Résumé
Malgré une surveillance permanente et continue des diarrhées aiguës sur le territoire français assurée par les médecins généralistes du réseau Sentinelles de l’Inserm depuis 1991, et la mise en place de systèmes de surveillance similaires ou des études en médecine générale dans d’autres pays d’Europe, notamment aux Pays-Bas, en Autriche et au Royaume-Uni, force est de constater que leur étiologie reste encore largement méconnue. Si des études cas-témoins conduites avec une recherche de virus dans les selles ont permis d’identifier un virus dans 35 à 40 % des cas et chez un faible nombre de témoins, en faveur d’un rôle causal probable de quatre virus principalement retrouvés lors des épidémies (rotavirus, calicivirus, astrovirus et adénovirus), dans plus de 60 % des cas la cause de ces diarrhées aigües hivernales ou estivales reste inconnue. Le rôle de virus actuellement peu ou pas recherchés comme les torovirus, picobirnavirus, picornavirus ou entérovirus 22 mériterait d’être précisé. Des recherches restent donc à conduire, notamment visant à l’identification plus étendue d’agents pathogènes potentiellement responsables, qu’ils soient viraux, bactériens, fongiques ou parasitaires, avant de pouvoir espérer prévenir et contrôler de manière efficace ces épidémies récurrentes en Europe, qui concernent de larges segments de la population. En France environ trois millions de personnes consultent en moyenne chaque année leur médecin généraliste pour un épisode de diarrhée aiguë (ce sont des patients de tous âges, bien que plus souvent des enfants). Si pour l’immense majorité des cas leur évolution favorable est spontanée en quelques jours, le coût sanitaire, social et économique de ces épidémies d’ampleur nationale est très élevé et justifierait une politique de prévention et de lutte plus ambitieuse à l’échelle de l’Europe,.
Summary
Continuous surveillance of acute diarrhea in France has been conducted by Inserm’s sentinel network of general practitioners (GP) since 1991. Similar GP-based studies have been performed in the Netherlands, Austria and the UK. The causes of most cases of acute diarrhea are unclear. In case-control studies designed to identify viruses in stools, 35 to 40 % of cases and virtually none of the controls were positive for one of 4 major viruses (rotavirus, calicivirus, astrovirus and adenovirus). Thus, no viral cause was identified in more than 60 % of patients with acute diarrhea. The causative role of viruses such as torovirus, picobirnavirus, picornavirus and enterovirus 22 has rarely been investigated. Further investigations are needed to identify other viral, bacterial, fungal or parasitic causes of acute diarrhea. In France, on average, more than 3 million people (predominantly children) visit a GP for acute diarrhea each year. Most of these patients recover spontaneously within a few days, but the medical, social and economic costs of acute diarrhea are sufficiently high to justify a more aggressive public policy to prevent and control epidemics in Europe.
INTRODUCTION
Les gastroentérites n’ont pas fait l’objet de surveillance épidémiologique systématique avant 1991 en France et restaient peu investiguées en Europe. Lorsque la Direction Générale de la Santé a demandé au réseau Sentinelles de l’Inserm (qui existe depuis 1984) de surveiller les diarrhées aiguës sur le territoire national métropolitain, près de dix ans avant la création de l’Institut de Veille Sanitaire, l’épidémiologie de cette pathologie considérée comme essentiellement bénigne était largement méconnue. Progressivement cependant, se sont constituées des séries chronologiques, grâce aux notifications des médecins généralistes sentinelles du réseau, et rapidement elles ont fait apparaître un profil épidémiologique exprimant avec une grande régularité une épidémie hivernale d’ampleur nationale (d’une taille de 1,5 million de cas en moyenne, consultant leur généraliste pour un épisode de diarrhée aiguë, quelle qu’en soit l’origine), et une épidémie de taille plus modeste durant les mois d’été. Un niveau endémique le reste de l’année était aussi enregistré, et un total de trois millions de cas de consultations des médecins généralistes, était ainsi estimé, en moyenne chaque année, en France [1].
