Éloge
Session of 26 octobre 2010

Éloge de Jean Cauchoix (1912-2009)

Jean Dubousset *

Summary

Éloge de Jean Cauchoix (1912- 2009)

Jean DUBOUSSET *

Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire perpétuel, chers Confrères, Mesdames, Messieurs, Il y a presque un an maintenant, en plein été 2009, l’Académie perdait l’un de ses membres les plus assidus, les plus élégants, les plus prestigieux, Jean Cauchoix l’un des pères de l’Orthopédie française moderne.

Il avait traversé cette période exceptionnelle où l’Orthopédie allait passer du plâtre aux ostéosynthèses et prothèses les plus sophistiquées, y compris pour le rachis qui était son organe de prédilection.

Lorsque notre Secrétaire perpétuel m’a fait l’honneur de me demander de faire l’éloge de Jean Cauchoix, j’ai eu quelques scrupules, n’ayant jamais été son élève direct. Mais les sept dernières années de sa vie où je l’ai côtoyé de plus près, après qu’il m’ait fait élire dans notre Compagnie, ont développé en moi une véritable affection pour cet homme exceptionnel. Comme il se livrait peu, et même, pas du tout sur lui même, c’est grâce à quelques membres admirables de sa famille, de ses amis et bien sûr de ses élèves que j’ai pu reconstituer son parcours. Qu’ils en soient tous ici remerciés.

Qu’il me soit permis aussi de rapporter l’histoire du début de mes relations avec Jean Cauchoix ; elle illustre parfaitement la personnalité de ce grand seigneur de l’Orthopédie. Je me rappelle de ma première rencontre avec lui ; c’était à Berck, à l’Institut Calot en 1960, à l’occasion d’une réunion orthopédique mensuelle organisée tour à tour dans chacun des hôpitaux Berckois. Je n’avais pas encore commencé mon internat et je me trouvais à l’hôpital Maritime de l’APHP en rééducation après un grave accident de la route survenu quelques semaines après ma nomination à l’internat de Paris. Jean Cauchoix venait à Berck régulièrement pour organiser et contrô- ler le bon fonctionnement de l’Institut dont il avait la charge et à l’occasion opérer quelque rachis. Bien sûr il se trouvait là lorsque la réunion mensuelle se passait à Calot, et naturellement il la présidait. J’ai de suite été impressionné par sa présence, son autorité naturelle, la sobriété de ses remarques et le grand respect voire la crainte qu’il inspirait aux participants. Bien sûr, moi, tout petit, pas encore tout à fait interne, je n’ai fait qu’écouter et ne lui ai pas adressé la parole. Ma seconde rencontre se place quelques années plus tard, à Cochin où il était venu un lundi après midi, chez son Maître Robert Merle d’Aubigné, parler de la maladie de Scheuermann. Je venais de terminer mon clinicat, j’avais présenté un exposé en début de séance sur les voies d’abord antérieures du rachis, un de ses sujets de prédilection, (mais je l’ignorais à l’époque). A la fin, avant que l’on quitte la salle, Jean Cauchoix viens vers moi et me dit : « C’est pas mal ce que vous avez fait » et s’en va. Ses élèves s’approchent et me demandent : « Qu’est-ce que t’as dit le patron ? ». Je le leur dis et ils répondent : « Eh bien tu sais ce n’est pas souvent que l’on entend ça de la bouche du patron ».

Et je ne l’ai plus approché directement.

Évidemment, je l’ai écouté de multiples fois au cours des congrès, colloques, aussi bien en France qu’à l’étranger. Il maniait la langue anglaise parfaitement, ce qui explique aussi le nombre de ses amis anglais ou anglophones, d’ailleurs parfaitement sélectionnés, car il basait son jugement sur la qualité non seulement intellectuelle et technique de ses collègues mais aussi et peut être plus encore sur leurs affinités humaines.

Quelle n’a pas été ma surprise, deux ou trois ans avant mon départ à la retraite lorsque décrochant le téléphone, j’entends : « Cauchoix : « Vous devriez poser votre candidature à l’Académie de médecine ». Lui faisant part de la surprise de cette demande du fait de n’avoir jamais été son élève il me répond avec sa façon directe et concise habituelle : « Vous êtes parisien, j’ai fait le tour des parisiens : c’est vous, réfléchissez. » Et il a raccroché.

