormone sécrétée par la glande pinéale, l’une des caractéristiques de la mélatonine est sa sécrétion essentiellement nocturne avec un pic à 02 h quelle que soit l’espèce étudiée, diurne ou nocturne. Ce rythme circadien très marqué de l’hormone avec un maximum pendant la phase d’obscurité est généré par les noyaux suprachiasmatiques de l’hypothalamus et entraîné par l’alternance lumière / obscurité [11]. La glande pinéale est sensible à la lumière, partie du spectre électromagné- tique dont la longueur d’onde est comprise entre 730 et 400 nm, et il est maintenant établi que la lumière inhibe l’augmentation nocturne de mélatonine aussi bien chez l’animal de laboratoire (rat, hamster par exemple) que chez l’homme [12]. L’exposition à la lumière blanche d’environ 2 500 lux diminue considérablement les taux plasmatiques de mélatonine chez l’homme sain [12]. Le signal lumineux reçu par la rétine est transmis aux noyaux suprachiasmatiques de l’hypothalamus puis par des voies multisynaptiques complexes, au ganglion cervical supérieur qui lui-même envoie l’information à la glande pinéale [11]. La photopériode entraîne l’horloge endogène de l’organisme grâce au cycle lumière / obscurité de l’environnement. Les changements de photopériode modifient le rythme circadien de la mélatonine car la durée de sécrétion est proportionnelle à la longueur de la nuit ainsi qu’on peut l’observer lors du travail posté ou du changement rapide de fuseau horaire dans les décalages horaires liés aux vols transméridiens [11, 13].
Outre l’effet inhibiteur sur la sécrétion de mélatonine, la lumière est capable d’entraî- ner le rythme circadien de l’hormone de façon différente en fonction de l’heure d’exposition : l’exposition le jour avance la phase du rythme circadien, l’exposition
FIG. 1. — Représentation schématique du métabolisme de la mélatonine et de son contrôle.
en soirée retarde la phase circadienne. Cette courbe de réponse de phase a été mise à profit dans le traitement par la lumière des perturbations liées à une désynchronisation de l’organisme : décalage horaire lors de vols transméridiens, troubles du sommeil avec avance ou retard de phase, travail posté par exemple [13].
POURQUOI LA MÉLATONINE A-T-ELLE ÉTÉ SUSPECTÉE DE MÉDIER LES EFFETS DES CHAMPS MAGNÉTIQUES ?
La mélatonine est donc un transducteur du signal lumineux dont il faut rappeler qu’il est une forme du rayonnement électromagnétique, qui informe l’organisme sur la longueur du jour et de la nuit et permet ainsi à l’organisme de vivre en harmonie avec son environnement. Cette rythmicité est générée par les noyaux suprachiasmatiques de l’hypothalamus et entraînée par l’alternance lumière / obscurité. Mais la lumière étant la partie visible du spectre électromagnétique, on peut envisager que d’autres longueurs d’onde puissent aussi entraîner les mêmes effets d’inhibition de la sécrétion de mélatonine.
La recherche chez l’homme des effets éventuels des champs magnétiques sur la sécrétion de mélatonine est importante sur le plan de la santé publique et se justifie, parce que cette hormone est un marqueur des rythmes circadiens et que l’altération
FIG. 2. — Effets d’une exposition aiguë (12 heures) de rats à un champ magnétique sinusoïdal (50 Hz, 1 à 100 µT) sur la sécrétion de mélatonine et l’activité des enzymes de la glande pinéale.
de sa sécrétion (par exemple déplacement de phase et / ou amplitude réduite) est susceptible d’entraîner des désordres cliniques constitués de fatigue, de mauvaise qualité du sommeil et de l’humeur, de performances altérées et de dépression, tous ces signes étant rapportés à une désynchronisation des rythmes circadiens [14, 15].
Or un certain nombre d’études épidémiologiques ont rapporté la plupart de ces signes cliniques chez des sujets vivant ou travaillant dans un environnement exposé aux champs magnétiques [8, 9]. Un autre point de l’intérêt de l’étude de la mélatonine est lié aux études expérimentales montrant les propriétés oncostatiques de l’hormone [16-18], ce qui a entraîné certains auteurs à suggérer qu’une diminution de la sécrétion de mélatonine par les champs magnétiques pourrait être une des explications possibles des résultats épidémiologiques rapportés sur la relation entre champs magnétiques et cancer, suivant en cela l’hypothèse dite de la mélatonine formulée par Stevens [10].