L’observation du phénomène peu décrit jusqu’alors en Europe a conduit à la génération d’hypothèses concernant l’origine de ces gastroentérites, notamment durant les deux périodes épidémiques les plus marquées (hiver et été). Initialement, les premières enquêtes épidémiologiques utilisant une méthodologie de type castémoins, se sont mises en place en l’absence de confirmation microbiologique, générant de nouvelles hypothèses plus précises, notamment d’une origine virale probable des épidémies hivernales. De nouvelles enquêtes cas-témoins avec recherche de virus dans les selles ont alors été conduites, en France comme aux Pays-Bas, permettant l’identification d’agents causaux et la quantification de leur part attribuable. Enfin, une épidémiologie moléculaire plus fine, a permis la typologie des souches virales identifiées et d’en faire la phylogénie. Les travaux publiés à ce sujet montrent d’une part que seules 35 à 40 % des gastroentérites ont une étiologie virale confirmée (rotavirus, calicivirus, adénovirus et astrovirus), et qu’il convient d’autre part de mettre en œuvre des recherches plus approfondies pour déterminer l’étiologie de 60 % des cas pour lesquels aucune étiologie n’a été retrouvée. Seule une observation rigoureuse et la plus exhaustive possible permettra de mieux comprendre l’épidémiologie des gastroentérites aiguës en Europe, et d’éventuellement proposer des moyens de prévention et de lutte qu’il conviendra d’évaluer.
Une épidémiologie de terrain, menée par les médecins généralistes
En France, le réseau Sentinelles [2] regroupait (au 1er janvier 2010) 1 323 médecins généralistes (volontaires et bénévoles dans cette activité) qui suivent un protocole de surveillance épidémiologique standardisé concernant dix indicateurs de santé, dont les diarrhées aiguës. Un cas de diarrhée aiguë est défini comme au moins trois selles liquides ou molles par jour datant de moins de quatorze jours motivant la consultation. Pour chaque cas, des renseignements concernant l’âge et le sexe sont demandés. Ces données recueillies en permanence sont ensuite redistribuées sur le site internet du réseau après une analyse automatisée et un contrôle qualité impliquant un embargo jusqu’au lundi suivant chaque déclaration, avant publication le mardi matin sur le site d’accès public. L’ensemble de la base de données concernant les pathologies surveillées est accessible en ligne et libre de tous droits d’accès. Une expertise épidémiologique est apportée par l’unité mixte de recherche (UMR-S 707, associant l’Inserm et l’Université Pierre et Marie Curie), notamment, dans le cas des gastroentérites, par la mise en ligne, réactualisée chaque semaine, de prévisions épidémiologiques régionales et nationales valables pour trois semaines, et d’estimations de la taille des épidémies par région et pour le pays (France métropolitaine).
Un système de détection précoce des épidémies est également en veille permanente et permet d’alerter les autorités sanitaires et le public à l’approche des vagues épidémiques.
Fig. 1. — (source [2] : Réseau Sentinelles, Inserm-UPMC UMR-S 707)
Sentinelles, une plateforme pour tester des hypothèses
Après quelques années d’observation de la série chronologique, la récurrence épidémique d’ampleur nationale jamais quantifiée jusque là, son impact sur l’activité hivernale des médecins sentinelles, ont généré un certain nombre d’hypothèses que la plateforme constituée par ce réseau de recherche clinique en médecine de ville permettait d’envisager de tester. L’absence de cohérence de phase des épidémies de diarrhées aiguës avec les épidémies de grippe permettait de rejeter rapidement l’hypothèse de « grippes intestinales » initialement évoquées. En effet, les épidémies de grippe surviennent aussi chaque année, entre l’automne et le début du printemps, mais elles sont d’une durée plus longue et leur démarrage, pic et fin sont distincts, dans la plupart des saisons, de ceux des diarrhées aiguës.
