Publié le 5 novembre 2002
Éloge

Claude SUREAU

Éloge de Monsieur Jacques Salat-Baroux (1931-2001)

Claude SUREAU

Sous une pluie glacée de décembre, nous étions nombreux à accompagner Jacques Salat-Baroux au cimetière de Pantin.

Et notre tristesse n’avait d’égale que notre admiration pour l’œuvre médicale accomplie certes, mais plus encore pour les qualités humaines, intellectuelles, professionnelles qui ont rendu cette œuvre possible, qui l’ont suscitée, encadrée, développée. Car il fallut de réelles qualités, poussées à un niveau rare pour surmonter les obstacles et vaincre l’adversité que Jacques Salat, comme nous l’appelions familiè- rement et amicalement entre nous, rencontra tout au long de sa vie.

Les maîtres-mots qui caractérisent cette vie en effet sont la force d’âme dans l’adversité, la ténacité et la persévérance dans l’effort, jointes à une intelligence exceptionnelle, à une élégance, de l’esprit comme du geste chirurgical, à une compétence née du travail auprès de maîtres éminents, à une culture enfin acquise depuis son enfance et entretenue tout au long de sa vie trop brève.

La première étape de celle-ci commença le 6 décembre 1931 dans une famille juive pauvre, et même très pauvre, de Sousse, en Tunisie.

Dès le début de son enfance, le destin marqua la vie de Jacques Salat-Baroux du sceau contradictoire qu’il ne devait cesser de lui imprimer, le bonheur profond et l’extrême malheur.

Le malheur, dans la famille de Jacques, ce fut, outre les lourdes difficultés matérielles, la maladie : sa sœur Sylvie, trisomique, qui décédera en 1987, son père surtout, à qui l’attachent des liens affectifs puissants, est atteint d’une cardiopathie sévère.

Celle-ci est l’objet d’une préoccupation constante pour les membres de sa famille, sa mère Rachel, qui disparaîtra en 1978, ses frères, André récemment décédé, Maurice qui accompagnera Jacques avec une grande sollicitude jusqu’à ses derniers instants, et Jacques lui-même. Cette crainte de la mort peut-être imminente, avec ses consé- quences affectives et matérielles, sera une donnée permanente de son environnement familial ; elle trouvera son accomplissement tragique lorsqu’à 11 ans Jacques, en raison d’une aggravation de l’état de son père, âgé seulement de 50 ans, devra aller chercher le médecin qui ne pourra que constater le décès. Comme pour tous ceux qui ont connu le drame de la mort prématurée d’un père, Jacques en sera marqué, et cette blessure sera plus sensible encore lorsqu’il devra subir lui aussi, en 1990 entre les mains du Professeur Fabiani, une intervention valvulaire cardiaque salvatrice, bien révélatrice au demeurant du progrès médical intervenu entre temps.

Et pourtant, malgré cette situation précaire, il est heureux. Il est heureux parce qu’il vit dans une famille unie, soudée par et dans l’adversité, intégrée dans une communauté culturelle forte à laquelle il demeurera toute sa vie attaché, même si les liens proprement religieux qui fondent cette communauté se distendront quelque peu pour lui au fil du temps, le conduisant à préférer une communion mystique à une observance rituelle.

Cet équilibre, préservé au milieu des épreuves, son sens du devoir, son goût de l’effort, sa curiosité intellectuelle expliquent ses succès scolaires au Lycée de Sousse, ses mentions au Baccalauréat, puis au PCB obtenu à Tunis.

Son rêve, quel est-il alors ? Devenir chirurgien, et cette qualification, dont il percevait parfaitement les exigences qu’il se savait capable d’assumer pleinement, une fois obtenue, retourner dans son pays et s’installer à Tunis.

C’est avec cette motivation et cet espoir en tête qu’il part pour Paris où l’attiraient l’immense estime, la vive admiration qu’il ressentait pour la France, ses institutions, et parmi celles-ci la place éminente de l’école médicale française. Très vite, les événements politiques internationaux, à Bizerte en particulier, lui feront prendre conscience que le rêve ne deviendra pas réalité, que le monde évolue plus vite qu’il ne le pensait, qu’il pourra conserver en lui le souvenir de son enfance et de ses origines, mais qu’il devra créer de nouvelles racines, pour lui et pour sa famille à venir, dans son futur pays. Nous savons aujourd’hui à quel point il y réussit, personnellement et familialement. Pour l’heure, c’est encore l’incertitude et le risque et c’est ainsi qu’il débute la deuxième étape de sa vie, au pavillon Tunisien de la Cité universitaire.

