Summary
Éloge de Roger Boulu (1930-2008)
Jean COSTENTIN *
Le 28 janvier 2008, en son domicile parisien, notre Maître et Ami, le professeur Roger Georges Boulu, a été foudroyé. Avec la bonne santé qu’il arborait de façon sereine et souriante, ce fut la stupéfaction. Siégeant alors dans un concours d’agré- gation du CNU, je pus constater que la grande peine que j’en éprouvais, était unanimement partagée. Chacun des dix-sept membres du jury, venus de différentes facultés de pharmacie de France, le connaissaient et l’appréciaient beaucoup. Sa notoriété et la vive sympathie qu’il suscitait sont ainsi les deux premiers traits saillants que je souhaite restituer.
Monsieur Roger Boulu, que beaucoup, à son insu, appelaient amicalement Roger, est né à Paris en 1930. Ses parents, commerçants, résidaient à Montereau-FaultYonne, ce chef lieu de canton de la Seine et Marne, situé au confluent du fleuve et de la rivière. Roger Boulu avait un frère et une sœur ; il était l’aîné. Après l’école primaire à Montereau, il fit de brillantes études secondaires au Lycée François Ier de Fontainebleau ; elles furent couronnées par un double baccalauréat : « Math élém et philo ».
Inspiré peut-être par l’amitié qui le liait, ainsi que sa famille, au pharmacien de sa ville, Roger Boulu avait un vif attrait pour le médicament ; ces médicaments sans lesquels le médecin qui porte le diagnostic d’une affection médicale serait désarmé, ce qui réduirait l’importance de son diagnostic, au point de n’en faire alors qu’une curiosité malsaine. Cet attrait le conduisit tout naturellement à la faculté de Pharmacie de Paris. Ce choix, depuis lors, mobilisa tous ses efforts, aiguisa ses aptitudes, les transformant en un talent unanimement reconnu, qui bâtit le cadre de sa notoriété.
Il obtint simultanément, en l’année 1954, le diplôme de pharmacien et la licence ès Sciences. Remarqué par ses maîtres, Il fut recruté l’année suivante au rang d’assistant de la faculté de Pharmacie ; il y développa alors son activité, parallè- lement à l’internat de biologie, effectué à l’hôpital Lariboisière, dans le service du professeur Maurice Girard. Il devint chef de laboratoire de la faculté de Médecine de Paris, puis c’est avec le titre de biologiste qu’il officia au sein du service du professeur Louis Justin-Besançon. C’est ensuite, comme praticien hospitalier, qu’il exerça, jusqu’à l’âge dit « de la retraite », à l’hôpital Necker-enfants malades. Parmi les maîtres en pharmacologie qui l’influencèrent nous citerons le professeur Guillaume Valette, puis le professeur Paul Rossignol.
Il fit son service militaire, pendant deux années, à l’hôpital du Val de Grâce, où il fut Pharmacien lieutenant, puis dans le corps de réserve, Pharmacien chimiste de deuxième classe.
C’est à la faculté de Pharmacie de Rouen qu’il gravit les marches de la carrière universitaire. Il y enseigna de 1961 à 1973, d’abord comme : chargé de cours de Zoologie puis de Pharmacodynamie ; puis comme maitre de conférence agrégé de Pharmacodynamie ; et, enfin, comme professeur sans chaire de Pharmacodynamie.
Le souvenir de son séjour rouennais demeure vivace : il y révéla sa vaste et riche culture, cachée sous un matelas de modestie, sa bienveillance, sa bonhommie, sa patience, l’attention qu’il savait porter à autrui, à quelque niveau hiérarchique qu’il se situe. Ces qualités, très tôt révélées, n’étaient ni apprises, ni de circonstance, elles appartenaient à son authenticité. Il était tels ces grands crus qui n’ont pas besoin de vieillir pour révéler leurs qualités et effacer une âpreté qu’ils n’ont pas. Ses enseignements étaient très appréciés, posés, minutieux, soignés ; il savait susciter l’intérêt.
