Éloge de Jean Cottet (1905-2003)
Jean Cottet, nous a quittés en septembre dernier à quelques mois de ses 98 ans.
Lorsqu’il s’inscrivit à la Faculté, régnaient de nobles anciens dont la longue expé- rience clinique faisait autorité, et souvent même, tenait lieu de preuve. Autrement exigeant, Jean Cottet suivit sa propre voie, reposant sur un travail personnel, poursuivi en silence, tout au long de l’existence.
Provisoire en 1928, nommé l’année suivante, il fut interne de Raoul Bensaude et de Marcel Brulé, où il se lia avec Pierre Hillemand, alla chez Maurice Loeper puis dans la cathédrale de la Cardiologie, chez Charles Laubry où il rencontra nos futurs grands de la spécialité Daniel Routier, Émile Walser, Jean Lenègre, Pierre Soulié et Jean Lequime.
Attiré par l’Hépatologie, il rallia Étienne Chabrol à Saint-Antoine où naquit en salle et au laboratoire un tandem Patron-Interne bientôt soudé par les libres propos de fin de visite et les séances de travail chez l’ancien. La soirée de ces deux célibataires commençait par un dîner où l’Auvergnat vantait son Cantal en appuyant ses arguments de solides plats locaux appréciés par le jeune des Préalpes. Aujourd’hui, l’Internat est-il encore émaillé de telles veillées, toutes simples mais si précieuses pour le cœur et l’esprit du jeune collègue qui balbutie encore sur les choix qui feront son avenir ?
A peine arrivé chez Chabrol, Jean s’inséra au programme expérimental dressé dans la tradition d’Augustin Gilbert qui venait de disparaître et de son héritier Henri Bénard, futur Secrétaire perpétuel de l’Académie.
De 1932 à 1939, Jean étudia la physiologie de la bile d’où sa thèse « Une nouvelle technique de dosage de sels biliaires dans le sang. Ses résultats cliniques ». La technique retenue était la réaction phospho vanillique. Sur des chiens porteurs de fistules du cholédoque, Jean suivait l’excrétion de la bile et sa composition sous l’influence de divers facteurs pharmacologiques. Ces données étaient comparées à celles recueillies sur la bile prélevée en clinique par tubage duodénal ou en per opératoire. Les résultats étaient enfin présentés à la Société de Biologie où, chaque samedi, hospitaliers et universitaires soucieux d’élever le débat, échangeaient alors faits et idées.
La thèse était biochimique, placée sous l’égide de R. Charonnat, le savant pharmacien de Saint Antoine. Où trouver alors une compétence chimique à l’Assistance Publique de Paris hors les pharmaciens puisqu’il n’y avait pratiquement pas d’autres laboratoires dans nos hôpitaux ? C’était encore le cas dix ans plus tard lorsque j’étais interne et même après !
Cette physiologie fait sourire à l’ère de la biochimie moléculaire mais la méthode était celle qui, déjà et toujours, fait avancer la médecine : une question bien posée, une technique scrupuleuse conduisant à une réponse claire et chiffrée et seulement alors la spéculation. Étudier la biologie des ictères avec ou sans rétention était l’objectif. Pointait aussi l’ambition d’aborder le mécanisme des ictères par hépatite.
C’était la part secrète de rêve, celle que caresse tout expérimentateur. Jean n’atteignit pas ce but mais fit mieux.
Fidèle à la vie de laboratoire comme Jean était rare alors. Étudiant, je regrettais l’absence de faits expérimentaux associés à l’excellente clinique qui nous était enseignée. La triste réalité était que la recherche disparaissait de nos hôpitaux, plus par routine, insouciance ou pire, manque de conviction, que par carence de moyens.
On imagine les quolibets que Jean essuya en salle de garde bien que son travail eut une finalité clinique. Comme il respectait la méthode , celle de l’Encyclopédie, il déboucha plus tard sur des progrès.
En 1935, Jean ouvrit son cabinet à Evian où, de mai à septembre, il exerça jusqu’à sa retraite. Il succédait à son père notre confrère Jules Cottet qui, physiologiste dans l’âme, avait séparé dès 1900 les facteurs rénaux et prerénaux de la diurèse. Débutait alors l’étude fertile des fonctions prônée par nos grands anciens Fernand Widal, André Lemierre, Carl Potain, Henri Vaquez, Charles Achard, Anatole Chauffard, Joseph Castaigne et Maurice Loeper qui, dépassant l’anatomie pathologique, ouvrirent cette autre ère glorieuse de notre médecine.