C’était vraiment ça, Jean Cauchoix : pas de grandes phrases, un masque toujours imperturbable quoiqu’il arrive, une rigueur morale et technique qu’il appliquait à lui-même autant qu’à ses élèves et collaborateurs, mais derrière, une sensibilité, une écoute, et une chaleur humaine merveilleuse qu’il fallait découvrir.

Jean Cauchoix est né à Paris, Rue de la Boétie le 19 janvier 1912, dans une famille médicale je dirais même plus chirurgicale. Son grand-père maternel médecin renommé auprès des artistes de l’époque, son père, lui même chirurgien des hôpitaux de Paris, devait disparaître très jeune en 1924, des suites d’une chirurgie thoracique, alors que Jean n’avait que 12 ans. Fils unique il sera donc élevé par sa mère, ses tantes et gouvernantes, mais les amis et collègues de son père, lui avaient promis de ne pas le laisser tomber !

Ses études secondaires sont brillantes au lycée Condorcet, ce qui l’amène rapidement à s’orienter vers les études médicales ; il sera nommé interne des hôpitaux de Paris en1934, à 22 ans.

Il fait la première partie de son internat en chirurgie générale auprès de Charles Lenormant, Pierre Mocquot, Louis Bazy, et c’est chez Paul Mathieu qu’il fut initié à la difficulté et à l’intérêt de la chirurgie touchant les os et les articulations dont Paul Mathieu était un promoteur passionné. Il devient chef de clinique en 1937, et ayant fait son service militaire dans les chasseurs alpins, car il aimait la difficulté et était devenu un parfait skieur dès cette époque, il devient responsable d’ambulance lors du début de la guerre. Ceci, malgré la débâcle, ne l’empêchera pas de se marier le 2 juillet 1940 avec Huguette qu’il connaissait déjà, et qui était infirmière de cette même ambulance. Le mariage (effectué par l’officier d’ambulance), a dû être confirmé ensuite à deux reprises ce qui faisait dire à Jean Cauchoix : « oui, j’ai été marié trois fois …. avec la même femme ! ».

L’ambulance descendra au-delà de la Creuse et du Massif Central avant d’être démobilisée, et la nouvelle famille Cauchoix reviendra sur Paris, s’installera rue de Varenne, où elle restera 40 ans et où naîtra en 1941 Barbara la première fille du couple qui sera suivie plus tard de Stéphanie, Carole et Christophe.

Bien sûr Jean avait repris à Paris son activité de chirurgien, chez Pierre Duval, et comme assistant de Jean Quénu à la clinique chirurgicale de Cochin, où il devient chirurgien des hôpitaux de Paris en 1943. La présence dans le service de Robert Merle d’Aubigné décide de son orientation définitive, d’abord pour la prise en charge clandestine des résistants, et l’aide de chaque instant à la population meurtrie par l’occupant, puis de sa participation au comité d’évaluation des déportés revenus des camps à l’Hôtel Lutétia, après la libération, enfin pour son orientation claire vers la chirurgie orthopédique. Celle-ci devint exclusive lorsque en 1948 il devient Assistant au centre de chirurgie réparatrice que Robert Merle d’Aubigné avait crée à Foch avec de jeunes et brillants collaborateurs qui allaient devenir ensuite la base de la future école de Cochin, Raoul Tubiana, Michel Postel, Robert Meary, Jacques Ramadier, Jean Benassy, Madeleine Zimmer. Tous suivirent Merle d’Aubigné à Cochin lorsqu’il prit la Clinique chirurgicale orthopédique et réparatrice qui faisait suite au service de Paul Mathieu. Jean Cauchoix était alors le seul chirurgien des Hôpitaux en titre. Une véritable filiation s’était établie entre les deux hommes qui jamais ne se démentira comme en témoigne le superbe éloge que fit Jean Cauchoix de son maître et ami devant notre Compagnie le 9 octobre 1990.

Mais il faut remarquer que la spécialisation de Jean Cauchoix en chirurgie orthopédique n’est survenue qu’après quinze années de pratique et d’enseignement de chirurgie générale et de ses différentes branches, exemple à retenir pour les jeunes générations actuelles qui tendent à se précipiter dès l’internat dans une spécialisation effrénée. C’est bien au cours des cinq années passées au pavillon Lister à Cochin auprès de Robert Merle d’Aubigné que la triade « indications bien posées, technique opératoire rigoureuse, évaluation impitoyable des résultats » va devenir le modèle qui sera perpétué par Jean Cauchoix tout au long de sa carrière dans tous les services dont il a eu la responsabilité avec peut être même une plus grande rigueur que dans la maison mère.

