Publié le 26 octobre 2004
Éloge

Georges Cremer *

Éloge de Claude Laroche (1917-2003)

Georges CREMER *

Photo de Guy Fuchs Le professeur Claude Laroche, ancien Président de notre compagnie, nous a quittés le 14 juillet 2003, au cours de sa 86ème année, brutalement, au milieu des siens, dans cette maison de Saint-Rémy où toute sa joie était de réunir ceux qu’il aimait.

Né le 14 septembre 1917 à Sèvres, il fit ses études secondaires à Versailles. Pendant cette période de l’adolescence, deux hommes le marquèrent fortement.

Emile Bourgeois, son grand père maternel, normalien, brillant historien universitaire, qui lui apprit le savoir humain, mais aussi la nécessité de l’action pour défendre ses convictions. Ces qualités furent celles de Claude Laroche tout au long de sa vie.

Le second, Guy Laroche, son père, qui fut président de l’Académie nationale de médecine, appartenait à ces médecins qui, grâce à leurs qualités cliniques, sans l’aide d’une biologie encore balbutiante, surent cerner et définir les maladies d’organes, plus particulièrement l’endocrinologie. Fier de ce père, de sa volonté de connaître, Claude Laroche lui devait aussi cette certitude que l’on pouvait à la fois servir la science et la Foi, avec une soif de connaissance et une charité vis-à-vis de son prochain souffrant. Cet héritage spirituel ne le quitta jamais.

En 1934, à peine âgé de 17 ans, il s’inscrit au S.P.C.N. dans le but de devenir médecin.

Le choix est fait. Il poursuit sans difficulté la filière habituelle, mais, averti par son père du développement inéluctable de la biologie, il enrichit sa démarche d’une licence de sciences biologiques. C’est l’année où il rencontre Jean Dausset et Daniel Boutier. Ils travaillent ensemble dans l’atmosphère chaleureuse de la famille Laroche et sont bientôt accueillis à la conférence Laennec et au laboratoire de monsieur Rouvière, l’un et l’autre fortins de la réussite. Cet enthousiasme pour les études médicales et sa réussite évidente ne lui font pas oublier que la société, en ces années difficiles, oblige à s’impliquer. Ainsi, une fois par mois, chez Jean Dausset, ont lieu des réunions de réflexion concernant les projets de cette société.

En 1938 Claude Laroche est nommé à l’internat des hôpitaux de Paris ; il a 21 ans.

C’est alors, nous a-t-il souvent confié, son angoisse de devoir prescrire lors de la visite en salle : « heureusement », ajoutait-il, « les surveillantes savaient secourir les hésitations de ces trop jeunes responsables ». C’est la difficile époque du choix, pour ce jeune médecin, entre une connaissance plus certaine de la science médicale, la spécialité, et la connaissance plus profonde du malade, la médecine générale. La bienveillance du destin, je le cite : « [lui] permit de suivre ce large sillon bien droit que l’hérédité avait creusé ». Quel internat, quelle traversée auprès de maîtres prestigieux !

Dans sa leçon inaugurale, lors de son élection à la chaire de pathologie médicale de la Faculté de médecine de Paris en 1965, il rappelait avec ferveur la qualité de ceux qui avaient été ses maîtres et ce qu’il leur devait. Jamais il ne les oublia et il s’attacha vis-à-vis des plus jeunes à entretenir leur mémoire.

Dans un tel parcours médical, il est impossible de citer chacun de ceux qui l’ont marqué. Monsieur Pasteur Vallery-Radot dont il admirait tant l’universalité de la connaissance, l’intelligence créatrice, le refus du conformisme, son souci des jeunes pour eux-mêmes, mais aussi son mépris pour tout ce qui était bas. Paul Milliez, l’aîné fidèle, admiré pour ses qualités de loyauté, de courage et de don de soi.

Comment oublier Jean Hamburger qui l’éblouissait, François Lhermitte, véritable feu d’artifice de l’esprit. Dans cette famille médicale qu’il aimait tant, l’interniste s’affirmait, homme de cœur, soucieux de l’autre, exigeant. Quelle admiration aussi pour Lucien de Gennes, dans le service duquel il effectua son année de médaille d’or.