Incertitude, risque, difficultés matérielles, et isolement, sont en effet alors son lot, comme ce sont les conditions de tant d’étudiants pauvres, déracinés mais motivés.

Cette période qui pour beaucoup d’autres se déroulera dans l’insouciance joyeuse et festive de l’après-guerre, sera pour lui l’occasion de réfléchir, d’approfondir ses motivations, de travailler, de se cultiver encore.

Il vit de manière précaire avec en poche ses tickets de repas, ses tickets de métro, et une place de cinéma par mois ; son temps, il le consacre à ses études médicales, au perfectionnement de sa culture déjà vaste, comme on l’acquérait alors dans les établissements francophones du continent africain, sud-américain ou asiatique, à la musique, et particulièrement à la musique classique.

Il recueille le fruit de ses efforts par sa réussite à l’externat en 1953. Il sera externe de Banzet, Pasteur Valery Radot, Lucien de Gennes, Gilbert Dreyfus, Caroli, Maurice Mayer, dessinant ainsi les contours de sa future carrière, avec son versant endocrinologique et son versant chirurgical et gynéco-obstétrical. Il est alors très soutenu par Jean Loygue qui le fera entrer dans le cercle restreint des quelques élèves à qui il voudra bien pardonner leur décision sacrilège de préférer la gynécologieobstétrique à la voie royale de la chirurgie.

Cette voie royale passait bien entendu par l’internat et alors que les temps semblent devenir plus cléments pour Jacques, le ciel s’assombrit soudainement.

Un premier échec est dans l’ordre des choses. Le deuxième, en 1956, est plus durement ressenti, et le conduira à s’interroger, sur lui-même, sur le regard que la société médicale de l’époque porte et risque de continuer à porter sur lui, sur les conséquences qu’il convient d’en tirer : major à l’écrit, il est victime à l’oral d’une rétrogradation qui le conduit à cette situation pénible d’être nommé premier provisoire, point coupé. Il effectuera cette année à Bicêtre, chez Tanret, il surmonte cette nouvelle difficulté, et soutenu par Jean Loygue, il est nommé l’année suivante.

De 1957 à 1962, il effectuera son internat chez Maurice Mayer, Talheimer, Meillère, Bernard, Lance, Funck Brentano, Lacomme et Varangot.

En 1961, sa naturalisation, associée à une légère modification patronymique, plus orthographique que phonétique, représente certainement un virage psychologique majeur qui porte un nom admirable, l’intégration, et ses qualités en feront pour lui et ses descendants l’exemple même de l’intégration réussie.

C’est alors la troisième phase de son évolution, marquée par l’influence du maître prestigieux que fut Maurice Lacomme, dont j’eus l’honneur de prononcer l’éloge ici même en 1986, et plus encore de son assistant Guy Le Lorier.

Il est d’ailleurs quelque peu paradoxal d’observer que Jacques Salat-Baroux qui devait orienter par la suite toute son activité vers la chirurgie et l’endocrinologie, sans négliger certes l’obstétrique, mais sans que celle-ci soit pour lui une préoccupation majeure, connut l’essor intellectuel qui devait déterminer sa carrière chez celui qui fut et demeurera le créateur de l’obstétrique moderne. C’est qu’à côté de cet aspect effectivement très intellectuel, Jacques devait faire à Baudelocque une autre rencontre, intellectuelle certes aussi, mais en outre teintée d’une puissante affectivité, celle de Guy Le Lorier.

Celui-ci fut sensible à l’intelligence, au goût de l’effort, à la persévérance, aux qualités chirurgicales, qui associaient de manière exceptionnelle l’élégance, à la précision et à l’amour de l’acte opératoire, mais aussi scientifiques et didactiques de Jacques. Quant à celui-ci, je crois que l’on peut dire sans risque d’erreur qu’il trouva en Guy Le Lorier en quelque sorte un nouveau père, un vrai père spirituel.

Cette époque est peut-être la période la plus heureuse de sa carrière : les soucis matériels se sont estompés, une vie familiale harmonieuse, avec sa femme Jacqueline, se développe et il se révèle un excellent père de famille, présent, disponible. Il acquiert des connaissances très variées au cours de cet internat, puis de son clinicat chez Lacomme de 1962 à 1966, les complète par un certificat de biochimie métabolique et structurale en 1967, il commence à publier des travaux qui déjà frappent par leur originalité, s’initie à la microchirurgie alors balbutiante, en travaillant sur l’animal et le placenta, et devient très vite un expert reconnu.