EFFETS CHEZ LE RAT : EXPOSITION AIGUË ET CHRONIQUE
Exposition aiguë
Dans une première étape, le but de notre recherche a été de déterminer si l’exposition à un champ magnétique sinusoïdal de 50 Hz peut influencer la concentration de mélatonine plasmatique et l’activité des enzymes (NAT et HIOMT) de la glande pinéale chez le rat. Les effets de la durée de l’exposition et de son intensité ont été également recherchés.
Nous avons exposé des rats mâles Wistar âgés de 9 semaines à un champ magnétique sinusoïdal 50-Hz à trois intensités différentes : 1, 10 et 100 µT avec des durées d’exposition quotidienne également différentes. Deux groupes ont été constitués pour l’étude des effets comparés d’une exposition courte (12 heures d’exposition, de 14 h 00 à 02 h 00) et d’une exposition longue (18 heures d’exposition, de 14 h 00 à 08 h 00, pendant un mois). Chaque groupe a été soumis aux trois intensités (1, 10 et 100 µT). Pendant toute la durée de cette étude, les animaux ont été maintenus dans des conditions constantes et standards du cycle lumière / obscurité (12 : 12) avec une température de 25°C et une humidité relative de 45 à 50 %. Des animaux témoins ont été soumis à un environnement similaire mais sans exposition aux champs magnétiques. Les animaux ont été sacrifiés sous lumière rouge afin de ne pas perturber la sécrétion de mélatonine.
Nous avons montré que l’exposition aiguë à 1 et 10 µT n’entraîne aucun effet sur la sécrétion de mélatonine (Fig. 2 et 3). En revanche, l’exposition courte à 100 µT entraîne une diminution significative de 30 % de la concentration plasmatique de mélatonine et de 23 % de l’activité dans la pinéale de la NAT, l’enzyme clé de la synthèse. L’activité de l’enzyme terminale de la synthèse, l’HIOMT, n’est pas modifiée dans ces conditions. Nos résultats sur l’effet d’une exposition aiguë au champ magnétique corroborent ceux trouvés par d’autres auteurs sur la mélatonine [19].
FIG. 3. — Effets d’une exposition chronique (18 heures par jour pendant un mois) de rats à un champ magnétique sinusoïdal (50 Hz, 1 à 100 µT) sur la sécrétion de mélatonine et l’activité des enzymes de la glande pinéale.
Exposition chronique
Alors qu’une nuit d’exposition à 10 µT est inefficace sur la sécrétion de mélatonine chez le rat, nous avons observé qu’un mois d’exposition avec la même intensité entraînait une diminution de 42 % de la concentration plasmatique de la mélatonine et de 30 % de l’activité de la NAT. Quelles que soient l’intensité et la durée d’exposition, l’activité de HIOMT n’a pas été modifiée.
Ce travail nous a permis de souligner que, chez le rat, l’effet des champs magnétiques sur la sécrétion de mélatonine est lié à la fois à l’intensité et à la durée d’exposition.
Nous avons en effet obtenu une inhibition similaire de la sécrétion de mélatonine et de l’activité NAT avec une exposition chronique (un mois) à 10 µT et une exposition aiguë (une nuit) à 100 µT. De plus, le seuil de sensibilité aux champs magnétiques varie avec la durée d’exposition puisque l’exposition à 10 µT pendant une nuit n’entraîne pas d’effet sur la glande pinéale alors que la même intensité appliquée un mois entraîne une forte diminution de la sécrétion de mélatonine. Ces données suggèrent fortement un effet cumulatif des champs magnétiques sur la fonction de la glande pinéale [20].
EFFETS CHEZ L’HOMME : EXPOSITION AIGUË ET CHRONIQUE
Exposition aiguë
Les résultats obtenus chez le rat nous ont incités à étudier les effets des champs magnétiques chez l’homme. Nous avons dans un premier temps étudié les effets d’une exposition aiguë (9 heures) aux champs magnétiques de 50 Hz (10 µT) sur la sécrétion de mélatonine. Trente-deux jeunes hommes, volontaires sains, âgés de 20 à 30 ans, ont été divisés en deux groupes : un groupe témoin comprenant 16 sujets et un groupe exposé de 16 sujets. Aucun ne connaissait le statut de son exposition. Tous les sujets ont participé à deux expérimentations de 24 heures chacune, pour évaluer les effets de l’exposition continue puis de l’exposition intermittente aux champs magnétiques. L’expérience a duré deux mois. Les sujets ont été exposés de 23 h 00 à 08 h 00, pendant qu’ils étaient couchés, à un champ magnétique de 10 µT généré pour chaque lit par trois bobines rectangulaires fonctionnant conformément aux bobines d’Helmholtz. Le système d’exposition a été mis au point par les ingénieurs de la Direction des Etudes et Recherche d’EDF, d’après le modèle de Graham [21].