L’afflux à Evian de patients venant soigner néphrites chroniques ou lithiases urinaires conférait aux médecins de la Station expérience et compétence d’autant mieux forgées que les curistes étaient souvent suivis année après année. Peut-on oublier l’apport du thermalisme à l’histoire naturelle des maladies chroniques ?
Evian en est l’exemple pour les affections rénales comme Aix-les-Bains pour la rhumatologie.
Jean Cottet acquit à Evian une réputation européenne de consultant. Humbles ou de grande notoriété, ses patients ne partaient jamais sans un dossier métabolique et de médecine interne. Jean satisfaisait ainsi son exigence tout en transmettant le fruit de son expérience enrichie des connaissances les plus récentes. Pour respecter ce programme, il se fit seconder par des internes expérimentés de Lyon ou de Paris.
Georges Canarelli, futur médecin de l’Hôpital d’Evian, évoque avec émotion ce tutorat et Georges Mathé, récent lauréat du Prix Medawar pour ses travaux sur la transplantation dit cinquante ans après « que ses qualités l’élevaient au niveau des consultants les plus qualifiés ».
Jean avait de l’ambition pour le Chablais où ses père et mère possédaient encore quelques arpents de vignes. A Evian, il attira des médecins de qualité, thermalistes diversement orientés, biochimistes et radiologistes. Edile, il fit créer à l’Hôpital une unité de convalescence, la diététique, la dialyse itérative et la chirurgie urologique centrée sur la lithiase. Jean était de la trempe du Dr Benassis. Le Chablais n’est-il pas proche de la Chartreuse ?
Jean était Membre Fondateur de la Société de Pathologie Rénale qui devint de Néphrologie en 1959. Pour imposer la discipline, Hamburger souhaitait un Congrès International. Jean nous fit rencontrer Frédéric Cruze Président de la Société des Eaux d’Evian qui accorda soutien financier et totale liberté d’action. Quelle confiance témoignée à Jean, Secrétaire général du Congrès, alors que la spécialité était innominée et la nécessité de l’individualiser, niée par beaucoup.
500 Congressistes du monde entier vinrent à Evian en 1960. Cet évènement lança la néphrologie moderne en révélant maints acquis théoriques fondamentaux et les premiers succès de la dialyse itérative et des transplantations. Y fut aussi créée la Société Internationale de Néphrologie présidée par Jean Hamburger. La thérapeutique basée sur la biologie fascinait Jean. A Evian, avec C. Vittu, il s’intéressa à la cristallurie provoquée et aux liens entre lithiase calcique et calciurie montrant, entre autres, que réduire celle-ci prévient la formation de calculs mais que les pierres constituées résistent, travail contemporain de celui d’Albright. À la clinique de M. Loeper avec A. Lemaire, M. Nitti et A. Varay, il étudia la spécificité d’organes de plusieurs sulfamides. Puis, avec N. Rist, ce furent les sulfones, anti-tuberculeux vite détrônés par l’isoniazide mais actifs dans la lèpre.
Jean était conseiller médical de Théraplix, firme pharmaceutique créative. En 1953 avec J. Redel il constata « l’hypocholestérolémie due à l’acide phényl éthyl acétique » .
Publié à l’Académie des Sciences et à notre Compagnie, ce travail annonçait la prévention de l’athérosclérose.
Ce médicament est oublié mais l’aventure qui conduisit à sa découverte mérite attention. Elle était le point de rencontre de thèse de Jean, d’une initiative biochimique réfléchie et du métier du clinicien thérapeute qu’il était. En quête d’un cholagogue, il cherchait un dérivé actif de l’acide dehydrocholique en suivant le protocole utilisé pour sa thèse. Inspiré par la méthode qui permit à Ernest Fourneau et Jacques Tréfouel d’isoler le noyau sulfamide, le chimiste J. Redel synthétisa divers fragments de la molécule de l’acide déhydrocholique en modifiant la place ou la nature des substituants. Un d’eux, l’acide phényl éthyl acétique , augmentait chez le rat et le chien l’excrétion biliaire du cholestérol dont il réduisait le taux sanguin. Il en était de même chez l’homme.
Jean osa voir et saisit aussitôt l’intérêt de disposer d’un moyen de contrôler l’hyper-cholestérolémie, cause d’athérosclérose clinique soupçonnée par Anatole Chauffard et Adrien Grigaut. L’espoir naissait d’un traitement préventif. Avec Édouard Housset, Jacques Loeper, Claude Olivier, Jean Natali, Jean Daniel Picard, Jacqueline Étienne, Jacqueline Loeper-Goy, Maurice Cloarec, R. Cristol et J.