La survenue fréquente au moment des fêtes de fin d’année pouvait laisser envisager une hypothèse alimentaire, notamment associée à la consommation de coquillages crus, importante en France à cette période de l’année. Une étude a été conduite auprès de 568 paires de cas et de témoins au moment d’une épidémie hivernale, sans prélèvements bactériologiques [3]. Elle a permis de rejeter cette hypothèse, les cas, comme les témoins avaient en effet consommé, pour environ 30 % d’entre eux, mais à égale proportion entre les deux groupes, des coquillages crus durant la semaine précédant la survenue des symptômes. De même le rôle de la consommation d’eau du robinet a pu être écarté. En revanche, la rapidité de survenue des symptômes, la notion de contage familial ou dans l’entourage professionnel, et la distribution d’âge à prédominance juvénile et infantile ont été autant de facteurs suggérant une hypothèse de contamination d’origine virale, qu’il restait à vérifier.
Vers une épidémiologie virale et moléculaire
Une étude a alors été conduite en collaboration avec l’équipe de Pierre Pothier et Elisabeth Kohli (Dijon), toujours avec les médecins volontaires du réseau Sentinelles, auprès de 161 de leurs cas et 45 témoins [4] durant l’épidémie hivernale de 2001.
Elle a permis d’identifier le rôle de quatre familles de virus entériques chez 39 % des cas : calicivirus (Norwalk-like et Saporo-like) par RT-PCR, 19 % des prélèvements des cas ; rotavirus (A, C) par Elisa, 17 %, astrovirus et adénovirus par Elisa (3 %).
Trois témoins ont été retrouvés positifs (deux rotavirus et un astrovirus). Cette étude, réalisée par la même équipe mais portant sur une série de patients distincte de la précédente, a aussi permis de confirmer l’absence de rôle détectable des coquillages dans ces épidémies hivernales récurrentes. La distribution par classe d’âge des cas montre que les enfants de moins de trois ans sont plus souvent atteints que les autres classes d’âge et plus souvent par les calicivirus et les rotavirus (à peu près à égalité de fréquence). Les plus de 65 ans étaient plus souvent atteints par les rotavirus, puis les calicivirus dans cette série.
L’inférence de causalité est l’opération sans doute la plus difficile à conduire dans les sciences de la vie, car il n’est jamais certain qu’une association statistique observée en épidémiologie soit de nature causale. Dans les selles des cas, de nombreux E.coli auraient pu être identifiés et mentionnés, ils n’auraient pas pour autant signé la cause de ces syndromes. Alors pourquoi l’identification du calicivirus ou du rotavirus signerait-elle davantage la relation causale avec les signes de gastro-entérites dans les études que nous avons citées ? L’enquête cas-témoins permet certes de disposer d’un argument supplémentaire en faveur de la causalité, notamment la valeur de l’ odds-ratio , mesure qui approche le risque relatif et qui estime ainsi la force de l’association retrouvée (comme le fait le coefficient de corrélation pour les variables continues). La répétition des associations est un autre argument en faveur de la causalité. Ainsi une étude portant sur 438 enfants hospitalisés à Rouen pour gastroentérites [5] a montré que chez 138 (32 %) d’entre eux, un virus avait été identifié dans les selles : rotavirus (17 %), calicivirus (7 %), astrovirus (7 %), adénovirus (0,7 %). Une autre étude réalisée auprès de 2 846 enfants atteints de gastroentérites a permis de retrouver un rotavirus dans 41 % des cas. Une étude conduite entre octobre 1999 et août 2001 par le réseau Sentinelles de l’Inserm avec la collaboration d’Ifremer, auprès de quarante-deux médecins généralistes localisés dans sept communes du Golfe du Morbihan a permis de montrer auprès de 119 cas et vingt-cinq témoins, une identification de virus chez 45 cas (et trois témoins), dont 12 rotavirus (un témoin), 29 calicivirus (deux témoins), 1 astrovirus et 3 adénovirus (aucun témoin) [Chikhi-Brachet R., communication personnelle ]. Mais il faut garder à l’esprit que seule l’expérimentation (dénommée parfois dans ce cadre par l’anglicisme « challenge »), ici peu éthique à envisager, permettrait de signer la relation causale.