Une nuit correspond donc à une exposition continue et, un mois plus tard, la seconde nuit correspond à une exposition intermittente (50 Hz, 10 µT). L’exposition intermittente est réalisée une heure sur deux ; pendant l’heure d’exposition, il y a alternativement, toutes les 15 secondes, application d’un champ magnétique de 10 µT et absence de champ les 15 secondes suivantes. Les prélèvements sanguins ont été collectés à chaque session à 3 heures d’intervalle de 11 h 00 à 20 h 00 et toutes les heures de 22 h 00 à 08 h 00. Les urines ont été collectées toutes
FIG. 4. — Profils circadiens de la mélatonine sérique et de son métabolite urinaire, la 6-sulfatoxymélatonine, après 9 heures d’exposition continue ou intermittente chez l’homme sain.
‘ phase d’exposition.
FIG. 5. — Profils circadiens de la mélatonine sérique et élimination urinaire de la 6-sulfatoxymélatonine chez des travailleurs exposés chroniquement (1 à 20 ans) aux champs magné- tiques.
les 3 heures de 08 h 00 à 23 h 00 et une fois pour le recueil nocturne (de 23 h 00 à 08 h 00).
Nous avons observé que les taux de mélatonine plasmatique et de son métabolite urinaire, la 6-sulfatoxymélatonine, chez les volontaires sains exposés ne diffèrent pas de ceux des sujets contrôles appariés, ni dans la forme de la courbe ni dans les concentrations plasmatique ou urinaire. Cette étude indique donc qu’une exposition à un champ magnétique de 50 Hz (10 µT), qu’il soit continu ou intermittent, n’affecte pas la sécrétion de mélatonine chez l’homme [22].
Exposition chronique
La plupart des travaux publiés à ce jour correspondent à une exposition aiguë aux champs magnétiques de volontaires sains et ne trouvent pas d’effets sur la sécrétion de mélatonine [22-27]. Il est évidemment techniquement et éthiquement difficile d’exposer des volontaires sains à des champs magnétiques sur une longue durée et / ou avec une intensité importante. Il reste cependant possible qu’une exposition chronique aux champs magnétiques puisse affecter, chez l’homme, la sécrétion de mélatonine et / ou son rythme circadien. La seule approche expérimentale pour étudier l’effet d’une telle exposition chronique passe par l’étude de sujets exposés de façon continue dans le cadre de leur travail et / ou dans le cadre d’exposition résidentielle.
Nous avons pu réaliser une telle étude sur 30 hommes volontaires sains (15 sujets exposés et 15 sujets témoins) âgés de 40 ans. Les travailleurs exposés depuis 1 à 20 ans travaillaient dans des postes de très haute tension de la région parisienne dans le cadre de l’exploitation et de l’entretien des réseaux. Logés dans la station à proximité de leur poste de travail, leur exposition aux champs magnétiques avait donc lieu à la fois pendant leur temps de travail et dans leur vie quotidienne, dans leur logement.
La moyenne des expositions des travailleurs était comprise entre 0,1 et 2,6 µT (moyenne arithmétique = 0,5 µT) et 12,5 fois moins importante chez les sujets témoins (moyenne arithmétique = 0,04 µT). Les prélèvements sanguins effectués pour l’étude circadienne ont été réalisés au Centre d’Investigation Clinique (CIC) du Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière toutes les heures de 20 h 00 à 08 h 00 le jour suivant.
Nous n’avons observé aucune différence dans la sécrétion de mélatonine entre les sujets exposés de façon chronique (1 à 20 ans) aux champs magnétiques et les sujets témoins. Ni la courbe circadienne, ni la concentration plasmatique de l’hormone quelle que soit l’heure de prélèvement n’ont montré de différences entre les deux groupes de sujets. De la même manière, la concentration urinaire du métabolite urinaire de la mélatonine, la 6-sulfatoxymélatonine n’a pas été trouvée altérée chez les travailleurs exposés.