Enselme de Lyon il étudia les lésions artérielles, leurs liens avec la nutrition et le cholestérol sérique ainsi que leurs traitements médicaux et chirugicaux.
De très larges essais cliniques, prolongés des décennies, pouvaient seuls répondre à la question levée par Jean et éventuellement convaincre. Avec ses amis, il lutta, fonda La Revue et La Société de l’athérosclérose , participa au Journal of atherosclerosis research , au Groupe européen de recherche sur l’athérosclérose et présida la Société
Française de Pathologie vasculaire . Pour faire connaître la discipline, il produisit un film d’enseignement et publia avec R. Cristol «
L’Athérosclérose » . A l’Académie il organisa avec Jean-Claude Gautier trois belles séances sur les urgences que sont les drames vasculaires cérébraux de l’athérosclérose. Grande fut sa joie de voir naître ici un groupe dirigé par Jean-Luc de Gennes pour suivre l’avenir des hyperlipidémies décelées avant 20 ans.
Une découverte débute souvent par un fait inattendu, bien repéré et bien étudié comme le fit Jean Cottet. Mais il s’agissait ici d’une maladie chronique dont la médecine ne se souciait pas alors, ni en France ni ailleurs, et la semence tomba sur un sol non préparé. Les esprits étaient-ils en mesure d’accueillir une donnée nouvelle exigeant une étude prolongée pour dégager son intérêt thérapeutique éventuel ?
Rien de surprenant alors qu’ait été oublié le travail ingrat de l’interne Jean Cottet contrôlant des débits biliaires conduisant au premier hypocholestéroléminiant.
Qu’en-est-il maintenant ? Notre ensemble médico universitaire est l’objet de réflexions critiques pour des raisons avant tout économiques. Sait-on en haut lieu que les soins de qualité, devoir premier de l’hôpital, dépendent pour une large part de la vie intellectuelle qui y règne et que la meilleure médecine est la moins coûteuse ? A nous de le rappeler haut et fort. Et aussi l’exigence légitime de nos citoyens d’avoir un système de santé auquel ils peuvent faire totale confiance. Et que dire de notre réputation civilisatrice nous imposant une plus active créativité biomédicale et pharmaceutique ? L’oubli des travaux de Jean Cottet est là pour nous inciter à évoquer ici, à son Académie, ces impératifs qui entrent en jeu dans notre vie à tous, sans distinction.
Jean publia aussi La Soif , Les Médicaments qui nous accompagnent et au nom de l’Académie dirigea
La Médecine et notre temps où il souligne le danger du dopage des sportifs. Que n’a-t-il été entendu ! De 1956 à 1974, avec Claude Laroche et André Varay, il dirigea les deux forts volumes de la Thérapeutique Médicale, Les Grandes Médications , dont les mises au courant tracent l’évolution des médicaments rendant la médecine moderne efficace car scientifique.
Ce bref résumé des travaux de Jean montre son attrait pour la thérapeutique. Il l’enseignait avec passion pour la faire appliquer en clinique avec science. Il le fit à Pnom Penh en 1961 après l’avoir fait à Saint Joseph de Beyrouth de 1946 à 56. Très attaché à cette Faculté, il collecta des fonds pour sa reconstruction après l’attentat de 1982. Pensons-nous autant que Jean à ce bastion exemplaire de notre médecine au Proche Orient ?
Tel fut son travail de médecin, ni Universitaire ni Hospitalier ni Pastorien, voyant loin et visant haut.
Depuis des décennies son nom ne figurait plus sur les registres de nos Administrations. Mais sa créativité et sa générosité lui ont valu d’être Commandeur de la Légion d’Honneur. Hors hiérarchie, l’esprit s’épanouit parfois mieux que sur des rails.
Jean Cottet, Correspondant en 1964, Titulaire en 74, était de toutes nos séances, allant à la Bibliothèque étancher sa joie de savoir, en héritier d’une tradition ciselée par l’Internat de Paris. Nous lui devons le Prix pour la Recherche des Eaux d’Evian.
Toutes les facettes de l’existence l’attiraient et il cherchait à les renouveler en voyageant au loin. Il cultivait aussi l’amitié. Depuis l’externat, Jean C. Rudler et lui étaient liés. Avec André Varay, il aimait résoudre les enigmes cliniques. Depuis l’Internat Jean Hamburger et lui ne se sont pas quittés, les succès de l’un comblant l’autre, l’affection jouant un grand rôle dans leurs vies. J’ai dit la modestie et la réserve de Jean. En préparant cet Éloge j’ai appris que durant l’Occupation, il avait organisé un refuge pour Jean Hamburger, qui ne fut pas le seul exclu de la Nation que Cottet ait alors aidé. Ensemble, ils furent aussi à l’origine de la Fondation pour la Recherche Médicale dont l’action se développe sous ses toujours grands Présidents, l’actuel étant notre confrère Pierre Joly.
