Éloge
Session of 10 juin 2008

Éloge de Louis Auquier (1918-2007)

Jean-Baptiste Paolaggi *

Summary

Éloge de Louis Auquier (1918-2007)

Jean-Baptiste PAOLAGGI *

Né le 4 mai 1918 à Alger, Louis-Auguste Auquier est le descendant d’une famille provençale.

Il était l’arrière petit-fils d’un propriétaire terrien André Auquier. Cela explique qu’il soit resté très attaché à la Provence, et à la bastide familiale de Sainte Tulle près de Manosque. Mais avec André s’arrête la lignée des propriétaires et commence la lignée des médecins.

Ainsi notre confrère était le troisième de cette lignée puisqu’il était le petit fils d’un médecin, prénommé aussi Louis qui soutint sa thèse à Paris en 1882. Il était lui même le fils d’André Auquier, médecin du corps de santé de l’armée et qui fut emporté, en service commandé, en 1919, par le typhus exanthématique à la frontière de l’Algérie et du sud Marocain. Louis Auquier était donc petit-fils et fils de médecins qu’il n’a, en fait, pas connus.

Du coté maternel, deux oncles et un grand-père prirent en charge, avec sa mère, le soutien matériel et l’organisation de l’éducation de Louis et de sa sœur. Sa mère diplômée du conservatoire trouva un recours et un facteur d’équilibre dans la pratique du piano.

* Membre de l’Académie nationale de médecine

Louis fut un élève brillant et précoce, il fit ses études secondaires à Marseille chez les Dominicains et c’est dans cette ville qu’il passa le PCB en 1935 à l’âge de 17 ans. Il poursuivit ses études médicales à Paris où, en parallèle à ses premières années, il passa un certificat de chimie biologique à l’Institut Pasteur et un certificat de physiologie générale en Sorbonne. Il fut admissible à l’oral du concours de l’internat en 1938, nommé interne provisoire à l’âge de vingt et un ans en 1939, puis titularisé en 1940 comme le furent les provisoires de cette époque de la guerre.

Son cursus hospitalier fut stoppé brutalement par l’intermède tragique des années de guerre.

Mobilisé en 1939 comme médecin auxiliaire, Louis Auquier ne fut pas immédiatement démobilisé après l’armistice de 1940.

Il fut très sensible à l’appel du Général De Gaulle du 18 juin 1940 et déterminé, dès lors, de s’incorporer dans la Résistance.

Sa mère avait intégré le réseau Comète chargé d’organiser les filières de récupération des pilotes alliés tombés sur le territoire Français occupé. Elle abrita un pilote ce qui lui valut d’être internée durant huit mois, à Fresnes. Elle fut, plus tard, médaillée de la résistance.

Louis Auquier réussit à gagner l’Espagne en avril 1943. Il y mena une activité très importante participant aux soins des évadés, maltraités par le régime espagnol, dont il avait la charge et à l’organisation de leur transfert vers l’Afrique du Nord. En 1944.

Il prit le dernier convoi vers cette destination et s’y engagea comme volontaire. Ce n’est qu’à la fin de la guerre qu’il regagna Paris.

De retour à la vie civile, il rencontra Mademoiselle Jacqueline Parguel. Ils se marièrent fin décembre 1946. On se doit de louer, ici, le charme et la lumineuse intelligence de Madame Auquier. Ils eurent trois fils.

Ils connurent un drame familial, la disparition de leur deuxième fils.

La génération suivante est composée de sept petits enfants.

La carrière hospitalière débutante de Louis Auquier reprit brillamment après sa démobilisation en novembre 1945.

Il fut interne dans des services prestigieux comme ceux de Justin Besançon, André Lemaire, René Moreau ou Lucien de Gennes.

Louis Auquier participa à la naissance de la Rhumatologie chez ses maîtres, à Paris, Florent Coste et Stanislas de Sèze et, à Aix les Bains, Jacques Forestier dont il est intéressant de considérer l’œuvre car il eut une importance décisive sur sa formation rhumatologique.

Jacques Forestier était un personnage hors du commun.

