Éloge
Session of 29 mai 2012

Éloge de Pierre Juillet (1922-2009)

Claude-Pierre Giudicelli *

Summary

Éloge de Pierre Juillet (1922-2009)

Claude-Pierre GIUDICELLI *

Je suis très honoré de prononcer l’éloge du médecin général inspecteur Pierre Juillet qui assuma les plus hautes responsabilités du Corps dans lequel j’ai eu le bonheur de servir.

Cette circonstance m’a permis de découvrir chez cet homme, qui m’inspirait un profond respect et qui m’impressionnait par son air sévère, des qualités fondamentales de rigueur intellectuelle, de souci permanent de l’éthique médicale et de fidélité absolue dans ses sentiments.

Le médecin général inspecteur Juillet est né à Grenoble le 16 octobre 1922. Très brillant, il obtient le baccalauréat à 16 ans, il est major du concours de l’externat, nommé interne dès la troisième année de médecine. Il échappe au service du travail obligatoire en Allemagne grâce à une allégation de pleurésie tuberculeuse. Bien qu’il ne soit pas issu d’une famille de militaires, il décide alors de se présenter au concours d’entrée à l’École du Service de santé militaire de Lyon. Nous sommes en 1943 et cette option l’honore car, a-t-il dit, « elle est le fruit d’une pulsion patriotique ». La direction de l’École l’autorise à poursuivre ses études à Grenoble et cela lui permet de participer très activement à la Résistance en effectuant de nombreux transports de matériels et de médicaments à travers les barrages allemands. Il participe ensuite à la campagne des Alpes en qualité de médecin-sous-lieutenant des Forces françaises de l’intérieur.

* Membre de l’Académie nationale de médecine, e-mail : claude.giudicelli@orange.fr Tirés-à-part : Professeur Claude-Pierre Giudicelli, même adresse

À la fin de la guerre, il épouse la fille d’un confrère, Huguette Fouilloud-Buyat, dont il appréciait, a-t-il écrit, « la profonde intelligence pratique, l’amour des arts notamment de la peinture et le sens du devoir ».

Il lui faut retourner à Lyon pour terminer ses études et soutenir sa thèse, le 17 décembre 1946, sur la sympathectomie cervico-thoracique dans l’angor coronarien.

Le doctorat lui confère le grade de médecin-lieutenant. Il choisit alors de servir à Coëtquidan, au sein de la prestigieuse École de Saint-Cyr. Il est également médecin des familles et ses talents de praticien lui valent d’avoir une abondante clientèle pédiatrique. En 1950, il est appelé à participer à la campagne d’Extrême-Orient.

Placé en première ligne au Tonkin, il connaît alors une période opérationnelle particulièrement dure, en qualité de médecin-chef du 26e Bataillon de marche de tirailleurs sénégalais. Il est ensuite, un an plus tard, chef du service de phtisiologie de l’hôpital de Choquan, dans le secteur de Saïgon-Cholon, où il est soumis à un travail intensif pour le traitement de tuberculoses historiques.

De retour en France en 1953, il entreprend une carrière hospitalière qui sera rapidement ascendante. Sa riche expérience clinique facilitant certaines approches de la maladie mentale, la conviction que le rôle du médecin dépasse la seule technologie, le conduisent à reconnaître l’unité psychobiologique de l’individu et à choisir l’orientation neuro-psychiatrique. C’est à l’hôpital Desgenettes à Lyon, pendant la phase de médecine interne de son assistanat dans le service de celui qui restera son maître et ami, le Professeur Camelin, que se situe notre première rencontre. Le stagiaire de première année de médecine, que j’étais alors, conserve un souvenir lumineux d’un exposé au lit du malade, sur l’insuffisance aortique. Notre seconde rencontre se situe au Val de Grâce, plusieurs années plus tard. Le brillant assistant est devenu un grand patron et nos relations, toujours courtoises, ont été alors marquées par l’empreinte hiérarchique militaire. Aussi ai-je dû avoir recours à ses élèves et à ses amis pour espérer lui rendre l’hommage qu’il mérite.

Reçu premier au concours de spécialiste de neuro-psychiatrie et médecine légale des hôpitaux des armées en 1956, Pierre Juillet est nommé chef de service à l’hôpital Sédillot de Nancy. Il s’impose alors de nombreux déplacements à Paris pour préparer d’emblée l’agrégation à laquelle il est reçu en 1959.