Sur le plan moléculaire, le séquençage de 31 souches de calicivirus [4] a permis de montrer la grande diversité des souches au sein même d’une épidémie d’une même saison survenant en France métropolitaine. Pour des raisons que l’on ignore encore, l’activité de multiples souches virales, de différentes familles de virus entériques entrent « en phase » dans le déclenchement d’une épidémie de gastroentérites virales (pour une part au moins) qui prend une ampleur nationale (aucune région ne semblant épargnée durant une période relativement courte, généralement de l’ordre de quatre à six semaines, selon les données du réseau Sentinelles).
La confirmation en Europe des constatations faites en France
Dans les autres pays européens, à notre connaissance, seuls la France et le Royaume Uni ont mis en place une surveillance pérenne des diarrhées aiguës. Au Royaume Uni, les « maladies infectieuses intestinales » sont surveillées sur un rythme mensuel par le Royal College of General Practitioners depuis 1967. Le dernier bilan (2009) publié en ligne sur le site du RCGP [6] montre une forte diminution de l’incidence de ces pathologies, depuis les vingt dernières années de surveillance. C’est à notre connaissance la seule série remontant aussi loin dans le temps et disponible en Europe, et la seule source montrant une telle baisse séculaire de l’incidence des maladies infectieuses intestinales. En France, si une tendance devait être discutée, ce serait plutôt une tendance opposée, c’est-à-dire une augmentation séculaire depuis 1991 (voir Figure 1), mais la comparaison des surveillances est rendue difficile entre les deux pays du fait de l’absence de définition de cas proposée par les médecins généralistes britanniques dans leur système de surveillance. En Angleterre, une étude a été menée entre 1993 et 1996 auprès de 9 776 personnes incluses parallèlement en médecine générale et en population. Chaque année de l’enquête 20 % de la population anglaise a présenté un épisode d’infection intestinale, les médecins généralistes étant consultés une fois sur six dans ces situations (soit 1,5 million de cas vus en médecine générale britannique). Une étiologie (bactérie, virus, parasite) n’a été retrouvée que chez 24 % des 1 262 cas prélevés. Les bactéries (18 %) étaient la première cause retrouvée (campylobacter et salmonella), les rotavirus représentaient 2 % des prélèvements, les autres virus entériques étaient très rarement identifiés (0,5 %) [7]. D’autres études menées sur des périodes transitoires, en Autriche ou aux Pays-Bas par exemple, ont montré des résultats épidémiologiques proches de ceux retrouvés en France métropolitaine : double pic épidémique (important en hiver et plus modeste en été), incidence maximale chez le petit enfant et prédominance parmi les étiologies identifiées des agents viraux, en particulier les calicivirus.
Ainsi aux Pays-Bas, où entre 1996 et 1999, tous les 2 553 patients d’une étude [8, 9] ayant consulté leur médecin généraliste pour un épisode de gastro-entérite ont été notifiés à un registre national. Ils ont été invités à participer à une enquête castémoins, avec un nombre équivalent de patients ayant consulté pour des symptômes non intestinaux (constituant le groupe de témoins). Un pathogène a pu être identifié chez environ 40 % des 888 cas ayant accepté de participer à l’enquête (une bactérie dans 16 %, un virus dans 15 %, et un parasite dans 8 %). Des rotavirus (5 %) et des calicivirus (5 %) ont été identifiés dans des proportions similaires (pour un portage chez les témoins de l’ordre de 1 % pour chacun des deux virus). L’analyse n’a montré qu’une très faible diminution de l’incidence des gastroentérites aux Pays-Bas par rapport à la période 1992-93 durant laquelle un registre avait également fonctionné. L’étude conduite en Autriche est d’ampleur plus limitée [10] : elle concerne un village de six mille habitants suivis systématiquement en 2007 par trois médecins généralistes. Des pathogènes ont été identifiés chez 23 % des 306 patients consultant pour gastroentérite. Des virus ont été détectés chez 14 % de ces patients : calicivirus (8 %), rotavirus (4 %). Ainsi, dans l’ensemble de ces études, une forte proportion (60 à 75 % selon les séries rapportées) des prélèvements de selles lors de diarrhées aiguës restent d’étiologie inconnue. Le rôle de virus qui sont actuellement peu — ou ne sont pas — recherchés comme les torovirus, picobirnavirus, picornavirus ou entérovirus 22 mériterait d’être précisé.