Il fut l’auteur de la description de deux affections : l’hyperostose engainante du rachis dorsal et le rhumatisme des ceintures du sujet âgé ou pseudo-poyarthrite rhizomélique.

Il publia, en 1929, les effets bénéfiques des sels d’or dans la polyarthrite rhumatoïde. Ce traitement empirique fut controversé mais confirmé par des essais thérapeutiques rigoureux, dans les années 60 et 70 et source d’un renouveau d’intérêt.

Forestier utilisa le lipiodol, huile iodée opaque aux rayons X, pour une exploration du sac dural. Il en étendit l’usage à l’étude des cavités naturelles. Surnommé « le Docteur Lipiodol » il fut invité aux États-Unis où il eut un grand succès en présentant cette méthode

Pour tous ses travaux, un hommage solennel a été rendu à Forestier, lors du congrès international de Rhumatologie à San Francisco en 1977.

Louis Auquier effectua son clinicat chez le professeur Pasteur Valery Radot.

Il partit aux Etats-Unis où il fut boursier et Research fellow in medecine à l’université de Stanford. Il y travailla chez Kuzell dont les travaux sur la phénylbutazone sont fameux.

Le cursus hospitalier de Louis Auquier peut être ainsi schématisé.

Nommé médecin des Hôpitaux en 1955, il a été, successivement, assistant de René Moreau, et de Stanislas de Sèze. Puis il devint chef de service à l’Hôpital Necker de 1960 à 1969. A partir de cette date, il dirigea le Service de Rhumatologie de l’hôpital Ambroise Paré, jusqu’en 1988.

Son cursus universitaire fut le suivant, il fut nommé :

en 1958, Professeur agrégé de médecine générale et thérapeutique, en 1969, Professeur titulaire de pathologie médicale, en 1972, Professeur de clinique rhumatologique au CHU Paris Ouest.

À l’étranger, il a fait des enseignements de 1958 à 1961 au Québec et au Vietnam Sud.

Il est Docteur honoris causa des universités de Tel Aviv et de Shangaï II.

Activités d’enseignement et de recherche

Louis Auquier s’est comporté à la fois :

— en brillant héritier de l’école clinique française, surtout dans le domaine de la sémiologie rhumatologique où il faisait preuve des plus grands dons et, — en soutien de premier plan à la recherche.

Il sut par l’enseignement, au lit du malade, transmettre un savoir et un savoir faire inestimables à des générations d’étudiants et d’internes. L’examen de chaque patient donnait lieu à une épreuve de virtuosité qui les laissait admiratifs.

Il a, pendant les premières années de son cursus universitaire, consacré l’essentiel de son enseignement aux étudiants sous forme de cours à l’ancienne Faculté de médecine puis aux Facultés de Necker puis de Paris-Ouest. Pour la formation continue, il a fourni un grand nombre d’articles de mise au point destinés aux praticiens.

La présidence de l’Université

Par la suite, il se trouva, élu à la présidence de l’Université Paris V — René Descartes à la suite du décès de Florian Delbarre, premier Doyen de la Faculté de médecine Cochin Port Royal et qui était le second Président de Paris V après Jean Frézal.

Ayant succédé temporairement à Delbarre car il était le vice Président de cette université, Louis Auquier fut, par la suite, reconduit à la présidence. Il se trouva ainsi responsable, pendant huit ans, de la conduite de cette prestigieuse Institution.

Il en eut la charge de l’administration et la responsabilité des orientations. Bien que soucieux des autres disciplines de cette université, il était impliqué profondément dans la protection des valeurs et attributs de la médecine. Pour en donner un exemple il participa, avec succès au sauvetage de l’Académie de chirurgie menacée grâce à une aide décisive concernant ses locaux.

Travaux médicaux et scientifiques

Sa thèse soutenue en 1948 a porté sur « l’élimination de l’acide urique à l’état normal et à l’état pathologique ».

Il se détourna de ce genre de recherches physiopathologiques et se trouva une motivation plus profonde reposant sur l’observation rigoureuse des faits cliniques.

À l’heure actuelle, par un glissement sémantique regrettable, le terme de recherche clinique devient synonyme « d’essai thérapeutique ». Or il y a bien d’autres domaines touchant la clinique dont la teneur doit être établie scientifiquement.

