Éloge
Séance du 16 janvier 2018

Éloge de Guy NICOLAS (1930-2016)

Dominique BERTRAND*

Monsieur le Président,

Monsieur le secrétaire perpétuel,

Messieurs les membres du Bureau,

Chers confrères et consœurs,

Mesdames et Messieurs,

 

Nous sommes réunis pour commémorer la mémoire de notre confrère Guy Nicolas.

L’hommage que nous lui rendons aujourd’hui nécessite un temps de recueillement, témoignage de notre affection, c’est aussi une marque d’estime à sa famille, en particulier ces deux filles Anne-Hélène et Christine, et ses petits-enfants, Raphaël, Marguerite et Camille, que je salue ici.

L’éloge met en lumière un confrère que nous avons bien connu, car il était présent à l’Académie aussi bien lors des séances, que dans les commissions.

 

SA VIE

Il est né à Saint-Sébastien-sur-Loire le 2 septembre 1930, où son père était gendarme.

Pendant la seconde guerre mondiale, en raison des bombardements des ponts de la Loire, son école est d’abord transférée dans des zones plus sûres, mais au bout d’un trimestre, ce transfert s’avère impossible à gérer par les autorités, et les enfants sont rendus à leur famille, à elles d’assurer leur sécurité. Ses parents l’envoient rejoindre un oncle maternel à Monteneuf (Morbihan) qui le prend en charge. De fait, il va retrouver là les racines de sa famille maternelle, et plus tard ce lieu redevient un site privilégié de la vie familiale, car Guy et son épouse y construisent leur havre de paix en 1973.

Après avoir terminé ses études au lycée de Nantes, il entre en faculté de médecine. Ce n’est pas un choix de première intention, il souhaite s’inscrire en classe de « maths sup » mais cette classe préparatoire est entre temps fermée. Le choix de la médecine est certes secondaire mais il est la conséquence d’un choix altruiste. Aider les autres, en l’occurrence le malade, fut sa motivation initiale. Il est reçu à l’internat en 1954, et ses stages seront dans des services où l’activité prédominante est cardiovasculaire. La relation médecin-malade est restée au centre de son activité de soins, par l’écoute de l’autre, l’attention, l’accompagnement, et les soins.

L’interruption pour le service militaire dure plus de deux ans, du 15 avril 1955 au 23 juin 1957, sur une frégate météo ; elle est basée dans l’Atlantique Nord près de l’Islande. De cette période il conserve un souvenir agréable et qui l’incite, probablement, à effectuer une croisière jusqu’en Amérique du Sud, deux ans avant sa mort.

 

Il obtient la médaille d’or à la fin de son internat, cette période lui permet de rencontrer sa future épouse Françoise, elle-même interne en anesthésie-réanimation.

Chef de clinique juste après son doctorat, il suit son maître le professeur Jean Horeau en cardiologie, et devient maître de conférence – médecin des hôpitaux en 1966, mais la spécificité des facultés où le nombre d’enseignants ne couvre pas tous les besoins universitaires, implique d’exercer simultanément deux disciplines, lorsque l’on devient titulaire.

Il choisit la médecine légale et décide de se former chez le professeur Maurice Müller à Lille et chez le professeur Jean Derobert à Paris. Il commence l’enseignement de la médecine légale et élargit son action aux autopsies et aux expertises judiciaires, en étant successivement expert auprès de la Cour d’appel de Nantes en 1966, puis expert national auprès de la Cour de cassation, en 1979 en cardiologie et en médecine légale.

Cependant, la cardiologie reste principale ; il contribue à la création du service de cardiologie. Il devient professeur sans chaire en 1971, puis professeur titulaire à titre personnel en 1972, puis professeur titulaire de la chaire de clinique cardiologique en 1975, avec la chefferie de service.

Ses activités de recherches doivent servir à une application concrète, particulièrement dans deux dimensions :

  • la pathologie du myocarde ;
  • (l’hypothermie accidentelle) ;
  • la réanimation cardiaque : il créé l’unité de soins intensifs en cardiologie.

300 articles sont répertoriés pendant cette période.

L’analyse des titres des publications et communications apporte deux notions.

D’abord l’inégale répartition dans le temps entre cardiologie et médecine légale. Sa thèse lui permet sa première publication, sous l’égide de son maître.

Pendant les 15 premières années de sa carrière, les articles sont exclusivement cardiologiques, ce qui parait évident lorsque l’on est dans un service de 100 lits.

