Éloge de Gabriel Blancher (1923-2004)
Gabriel Blancher est né à La Rochefoucauld en Charente le 24 décembre 1923 au hasard de la vie professionnelle de son père. Il était en réalité de souche limousine, témoignant en toute circonstance affection et attachement à ses ancêtres. Dès sa petite enfance il vit à Limoges.
Après le cycle primaire il entre au lycée Gay Lussac pour un parcours d’études secondaires sans faute. Il recueillait annuellement les principaux prix y compris celui d’excellence. Il ne négligeait pourtant pas les activités ludiques de son âge avec ses camarades tout en gardant à leur égard amabilité et bonne humeur. Fils unique, choyé par une mère très attentive, Gabriel était à la fois un bon élève et un bon camarade. Son condisciple Pierre Vayre, ami de plus de 50 ans, nous l’a fait revivre.
Il était un potache admiré et allait à l’école « en culotte courte, recouvert d’une pèlerine noire avec un béret rond et un cache col aux boucles multiples, laissant juste filtrer le regard vif de yeux ronds toujours en quête de connaissance.
Doué dans toutes les disciplines il obtenait en 1938 au concours général des Lycées de France un accessit de version latine. En 1939, il devenait titulaire de deux baccalauréats en mathématiques et en philosophie. Il avait déjà à cette époque un esprit encyclopédique. La France était en guerre. Gabriel avait envisagé de préparer
Polytechnique mais ses parents craignaient d’être obligés de l’envoyer loin de Limoges. En effet, Gabriel avait eu dans son enfance des soucis de santé assez sérieux. Son père, fonctionnaire aux Finances, très admiré de Gabriel, lui conseilla de s’orienter vers le Droit. Il obtenait facilement sa licence en Droit en même temps qu’une licence ès Lettres. Mais pourquoi a-t-il décidé de faire en plus sa médecine ?
Il ne l’a jamais précisé. Il est probable que le Docteur Marie-Joseph de Léobardy, ancienne interne des Hôpitaux de Paris et future correspondante de l’Académie nationale de médecine, médecin que Gabriel admirait, ait joué un rôle dans son choix définitif. Il s’inscrit à l’Ecole de médecine de Limoges sous la houlette d’anciens internes de Paris : Marie-Joseph de Léobardy, Albert Durand anatomopathologiste, Pierre Martrou, pédiatre, Georges Lory, interniste Marcel Faure, chirurgien célèbre et enseignant qui conquiert l’âme du jeune débutant. Au contact des malades dès la première année Gabriel était initié à la méthode anatomoclinique à laquelle il restera fidèle sa vie durant.
En 1945, il monte à Paris. Il est externe des Hôpitaux de Paris en 1945. Elève de Louis Auquier, il est nommé interne des Hôpitaux de Paris en 1948 et devient l’élève de Marcel Lelong, Jean-Louis Boyer, Louis Pasteur-Valéry-Radot, Justin Besançon, Théophille Alajouanine, Robert Debré et Stéphane Thieffry. C’est là où je l’ai connu. Il était interne de la salle Baffos, entouré de ses deux externes Michel Roidot et moi-même. C’était la salle des poliomyélites que Robert Debré avait attribuée à Stéphane Thieffry.
Grâce aux directives de notre patron nous faisions les bilans musculaires à ces pauvres enfants frappés de paralysies très diverses. Très vite nous avons appris à connaître pour toujours les fonctions des muscles atteints. En quelques semaines le court péronier latéral, le jambier antérieur, le couturier, les pelvitrochantériens, le brachial antérieur, les muscles intercostaux, les abdominaux, le rhomboïde, le grand dentelé et le grand dorsal n’avaient plus de secret pour nous. Que de souvenirs communs inoubliables.
Gabriel choisit la pédiatrie dès ses fonctions de chef de clinique en 1953 chez Marcel Lelong, en soutenant sa thèse sur « les formes hautes de poliomyélite chez l’enfant. » Il est nommé médecin des hôpitaux de Paris en 1962, puis chef de service de pédiatrie en 1972, dans le nouvel hôpital de Poissy, entouré de ses élèves qui ont gardé de lui, jusqu’à sa disparition, un très fidèle attachement.
Parallèlement à sa carrière hospitalière Gabriel Blancher a fait une carrière universitaire. Il est nommé professeur agrégé d’Hygiène en 1961 et professeur des universités en 1985.
En plus de ses importantes activités médicales, il acquiert un diplôme d’étude supérieure de Droit Public, un doctorat sur le « Droit international et l’Enfance », et un doctorat ès Sciences.
Historien passionné il sait utiliser sa prodigieuse mémoire assortie d’un art d’analyse et d’une capacité originale de synthèse.