Nommé chef de service à l’Hospice Ivry en 1954, puis en 1955 à Saint-Louis, il devient la même année Agrégé à la faculté de médecine de Paris. Jean Cauchoix va dans cet hôpital transformer un service de chirurgie générale, en créant un véritable centre de traumatologie, le premier de ce type à Paris où pendant neuf ans, malgré des locaux inadaptés, un travail très lourd sera effectué.

Grâce à l’aide de jeunes collaborateurs actifs Alexandre Maschas, André Lemoine, Michel Benoist, Claude Massare, Jacques Duparc, et à la tenue rigoureuse des dossiers, des travaux de synthèse très cohérents vont émerger dont par exemple la fameuse classification des fractures ouvertes de jambe, qui depuis cette date est encore en usage dans le monde entier. Il est assez émouvant pour notre pays d’entendre dire à l’autre bout du monde lors de la présentation par un patron dans un congrès ou mieux encore, celle d’un jeune interne dans un service de Rio Gallegos en Patagonie, où je me trouvais, à propos de la fracture dont on discute le traitement : « c’est une fracture type Cauchoix III ». Ça fait quelque chose ! !

De cette époque de Saint Louis permettez-moi d’utiliser quelques mots de Serge Hautier un de ses chefs de clinique de l’époque : « Le service était comme une famille avec des bons moments certes mais aussi des servitudes. Il y avait les déjeuners du mercredi où, serrés les uns contre les autres, devant un repas frugal, nous nous immergions dans les arcanes de notre spécialité, en sachant que presque toujours au dessert, nous aurions droit aux commentaires concernant le dernier match de rugby ! La réunion de service suivait, que le patron très anglophile avait appelé « staff », héritée en droite ligne de Cochin, où étaient présentés les dossiers des opérés de la semaine écoulée avec leur résultats ». Je cite toujours Serge Hautier « Gare aux coups de règle sur les doigts si ce n’était pas parfait ! Le patron avait horreur du verbiage, les mots devaient être précis et les raisonnements concis ! » On voit bien paraître déjà les qualités professionnelles que tout le monde orthopé- dique de l’époque reconnaissait à Jean Cauchoix : la rigueur et l’honnêteté, rigueur, matérialisée d’ailleurs en salle d’opération par la technique du « No Touch » dont il était le champion (ne jamais toucher avec les doigts la partie de l’instrument allant dans la plaie opératoire, et a fortiori l’implant, vis, plaque et même fil de suture qui restera dans le champ opératoire ; l’aiguille et le fil ne devaient être manipulées qu’avec des pinces !) .

Mais seuls ceux qui l’approchaient de près connaissaient son étonnante chaleur humaine, cachée derrière un masque impassible, que personnellement je n’ai découvert que lorsque je l’ai côtoyé de près à l’Académie.

En 1963 il quitte le cadre historique de Saint Louis avec toute son équipe pour prendre un service de chirurgie générale devenu vacant à Beaujon. Il aura là encore la joie de le transformer en service d’Orthopédie et Traumatologie devenu rapidement la Clinique orthopédique de la faculté Xavier Bichat où il restera jusqu’à la fin de sa carrière.

Ce centre de Beaujon, c’était un centre de traumatologie complet multidisciplinaire avec Jean Baumann pour la chirurgie vasculaire et thoracique, et l’ami fidèle Jean-Louis Lortat Jacob pour la chirurgie viscérale, tout autant que les services de neuro-chirurgie et diverses unités de réanimation.

Le service de Clinique Orthopédique de Beaujon fut donc organisé de manière infaillible sur le même modèle qu’à Saint-Louis mais dans de locaux plus vastes et plus modernes. Toute l’équipe de Saint-Louis avait bien sûr suivi. Rien ne devait être laissé au hasard, ou à l’inexpérience, chacun était à sa place avec un rôle parfaitement défini. L’autorité naturelle et élégante du patron et ses grandes qualités chirurgicales, sa rigueur pour la clinique tout autant que pour son enseignement, la quantité considérable de patients admis et traités à Beaujon en faisaient l’un des services les plus recherchés par les internes. De plus, ce service était particulièrement tourné vers le rachis, depuis longtemps organe de prédilection de Jean Cauchoix, peut être à cause de la difficulté technique et des risques de sa chirurgie qui doivent être parfaitement réfléchis mais surmontés. Ce trait est l’un des plus forts de la personnalité de Jean Cauchoix aussi bien en salle d’opération que dans une traversée maritime audacieuse à la voile, activité qu’il affectionnait.

