Communication scientifique
Session of 19 février 2002

Drogues actuelles. Nouveaux problèmes cliniques

New drugs. A new clinic

I. Ferrand

Résumé

La dernière décennie se caractérise par des modifications notables de la consommation des drogues. Devançant l’héroïne, les produits psychostimulants et psychodysleptiques occupent le 2ème rang dans la consommation des jeunes. Le produit illicite le plus fréquemment consommé reste le cannabis. Le développement des drogues de synthèse, « designers drugs », s’intègre dans le contexte de recherche de molécules capables de « faciliter et de renforcer les relations ». Ils sont quasiment toujours pris en association avec de l’alcool et du cannabis voire d’autres produits psychotropes . Mots-clés : Drogues fabriquées clandestinement. Hallucinogènes. Lysergide. Ectasy, voir n-méthyl-3, 4-méthyledioxyamphétamine.

Summary

The last decade has been marked by important changes in the way people use drugs. Psychostimulants and psychodysleptics are second in the list of drugs young people like the most, before heroin. Cannabis is most frequently used. The development of the « designer drugs » is included in the abusive context of research of molecules able to facilitate and reinforce relation-ships. They are almost always used with alcohol and cannabis and sometimes other psychotropic drugs. Key-words (Index Medicus) : Designers drugs. Hallucinogens. Lysergic acid diethylamide. N-methyl-3, 4-methyledioxyamphetamine. En clinique nous sommes confrontés à l’usage croissant de drogues de synthèse (dérivés amphétaminiques, ecstasy…). * Psychiatre des Hôpitaux, Chef de Service Groupe Hospitalier Cochin, Saint-Vincent-de-Paul, La Roche Guyon, 27, rue du Faubourg Saint Jacques — 75014 Paris. Tirés-à-part : Professeur Isabelle Ferrand, à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 14 janvier 2002, accepté le 14 janvier 2002. Nous envisagerons les nouveaux comportements des usagers, les spécificités cliniques et les risques liés à ces usages. Les psychostimulants et psychodysleptiques sont aujourd’hui au 2ème rang des substances illicites consommées dans le monde chez les jeunes ; le cannabis occupe le premier rang des produits consommés. L’augmentation de l’usage de ces produits s’inscrit dans un certain contexte : recherche de plaisir collectif et festif avec l’ecstasy, identitaire et individualisé avec les amphétamines [1]. Ces produits sont apparus avec l’évolution de la chimie. L’augmentation de leur usage survient dans une période de transformation sociale et culturelle. Un des aspects en est la recherche de la performance (performances sportives ou intellectuelles) dans le cadre d’une société toujours plus exigeante. La classe des amphétamines se développe et les « amphetamine-like », molécules de synthèse capables de donner le sentiment de faciliter et de renforcer les relations sont en augmentation. Le développement des drogues de synthèse a été rapide depuis les années 90. Ces produits souvent désignés « safe drugs » ont une connotation positive pour l’individu et la société, ils ne sont pas vécus comme dangereux. Ces nouvelles molécules dites « entactogènes », médiateurs directs de cette transformation culturelle, ayant comme effet l’expansion de l’empathie, arrivent dans le contexte d’une société de « désinhibition » qui répand et honore de plus en plus le culte de la performance [2]. Le recours à ces pilules de la performance est accepté et valorisé par les membres de petits groupes de consommateurs. Le manque de communication et le sentiment de non-reconnaissance ressentis par les plus jeunes membres de la société amènent parfois cette recherche de « béquilles chimiques » censées résoudre les problèmes de la vie courante. Depuis 1990, l’usage de l’ecstasy (MDMA) s’est largement développé en France. Sa diffusion rapide est liée à celle de la musique « techno » et des « rave parties ». Elle s’inscrit dans un mouvement culturel. Ces drogues de synthèse sont utilisées pour faciliter les relations dans une quête d’empathie. La prise d’ecstasy pendant les soirées « rave » serait porteuse de valeur culturelle, de chaleur humaine, d’échanges spirituels, de développement de l’ ego [5]. A partir de 1993, les produits se sont diversifiés : réapparition du LSD qui avait quasiment disparu depuis les années 70 et multiplication des molécules amphetamine-like. Depuis 1996 sont apparus des produits comme la kétamine, le gamma-OH, le protoxyde d’azote dont l’usage est rarement isolé. Ce sont des substances anesthé- siques déviées de leur usage, produisant des effets hallucinogènes [3]. Ces drogues sont pratiquement toujours consommées en association avec de l’alcool et du cannabis. Elles sont fabriquées par synthèse à partir de produits chimiques ; la plupart se présentent sous forme de comprimés où différentes substances peuvent être mélangées. Les comprimés sont de couleur variable, ornés d’un motif.