La vie semble lui sourire enfin : il est nommé Agrégé et gynécologue-accoucheur des Hôpitaux en 1966, accompagne notre confrère Merger à Saint-Antoine jusqu’en 1968 et rejoint à Rotschild Le Lorier avec qui il restera jusqu’en 1974, et à qui il succédera alors comme Chef de service intérimaire.

En octobre 1974 Le Lorier décide de ne pas postuler à la succession de Lepage à Baudelocque et devient Chef de service à Saint-Antoine, et le 1er octobre 1975 Jacques Salat-Baroux est nommé Professeur Titulaire, Chef de service à Tenon. Il sera ultérieurement nommé Professeur de 1ère classe en 1991 et de classe exceptionnelle en 1994.

Il rêve alors d’une amicale et efficace collaboration entre ces deux services majeurs de Saint-Antoine et de Tenon, ce dernier en cours de rénovation, l’avenir paraît enfin favorable.

Mais une fois de plus le malheur survient : notre cher Guy Le Lorier, celui qui représenta tant pour nombre d’entre nous, à commencer par notre maître Maurice Lacomme, disparaît en 1976, de manière tragique, injuste, psychologiquement insupportable. Le drame est là. Certes, il est moins grave pour Jacques Salat-Baroux, protégé en ce qui concerne sa carrière, que pour d’autres comme J.C. Colau, J. Milliez ou Alain Treisser ; mais c’est une épreuve douloureuse. C’est un ami, un frère pour certains comme moi-même, un père pour Jacques Salat-Baroux, qui disparaît emportant leurs projets communs. Ce sera pour Jacques une faible compensation que de pouvoir donner le nom de Guy Le Lorier à la maternité reconstruite de Tenon.

Comme toujours, Jacques réagit. Et cette période qui va de 1976 à la fin de ses fonctions en 1996, prolongées par celles de consultant en 97-98, sera la période de sa vie où son intelligence, son intuition, ses capacités de travail, sa rigueur, parfois un peu sévère, le conduisent au sommet de la réputation nationale et internationale dans sa discipline.

Son service couvre progressivement tous les aspects de celle-ci, l’obstétrique et il s’intéressera avec Serge Uzan à la télémétrie du rythme cardiaque fœtal, avec notre groupe à la mesure du pH tissulaire fœtal en 1978, avec Uzan encore à l’action des corticoïdes sur le rythme cardiaque fœtal, la pathologie cancéreuse mammaire, les microcalcifications, les microbiopsies, encore avec Serge Uzan, mais aussi précancéreuse cervicale avec J. L. Mergui, et avec J. Hamou qui met au point dans son service la microhystérocolposcopie, ou ovarienne avec son intérêt pour la chimiothérapie intrapéritonéale développée en 1981 par Zylberberg, la chirurgie endoscopique dont il devient un maître incontesté, après l’avoir été en microchirurgie. Il crée avec nos confrères Richet et Sraer une cellule d’étude des pathologies associées à la grossesse et participe avec Beaufils et Colau à la grande étude sur la prévention des accidents périnataux par l’aspirine, qu’avait initiée Serge Uzan.

Mais c’est surtout à la procréation médicalement assistée qu’il se consacre avec sa compétence acquise en endocrinologie et en biochimie, avec son adresse gestuelle, son intelligence de ces problèmes nouveaux, l’aide de biologistes particulièrement compétentes Jacqueline Mandelbaum et Michèle Plachot de l’Unité INSERM U173 et une attention soutenue accordée aux aspects juridiques et éthiques de cette déconcertante évolution scientifique et humaine. Il est à la pointe du progrès. Et les publications majeures se succèdent : elles concerneront, parmi beaucoup d’autres, les protocoles d’induction de l’ovulation, l’usage de la FSH purifiée et recombinante, celui des analogues de la LHRH, l’ultrastructure des ovocytes préovulatoires, les ovaires polykystiques avec Silvia Alvarez, les dons d’ovocytes avec Dominique Cornet, les hyperstimulations ovariennes, les fenêtres d’implantation, la co-culture, l’ICSI, la réduction embryonnaire, mais aussi, plus récemment la maturation ovocytaire avec Juliette Guilbert, les cultures d’endomètre avec Philippe Merviel, la congélation d’ovocytes au stade primordial ou préantral avec J. M. Antoine et Jacqueline Mandelbaum poursuivant ainsi des tentatives anciennes effectuées avec Charles Tibi. Une œuvre considérable donc, traduite en particulier par plus de 300 articles ou chapitres de livre, dont la moitié dans des revues nationales ou internationales de haut niveau.