Malgré le caractère prenant du statut de faisant fonction d’interne préparant le concours de l’internat, je m’appliquais à ne « sécher » aucun de ses cours de physiologie puis de pharmacologie, car ils constituaient un temps fort de notre vie universitaire rouennaise. Notre espièglerie, car « cet âge est sans pitié », avait détecté que le professeur Boulu ponctuait souvent chaque changement de sujet ou de chapitre de son cours par l’expression : « à présent, ma foi », qu’il prononçait « à preusant, ma foi » ; cela devint, pour quelques-uns d’entre nous, son affectueux surnom. Affectueux, d’abord parce qu’il n’avait rien d’irrévérencieux, et ensuite parce que je ne vous dis pas les surnoms dont étaient affublés certains de ses collègues.
Le diplôme de pharmacien acquis après une cinquième année à Paris, je revins sur la plus belle ville de Normandie, ayant eu la chance d’être coopté comme assistant par les professeurs Boulu et Schwartz. J’eus alors la chance et le plaisir de bénéficier de leur encadrement, de leurs avis, de leurs conseils. Ces deux maîtres respectés et aimés me mirent le pied dans les étriers de la neurobiologie et de la neuropsychopharmacologie, sciences dans lesquelles ils excellaient. Ils me laissèrent poursuivre l’internat de biologie clinique et m’aidèrent à décider de suivre le cursus des études médicales.
Les prémices de mon unité de Neuropsychopharmacologie datent de cette fructueuse et exceptionnelle collaboration. Leurs conseils patients et avisés m’ont ouvert aux standards de la recherche moderne et m’ont préparé au développement de cette unité que j’ai arrimé ensuite au CNRS. durant vingt-six années consécutives.
C’est en 1973 que le professeur Boulu fut nommé à la faculté de pharmacie de Paris et qu’il s’est appliqué alors à m’ouvrir la voie me permettant de lui succéder à Rouen.
Tout au long de sa carrière universitaire il ne répugnera à aucune charge administrative. Il les assumait si naturellement, de si bonne grâce, qu’on pourrait même se demander si ses collègues n’en ont point quelque peu abusé. Directeur de l’UER des médicaments et des toxiques, assesseur de la faculté de pharmacie, membre du conseil de l’université, consultant à la direction de la recherche, expert du comité national des universités, membre nommé puis membre élu du CNU. Il participa parallèlement à de multiples commissions du ministère de la santé : Expert toxicologue-pharmacologue, membre de la commission des stupéfiants et psychotropes, membre du collège de l’agence française de lutte contre le dopage, membre de la commission d’AMM, membre de la commission de l’internat en pharmacie, de la commission de pharmacovigilance, du conseil supérieur d’hygiène, de la commission de terminologie-néologie, du comité d’étude des termes médicaux, pour ne citer parmi les commissions auquelles il participa que celles qui me parlent à l’esprit.
Il fut membre de nombreuses sociétés savantes, j’en ai dénombré une vingtaine, avec des positions de responsabilité particulière dans plusieurs d’entre elles.
Son sens aigu du service à la collectivité, sa disponibilité, son altruisme étaient aussi remarqués qu’appréciés. Lui qui ne critiquait jamais, n’était jamais critiqué ; il apaisait les conflits, les désamorçait, les prévenait même.
Président du centre national pour l’étude et la recherche en toxicomanie, après en avoir été l’un des membres fondateurs, appréciant mon engagement résolu dans la campagne nationale que j’anime pour tenter de contenir la pandémie cannabique dans sa déclinaison nationale, particulièrement sombre, il voulut, en s’effaçant de la présidence, me la confier, afin d’accroître mon audibilité. Constatant alors la vacance du poste de trésorier de cette association, dont il venait d’abandonner la présidence, il accepta, sans hésitation, cette fonction ingrate. Cette anecdote me paraît très illustrative de l’attitude générale du professeur Boulu : servir, rendre service, s’engager dans des démarches citoyennes, humanistes, humanitaires, avec la recherche sereine de l’efficacité, le sens de l’action commune et de l’esprit d’équipe.
Il ne recherchait ni les honneurs ni les médailles ; celles qu’il obtint semblaient lui échoir presque malgré lui.