Entre 1976 et 1991, 1 à 3 publications annuelles concernent la médecine légale. Elles deviennent vraiment fréquentes à partir de 1990, avec une collaboration fructueuse, à l’institut médico-légal de Paris, avec notre éminente consœur Dominique Lecomte, sur des séries importantes de morts subites. Dès 1989, il avait déjà écrit un ouvrage, un guide pratique de thanatologie médicolégale à l’usage des professions judicaires avec elle.

Ensuite, lorsque le sujet mêle les deux disciplines, de réanimation et de cardiologie, il publie avec son épouse Françoise, professeur d’anesthésie-réanimation au CHU de Nantes, en profitant d’une expérience complémentaire du conjoint. Est-ce un hasard, si Françoise divise son service en deux, longtemps après, en ne gardant que la chefferie de la réanimation ?

 

LA TRANSITION

Guy Nicolas s’implique dans des activités plus collectives.

Au niveau Régional, il est président de l’observatoire régional de la santé des Pays de la Loire de 1984 à 1997, puis président de la fédération nationale des observatoires régionaux en 1998.

Au niveau national, il devient :

– membre de la commission ministérielle donnant l’autorisation d’exercer en France aux médecins étrangers en 1984 ;

– membre du conseil supérieur de médecine légale en 1992 ;

– membre du conseil d’administration de l’agence du Médicament de 1996 à 1998 ;

– membre titulaire de la commission ministérielle de la mise sur le marché des médicaments en 1997 ;

– membre du conseil scientifique de l’Agence française de la sécurité sanitaire des aliments (AFFSA) à partir de 1999.

 

L’intérêt de l’aspect organisationnel du système de soins débute en 1989, où le ministre Claude Évin lui demande de participer à la future loi portant réforme hospitalière, dont le terme officiel est « le renouveau hospitalier ». Il fait un tour de France, avec notamment Edouard Couty, pour convaincre les hospitaliers de l’intérêt de cette réforme, 20 ans après la loi de 1970.

Une fois la loi votée en 1991, il ne souhaite pas renouveler sa chefferie de service en cardiologie car il est pressenti pour le haut comité de la santé publique au Ministère.

Les écrits vieillissent plus vites en santé publique qu’en clinique, car si les apports scientifiques peuvent modifier complètement une thérapeutique. La santé publique, surtout organisationnelle évolue au gré des changements sociétaux, de la réflexion éthique, imposée ou choisie, des textes législatifs supplémentaires, en tenant compte de leur interprétation par la jurisprudence, corsetant les aspects diffluent souvent de textes juridiques obéissant à la réponse immédiate à un problème, sans tenir compte parfois du droit existant.

La loi de 1991 sur la publicité concernait l’alcool en reste un exemple démonstratif, que nous avions envisagé avec Guy.

Il écrivait sur cette dualité professionnelle : « Nous avons voulu concilier une double vocation, celle de la clinique et du contact privilégié avec le malade au quotidien et celle de la santé publique et du Droit médical pour son ouverture vers la société. Ces deux modes d’exercice ont été « trop souvent opposés », alors que l’apprentissage de la rigueur juridique est utile au clinicien de formation plus probabiliste et que la vie associative est une bonne école pour appréhender la maladie dans sa globalité.».

 

UN RÔLE DE GRAND ADMINISTRATEUR

  1. HCSP

Le décret du 3 décembre 1991 le nomme Vice-Président de ce Haut Conseil de la santé publique, le président étant toujours le ministre en exercice chargé de la santé ; cette activité l’absorbe complètement.

À partir de 1991, trois missions sont confiés à ce comité :

  • réfléchir à des objectifs de santé publique, souhaitables et atteignables pour la population ;
  • observer le système de soins pour en dégager les imperfections et les corriger ;
  • répondre à des problèmes ponctuels demandés par les Ministres.

Le rapport sur l’organisation de la médecine pénitentiaire fut suivi d’une loi dépassant les clivages de deux cabinets ministériels successifs.

Les rapports sur la sécurité à la naissance et la sécurité anesthésique ont été suivis de dispositifs réglementaires.

Il a essayé de dégager les forces et faiblesses de notre système de santé dans l’état de santé de la population.

Les rapports du Haut Comité, pour préparer la loi de financement de la Sécurité sociale deviennent annuels après les ordonnances de 1996. Les traductions législatives et réglementaires des travaux restent quasi-systématiques.