Il en appréciait plus particulièrement l’élégance naturelle, celle de son enseignement et plus précisément celui de l’endocrinologie. C’est dans cette équipe médicale qu’il découvrit Henri Bricaire : l’un et l’autre ne devaient plus se quitter puisqu’ils se partagèrent l’enseignement de la pathologie médicale. Leur amitié ne fit que se resserrer : les mêmes concours, les mêmes épreuves ont fait, je le cite, « que tout succès de l’un fut pour l’autre une source de joie ».

A l’évocation de cette longue période de préparation des concours hospitaliers et universitaires, on ne peut oublier la part que Raymond Bastin prit à leur effort et à leur joie. Que de soirées studieuses, mais aussi frileuses dans la fin de ces années 40, autour du poêle, pour préparer le médicat des hôpitaux. Le succès de chacun les rassembla encore plus fortement et c’est ensemble avec leurs épouses qu’ils effectuè- rent leur premier voyage scientifique aux Etats-Unis à l’occasion du congrès international de biologie en 1954. Puis l’agrégation les récompensa, dès 1953 pour Claude Laroche, en 1955 pour Raymond Bastin et Henri Bricaire. Plus jamais ces trois frères ne se désunirent. Soutenu par tant de qualités intellectuelles et morales, encadré par un tel environnement on comprend aisément que la carrière hospitalouniversitaire de Claude Laroche ne pouvait être que brillante.

Interne des Hôpitaux de Paris en 1939, médaille d’or de l’internat en 1944, assistant des Hôpitaux de Paris en 1946, il fut nommé médecin des Hôpitaux de Paris en 1950, agrégé à la Faculté de médecine de Paris en 1953, titulaire de la chaire de pathologie médicale en 1965.

La diversité de ses écrits scientifiques tient à la richesse de son parcours médical, à l’intérieur de ces grands services hospitaliers où s’ébauchait une recherche plus spécialisée. Plus de 400 publications médicales, plus d’une dizaine d’ouvrages didactiques où il imposa sa réflexion.

Avant que la médecine interne ne retînt toute son attention, c’est dans le cadre de l’endocrinologie, juste attachement à son père dont il admirait tant l’œuvre et à son maître Lucien de Gennes, qu’il réunit un certain nombre de publications : la tétanie, les formes frustes de la maladie d’Addison, le traitement des goîtres et plus précisé- ment la place dévolue aux antithyroïdiens de synthèse dans le traitement des hyperthyroïdies. En allergologie, aidé de son collègue Halpern, il s’intéressa aux facteurs étiologiques de l’asthme, aux techniques de désensibilisation et à la place de la corticothérapie dans son traitement. Avec le concours de Jean Hamburger, les syndromes néphrologiques, les variations de la kaliémie dans l’insuffisance rénale, les hypertensions gravidiques et les phéochromocytomes retinrent son attention. La diversité de son activité clinique, témoin de sa richesse culturelle médicale, lui fit aborder bien d’autres sujets médicaux : le diabète, le métabolisme phosphocalcique, les hypoglycémies alcooliques, les dysglobulinémies. On pourrait longtemps poursuivre l’énumération des écrits scientifiques de Claude Laroche : elle est à l’égale de ceux de ses pairs. Cependant l’« œuvre » de Claude Laroche n’est pas celle-là.

Il y a 40 ans notre maître se trouvait à la croisée des chemins : une médecine traditionnelle, soutenue par la révélation anatomo-pathologique, d’essence germanique où le geste et l’étude du corps rendaient si proches le médecin et le malade, à l’opposé la naissance d’une biotechnologie, d’essence anglo-saxonne où la clinique médicale subissait l’assaut des chercheurs. Peu à peu, médecine spécialisée et médecine générale se dissociaient, laissant aux premiers l’attrait évident des sciences exactes centrées sur un organe, aux seconds la lourde tâche de pouvoir appliquer à l’homme en son entier, le bénéfice de ces découvertes. Claude Laroche choisit de secourir l’homme dans son ensemble. Ecoutons-le il y a 40 ans : « L’âge des encyclopédistes est révolu et aucune mémoire humaine n’est capable d’enregistrer les innombrables découvertes qui viennent bousculer nos méthodes de diagnostic et nos thérapeutiques ». Il poursuit : « On conçoit alors l’angoisse quotidienne du généraliste, mais c’est à lui que reviendra toujours la tâche immense et exaltante de soigner l’homme malade ». Cette responsabilité du malade, il la tenait bien sûr de ses maîtres, mais plus précisément de son père dont il admirait tant l’œuvre scientifique.