Ainsi fut-il lauréat à quatre reprises de la faculté de pharmacie, médaille d’or de l’internat en pharmacie, lauréat de l’Académie nationale de médecine, officier dans l’ordre des palmes académiques. Il fut élu membre de l’Académie nationale de médecine en 2001 et membre de plusieurs de ses commissions. Il fut élu membre de l’Académie nationale de pharmacie dès 1983 ; il en était vice-président quand il fut foudroyé, ce qui priva cette académie de sa présidence, qui aurait dû se dérouler durant cette année 2009. Il était membre de six commissions de celle-ci.
J’aimerais, avant d’aborder la carrière scientifique du professeur Boulu, faire un bref détour par sa vie privée.
C’est à la faculté de pharmacie de Paris qu’il fit la connaissance de celle qui deviendra son épouse, Madame Suzy Boulu. Elle fut, comme lui, interne en pharmacie des hôpitaux de Paris et biologiste. Puis elle intégra l’industrie pharmaceutique, où elle fut préposée principalement aux études de phase I des futurs médicaments. Monsieur et Madame Boulu eurent trois fils. Deux d’entre eux sont médecins, l’un, Philippe, est neurologue, l’autre, Gilles, est radiologue ; le troisième Laurent est ingénieur chimiste, docteur ès Sciences.
Par eux, ils eurent six petits enfants. L’un d’eux effectue ses études médicales. J’ai cru savoir que monsieur Boulu était un père attentif, rigoureux mais libéral.
Monsieur Boulu aimait le golf qu’il pratiquait régulièrement, et dans lequel il était classé.
Parmi ses lectures préférées il y avait les livres d’histoire, les livres de poésie, mais aussi les romans policiers.
Parmi les théâtres la Comédie française et les classiques avaient sa préférence.
Parmi les compositeurs Beethoven avait sa faveur. Il ne dédaignait pas le jazz.
Ses régions françaises favorites étaient la Bretagne, ainsi que le Sud, est ou ouest.
Quant aux pays étrangers qu’il visitait volontiers, le Canada, les États-Unis, l’Amérique du Sud, l’Italie, la Chine et l’Egypte lui plaisaient particulièrement.
Il aimait visiter les musées.
En fait, il aimait la vie et irradiait le bonheur qu’il en éprouvait.
Biologiste hospitalier, enseignant, investi dans maintes tâches administratives et responsabilités collectives, le professeur Boulu consacra aussi beaucoup de temps et d’énergie à la recherche.
Il développa aux côtés du professeur Paul Rossignol, puis avec son élève le professeur Michel Plotkine, le laboratoire de pharmacologie de la faculté de pharmacie. Il l’orienta vers la pharmacologie de la transmission dopaminergique dans le système pallido-strié, mais surtout sur la physiopathologie et la pharmacologie de la circulation et de l’ischémie cérébrale. Son laboratoire mit au point plusieurs modèles animaux d’ischémie globale ou focale, à la recherche d’agents neuroprotecteurs. Son équipe a analysé les rôles de différentes substances endogènes qui sont libérées lors d’accidents vasculaires cérébraux : l’adénosine, la dopamine, la noradrénaline, les acides aminés excitateurs, le monoxyde d’azote… Ces recherches qui valent à son équipe une notoriété non seulement nationale mais aussi internationale, se sont traduites par une importante activité publicatoire et par de nombreuses communications à des congrès.
La brièveté requise pour cet éloge m’a contraint à un style plutôt énumératif, qui comporte d’inévitables omissions. Permettez-moi, pour terminer cette évocation, d’énumérer les traits que je crois les plus saillants, parce qu’ils m’ont été les plus perceptibles, de la personnalité et de l’œuvre du professeur Roger Boulu.
J’aimerais souligner particulièrement son courage, sa détermination tranquille, son intelligence, sa patience, sa culture, sa bienveillance, sa gaieté, sa sociabilité, sa discrétion, sa sérénité, sa subtilité, son efficacité, son altruisme, son humanisme, sa rigueur.
Je suis sûr que ceux qui l’ont bien connu reconstitueront son image à partir de toutes les pièces de ce puzzle. Ce maître que j’estimais me parut exemplaire, au point que je m’en veux souvent de ne pas lui ressembler autant que je le voudrais.
Avec sa famille, ses collègues, d’ici ou d’ailleurs, et tous ses amis, nous savons qu’il est de ceux qui, malgré le temps qui passe, laissent un parfait souvenir que rien n’efface.