CONCLUSION
La présente étude portant sur des travailleurs exposés quotidiennement et pendant 1 à 20 ans au champ magnétique dans le cadre de leur travail et dans leur lieu d’habitation montre que cette exposition n’entraîne pas d’altérations de la sécrétion de mélatonine. Les signes cliniques (dépression, effet sur l’humeur, mauvaise qualité du sommeil, pathologies malignes, …) observés chez des personnes vivant ou travaillant au voisinage de lignes électriques ou de postes et rapportés dans certaines études épidémiologiques à l’exposition aux champs magnétiques, ne paraissent donc pas être liés à une perturbation de la sécrétion de mélatonine. Il est possible que la dissociation des effets observés chez l’animal par rapport à l’homme soit due à la fois à la configuration anatomique de la glande pinéale et au rythme principalement nocturne des rongeurs. Il est également possible que certains sujets soient plus sensibles au champ magnétique que d’autres, ce qu’il est difficile de mettre en évidence dans une étude cas — témoins car il existe, en termes de concentration plasmatique, une très grande variabilité interindividuelle de la sécrétion de mélatonine chez l’homme. Cette étude est à notre connaissance la première portant sur l’effet des champs magnétiques de très basse fréquence sur la sécrétion de mélatonine et l’élimination urinaire de la 6-sulfatoxymélatonine chez des sujets exposés chroniquement et sur une très longue durée (1 à 20 ans) dans le cadre de leur travail et de leur habitation. Elle réfute l’hypothèse dite de la mélatonine qui a été émise comme explication biologique des effets supposés des champs magnétiques sur la santé chez l’homme.
REMERCIEMENTS
Nous remercions les ingénieurs EDF, MM. B. Hutzler, J. M. Bailly, F. Deschamps, M. Fortin pour leur aide précieuse dans ce travail, et le professeur H. Brugère (Ecole Vétérinaire de Maisons-Alfort) qui nous a permis d’utiliser le système d’exposition des rats installé dans son laboratoire.
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[27] CRASSON M., BECKERS V., PEQUEUX C.H., CLAUSTRAT B., LEGROS J.J. — Daytime 50 Hz magnetic field exposure and plasma melatonin and urinary 6-sulfatoxymelatonin concentration profiles in humans. J Pineal Res , 2001, 31 , 234-241.
COMMENTAIRES et DISCUSSION
M. René MORNEX
L’approche sur l’animal montrant une diminution de la sécrétion ne paraît pas suffisante pour un effet sur le développement de tumeurs. En revanche, on pourrait imaginer qu’à travers la sécrétion épiphysaire, des modifications des rythmes sécrétoires comme ceux du cortisol, pourraient entraîner des troubles de l’humeur. Avez-vous mesuré la cortisolémie chez les rats en expérimentation ?
Nous n’avons pas mesuré les corticostéroïdes dans cette étude. En revanche, il a été montré que les troubles dépressifs s’accompagnent d’une diminution de la sécrétion nocturne de mélatonine et qu’un traitement antidépresseur entraîne un réajustement des taux en parallèle avec l’amendement des signes cliniques.
M. André AURENGO
Certaines études, chez le rongeur, ne montrent aucune diminution de la sécrétion nocturne de mélatonine. Comment expliquer de tels résultats si d’autres études montrent en revanche une diminution de 35 % du pic de mélatonine ? Compte tenu de leurs différences morphologiques, qui entraînent des courants induits d’intensité très différente en présence de champs magnétiques sinusoïdaux de même induction, comment comparer une exposition à 100 µ T chez le rat et 10 µ T chez l’homme ?
La majorité des études sur le rat montre une diminution de la sécrétion nocturne de mélatonine plasmatique. Nous avons montré que cette diminution était liée à une diminution de l’activité de la NAT, enzyme-clé de la synthèse de mélatonine. Il n’est pas question dans ce travail d’extrapoler les résultats obtenus chez le rat à l’homme. Cependant, je crois qu’il est intéressant de souligner qu’une exposition aiguë (10 µT pendant une nuit) du rat aux champs magnétiques sinusoïdaux n’entraîne pas d’effets sur la sécrétion de la mélatonine alors qu’une exposition chronique de 10 µT pendant un mois entraîne une diminution de la sécrétion de l’hormone, cette diminution étant également rapportée à une diminution parallèle de la NAT. Ces résultats, qui suggèrent un effet cumulatif des champs magnétiques chez le rat, nous ont incité à étudier chez des hommes volontaires sains les effets d’une exposition aiguë (10 µT, une nuit) et chronique (travailleurs exposés jusqu’à 20 ans).