Il la devait surtout à la perception du regard reconnaissant du malade conforté ; le besoin de donner, de soulager l’autre qui s’est confié, il ne pouvait le limiter à des conclusions technologiques. Il s’en voulait, certes, le témoin, mais il tenait comme un devoir absolu, d’expliquer au malade les conséquences personnelles, professionnelles et familiales de sa maladie. Claude Laroche se sentait responsable d’une véritable mission humaine, soutenue par un sentiment religieux très profond, dont l’essence était surtout une réflexion altruiste, généreuse, anxieuse, constamment en éveil. Si l’on ne considère pas l’œuvre de Claude Laroche avec cette approche, on ne peut comprendre l’intensité de son action. Il était perpétuellement en recherche de l’autre, je veux dire en recherche humaine. Je n’ai jamais oublié la passion avec laquelle un soir de retour d’enseignement post universitaire, il nous avait évoqué sa découverte de Teilhard de Chardin, ce jésuite évolutionniste qui cherchait à réconcilier la science et la foi. Si l’on accepte cette vision de l’homme qui a délibérément abandonné les avancées encourageantes de la spécialisation, l’œuvre de Claude Laroche apparaît transparente : donner aux autres, mais dans le cadre d’un humanisme religieux.

Claude Laroche créa la médecine interne, voilà son « œuvre ». Dès son accession à la chaire de pathologie médicale, il en dessine le profil. Pour lui, le domaine de la médecine interne n’est pas ce qui reste après avoir amputé la médecine générale des diverses spécialités, ni la reconnaissance de certaines pathologies qui n’ont pas trouvé leur place dans une médecine d’organes. La médecine interne, c’est la médecine de l’homme dans son intégralité : superbe prétention, mais aussi connaissance sage de ses limites, cette médecine interne ne peut se concevoir qu’en équipe au sein de laquelle chacun apporte ses connaissances particulières. Cette conception n’était que fidélité par rapport aux précurseurs de cette forme d’activité médicale hospitalière que furent Pasteur Vallery-Radot et Louis Justin Besançon. L’idée acquise par les autorités de tutelle, il fallait encore structurer cette entité dans le cadre d’une médecine toute ordonnée à la spécialité, regardant avec une certaine commisération cette médecine générale hospitalière. Claude Laroche ne désespéra pas et grâce à sa conviction et à ses efforts fut créée, sous le ministère de madame Simone Weil, la spécialité de médecine interne. Ne peut-on pas cependant s’interroger sur le bien-fondé de la qualification de cette médecine interne en spécialité, elle qui est à la base de la médecine de l’homme en général. Je suis persuadé que Claude Laroche y réfléchit souvent, mais eut l’intelligence de ne pas y céder et par ce choix, de donner à la médecine interne les mêmes atoûts que la nomenclature nationale accordait aux spécialités médicales. Encouragé par cette reconnaissance ministé- rielle, il fondait la même année la première structure nationale destinée à rassembler ces spécialistes d’un nouveau genre, le syndicat national des médecins spécialistes de médecine interne. Plus tard enfin, il créa une société savante : la Société Nationale Française de Médecine Interne. Cette œuvre, nous l’avons dit, fut la sienne. Il nous en voudrait pourtant de ne pas évoquer ceux qui l’aidèrent tout au long du chemin ;

sans eux rien n’aurait pu être fait et la pérennité assurée ; Michel Bourel, Jacques Debray, Marc Dorner, Yves Le Tallec, Roger Levrat, Maurice Mongin, Hervé Warenbourg, Bernard Devulder, Pierre Godeau qui sut avec tant d’énergie et d’intelligence encyclopédique reprendre le flambeau et poursuivre l’œuvre de Claude Laroche ; je cite ses propos parlant de notre maître : « son enthousiasme juvénile, non émoussé par l’âge, les soucis familiaux ou la maladie, son évaluation intelligente des obstacles et des menaces qui pèsent sur la médecine interne, son esprit novateur, souvent plus ‘moderne’ que celui des plus jeunes ».

Claude Laroche ne manquait aucun congrès de médecine interne. Non seulement les journées consacrées aux séances scientifiques, mais aussi les journées de détente qui les prolongeaient. Il adorait retrouver les siens, les internistes, dans une atmosphère amicale où la découverte de particularités régionales s’associait à la fidélité du compagnonnage. Cette famille de la médecine interne qu’il avait créée, il ne la quitta jamais : fidélité sans doute, mais aussi nécessité de continuer à vivre son œuvre, sans prétention de diriger mais la joie de participer. Alors que le repos aurait été son droit, il n’abandonna jamais les avancées de la Société Française de Médecine Interne. Il assistait ainsi chaque année, malgré la maladie jusqu’au bout de son action, aux journées « Les Printemps de Lille » magistralement organisées par Bernard Devulder, où dominaient très largement les internistes de moins de 40 ans.