L’arrivée d’un vaccin contre le rotavirus
La perspective de la commercialisation (mis sur le marché en Europe en 2006) de vaccins contre les infections à rotavirus a entraîné la publication de nombreux travaux ces dernières années, visant à préciser l’impact de ces infections sur l’état de santé des enfants de nombreux pays. En France, les gastro-entérites à rotavirus sont une cause importante de morbidité chez les jeunes enfants (surtout avant deux ans).
Elles sont à l’origine d’un recours important au système de soins (consultations de ville et dans les services d’urgence, hospitalisations). Mais elles entraînent rarement de séquelles et le taux de mortalité qui leur est attribué est faible. Les données du Réseau Sentinelles ont permis d’estimer l’incidence des consultations de médecins généralistes pour diarrhées aiguës entre 750 000 et 900 000 par an, pour les enfants de moins de cinq ans (entre 200 000 et 350 000 pendant l’épidémie hivernale) [11].
Des analyses virologiques menées avec ces mêmes médecins généralistes ont montré que le rotavirus était retrouvé dans les selles de 27,3 % des patients de moins de trois ans, une proportion voisine de celle des calicivirus dans cette classe d’âge (29,5 %) [4]. En 2005, le taux brut de mortalité des infections à rotavirus était estimé à 2,1 pour 100 000 enfants de moins d’un an, en France [12]. Il existe une grande variabilité spatio-temporelle de la distribution des génotypes des souches de rotavirus circulants. Par ailleurs, des génotypes G inhabituels émergent dans quelques régions du monde, notamment dans les régions tropicales, et semblent être dans certains cas des rotavirus d’origine animale qui ont pu être transmis à l’homme, soit par transmission inter-espèces, notamment chez les animaux vivant étroitement avec l’homme, soit à la suite de réassortiments viraux homme-animal (bovin, canin, caprin, félin, lapin, porcin, simien) [13].
L’impact médico-économique des gastro-entérites est peu évalué mais semble important
L’impact médico-économique des gastroentérites aiguës n’a été mesuré en France que pour les infections à rotavirus. Si l’on retient l’hypothèse que dans la population des moins de cinq ans, l’infection à rotavirus serait responsable annuellement en France de 296 500 épisodes de diarrhée aiguë par an en France, 131 200 consultations, 19 200 hospitalisations et 13 décès, les coûts directs liés au rotavirus seraient estimés à 44 millions d’euros [11]. On ne dispose pas, à notre connaissance d’autres données sur l’impact médico-économique des gastroentérites virales en dehors de ce cadre des infections à rotavirus de l’enfant.
De multiples sources de contamination
La voie oro-fécale est la plus souvent incriminée dans la transmission des virus responsables des gastroentérites virales. Toutefois, la possibilité de transmission par des surfaces contaminées d’une part, et par la voie respiratoire d’autre part, a été évoquée. Cette dernière pourrait avoir un rôle significatif dans la dissémination virale et expliquer la grande ampleur des épidémies hivernales [14]. Ainsi, la présence de calicivirus dans des aérosols accompagnant les vomissements de sujets malades a été mise en évidence. De même, l’ARN de rotavirus a été retrouvé dans l’air des chambres hébergeant des enfants hospitalisés pour une infection à rotavirus. Un portage digestif de rotavirus a été constaté jusqu’à deux jours avant l’apparition des symptômes et un portage asymptomatique subséquent n’est pas exceptionnel (comme l’ont suggérées les enquêtes cas-témoins citées ci-dessus).
L’excrétion fécale du rotavirus persiste quatre jours en moyenne après la fin des symptômes, cette durée pouvant atteindre trente jours chez des sujets immunodé- primés. Les virus responsables des gastroentérites virales sont particulièrement résistants, pouvant subsister plusieurs semaines dans l’environnement. Toutes ces caractéristiques, si elles n’expliquent pas leurs mécanismes d’émergence, concourent à la très bonne capacité de ces virus à générer chaque année des épidémies de grande ampleur.