Au Val-de-Grâce, pendant quatorze ans, il est successivement chef de service de neuropsychiatrie puis de psychiatrie lors de la scission de la spécialité. Ce choix fut dicté par les circonstances car il aimait la neurologie. Il était profondément clinicien et loin des constructions théoriques de salon, il ne concevait la psychiatrie que dans une optique médicale avec pour base de raisonnement une clinique rigoureuse faisant le meilleur usage de l’héritage des maîtres de la spécialité et conduisant à une thérapeutique sans laquelle la médecine serait vaine. Élu en 1966, professeur titulaire de la chaire de psychopathologie et d’hygiène mentale, de création récente, il va structurer la psychiatrie du Val-de-Grâce pour en faire une grande école. J’ai pu interroger le médecin général Maurice Bazot, qui fut son élève, sur l’activité pédagogique de celui qui m’apparaissait d’emblée comme un maître incontesté.

Pierre Juillet consacrait à ses élèves de nombreuses heures de préparation aux différents concours de neurologie et de psychiatrie, exigeant pour la forme comme pour le fond, inculquant la rigueur dans le recueil clinique et la discussion étiopathogénique. Tous ses actes dans la relation médecin-malade étaient empreints de respect associé au souci du double rôle, souvent délicat, de médecin traitant et d’expert qu’exerce le praticien des armées. Particulièrement conscient de la place originale de la psychiatrie militaire, en raison du milieu institutionnel dans lequel elle s’exerce et des multiples situations auxquelles elle se trouve confrontée, Pierre Juillet a toujours manifesté un sens aigu de l’éthique traduit par ses nombreux écrits comme par sa conduite. C’est ainsi qu’il s’est courageusement opposé au Commandement à propos des mesures souhaitées à l’égard des militaires du Contingent aux conduites suicidaires.

Son œuvre scientifique est considérable. Ses nombreux travaux sont le reflet de recherches, le fruit d’une grande expérience d’où sont issues des prises de position sur l’organisation de la spécialité. Ils ont concerné la psychiatrie générale, la psychiatrie et l’hygiène mentale dans les armées, les troubles des conduites et les problèmes criminologiques en milieu militaire, l’aptitude à servir des anciens délinquants, les conduites d’appétence pour les toxiques, les effets neurobiologiques et thérapeutiques des psychotropes. Il s’est, par ailleurs, à partir des données recueillies dans les Centres de sélection, attaché à effectuer des études épidémiologiques sur la santé des jeunes français, sur leurs consommations habituelles de médicaments, retirant de riches enseignements pour la communauté militaire ainsi que pour la collectivité nationale. Surtout en 1969, il rédige, en collaboration avec Pierre Moutin, un traité de psychiatrie militaire. La culture et la curiosité scientifique des auteurs les ont conduits à dépouiller 3 000 travaux internationaux pour retenir 1 700 références.

Préfacé par Jean Delay, cet ouvrage de 525 pages traite magistralement de tous les aspects de la psychiatrie militaire en temps de paix et de guerre. Il constitue toujours une référence pour les jeunes générations en raison de son caractère éclectique et de sa rigueur.

La notoriété du professeur Juillet n’a pas été limitée au Val-de-Grâce. Il a eu le souci de créer des liens avec ses collègues de l’Assistance publique, les professeurs Garcin et Lhermitte pour la neurologie, les professeurs Delay et Deniker pour la psychiatrie.

Il a assuré la présidence de la Société médico-psychologique et participé aux travaux de la Société française de neurologie. Membre fondateur de l’association de psychiatrie biologique, il a aussi présidé le congrès de neurologie et de psychiatrie de langue française en 1984.

Enfant d’une famille de juristes, Pierre Juillet n’a jamais négligé la médecine légale qui était alors rattachée à la psychiatrie en milieu militaire. C’est ainsi qu’il a été vice-président de la Société de médecine légale et de criminologie de France et membre de la Société de droit pénal international et de droit de la guerre. Nous avons évoqué ses travaux sur la criminologie. Il a été expert judiciaire près la Cour d’appel de Paris, membre du Comité de recherches et d’études pénitentiaires auprès du Premier ministre, membre du Comité médical de la Fédération française des trépanés et blessés de la tête.

Quand le temps des responsabilités administratives est venu, après avoir été auditeur à l’Institut des hautes études de la défense nationale, le médecin général Juillet est nommé, en 1973, consultant national pour la psychiatrie et l’hygiène mentale appliquées aux armées, directeur-adjoint de l’École du Val-de-Grâce. Dans ce dernier rôle il s’applique particulièrement au contact avec les élèves et par souci de leur culture, les fait bénéficier de conférences d’ordre général. La charge de rédacteur en chef de la revue Médecine et Armées est attribuée au directeur-adjoint. Sous son impulsion ce périodique acquiert un lustre nouveau et voit s’accroître son niveau scientifique. Méticuleusement, il contrôlait tous les textes après leur agré- ment par le comité de lecture. Il fut pour moi un exemple quand, quelques années plus tard, cette mission me fut confiée.