Ses interventions malgré la différence de génération étaient toujours entendues avec intérêt. Claude Laroche était à l’écoute ; il savait avec son enthousiasme intact et sa sagesse acquise conseiller les plus jeunes dans les choix difficiles qui s’offraient à eux.

On l’a bien compris, Claude Laroche avait la passion de l’autre, plus précisément du malade, mais aussi de tous ceux qui le croisaient. Pour cela il ne suffisait pas d’écouter, d’accueillir, il fallait organiser. C’est ainsi que se comprennent les diffé- rentes missions hospitalières qu’il assurera. Quelles qu’aient été les nombreuses personnalités médicales qui illustrèrent le groupe hospitalier Cochin, Claude Laroche fut la référence de notre hôpital. Avec la plus grande patience, mais aussi une volonté sans faille, il présida, aidé du regretté Doyen Jean-Pierre Luton, à la réorganisation de la structure hospitalière. Pendant des années que de contraintes administratives à vaincre ; combien d’égoïsmes irresponsables de certains de ses collègues ne lui fallut-il pas contourner. Pour confirmer cette œuvre il accepta la présidence de la Commission Médicale d’Etablissement. Il sut y faire entendre sa compréhension de l’organisation hospitalière, à l’écoute de chacun des chefs de service, mais il sut aussi y affirmer son autorité. Son intelligence à gérer les situations difficiles, souvent conflictuelles, faisait de lui un des interlocuteurs privilégiés de l’administration locale. Il sut faire la part des exigences de celle-ci, mais ne sacrifia jamais les absolues nécessités médicales. Il avait comme tout homme ses sympathies, ses préférences ; je ne lui ai jamais connu d’ennemis. Chacun — médecins, infirmiè- res et administratifs — connaissait sa silhouette trapue pressée, courant plus que marchant à travers les couloirs de son service, ou les allées de l’hôpital.

Claude Laroche avait aussi la passion de l’enseignement, certes dans le cadre de sa mission universitaire, mais aussi simplement entouré de quelques étudiants ou au lit du malade. Il était toujours exigeant vis-à-vis du travail des plus jeunes, les corrigeait volontiers en expliquant l’erreur ; il savait même être rugueux mais terminait alors toujours par une franche bourrade d’encouragement.

Ce goût pour l’enseignement datait de toujours. Jeune médecin des hôpitaux, il y a quelque cinquante ans, il faisait partie, bénévolement, du groupe des médecins des hôpitaux que Jean Hamburger avait réunis pour parfaire l’instruction des nouveaux internes et les préparer aux concours hospitaliers. Pierre Godeau, qui en avait bénéficié, me rappelait combien sa compétence, la clarté de ses exposés, son enthousiasme, son sens du contact humain y étaient appréciés.

A la Faculté Cochin Port-Royal Claude Laroche présida de nombreuses années la commission de pédagogie. Avec son ami Henri Bricaire, il avait été très affecté par la médiocrité des résultats obtenus au concours de l’internat par les étudiants de notre faculté. Il encouragea des réformes d’enseignement que les plus jeunes instituèrent, obtenant ainsi que la Faculté Cochin Port-Royal se hisse au niveau des meilleures.

Dans le cadre de la formation médicale continue on ne peut oublier la part qu’il prit dans la pérennité des Entretiens de Bichat, perpétuant ainsi l’œuvre de son père et de Louis Justin Besançon.

Telle apparaît l’œuvre hospitalo-universitaire de Claude Laroche. J’eus le privilège de l’accompagner jusqu’au bout de son chemin professionnel. Je ne saurais ne pas citer ceux qui furent sa famille hospitalière. André Nenna : leur amitié s’était nouée dans les chaos d’une jeep sur les bords du Rhin, au cours de la campagne d’Alsace, où l’un et l’autre s’étaient engagés. Cette amitié fut si intime que, comme l’exprimait Claude Laroche, « on savait simplement que c’était toi et que c’était moi ». André Nenna dans le service était notre aîné, mieux, notre grand frère : il nous éblouissait par sa culture, son savoir médical, mais nous interpellait aussi par sa façon de rêver la vie.