L’esprit de Jean Cottet s’enflammait dès que se profilait une échappée offerte à sa soif de connaître, en médecine ou ailleurs.
De son oncle, Charles Cottet, du groupe de Pont-Aven, il aimait son âme inscrite sur ses toiles . La fidélité du peintre Maurice Perrault lui fut précieuse. Jean Carzou et sa femme lui ont fait rêver à l’irréel vivant . Leur fils Jean Marie fut jusqu’au bout le plus attentionné des amis. Pierre Boulez et Suzanne Tezenas l’ont attiré à la création musicale.
Plus que tout, le théâtre éveillait ses passions. Subjugué, il vivait le révéré triomphe de l’art dramatique où l’acteur, captif de son personnage, est dépossédé de lui-même.
Dans le milieu du théâtre parisien, il avait noué de fidèles amitiés. A sa table, se mêlaient la scène et la médecine, deux observatoires de l’âme où s’affrontent rêves, désirs, angoisses, vérités et illusions, même quand le sort de tous est fixé. Ses invités étaient Jacques Mauclair, Alain Cuny, Simone Valère, Jean Dessailly et Georges Schéhadé, libanais dont l’Émigré de Brisbane fut joué au Français. Mais Pierre
Bertin était son plus habituel convive. A en faire palir de jalousie nos bustes de pierre ou de bronze, il n’y eut jamais meilleur Oncle Vania dans la Cerisaie pour figurer la vanité du mandarin universitaire du 19e siècle, l’opposé de ce qu’était Jean ! Pierre Bertin n’avait-t-il pas été étudiant en médecine, passé au théâtre après avoir hésité à devenir chef d’orchestre ? Jean l’avait connu chez Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault autres amis inséparables.
Puis ce furent les dures années. Cloîtré, rivé au fauteuil et à sa lecture, il ouvrait sa table aux amis et avec eux oubliait les misères quotidiennes. Quand il fut cloué au lit, les ouvrages profanes ou les Écritures étaient un secours avec lequel il nourrissait l’intérêt de ses visiteurs. Puis il se détacha de la vie publique mais pas de celles de ses amis. Et après, du même Livre, longuement tenu en ses mains, il n’en tourna plus les pages.
A-t-il souffert ? Oui. La mort, acceptée mais non recherchée, se refusa souvent et chaque fois la lutte reprit, dans la parfaite dignité et la sérénité spirituelle encouragée par le souvenir du Père Jean Riquet puis par Monseigneur de Vial, Curé de Sainte Clotilde.
Les membres de notre Compagnie étaient nombreux à passer Rue Saint Dominique.
Le Chancelier Édouard Bonnefous l’ami des grands voyages d’antan dont l’élection parmi nous lui fut une grande joie. Jacques Rochemaure, Claude Jaffiol et Jacques Louis Binet le tenaient au courant de la vie de l’Académie et Madame Goy-Loeper évoquait celle de Saint-Antoine.
Jean ne quitta pas son chez lui. Ceux qui l’ont entouré pendant ces années savent son noble courage sans plainte ni geste d’irritation. Quand il avait recouru à l’aide pour surmonter un mauvais moment, avec le reste de ses forces, il manifestait un signe de gratitude, toujours avec un doux sourire, profond comme celui de Reims. Tous ceux qui l’ont soigné jour et nuit l’ont pleuré. Nous, amis de Jean, nous leur devons beaucoup.
Jean Cottet laisse à l’Académie le souvenir d’un confrère très intégré mais farouchement indépendant, tenant à ses opinions tout en cherchant à comprendre celle des autres. Et précieuse pour nous tous fut sa totale liberté de jugement.
Célibataire, Jean avait peu de famille. Une profonde affection l’unissait à Jacques Decourt, son beau frère, ami intime au talent admiré dont la disparition fut une douloureuse épreuve. Sa sœur, Madame Gabrielle Decourt, lui survécut quelques semaines. A Monsieur et Madame Jean Pierre Decourt, ses petits neveux, l’Acadé- mie présente ses condoléances émues ainsi qu’à sa très confiante et affectueuse amie dont la fidèle et attentive présence jusqu’à la fin fut si chère à Jean.