Éloge
Séance du 22 mars 2005

Éloge de Jacques Chrétien (1922-2003)

Maurice Goulon*

Éloge de Jacques Chrétien (1922-2003)

Maurice GOULON*

Le Professeur Jacques Chrétien nous a quittés le 3 août 2003 après une longue maladie au cours de laquelle il a gardé une parfaite lucidité et a fait preuve d’une force de caractère qui, d’ailleurs, avait marqué toute sa vie. Dans son éloge que nous avons l’honneur de prononcer, nous évoquerons différents aspects de sa personnalité : sa carrière médicale, la richesse de sa vie familiale et amicale et son talent de peintre.

Jacques Chrétien est né le 23 janvier 1922 à Ciré d’Aunis en Charente maritime, où son père était médecin de campagne. Après des études secondaires au lycée Pierre Loti à Rochefort-sur-Mer, il commença ses études de médecine à Bordeaux et les poursuivit à la faculté de médecine de Paris.

Une première interruption dans ses études fut déclenchée par son engagement dans la première armée française où il fut affecté au 4e Régiment de Tirailleurs Marocains. Sa conduite courageuse lui a valu d’être décoré de la Croix de guerre avec la mention « bravoure souriante ».

Un deuxième arrêt fut motivé par une atteinte pulmonaire tuberculeuse qui l’obligea à séjourner en sanatorium en 1947 et 1948. Cette maladie et ce séjour eurent un rôle déterminant dans son orientation médicale.

 

Interne des Hôpitaux de Paris en 1949, il fut l’élève d’André Meyer, de Georges Marchal, d’Étienne Bernard, de Jean Lenègre et de Louis Justin-Besançon. Pendant cette période, il acquit rapidement la réputation d’excellent conférencier d’internat, et prépara à ce concours de nombreux candidats.

S’étant orienté vers la pneumo-phtisiologie, il fut pendant 15 ans le collaborateur de Georges Brouet comme chef de laboratoire, puis comme Agrégé après sa nomination en 1961. Il exerça à Laennec, fut ensuite nommé Chef de Service au Centre Hospitalier Intercommunal de Créteil, puis revint à l’hôpital Laennec en 1976 où succédant à ses Maîtres Étienne Bernard et Georges Brouet, il dirigea la Clinique de Pneumo-phtisiologie et l’unité INSERM 204.

Comme l’a rappelé son élève Gérard Huchon lors d’une réunion scientifique en son hommage, le 11 juin 2004, Jacques Chrétien était à la fois pneumo-phtisiologue et anatomo-pathologiste. Il pratiqua et enseigna la médecine avec un rare talent.

L’alliance subtile de l’intelligence, de l’expérience, de l’intuition et de la rigueur en fit un remarquable clinicien et enseignant et lui permit de dominer les acquisitions les plus novatrices de la médecine.

Dans les années 60, beaucoup d’entre nous avaient une formation classique faite de latin, de grec et d’allemand. Jacques réalisant que la langue anglaise devenait prépondérante et sa connaissance indispensable pour avoir accès à une plus vaste information scientifique, nous nous inscrivîmes à l’école Berlitz. Pendant plusieurs années, nous nous retrouvions chaque mardi à 8h30 et nous étions fiers de nos progrès comme des collégiens attardés.

Dans la deuxième partie du XXe siècle, la Pneumologie se modifia profondément. La tuberculose restait une préoccupation majeure. Jacques Chrétien et Cyr Voisin devaient lui consacrer en 1995 deux volumes remarquables avec une excellente iconographie. Cette synthèse traduit la culture et la passion de médecins décidés à combattre « un ennemi acharné et toujours présent » malgré les progrès de la prévention et de la thérapeutique.

Au cours de sa carrière hospitalo-universitaire, Jacques Chrétien s’intéressa à de multiples domaines de la pathologie respiratoire :

— les pneumopathies interstitielles, en particulier la sarcoïdose, — les maladies pleurales, — les tumeurs broncho-pulmonaires. Il participa à la 1ère classification internationale en 1978 sous la responsabilité de l’Organisation Mondiale de la Santé.

— le lavage bronchoalvéolaire comme moyen d’exploration du poumon distal.