Claude Laroche eut la joie de voir huit de ses élèves directs nommés médecins des hôpitaux, professeurs des universités. C’est dire ici encore le prestige qui était le sien au sein des instances universitaires et plus précisément dans le cadre des internistes.

Aucun des ses élèves ne changea d’orientation médicale, ce fut je crois une de ses grandes joies.

Citons René Caquet, le second à bord, toujours prêt à épauler, loyal et dévoué.

Michel Detilleux, l’innovateur sourcilleux et précis dans l’organisation de la vie hospitalière. Daniel Sereni, aujourd’hui chef de service de médecine interne à l’hôpital Saint-Louis, témoin actif de la médecine interne, l’élève dont l’affection ne manqua jamais à Claude Laroche. Alain Boissonas enfin, qui, à une époque où les responsables hospitaliers n’appréciaient guère le commerce des toxicomanes, réussit à créer une unité de toxicomanie dans le service de médecine interne. D’autres encore enrichirent la médecine interne : Jean-Michel Rémy à l’hôpital de Garches, Quevauvilliers à Poissy, le regretté Bernard Patri à Boucicaut. N’oublions pas parmi ses collaborateurs médicaux Jacques Grégoire, un des plus anciens, dont la fidélité ne céda pas au fil du temps, Maurice Hodara, Michel Perrier, Madame DeschezLabarthe. Il serait bien injuste de ne pas remercier mademoiselle Hobreaux, sa très fidèle secrétaire qui eut toujours, parmi ses autres mérites, celui de savoir gérer le désordre inné de notre maître. C’est avec cette équipe et la mienne, émanée du service de médecine interne d’Henri Péquignot, qu’il réalisa le Département de médecine interne, structure hospitalière qu’il avait évoquée et défendue au cours d’un congrès de médecine interne en 1974. C’était trente ans avant l’évocation des pôles d’activité hospitaliers d’aujourd’hui. Il souhaitait y rendre complémentaires deux services hospitaliers dont la vocation de soins et d’enseignement était la même ; y instaurer une autre forme de « gouvernance » respectueuse de la hiérarchie médicale issue des concours, mais aussi à l’écoute de chaque participant responsable, et ouverte pour les plus jeunes aux initiatives d’action.

Fidèle à ses convictions, Claude Laroche créa le Centre des médecins catholiques français. Il ne s’agissait nullement de promouvoir une médecine catholique ou plus largement établie sur la tradition judéo-chrétienne. Il y voyait plus précisément l’occasion de réfléchir à des problèmes moraux ou éthiques auxquels sont confrontés quotidiennement les praticiens. Il le voulait dans un cadre religieux œcuménique, mais en tenant compte des valeurs héritées du siècle des Lumières : la dignité de l’homme, le respect de l’individu et la liberté. Il insistait aussi sur le fait que médecins chrétiens, il leur fallait ajouter une valeur spirituelle tenant compte de la création divine. Cette affirmation de son engagement lui permettait de ne pas toujours accepter les préceptes du Vatican. On comprend ainsi ses prises de position dans les nombreuses instances où il défendit ses convictions : Conseil National de l’Ordre des Médecins où il siégea plusieurs années, la Commission René instituée pour la révision du Code de Déontologie, le Comité National d’Ethique.

Claude Laroche n’attendit pas les instances officielles pour faire avancer ses réflexions. Avec l’aide d’Adolphe Steg et de Claude Sureau il créa à Cochin le premier comité d’éthique hospitalo-universitaire, en 1983. Il fut nommé membre du Comité National d’Ethique en 1992.

Claude Laroche fut élu président de notre compagnie pour l’année académique 1998-1999. Chacun d’entre nous put ressentir, certes sa fierté, mais aussi son émotion, de voir ainsi gravé son nom, à la suite de celui de son père, dans le marbre des Présidents de notre Académie. Filiation exceptionnelle. Pendant toute cette année de présidence, il eut à cœur de mener en avant notre assemblée pour préparer l’avenir, d’en assumer les charges, certes prestigieuses, mais aussi contraignantes. S’il le fit à la satisfaction de chacun, peu d’entre nous, sinon le Secrétaire perpétuel Raymond Bastin, comprirent le courage qui fut le sien. Déjà affaibli, fatigué par son affection cardio-vasculaire, il tenait plus que tout à rejoindre son père dans cet honneur et aller ainsi au bout de la mission qu’il s’était donnée.