Quel rôle pour les solutions hydro-alcooliques dans la prévention ?
Plusieurs travaux ont évalué l’efficacité des solutions hydro-alcooliques dans l’inactivation des virus responsables des gastroentérites virales. Si l’inactivation est satisfaisante pour le rotavirus, c’est moins souvent le cas pour les autres virus non enveloppés tels que les calicivirus, incitant les fabricants de solutions antiseptiques à optimiser la composition de leurs produits [15-17]. Ces données expérimentales ne remplacent cependant pas les données d’efficacité menées sur le terrain. Ainsi, une étude pilote menée récemment dans deux écoles primaires en France a permis de mettre en évidence, dans l’école où a été mis en place l’usage de solutions hydroalcooliques sous la supervision des enseignants, une réduction significative de l’incidence des gastroentérites et, en conséquence, de l’absentéisme scolaire, des consultations médicales et des arrêts de travail des parents, comparativement à l’école où un simple lavage des mains était recommandé aux enfants après l’usage des toilettes [18]. Ces données incitent à poursuivre les travaux pour valider à une plus large échelle la stratégie d’utilisation des solutions hydro-alcooliques en particulier dans les écoles, mais aussi dans les autres cadres où la transmission virale est possible au sein de la population.
CONCLUSION
Les gastroentérites reconnues (au Royaume Uni) pour concerner 20 % de la population générale chaque année, représentent malgré la bénignité habituelle de leur présentation clinique dans les pays développés, un fardeau sanitaire et économique qui reste élevé en raison de la consommation médicale qu’elle génère (avec en moyenne trois millions de visites chez le médecin généraliste rapportées en France chaque année), et des coûts indirects encore peu évalués à ce jour mais probablement non négligeables également. Ces pathologies présentent un profil épidémiologique endémo-épidémique, avec une épidémie de grande ampleur identifiée chaque année en hiver en France et sans doute en Europe (qui ne dispose cependant pas d’un système analogue au système de surveillance sentinelle français). Malgré cela, elles ont fait l’objet d’assez peu de recherches étiologiques. L’ensemble des causes des gastroentérites identifiées à ce jour représentent en effet moins de la moitié des cas rapportés, et souvent moins du quart selon les séries. Les origines virales sont prédominantes parmi les causes identifiées, avec une proportion à peu près équiva- lente de rotavirus et de calicivirus. Mais ces deux familles de virus entériques restent très minoritaires dans l’étiologie de l’ensemble des gastroentérites aiguës en Europe.
Les vaccins disponibles aujourd’hui ne concernent que le rotavirus et donc leur utilisation ne fera probablement pas diminuer significativement la taille des épidé- mies observées, ni leur impact médico-économique, s’ils peuvent contribuer à le limiter. En dehors de ces vaccins ciblés, il n’existe pas de traitements autres que symptomatiques, et aucun d’eux n’a pas réellement fait la preuve de son utilité dans les stratégies de prévention et de contrôle de ces épidémies. Il en est de même pour l’utilisation des solutés hydro-alcooliques ou du simple lavage des mains avec du savon. Il reste encore trop de lacunes concernant la connaissance de ces infections fréquentes et souvent bénignes qui n’ont jamais suscité les efforts de recherche que les pathologies plus lourdes et plus rares ont su générer dans le passé. On ignore aujourd’hui la majeure partie des étiologies des gastroentérites comme nous l’avons répété, mais on ignore aussi la part respective des différents modes de transmission des différents agents, même lorsqu’ils sont identifiés. On dispose de faibles niveaux de preuve concernant l’efficacité des moyens de prévention et de contrôle de ces épidémies dans les pays européens, et l’on ne dispose pas encore d’une évaluation médico-économique complète et précise sur le sujet dans aucun des pays européens.