Le service était résolument temps partiel, internes et assistants accompagnaient le patron à la clinique où il dispensait son enseignement « de bouche à oreille », ce qu’il préférait de beaucoup à l’enseignement ex cathedra !

Peut-on rappeler que nommé professeur de clinique, Jean Cauchoix n’a jamais fait sa leçon inaugurale !

Mais après la grande visite du patron du samedi matin suivie par tout le service, quelle qualité d’enseignement ne trouvait-on pas dans la présentation des malades par l’interne et le chef de clinique qui avaient effectué un examen approfondi durant la semaine et où la meilleure solution était soupesée, discutée, décidée. Quelle sécurité aussi pour le malade ! Aujourd’hui les raisons économiques ne le permettent plus et c’est bien dommage pour les malades et pour les étudiants !

Une fois par mois le patron disparaissait pour quelques jours, il allait à l’Institut Calot à Berck. En effet en 1952 il avait été appelé, sur le conseil de Robert Merle d’Aubigné, à la direction médicale de l’Institut Calot de Berck qui comptait à cette époque quelques trois cents lits destinés, selon la tradition Berckoise, à recevoir les tuberculoses et autres maladies du système ostéo articulaire d’étiologies variées mais dont le traitement était essentiellement chronique basé sur le repos, la posture, les immobilisations plâtrées, parfois quelques minimes gestes chirurgicaux, ténotomies ou autres, et bien sûr le bon air maritime ! Jean Cauchoix va petit à petit transformer cet établissement en un centre de réputation internationale de la pathologie ostéo-articulaire grâce à sa vision moderne du traitement de ces affections, incluant largement la chirurgie, en particulier mal de Pott et Scolioses. Il va y effectuer chaque mois des chirurgies de plus en plus lourdes, mais toujours entourées de la même rigueur dans les indications et dans l’exécution, au fur et à mesure que les installations rudimentaires se modernisent. Il sera largement aidé pour cela par l’enthousiasme, l’opiniâtreté, l’ingéniosité, et le travail de ses collaborateurs locaux en particulier d’Yves Cotrel auquel il va inculquer les bases de la chirurgie rachidienne, et qui deviendra l’un des maîtres incontesté au plan planétaire, du traitement de la scoliose, contribuant largement à ce qu’on appelle l’école Berckoise. Cette école reconnue dans le monde entier, perpétuée par les chirurgiens qui se sont succédés à Calot jusqu’à maintenant, Georges Morel, Jean Claude Rey, Daniel Chopin, Christian Morin, pour n’en citer que quelques uns, tous élèves de Jean Cauchoix, tous lui vouant une admiration et une affection sans bornes.

C’est encore à Berck en 1960 que Jean Cauchoix, crée l’Institut de Recherche sur les maladies du squelette, grâce à l’activité inlassable de Jean Duriez le clinicien chercheur, et de Claude Heripret le radiologue. Son conseil scientifique était constitué de personnalités françaises et étrangères principalement anglo-saxonnes de grande qualité scientifique. L’Institut est muni d’une animalerie moderne, d’un laboratoire incluant la chirurgie expérimentale, d’une bibliothèque remarquable. De nombreux travaux dans le domaine de la physiopathologie osseuse vont en sortir d’autant que la proximité de l’observation clinique humaine en faisait une association rare sinon unique sur le sujet à l’époque.

À Berck, tout comme dans son service à Beaujon, Jean Cauchoix accueillait bon nombre de jeunes collègues souvent étrangers pour des séjours de formation et de recherche. Son ouverture vers l’étranger n’était pas nouvelle. En effet très tôt, jeune chirurgien des hôpitaux, dès 1949 il suivait son patron Robert Merle d’Aubigné, accompagné de Jacques Leveuf et de Pierre Truchet, le chirurgien de Chambéry, pour effectuer un voyage aux USA, allant de Boston, à New York, à Chicago, et à la Mayo Clinic, qui allait lui permettre de créer une chaîne d’amitiés qui ne s’est jamais démentie. Son anglophilie était bien connue et le maniement de la langue anglaise n’avait pas beaucoup de secrets pour lui.