Une relative déception toutefois au sein de cette succession de réussites : sa première grossesse évolutive après fécondation in vitro sera malheureusement interrompue par une fausse-couche et son équipe ne sera, en 1983, que la troisième à obtenir une naissance après celle de Clamart en 1982 par Frydman et Testart et celle de Jean Cohen à Sèvres, en collaboration avec Jacqueline Mandelbaum et Michèle Plachot, avec qui le service de Tenon s’associa ensuite.

En revanche, il sera le premier en France à obtenir, en 1986, la naissance d’un enfant après congélation embryonnaire et bien d’autres « premières » marqueront sa contribution à l’histoire de ces techniques.

Ces résultats, sa présence, son aura, lui vaudront la reconnaissance et l’admiration de ses pairs. On ne compte plus le nombre des congrès qu’il présida ou auxquels il participa — rappelons toutefois le 7ème Congrès mondial de FIV en 1991 à Paris — ; son enseignement était percutant et apprécié, toujours exprimé avec flegme et distinction. Il publia plusieurs livres : celui sur les lois de Bioéthique avec Frédéric Salat-Baroux, en 1998, et celui sur l’ICSI ou le traitement moderne des stérilités masculines avec J. Mandelbaum, Philippe Merviel et J.M. Antoine, préfacé par G. David et que j’eus le plaisir de vous présenter à cette tribune le 15 juin 1999.

Il présida la Société Française pour l’étude de la Fertilité, la Société Nationale de Gynécologie-Obstétrique de France et de nombreuses autres associations scientifiques. Il fut membre du Conseil National des Universités et de la Commission Nationale de Médecine et Biologie de la Reproduction et du Diagnostic Prénatal, ainsi que du Comité éditorial de Human Reproduction et devint en 1997 officier de la

Légion d’honneur.

Au sein de cette extraordinaire et méthodique activité il s’attacha à édifier à Tenon un ensemble coordonné de clinique, d’enseignement et de recherche qui force l’admiration. On a pu parler à cette occasion d’empire. Je crois le terme un peu inexact. Car qui dit empire dit empereur, et si Jacques Salat-Baroux était un patron ferme, vigilant, exigeant même, il n’avait pas la vocation impériale, et se voyait plus comme un organisateur, un coordinateur, un innovateur que comme un « guide suprême », missionné par le destin. Dans son succès mérité, il sut rester modeste et attentif à l’évolution de la discipline et aux espoirs et motivations de ses collaborateurs.

J’ajouterai un autre élément qui révèle parfaitement ses qualités humaines, et l’attention qu’il portait aux aspects éthiques de cette médicalisation parfois nécessaire de la procréation : comme d’autres équipes, il fut confronté au douloureux problème de la mort accidentelle d’un procréateur dont l’embryon était cryopré- servé et dont le transfert était réclamé par sa mère. L’époque était alors à l’application stricte et brutale d’une doctrine élaborée sur des bases que l’on s’accorde aujourd’hui à considérer comme fragiles, même au sein du Conseil d’État qui les avait pourtant proposées en 1988. Le Comité Consultatif National d’Éthique lui-même s’était alors dans un premier temps prononcé contre ce transfert, interdiction que la Loi 94-654 allait inscrire dans le marbre, heureusement moins pérenne qu’on ne le croit, du Droit positif. Conforté par un avis favorable du Comité d’Éthique de l’Assistance Publique, Jacques Salat eut le courage (en 1991) de passer outre l’avis défavorable du CCNE et de pratiquer un tel transfert, alors que le père était décédé depuis plus d’un an. Ainsi naquit le petit Pascal dont le tribunal d’Angers reconnut en outre la filiation légitime, malmenant quelque peu les articles 311 à 315 du Code civil. Admirable attitude, courage exemplaire, que n’eurent pas toutes les équipes, et qui traduisait un sens aigu du bien à faire et du devoir à accomplir entre lesquels, comme l’a écrit Suzanne Rameix, la conscience morale ne peut trouver le repos.

Plaise au ciel que malgré les problèmes juridiques et sociétaux que l’on comprend aisément, l’exemple de J. Salat-Baroux conduise à une rédaction plus humaine de cette loi lorsque le Parlement procédera à son réexamen.

Ce fut donc pour J. Salat-Baroux une époque fructueuse, efficace, et même glorieuse.

Il paraissait comblé par sa profession, son activité libérale à l’hôpital, ses enfants.