Tous ces éléments sont encore peu ou mal renseignés, et, comme les infections virales respiratoires, les infections virales digestives communautaires mériteraient de plus importants investissements en termes de recherche, si l’on veut espérer un jour mieux les connaître et mieux les maîtriser.
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DISCUSSION
M. Jean-Daniel SRAER
Quelle est la part respective des bactéries ou des virus sur les gastro-entérites ? Quelles sont les preuves expérimentales (autres que gastrostatistiques) comme cause des gastroentérites ?
Les preuves d’une relation de cause à effet entre ces virus et les gastroentérites autres qu’épidémiologiques sont — les infections expérimentales chez l’animal (rotavirus) ou chez l’homme (rotavirus et norovirus) et — l’existence, pour les rotavirus, d’une protéine non structurale — NSP4 — qui se comporte comme une entérotoxine.
M. André VACHERON
Dans les tableaux cliniques des gastro-entérites virales, il y a des formes graves, parfois mortelles. Sont-elles dues à la seule déshydratation, ou à des toxines particulières pouvant entraîner collapsus et arrêt cardiaque ?
Les formes graves sont essentiellement dues à la déshydratation.
M. Pierre GODEAU
Quel est le message à faire passer au médecin généraliste ? En dehors des études épidémiologiques s’appuyant sur les réseaux de surveillance, y-a-t-il ou non intérêt à faire une recherche de virus au cours d’une diarrhée aiguë ? Et si oui, à partir de combien de jours d’évolution ? Doit-on faire auparavant une coproculture systématique pour éliminer une cause bactérienne ?
Les études épidémiologiques sont faites pour définir la place des virus dans l’étiologie des gastroentérites et en déduire des démarches diagnostiques. Ainsi, elles démontrent que les gastroentérites hivernales sont avant tout d’origine virale. L’attitude logique qui devrait en découler serait de ne plus prescrire systématiquement ou en première intention une coproculture. Cela remet en cause des réflexes acquis. (Ces études épidémiologiques, outre leur intérêt scientifique, ont donc également un intérêt pédagogique, et économique car les coprocultures réalisées dans ce contexte sont inutiles) . Pour ce qui est des gastroentérites d’origine alimentaire, le contexte clinique et épidémiologique doit être pris en compte lors de la prescription des coprocultures. Souvent, ces gastroentérites appelées aussi « cas groupés » ou « intoxication alimentaire » sont d’origine virale — essentiellement les norovirus. Malheureusement cette recherche n’est pas pratiquée en première intention et le diagnostic étiologique ne peut pas être fait avec certitude. Enfin, les gastroentérites survenant dans les établissements de long séjour ou pour personnes âgées posent un problème de prise en charge et de prévention. Elles sont essentiellement dues aux norovirus, un diagnostic rapide « au lit du malade », similaire à celui dont on dispose pour le diagnostic de la grippe, permettrait une réactivité plus rapide indispensable pour la prévention de la diffusion de l’épidémie dans l’établissement. A ce jour, les moyens de diagnostic rapide pour les norovirus sont malheureusement peu performants.
M. Jean-Roger LE GALL
En réanimation, nous recevons souvent des patients provenant de pays à l’hygiène imparfaite (comme certains pays d’Amérique du Sud). Ils sont en choc hypovoliémique, ayant une diarrhée profuse, une fièvre supérieure à 40°. Les symptomes régressent de façon spectaculaire sous Oflocet. Quelle en est l’étiologie, (association salmonelle-virus ou Ecoli résistant avec ou sans virus) ?
Les rotavirus, les norovirus et plus généralement les virus connus pour être responsables de gastroentérites ne sont pas sensibles à l’Oflocet. Les tableaux décrits sont probablement liés à une infection bactérienne.
M. Charles-Joël MENKÈS
Les formes avec vomissements sont-elles liées à un type particulier de virus ?
Les norovirus entraînent plus fréquemment des vomissements que les rotavirus. Les vomissements peuvent d’ailleurs être le seul symptôme de l’infection.
Bull. Acad. Natle Méd., 2010, 194, no 8, 1415-1425, séance du 9 novembre 2010