Comme il aimait à le dire, je le cite « ma dette à l’égard de la chirurgie anglo-saxonne est considérable, Smith Petersen, Philip Wilson, Dallas Phemister aux USA, Sir Harry Platt, Sir Herbert Seddon, Karl Nissen, Joseph Trueta, en Angleterre, m’ont reçu, conseillé, nous nous sommes échangés nos élèves dont beaucoup sont devenus des amis ».

Je n’oublierai pas non plus ses nombreux et proches amis chirurgiens du rachis Henk Verbiest en Hollande, Harry Crock en Afrique du sud avec lesquels il fonda l’International Society for the Study of the Lumbar Spine. Ces amis (nombreux sur toute la planète), il se les était acquis grâce à sa notoriété faite de sérieux, d’honnê- teté d’analyse, de vision anatomo-pathologique, de déduction thérapeutique, d’exé- cution rigoureuse de l’acte chirurgical et d’appréciation impitoyable des résultats.

Cela explique pourquoi Jean Cauchoix a été amené à dispenser son enseignement et son expérience dans le monde entier. Cela explique aussi pourquoi il a formé tant d’élèves étrangers, les ayant accueillis à Beaujon ou à Berck, dont tous ont gardé envers lui admiration et fidélité à toute épreuve. Ils étaient en fait devenus ses amis, du Royaume Uni, du Mexique, de l’Argentine, du Liban, de l’Australie,… du monde entier. Il était en effet remarquable de voir combien certains de ses élèves fidèles, venus parfois de très loin, à l’occasion du congrès de la SOFCOT, que Jean Cauchoix ne manquait jamais, étaient là pour l’entourer, non seulement au congrès et dans ses manifestations officielles mais aussi dans les dîners personnels qu’il organisait souvent chez lui.

En réalité Jean Cauchoix est toujours resté le patron, ses qualités chirurgicales, sa rigueur dans l’examen du malade, dans sa technique chirurgicale, qu’il savait imposer aux autres, sa prestance, son masque impassible même dans les moments les plus dramatiques de sa vie personnelle comme celle de la mort tragique de son propre fils Christophe vers l’âge de trente ans, lui donnaient une autorité naturelle évidente, entraînant crainte et respect.

Bref, on voit bien comment l’école de Beaujon avait acquis sa place parmi les plus réputées de l’orthopédie française. Elle était soudée autour de son patron, les assistants des premiers jours solides au poste étaient devenus parmi les chirurgiens les plus réputés de Paris. Seul Jacques Duparc collaborateur à Saint Louis et au début de Beaujon, se sera éloigné de la « famille » pour développer son propre service à l’hôpital Bichat. Les plus jeunes de plus en plus nombreux, fidèles aux règles et philosophies du maître, allaient les entretenir et les faire fructifier lorsque Jean Cauchoix, parti à la retraite ils se sont trouvés à la tête du service comme Alain Deburge d’abord et maintenant Pierre Guigui, ou déjà ailleurs dans des structures publiques comme Bernard Glorion ou dans des structures privées comme Jean Claude Rey ou Jean Louis Briard, tout en acquérant à leur tour une renommée nationale et internationale. Je ne saurais les citer tous, élèves fidèles de leur maître.

Les travaux personnels de Jean Cauchoix et ceux de son équipe sont considérables.

On en comptait déjà 178 sélectionnées pour ses titres et travaux en 1982 lors de sa candidature, et de son élection à notre Compagnie. Bon nombre ayant trait à la recherche fondamentale sortaient de l’Institut de Recherche de Berck, comme la physiopathologie des auto transplants d’os spongieux, des hétéro transplants osseux, les scolioses expérimentales, de l’ostéoporose, du rôle de la calcitonine, des différents facteurs métaboliques responsables des troubles osseux accompagnant les hémodialyses, de l’allongement extemporané du fémur chez le chien beagle …

Mais surtout ses travaux cliniques ont laissé pour nombre d’entre eux, une empreinte indélébile dans l’histoire de l’orthopédie nationale et particulièrement rachidienne mais aussi mondiale. Je n’en citerai que quelques uns :

— Bien qu’ayant établi dès 1957 la classification des lésions cutanées des fractures ouvertes de jambe, et la nécessité absolue de leur stabilisation chirurgicale immédiate, qui est toujours en vigueur actuellement sur toute la planète, il n’aimait pas particulièrement les classifications. Il préférait l’analyse clinique et radiologique rigoureuse de chaque cas pour en tirer avec le recul nécessaire des déductions thérapeutiques plutôt cartésiennes qu’alors il publiait.