Son bonheur était il pour autant total ? Non, car il se trouva alors confronté à des difficultés familiales, à des problèmes de santé, qui lui rappelaient ceux qui avaient provoqué le décès de son père, au rapprochement inexorable de la retraite et de son cortège de déceptions, d’abandons, de désillusions, si fréquents pendant cette période incertaine que vivent tant de consultants.

Parmi ces difficultés, il en était une peut-être particulièrement sensible, celle qui semblait devoir reculer indéfiniment son entrée à l’Académie, et qui lui rappelait très certainement l’aventure de son 2ème concours de l’Internat.

Sa première candidature remonte en effet au 8 janvier 1987, sa présence y fut assidue sur les bancs du public comme à cette tribune où il présenta des lectures :

— le 17.2.87 et le 16.1.96 sur les grossesses après congélation embryonnaire, et leurs résultats immédiats et à long terme, — le 17.12.96 sur la résection hystéroscopique de l’endomètre, — et le 20.2.2001 sur le don d’ovocytes et ses aspects médicaux, éthiques et juridiques.

Il fut mis en 2ème ligne à 4 reprises en 96, 97, 2000, et 2001.

Pourquoi cette longue et éprouvante attente ? Elle fut le résultat d’une conjoncture regrettable, la compétition avec un autre gynécologue de qualité, Jacques Barrat, et l’on sait combien une telle opposition frontale facilite, ou même provoque, la promotion d’autres candidatures dont il faut d’ailleurs convenir de la très grande, et même exceptionnelle, qualité. Et puis reconnaissons-le aussi, l’époque n’est plus où l’art des accouchements était représenté au sein de notre Compagnie par 7 membres, constitués en section autonome. Notre intégration à la 2ème section, aujourd’hui division, si elle nous a apporté beaucoup de satisfactions nous a aussi obligés à partager les places avec les spécialités que l’évolution des disciplines chirurgicales a fait émerger au cours des dernières années. La gynécologie-obstétrique et J. SalatBaroux furent les victimes conscientes et souvent attristées de cet état de fait. C’est dire ce que fut sa joie, lorsque, après le retrait digne et élégant de J. Barrat, Jaques Salat-Baroux fut mis en 1ère ligne le 13.3.2001 et élu au 1er tour le 3 avril.

J’ai encore le souvenir précis de sa voix lorsque je lui annonçai ce succès tant attendu, de son bonheur, mais aussi de sa maîtrise de soi, du contrôle que les vicissitudes de la vie lui avaient appris à exercer sur ses émotions. Il allait avoir tragiquement l’occasion de révéler une fois encore cette maîtrise.

Cette élection le conduit à réfléchir à la nouvelle vie qui allait être la sienne. Il décide d’abandonner définitivement son activité libérale qu’il avait transférée de Tenon à un cabinet de ville, de se consacrer à ses nombreuses fonctions nationales et internationales, et surtout à l’Académie de médecine et nous nous attendions à le voir siéger régulièrement dans cette salle et au sein des commissions et groupes de travail.

Il est donc heureux, il a retrouvé un équilibre personnel et familial. Or, il siégera une seule fois parmi nous et je le revois ce jour, ce seul jour, où en haut et à droite de notre salle, il mesurait probablement le chemin parcouru par lui, de Sousse au 16 de la rue Bonaparte, et par ses enfants, bien au-delà, par Guillaume jusqu’à la Faculté de pharmacie et par Frédéric jusqu’à la rue St Guillaume, le Palais Royal, et la rue du Faubourg St Honoré.

Un seul jour, en effet, car quelques semaines plus tard se révèlent les premiers symptômes du glioblastome qui l’emportera.

Avec sa modestie, sa réserve coutumières, il avait prévenu les membres du Bureau et quelques amis qu’il serait « absent un certain temps ». Il montre là encore sa force d’âme face à l’épreuve qui sera lourde, ainsi qu’on l’imagine et la vie « qui fut sa passion » comme l’indiquait le titre d’un livre qu’il écrivit en 1982 et où, avec sa réserve habituelle, il exposait ce qu’il pensait plus qu’il ne livrait ce qu’il éprouvait, cette vie lui est retirée, à 70 ans, le 20 décembre 2001.

Il laissera à nous tous et surtout à sa famille le souvenir d’une vie remarquable au cours de laquelle il connut les plus grandes joies et les plus sévères difficultés, et de la très grande sérénité qui fut la sienne en présence des unes comme des autres ; pour nous, à l’Académie, égoïstement, nous regretterons de n’avoir pu bénéficier, comme nous l’espérions, de son intelligence, de son expérience et de son humanité.