M. Jacques EUZÉBY
Je voudrais évoquer la querelle qui a accueilli, voici quelques 20 années, les travaux d’un physicien bordelais, Priore, certains de ses travaux ayant concerné la trypanosomiase expérimentale de la souris à Trypanosoma equiperdum . On m’avait demandé de prendre part au contrôle de leurs résultats ; le comité de contrôle était présidé par le professeur Pautrizel. Les résultats ont été les suivants : 100 pour 100 de protection des souris infectées et exposées au champ magnétique. De plus, les souris ayant résisté à l’infection avaient contracté l’immunité à l’encontre de la réinfection.
Les résultats que vous rapportez sur la protection par les champs magnétiques des souris infectées par T. equiperdum s’ajoutent donc à d’autres effets positifs des champs magné- tiques décrits par certains auteurs sur la réparation des fractures et la cicatrisation des plaies, par exemple. Lors d’un congrès international tout récent sur les effets biologiques des champs magnétiques, quelques communications ont traité à nouveau de ces effets.
M. Maurice TUBIANA
Vous avez fait allusion à l’augmentation de la fréquence des leucémies chez des enfants exposés aux champs magnétiques. Il faut préciser que l’hypothèse d’une augmentation reste controversée, car les données ne permettent pas de détecter une augmentation significative de la fréquence des leucémies. Dans ces conditions, il est difficile de parler de risque relatif.
Le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) a classé les champs magné- tiques dans un groupe d’agents où les preuves pour affirmer le caractère cancérigène sont jugées limitées chez l’homme et insuffisantes chez l’animal, ce qui indique que d’autres explications et/ou des biais de sélection ne peuvent pas être éliminés, en l’absence de preuves convaincantes.
M. Jean CAUCHOIX
L’action des champs magnétiques pulsés sur l’ostéogenèse et en particulier sur la consolidation des fractures a été mise en évidence, dans les années 70, par Bassett, chirurgien orthopédiste à l’Université Colombia. Aucune série expérimentale en double insu n’a, à ma connaissance, prouvé cette action. Cependant, on ne peut qu’être troublé par des observations éparses de guérison quasi miraculeuses.
Des résultats bénéfiques ont été rapportés dans la littérature sur le traitement entre autres de l’ostéoporose et la consolidation des fractures selon un mécanisme d’action qui reste encore obscur. Il reste à valider ces résultats sur un nombre important de patients et avec les critères habituels des protocoles de recherche clinique.
M. Louis AUQUIER
La méthode de Bassett, utilisée aux Etats-Unis pour traiter par champ électromagnétique les retards de consolidation osseuse, comme le rappelle Jean Cauchoix, a été créditée de résultats favorables mais à condition d’appliquer l’appareillage pendant huit heures
par jour, ce qui est difficilement envisageable. A ma connaissance, il n’y a pas actuellement de résultats confirmés dans d’autres indications médicales (AUQUIER L. au nom d’un Groupe de travail. — Sur la valeur scientifique et les applications de la magnétothérapie. Bull. Acad. Natle Méd ., 1991, 175 , no 4, 595-601).
M. Roger NORDMANN
Je suppose que les effets éventuels des champs électromagnétiques ont été étudiés en microbiologie, en particulier sur le développement des bactéries en culture. Quels ont été les résultats de ces études ?
La multiplication cellulaire ne paraît pas affectée par les champs magnétiques. Ainsi l’ornithine décarboxylase, considérée comme témoin de la prolifération cellulaire, n’est pas augmentée en exposition continue. Par ailleurs, il n’y a pas d’effets génotoxiques rapportés dans les études récentes.
* Service de Biochimie Médicale et Biologie Moléculaire, Faculté de Médecine Pitié-Salpêtrière, 91 Bld de l’Hôpital — 75634 Paris cedex 13. ** Service des Etudes Médicales, EDF / GDF, 22 — 28 rue Joubert — 75009 Paris. Tirés-à-part : Professeur Yvan TOUITOU, à l’adresse ci-dessus. E-mail : touitou@ccr.jussieu.fr Article reçu le 19 juillet 2002, accepté le 30 septembre 2002.
Bull. Acad. Natle Méd., 2002, 186, n° 9, 1625-1641, séance du 10 décembre 2002