— Ses travaux sur les tuberculoses ostéo articulaires, coxalgie, mal de Pott, bien en relation avec son activité à Berck, restent des références au moment où l’installation de la chimiothérapie bouleversait la stratégie thérapeutique.

— l’abord direct antérieur du rachis, ces voies d’abord larges des corps vertébraux, qu’il qualifiait à l’époque « voies inhabituelles » et qu’il présenta en collaboration avec son ami et parent Jean-Paul Binet, au Royal College of Surgeons à Londres en 1957, eut un accueil et un retentissement international qui recoupait parfaitement les travaux de Hogdson à Hong Kong sur le mal de Pott, et surtout ouvrait la voie à la chirurgie rachidienne moderne actuelle, que ce soit pour raisons traumatique, congénitale, infectieuse, inflammatoire, ou dégénérative :

Jean Cauchoix restera l’un des pères de cette chirurgie.

— Sa collaboration depuis les premiers jours, dès Ivry ! avec la rhumatologie en la personne de Michel Benoist et la radiologie avec Claude Massare, amènent Jean Cauchoix à s’intéresser de près au rachis vieillissant et aux lésions dégénératives qui l’accompagnent.

— La chirurgie de la sciatique en particulier paralysante ou de ses échecs avec les arachnoïdites post opératoires, l’ont conduit avec Michel Benoist à développer le traitement non ouvert par chimionucléolyse proposé dans les cas de hernie non exclue.

— Avec Henk Verbiest, Kirkaldy Willis, Jean Cauchoix créera le groupe fondateur de la société pour l’étude du rachis lombaire. Ils seront les premiers dès 1974 à décrire la sténose rachidienne dégénérative avec ses aspects cliniques (la claudication intermittente), radiologiques (lésions arthrosiques sténosantes des facettes articulaires) et thérapeutiques (la décompression chirurgicale étant le seul traitement efficace).

Ces travaux historiques mais de pleine actualité constituent vraiment l’entrée dans cette ère de la prise en charge du rachis dégénératif qui représente actuellement une des facettes majeure de la pathologie du vieillissement, qui avec la traumatologie, reste une marque de l’école de Beaujon.

— Aimant la difficulté, Jean Cauchoix s’est aussi attaqué, après une solide étude expérimentale, aux allongements extemporanés du fémur ayant imaginé un système d’élongation grâce à une fixation solide de câbles sur les murs de la salle d’opération, la traction progressive réalisée par un winch venant directement de son expérience consommée des bateaux à voile.

Jean Cauchoix en effet, outre la chirurgie orthopédique, aimait pour ses loisirs et vacances, les sports dangereux ou du moins ceux qui conduisaient à un certain dépassement de soi. La Montagne où il avait effectué son service militaire, et qu’il affectionnait ne plaisait pas à son épouse Huguette qui préférait la mer. Ceci explique pourquoi en 1947 Jean Cauchoix et son épouse vont acquérir maison, jardin, terrains et bateau dans ce merveilleux bijou du Golfe du Morbihan qu’est l’Ile aux Moines. Avec un petit bateau d’abord, 7m50, il explorera la Bretagne bien sûr et rapidement se tournera vers la Méditerranée, jusqu’en Grèce. Il n’a d’ailleurs pas hésité avec sa femme Huguette, à emmener comme équipier, son maître Robert Merle d’Aubigné dans les Iles grecques pour l’initier à la course au large. Il connaissait tous les phares, toutes les rades où se mettre à l’abri, toutes les embûches de ce sport, il préparait soigneusement ses courses, y compris sur la météo qui à cette époque n’avait pas la fiabilité actuelle, mais parfois sa témérité, bien que réfléchie, inquiétait ses proches. Mais à ma connaissance il n’a jamais eu de déboire majeur.