Médecin moderne, il s’est intéressé aux agressions du poumon par l’environnement et aux mesures de prévention nécessaire, comme à l’épidémiologie des maladies respiratoires, à leurs facteurs de risque et à leur dépistage. Son grand intérêt pour l’épidémiologie le conduisit à participer, puis à diriger les Investigations Pré Cliniques. Ce centre d’examens de santé, par un recours à des méthodes de recueil et d’analyses standardisées et informatisées a permis de réaliser de très nombreuses enquêtes et études épidémiologiques, dans des secteurs très variés de la pathologie.

Jacques Chrétien a été à l’origine de plus de 700 publications et traités dont certains traduits en anglais, allemand, espagnol, italien et portugais.

L’envergure de ses travaux comme sa notoriété lui valurent de multiples responsabilités et de nombreux honneurs.

Pour ne citer que les plus importants, il fut :

— Président de la Société de Pneumologie de Langue Française, — Président de la Société Européenne de Pneumologie, — Président du Comité National contre la Tuberculose et les Maladies Respiratoires, — Président du comité exécutif de l’Union Internationale contre la Tuberculose et les Maladies Respiratoires, — Docteur Honoris Causa des universités de Lausanne et de Coimbra.

Pour marquer la place prestigieuse qu’il occupa en médecine, il fut Président de la Société Médicale des Hôpitaux de Paris en 1991 et élu membre titulaire de l’Acadé- mie nationale de médecine en 1989.

Clinicien averti, il forma des générations de praticiens de toutes disciplines et de nombreuses nationalités. Parmi les plus proches de ses élèves, nous citerons Albert Hirsch, Jean-claude Saltiel, Jean Marsac, Gérard Huchon, Daniel Dusser, Jean-Luc Breau, Jean-François Bernaudin, Jacques Lacronique, Pierre Durieux, Dominique Israël-Biet et Thierry Chinet.

Jacques Chrétien fut également un chef de famille respecté et admiré par les siens.

Son épouse Paule, à son côté pendant près de 60 ans le seconda aussi bien dans sa vie professionnelle que pendant les années de sa maladie. Ils eurent cinq enfants, trois garçons et deux filles. Deux sont médecins, Jean spécialiste en Pharmacologie Clinique et en Informatique et Claire anatomopathologiste, tous les deux réputés dans leur domaine. Toute la famille entoura Jacques durant les dernières années de sa vie avec la sollicitude que lui inspirèrent l’affection et l’admiration.

Jacques Chrétien ne fut pas seulement un médecin de grande notoriété nationale et internationale, il fut également un ami très proche de beaucoup d’entre nous. Je me souviens de tant de discussions sur des sujets divers aussi bien pendant nos rencontres à Paris qu’à l’occasion de vacances ou de voyages.

Jacques Chrétien était un lecteur infatigable avec en particulier une prédilection pour l’œuvre de Proust, mais sa distraction préférée était de peindre. Il avait été initié à la peinture par son père dès l’adolescence. Ainsi, au cours de ses vacances, il partait dès le matin, avec ses toiles, ses pinceaux et ses tubes de couleur, souvent accompa- gné par son ami Georges Bordonove, pour saisir les variations des paysages de la Charente, de la Beauce, de la Bretagne et des pays méditerranéens. Plusieurs de ses toiles furent exposées à Honfleur.

Riche d’une vie familiale et professionnelle lui laissant espérer une troisième vie, celle de la retraite et de la réflexion, il fut brutalement atteint d’une affection lui enlevant la liberté de ses mouvements et l’empêchant de lire, écrire et peindre, mais respectant son intelligence, sa grande culture, son humour et son goût de la vie. Je me souviens qu’étant en vacances en Bretagne, il y a cinq ans, nous sommes allés avec Marcel Legrain le voir dans sa maison de famille à Malabry près de Guérande. Nous ne pouvions prévoir ce que serait l’avenir proche des uns et des autres.

Jacques Chrétien était un homme de grand talent, il a honoré par sa personnalité et ses travaux la médecine française, l’aidant à franchir, à un moment difficile, les frontières protégées par les différences linguistiques. Ceux qui l’ont connu appréciè- rent sa grande courtoisie, sa culture étendue, son humour, sa bienveillance et sa générosité.

Pour toutes ces qualités, l’Académie nationale de médecine est fière de l’avoir compté parmi ses membres qui, présents et futurs, garderont fidèlement sa mémoire.

* Membre de l’Académie nationale de médecine.

 

Bull. Acad. Natle Méd., 2005, 189, no 3, 441-444, séance du 22 mars 2005