De longue date, il était surtout préoccupé d’établir l’histoire naturelle des affections ostéoarticulaires de la hanche, du genou et du rachis. C’est pourquoi, en collaboration avec Forestier et son équipe, il a étudié des séries importantes et prolongées de malades d’Aix les Bains. Ces travaux ont été conduits grâce à l’équipe de son service où il fut faire un mention spéciale à Boasson, Cohen de Lara, Limon et au groupe d’Aix.

• les travaux sur la douleur de la hanche et du genou ont perdu beaucoup de leur intérêt car les prothèses ont bouleversé le problème.

• Pour ce qui concerne le rachis, avec un long recul de plus de dix ans, deux malades sur trois ne souffrent plus. De plus, les douleurs sont intermittentes et limitées au cinquième du temps d’observation. De ces travaux, même s’ils sont rétrospectifs, on peut légitimement conclure que, contrairement à une idée reçue, les troubles n’évoluent pas tous de façon inexorable vers l’aggravation.

• De nouveaux travaux avec une méthodologie adéquate devenaient nécessaires.

Elles ont été menés, avec J. Coste sur les lombalgies aiguës.

• Du fait des incertitudes qui pèsent sur l’efficacité des interventions chirurgicales, d’autres études devraient, actuellement, être menées sur la pathologie rachidienne dite « chronique », après en avoir établi des définitions nosologiques convenables et validé des critères pour leur reconnaissance et leur suivi.

La claudication intermittente des racines lombaires ou lombosacrées.

Verbiest avait décrit des formes très évoluées de syndrome de la queue de cheval par sténose du canal lombaire, Louis Auquier a mené des travaux descriptifs minutieux portant sur les formes mono ou pauci-radiculaires de claudication intermittente avec constatations opératoires confirmant une sténose acquise du rachis lombaire.

Fallacieusement la communauté médicale s’est orientée ensuite vers une autre terminologie. A la place d’un concept nosologique valable, fait de signes et de lésions, elle désigna les anomalies anatomiques et d’imagerie. Cela donna naissance à la dénomination de « sténose du canal lombaire » alors que cette imagerie est très fréquente au cours du vieillissement et très peu spécifique.

Autres affections rhumatologiques

Louis Auquier s’est aussi intéressé à de nombreuses pathologies rhumatismales.

Plusieurs de ses travaux et de son équipe ont concerné la pseudo-polyarthrite rhizomélique et la maladie de Horton.

L’équipe s’est aussi beaucoup intéressée aux spondylarthropathies inflammatoires et aux enthésopathies qu’on y observe. Elle a pu montrer que le sceau de ces spondylarthropathies est une pathologie de l’enthèse : insertion sur l’os des tendons ou des ligaments ou de la capsule articulaire.

Il a, avec J.R. Siaud, participé à éclaircir la nature des tendinites achilléennes.

L’équipe de Louis Auquier s’est intéressée avec des collaborateurs de Jean Hamburger aux ostéonécroses aseptiques, survenant chez les greffés rénaux cortisonés.

La thèse de S. Arfi avait précisé les données factuelles : et il est vite apparu que c’étaient les fortes doses de corticothérapie utilisées en prévention de la crise de rejet qui étaient reliées à l’apparition des nécroses.

De plus, l’observation de douleurs osseuses au septième jour après la greffe a donné naissance à l’hypothèse d’une ischémie ostéomédullaire très précoce.

Pour tester cette hypothèse, une étude expérimentale a été conduite par J.M. Le Parc. Des doses élevées de corticoïdes, ont provoqué au septième jour, chez le lapin, un pic d’hyperliprotéinémie, accompagnée d’une stéatose diffuse, de lésions d’embolie graisseuse et de lésions de nécrose médullaire épiphysaire, alors que la série témoin en reste indemne.

Travaux divers

En plus de très nombreux travaux sur diverses pathologies, il sera fait mention de deux autres pathologies remarquables par leur rareté et leur cause constituée de troubles métaboliques :

• Une ostéopathie liée au syndrome de Toni-Debré-Fanconi dû à la méthyl-3- chromone, • Un cas rarissime d’hypophosphatasie congénitale révélée chez une femme de la cinquantaine, premier cas français démontré de cette affection.