À la période où j’ai réellement connu Jean Cauchoix et où ses difficultés de déplacement et de vision le gênaient vraiment il aimait aller se reposer à l’Ile aux moines.

J’ai eu l’honneur et la joie de connaître cet endroit avec lui lorsque quelques années avant sa disparition il m’y avait invité pour deux ou trois jours avec mon épouse, ainsi que Jean Claude Rey son élève et ami dans cette petite maison bleue, où l’on ressentait à la fois l’atmosphère maritime mais aussi familiale qu’il partageait avec filles, gendres et petits enfants.

Et malgré les difficultés de déplacement qu’il présentait vers cette époque de la fin de sa vie, il avait tenu à nous faire visiter l’arboretum qu’il avait aménagé lui même, avec sa femme, sa fille Barbara et son mari Didier, et maintenant sa petite fille Jessica, amé- nagé depuis longtemps dans un immense terrain acquis petit à petit qui surplombait la mer. C’est là que j’ai découvert son extraordinaire érudition et pratique en botanique, biologie végétale et arboriculture, que j’avais soupçonnée déjà à l’occasion de quelques discussions lorsque je le ramenais chez lui, Rue du Bac, après les séances de l’Académie. Il avait visité le monde entier à ce sujet et vous « collait » aisément sur la dénomination latine ou vulgaire de tel ou tel végétal, arbre, fleur ou arbuste.

C’est encore un autre aspect de Jean Cauchoix, l’étendue de sa culture qu’il devait à sa curiosité naturelle, qu’il aura gardée jusqu’au bout de sa vie. Elle s’étendait, sur bien des domaines allant des arts plastiques, avec un goût très sûr des œuvres classiques tout autant que modernes qui ornaient son appartement, aux œuvres littéraires ou historiques en passant par la politique que l’acuité de son sens critique ne manquait pas d’exacerber.

Il aimait la précision dans la définition des mots tout autant que dans celle des mesures mais son humour froid, acéré éclatait lorsqu’il disait à son gendre « vous savez Didier dans une conversation, il faut toujours de la précision …. dans l’invé- rifiable ! » Il aimait partager avec les élèves qu’il aimait bien et ses amis ses moments de détente, de repos,de réflexion autour d’un repas, ou d’une autre activité culturelle, en passant par la retransmission d’un match de rugby, car c’est là l’autre qualité essentielle de Jean Cauchoix, l’amitié. Non pas celle occasionnelle ou de façade mais l’amitié profonde, sincère et indéfectible, que ses vrais amis et ses élèves d’ailleurs lui rendaient bien.

Impassibilité mais souffrance intérieure, témoignant de ces trésors cachés qui faisaient la personnalité de Jean Cauchoix, je les ai perçues en deux circonstances dans la dernière partie de sa vie, au moment de la mort de Huguette son épouse, et aussi celle de son fidèle serviteur Slimane, et à chaque fois, même dignité !

Il était aussi sans en avoir l’air d’une disponibilité absolue, et je me souviens que lui ayant posé une question, et n’ayant pas eu de réponse car la conversation s’était porté sur un autre sujet, la semaine suivante il me disait : « à propos de votre question, voici le réponse ! ». Grâce à son intelligence, intacte jusqu’au bout, quelle volonté encore pour lutter contre sa perte progressive de vision en s’astreignant à lire régulièrement la presse orthopédique mais aussi politique en s’aidant d’une machine grossissante sophistiquée, et quelle volonté pour assister aux séances de notre Compagnie jusqu’à la fin.

Comment ne pas se rappeler le repas, chez lui, Rue du Bac où à peine plus d’un mois avant sa disparition, il avait réuni quelques amis très proches, peu de paroles mais une présence où transpirait son amitié et même plus, son affection pour les personnes qui l’entouraient.

C’était Jean Cauchoix, pas de phrases, pas d’expansion, mais une atmosphère de chaleur humaine incomparable.

Chaleur humaine formidable que j’ai rencontrée aussi à son égard dans sa famille proche admirable qui l’a accompagné jusqu’au bout et à laquelle je rends hommage et transmets bien sûr non seulement mes propres condoléances avec mon affection mais aussi celles de toute l’Académie pour cet homme exemplaire qu’elle avait accueilli en son sein, et que véritablement elle aimait.

<p>* Membre de l’Académie nationale de médecine, e-mail : jean.dubousset@wanadoo.fr</p>