 

Qui s’étonnerait en suivant le parcours hospitalo-universitaire de ce grand acadé- micien, qu’il ait choisi comme thème de son discours présidentiel le secret médical.

Ancien membre du Conseil Départemental de la Seine, puis plus tard du Conseil National de l’Ordre des Médecins, il y réfléchit longuement avec les présidents Raymond Villey et Louis René. Qui s’étonnerait aussi que son discours commence par « Pauvre secret médical ». Claude Laroche pensait comme Pasteur ValleryRadot que le secret médical était la pierre angulaire sur laquelle s’est édifiée la morale médicale. Comme l’écrivait Raymond Villey, ce secret est un double symbole : celui du respect du médecin pour le malade et celui du respect de la société pour l’individu. Que ce secret ne soit pas absolu et le dialogue médecin malade en est aussitôt entravé. Telle était la conscience de notre maître. Mais celle-ci était suffisamment éclairée pour que Claude Laroche sache que ce secret était devenu depuis bien longtemps un secret juridique, et que le développement de notre société l’entraînait inéluctablement vers une confidentialité partagée. Tout au long de sa carrière médicale, il s’attacha à le situer avec exigence dans l’ordre contemporain.

Claude Laroche était officier de la Légion d’honneur.

S’il m’a paru essentiel de marquer toute l’action de notre maître par sa profondeur de réflexion qui mêlait l’humain au religieux, il ne faut pas méconnaître toute la joie qui rayonnait de lui. Il ne portait ni la soutane, ni la robe de bure. Claude Laroche était un heureux vivant. Il aimait tout particulièrement les occasions de rencontrer ses amis, ses élèves. Sa maison de Saint-Rémy était pour lui le lieu privilégié où vous saviez si bien, madame, rassembler ceux que Claude Laroche aimait retrouver : sa famille chaque weekend, au bord de la piscine, ou au coin du feu. Jusqu’à la fin de sa vie il aimait recevoir les échos de cette jeunesse nouvelle, mais aussi participer aux échanges et exprimer son jugement. Pourtant Claude Laroche n’aimait pas la campagne, cet espace trop tranquille, et s’il jouait au golf c’était surtout pour le plaisir des rencontres. Il adorait la montagne, y faire du ski, y travailler aussi sur un bout de table, parmi ses enfants et petits-enfants, dans le tohu-bohu du chalet familial de Méribel. Claude Laroche aimait la vie parisienne, le théâtre, les dîners où il retrouvait souvent les personnalités qu’il avait soignées. Il n’était pas collectionneur de tableaux, mais adorait les musées où sa curiosité et son attirance pour le beau pouvaient se satisfaire. Surtout il était passionné de musique. Jeune médecin il fit partie d’un orchestre de chambre en tant que second violon. A Paris il ne manquait pas d’assister aux nombreux concerts de la capitale : doté d’une fine oreille musicale, il détectait sans erreur la note mal placée. Cependant ses plus grandes joies furent ses séjours à Bayreuth où chaque été il se rendait avec son épouse.

Vous m’avez dit, madame, que jeune fille vous aviez fait le vœu d’épouser un médecin, sans doute pour participer au secours des autres. Une bonne fée vous a comblée. Plus de soixante ans de vie commune où pour tous ceux qui vous entouraient l’amour et la foi rayonnaient. Vous avez cinq enfants, deux de vos fils ont choisi la carrière médicale, ce qui réjouit votre époux ; seize petits-enfants sont venus compléter votre famille. Tous ont gardé de votre couple ce sentiment d’amour partagé avec ceux qui vous étaient chers : leurs amis étaient vos amis. Pendant très longtemps ce bonheur familial fut merveilleusement préservé, comme si le Destin hésitait à frapper tant de joie. Il ne vous épargna pas sans fin, mais lorsque fut venu le temps de la douleur vous sûtes ensemble l’accepter avec la force qui était la vôtre.

Madame, notre compagnie m’a confié l’honneur de vous dire à vous et à vos enfants notre douloureuse sympathie à l’occasion du départ de notre ancien président, mais aussi nos remerciements pour tout ce qu’il nous a donné. René Char, ce grand poète a dit : « Il n’est plus là, on ne peut plus lui parler, seul son silence est présent ».

 

* Membre de l’Académie nationale de médecine.