Louis Auquier se préoccupa de perpétuer l’action du Fonds d’études et de recherche du corps médical hospitalier. Il fut trésorier puis Secrétaire général durant vingtcinq ans de cet organisme créé par Florent Coste, René Fauvert et Jean Hamburger.

Il consacra beaucoup de temps et de dévouement à cette fonction. Ce fut non sans mal car il fallut à la fois s’occuper de son financement, de sa gestion, du suivi et du maintien d’un partenariat avec l’Assistance Publique de Paris.

En hommage à cette activité, il existe à l’Assistance Publique de Paris un prix Louis Auquier dédié à la recherche médicale.

Louis Auquier fut élu à l’Académie nationale de médecine le 6 mars 1990.

Il en devint le Secrétaire adjoint de 1993 à 1999, puis fut élu Secrétaire perpétuel pour la période 1999-2002. Il quitta cette fonction, comme il s’y était engagé au terme de trois années d’action consacrés à la gestion des services administratifs et financiers et au fonctionnement de l’Académie. En outre, il participa à diverses activités sur le plan européen et international. Il amplifia alors l’ouverture sur l’étranger.

Il a été nommé membre Emérite le 11 janvier 2005.

Il a été fait chevalier de la Légion d’honneur en janvier 2003. Cette reconnaissance tardive des grands services rendus dans la Résistance et dans ses responsabilités professionnelles, participe d’une discrétion et d’une réserve à se mettre en avant. Il disait d’ailleurs de lui qu’il était un timide qui avait appris à compenser ce trait de caractère.

Pour récapituler la vie de Louis Auquier on peut dire qu’après de brillantes études, il a assuré, par son engagement dans la Résistance, le transfert en Afrique du nord des pilotes alliés et des Français évadés désireux de rejoindre la France libre.

Dans de nombreux domaines professionnels et institutionnels il a eu une grande palette d’actions.

• La pratique clinique : avec lui disparaît un très grand clinicien.

• Le souci de l’enseignement sous deux formes : ses cours universitaires et ses articles et séances de formation continue.

• La recherche clinique rhumatologique • Mais surtout son activité de Président d’Université • Sa participation efficace et dévouée à la gestion de notre compagnie.

Louis Auquier était un médecin humain, c’était certainement une des caractéristiques profondes de sa personnalité. Dans une période où il était encore fréquent de voir avec quelle désinvolture quelques « Patrons » inspirés d’une mentalité du xixe siècle traitaient les patients, il s’adressait, au contraire, à eux humainement tout en prenant soin de leur prodiguer les meilleurs soins et en s’efforçant de ne pas nuire. Il les associait à la prise des décisions importantes tout en ménageant leur intimité, leur pudeur et leur dignité.

Ainsi, Louis Auquier n’avait manifestement pas attendu la nouvelle vague des philosophes et des spécialistes de l’éthique pour se comporter en humaniste.

La fin de sa vie a été affligée par une longue et cruelle maladie pour laquelle Madame

Auquier, secondée par ses enfants, a fait preuve d’un grand dévouement. Il a su montrer, en cette circonstance, une discrétion parfaite, un courage exemplaire et un détachement teinté d’humour, toutes ces vertus que ceux qui le connaissaient bien n’ont pas été étonnés de retrouver dans cette conjoncture à laquelle il avait su se préparer de longue date. C’est ainsi qu’il m’adressa, les jours suivants sa décoration de la Légion d’honneur, une copie du discours de notre regretté ancien Président Blancher agrémentée de ce commentaire d’un humour assez singulier :

« Voilà mon premier éloge funèbre. Je ne crois pas pouvoir entendre le second »

L’éloge formel qui m’a été confié est l’occasion pour l’Académie nationale de médecine et pour moi-même, de lui rendre ce dernier hommage. On doit déplorer de voir disparaître avec lui un clinicien hors pair, un médecin empreint d’humanisme et un homme dévoué à diverses grandes tâches de soutien à la recherche et de gestion d’institutions prestigieuses.