Son bureau au Ministère était toujours encombré de notes sur ses auditions, de comptes rendus de réunions, de documents écrits divers, d’expertises données par des référents. Malgré cette lourde activité, il se rend toujours disponible pour un conseil ou un avis dans l’immédiateté.

Guy avait une façon d’aborder la santé publique simple ; une analyse parfaite de « l’existant », une compréhension des mécanismes qui avaient conduits à la situation, la recherche d’informations non recueillies permettant d’étayer le raisonnement de la commission, une réflexion partagée, une attention aux avis divergents, une synthèse débouchant sur des propositions claires et adaptables à moyen termes, et consensuelles, qui pouvaient être reprises par le Ministre.

 

 

  1. DGOS/CNG

La dernière partie de son activité au service de la Ministre concerne une activité de conseils auprès du directeur général de la DGOS à partir de 2000, sur les sujets les plus variés, dont les difficultés d’exercice de médecins hospitaliers dans leurs services, le suivi des effectifs dans les facultés de médecine, l’amélioration du fonctionnement d’une unité de soins, le parcours de soins dans un hôpital ou une région avant que ce terme soit défini précisément, la transformation d’un hôpital… Et naturellement il est au service des directeurs généraux des chefs de service, dont Danielle Toupillier, pour toute demande ponctuelle.

La dernière partie de son activité après 200 se déroule à la direction générale de l’offre de soins sur des missions ponctuelles. Les missions concernaient les hôpitaux français y compris Outre-Mer (Guyane, Martinique, Guadeloupe et l’hôpital franco-espagnol de Puigcerdá).

En 2013, il rejoint le Centre National de Gestion, agence d’État assurant pour la fonction publique hospitalière la gestion des carrières des praticiens hospitaliers et pour les hôpitaux universitaires de leur partie hospitalière. Nous recevrons souvent ensemble quelques médecins en difficulté de repositionnement, ou en changement d’activité, mais la maladie de son épouse Francine d’abord, puis de lui-même, espace ses venues, ou plutôt les raccourcit.

 

Les séances de l’Académie, ou les réunions des commissions dont il est membre doivent être toujours préservées. L’Académie était son lieu de vie, et je l’ai très vite compris.

Il vous appréciait énormément, chacun d’entre vous aussi bien que l’institution en elle-même.

 

Une description linéaire d’une carrière médicale est insuffisante sans la lier à la richesse de ce qu’il apporte, aussi bien auprès que de ces malades, que de ces recherches, que de ces travaux en administrations centrales.

Ce déroulé est linéaire, par contre on relève qu’il est nommé membre de la commission ministérielle donnant l’autorisation d’exercer en France aux médecins étrangers de 1984 à 1989, puis membre de la commission ministérielle de mise sur le marché des médicaments de 1987 à 1993. Il fait le choix de continuer à enseigner. Cette double appartenance, lui permet d’être à la fois un clinicien et un médecin de médecine sociale, médecine légale. Cette dualité ne serait plus possible aujourd’hui pour un interne puisque ces deux spécialités ont un DES exclusif.

 

3) Les ouvrages sont centrés sur le partage des connaissances, la médecine légale :

– les incapables majeurs en 1961 ;

– la responsabilité médicale en 1995 ;

– un précis de thanatologie médico-légale à l’usage des magistrats.

 

 

UNE CARRIÈRE D’ADMINISTRATION CENTRALE

 

Comment décrire sas qualités ; il était discret, attentif, réfléchi, compréhensif, courtois. Il essayait de trouver une solution même dans les problèmes inextricables. Il ne donnait pas toujours son avis immédiatement, mais au moment où la réflexion était mûre, il concluait sans jamais blesser quelqu’un.

Une remarque que j’ai souvent entendue concernait le droit. Les textes sont de plus en plus longs. Il citait la réforme hospitalo-universitaire de 1958, les principes étaient très courts, concentrés. Christine sa seconde fille est juge d’instruction, elle a bénéficié de discussions juridiques.

Il est mort chez lui à l’âge de 86 ans le 25 septembre 2016, connaissant sa pathologie depuis longtemps. Ses obsèques, en l’Église de Notre Dame de Toute Joie comme il l’avait décidé, ont été célébrés par son ami d’enfance dont le père était également gendarme à Monteneuf 80 ans auparavant.

*Membre correspondant de l'Académie nationale de médecine

Bull. Acad. Natle Méd., 2018, 202, nos 1-2, 343-348, séance du 16 janvier 2018