Homme de cœur il fait partie de nombreuses institutions : membre du Conseil Supérieur d’Hygiène de France, ancien président du Comité nationale de l’enfance, ancien administrateur de la Croix Rouge Française, ancien président de la Société Médicale de Paris.
Il s’est particulièrement illustré à l’Académie nationale de médecine où il est entré en 1986. Il en devient Président en 2001 et préside en plus la quatrième division, responsable de la médecine préventive et sociale et des sciences vétérinaires.
Dans l’introduction de son épreuve de titres, on découvre un texte qui éclaire la vie de Gabriel, intitulé « pour une philosophie de la volonté ». Il ajoute « la pratique de la médecine de soins comme chef de service de pédiatrie et de la santé publique en tant que professeur d’hygiène, m’ont apporté tout au long de ma vie professionnelle, des moments privilégiés et le sentiment qu’elle joue dans ces domaines un rôle primordial ». L’Académie lui en a fourni l’occasion. Il l’a fait bénéficier de son dévouement sans borne dans l’étude épidémiologique et prophylactique des affections contagieuses notamment de l’enfant, étant prédisposé à l’infectiologie par sa double formation de pédiatrie et d’hygiéniste.
Ses solides connaissances juridiques lui permettent d’émettre un avis autorisé en matière d’infection nosocomiale et de responsabilité médicale lors des actes de soins à propos desquels il débat sur la nécessaire limitation de la pénalisation des médecins. Président d’un groupe de travail il attire l’attention sur les risques sanitaires d’un surentraînement sportif des adolescents. Au cours de l’année 2004, il met sa puissance morale et la qualité de son humanisme au service du groupe de travail sur l’avenir de l’Assurance maladie, défendant avec bon sens, simplicité mais aussi élévation et fougue réfléchie, le principe fondateur d’une humanité au service de tous, y compris des plus faibles et des plus fragiles.
Lors de sa présidence en 2001, l’Académie adopte un nouveau règlement intérieur visant à la modernisation de la fondation Louis XVIII en 1820 sans en altérer le concept mais en adaptant son fonctionnement aux réalités actuelles. En 2001, Gabriel Blancher est aussi le promoteur de la « Grande Médaille » de l’Académie destinée à honorer une personnalité française ou étrangère dont l’action sanitaire exalte la culture française.
Gabriel était un homme de cœur et d’un très grand dévouement toujours à l’écoute des autres au point d’oublier sa propre souffrance. Il savait faire profiter son entourage de son immense culture sans en tirer gloire. Il était en vérité un homme d’élite doté d’une noblesse de cœur et d’esprit acceptant avec humilité la condition humaine.
Il était chevalier de l’ordre national du Mérite et de l’ordre de la Légion d’honneur.
Gabriel était un chrétien convaincu. Il nous a quittés le 14 novembre 2004 rendant son âme à la lumière à laquelle il croyait comme cela fut dit à ses obsèques. Son épouse était alors à ses côtés. Une cérémonie religieuse eut lieu en l’Eglise Saint Thomas d’Aquin, sa paroisse, entouré de sa famille, de ses neveux et nièces témoignant de la gentillesse de leur oncle. On a lu l’Evangile de Saint Matthieu (25, 31-40) où il est dit « recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la création du monde » Gabriel y croyait. De nombreux amis sont venus, ses pairs, notamment le bureau de l’Académie nationale de médecine honorant son ancien président.
Gabriel était fier de son origine limousine. Il aimait répéter ce que disait Chateaubriand : « les vivants ne peuvent rien apprendre aux morts, les morts au contraire instruisent les vivants ». On comprend qu’il ait voulu retourner à Limoges le soir même pour reposer dans le caveau de famille à Louyat, tout proche de celui de Jean Cruveilhier, major de la promotion d’internat de 1811 et lui aussi ancien président de l’Académie de médecine en 1859.
Madame j’ai perdu un ami fidèle de plus de 50 ans. Je l’ai rencontré quatre jours avant sa mort. Il m’a parlé longuement de l’Académie qui occupait une part importante de sa vie. J’ai admiré son courage. Je sais qu’il aimait citer Victor Hugo :
« ceux qui vivent sont ceux qui luttent ». En le quittant il m’informa qu’il s’intéressait à la dynastie des Plantagenets. Tel était mon ami Gabriel.
Chère Madame, au nom de l’Académie nationale de médecine, je vous assure que votre époux restera pour tous ses collègues un grand médecin humaniste mais également un pédiatre qui contribua par son action à améliorer la qualité de vie des enfants.
* Membre de l’Académie nationale de médecine.