Des fonctions de niveau supérieur lui sont ensuite dévolues : la direction successive de deux Régions militaires puis pendant deux ans l’inspection générale du Service de santé. Placé alors à un des deux plus hauts postes de la hiérarchie, il est en contact direct avec le ministre de la Défense. À l’évidence, ce sont ses qualités qui ont dû conduire le ministre à prendre en 1982, la décision exceptionnelle de lui confier, après l’inspection générale, la direction du service.

Dans ces fonctions de haut niveau, le médecin général inspecteur Juillet a été guidé par la rigueur qu’il avait manifestée en clinique avec là encore une préoccupation permanente de la déontologie et de l’éthique. Il fut en particulier toujours soucieux de l’application de la convention de Genève qui exclut la participation du praticien militaire de la conception des matériels de guerre. Il a rédigé des règles de déontologie applicables aux médecins et aux pharmaciens militaires insistant sur le respect de la dignité humaine, l’indépendance technique et le secret professionnel. En avance sur son époque, soucieux de l’organisation du Service dont il a la responsabilité, il s’attache aux études et décisions concernant les options financières et le perfectionnement des méthodes de gestion en vue d’une économie de la santé.

Ses brillants états de service lui valent d’être promu Commandeur de la Légion d’honneur et Commandeur des Palmes académiques.

Le 17 octobre 1984 marque la fin d’une carrière militaire prestigieuse mais n’interrompt pas le travail et la réflexion. Le 24 novembre 1987, Pierre Juillet est élu à l’Académie nationale de médecine, au sein de la section de médecine sociale et membres libres. D’une assiduité exemplaire aux séances hebdomadaires, il a participé très activement aux travaux de notre Compagnie s’intéressant en particulier aux addictions et surtout à la rédaction de deux dictionnaires : la psychiatrie et la neurologie. Bien qu’il ait su s’entourer de collaborateurs compétents et dévoués, il s’est comporté à nouveau comme un rédacteur en chef vérifiant toutes les lignes de ces volumineux ouvrages. Il m’a été rapporté qu’il avait lui-même effectué les travaux de dactylographie.

Travailleur infatigable, rigoureux, n’accordant que très peu de place aux mondanités, Pierre Juillet a caché, derrière une façade altière, une profonde sensibilité humaniste qui n’est connue que de quelques intimes, tant était grande sa réserve.

Son comportement en société a été déterminé par la conscience du respect qui doit s’attacher aux fonctions qu’il a assumées.

Aussi nous paraît-il opportun d’insister sur un trait de sa personnalité qui est la fidélité de ses sentiments. Elle s’attache en premier lieu à la mémoire de son épouse prématurément ravie à son affection et à propos de laquelle il a écrit « elle fit tout pour s’adapter à l’existence médico-militaire et à ses aléas, jusqu’à se montrer, in fine, une très grande dame lorsque j’ai assumé des emplois nationaux ». Sa fidèlité dans l’amitié est illustrée par ses relations avec notre regretté confrère Pierre Denicker, co-titulaire avec Laborit du prix Lasker pour la découverte de la chlorpromazine.

Notre confrère Jean-Pierre Olié m’a confié qu’une profonde communauté de vues avait rapproché Pierre Juillet et Pierre Deniker. Ce sont en particulier une réserve commune à l’égard des dérives sectaires, une même conception de la relation médecin-malade, l’obligation de faire un usage humaniste de l’autorité médicale et un sens marqué des convenances. Quand l’handicap physique frappa son ami, Pierre Juillet lui rendit visite chaque samedi, sans un manque, restant attentif après son décès à ce que rien d’essentiel ne manque à Madame Deniker et à sa famille. Fidèlité aussi, comme son ami qui avait participé à la Résistance, au souvenir patriotique et je me souviens de l’avoir rencontré à l’École de médecine, chaque année, le 11 novembre, devant la plaque honorant la mémoire des médecins morts au Champ d’Honneur.

Nous avons le plaisir de compter Yves Juillet parmi les membres de notre Compagnie. Il est par ailleurs Vice-président de l’Académie nationale de pharmacie. Sa présence honore la mémoire de son père. Aussi pouvons-nous assurer la famille du Professeur Pierre Juillet, sa fille Marie-Laure, ses cinq petits-enfants, ses deux arrières petits-enfants que l’affirmation de notre fidèle souvenir n’est pas une simple formule de courtoisie.

Bull. Acad. Natle Méd., 2012, 196, nos 4-5, 823-827, séance du 29 mai 2012