L’ECSTASY

L’ecstasy est un dérivé de l’amphétamine (MDMA : méthylène — dioxyméthamphé- tamine appelée X, love drug, Adam, love pill).

Cette substance est consommée depuis les années 80 en Angleterre dans les boîtes de nuit. Depuis elle a diffusé dans des clubs de musique « house » et « soul » puis sur les plages d’Ibiza. L’organisation mondiale de la santé a demandé son inscription sur la liste des stupéfiants. En France ce fut effectif en 1986.

Actuellement, l’ecstasy est le plus souvent consommée en groupe, pour ses effets stimulants, désinhibants et euphorisants, dans les soirées « rave », en boîte de nuit, au concert et dans les fêtes privées. La plupart des usagers sont polyconsommateurs, associant le cannabis et surtout l’alcool.

Pour tenter d’échapper à la répression, les fabricants changent continuellement la composition des produits vendus sous cette appellation : en sorte que de nouvelles molécules apparaissent qui doivent être saisies, identifiées, analysées avant d’être mises sur la liste des produits stupéfiants [4]. C’est ainsi que sont apparus sur le marché : la MDEA (méthylène-dioxyéthylamphétamine), la MBDB (N — méthyl —benzodioxazolylbutanamine) et le Nexus (2 CB : 4-bromo-2,5 diméthoxyphénylé- thylamine). De plus, d’autres substances sont présentes dans les comprimés telles que la strychnine, la kétamine, la testostérone, la caféïne, le LSD et autres.

L’action de l’ecstasy est double, surtout psychostimulante mais aussi légèrement psychodysleptique. Elle permet une levée des inhibitions avec une augmentation des pulsions sexuelles et des besoins de contacts. Les effets sont liés à la vulnérabilité individuelle et au contexte de l’utilisation. Lors d’une prise de l’ordre de 150 mg l’effet escompté apparaît après une demi-heure environ, précédé souvent d’une période de désorientation avec apparition d’un trismus. L’effet est marqué par un état de stimulation euphorique avec désinhibition, facilitation de la communication, stimulation psychomotrice, abolition de la sensation de fatigue. Puis survient un état d’épuisement et de dépression qui conduit fréquemment les usagers à utiliser d’autres psychotropes du type cannabis, alcool, benzodiazépines voire héroïne, cocaïne. Des effets adverses peuvent se voir. Ils sont décrits aussi bien après une prise unique qu’après une longue histoire de consommation.

Sur le plan somatique, certains sont mineurs : trismus, bruxisme, douleurs musculaires, nausées, vomissements, transpiration ; d’autres rares mais gravissimes :

hyperthermie, rhabdomyolyse, coagulation intravasculaire disséminée, insuffisance rénale aiguë, hépatite, coma, hypertension, autres troubles cardiovasculaires.

Sur le plan psychiatrique, différents désordres ont été décrits. Les effets de l’ecstasy sur le sommeil sont bien connus et peuvent persister à long terme (insomnie, inversion du rythme veille-sommeil, cauchemars, hallucinations hypnagogiques) :

— les attaques de panique semblent fréquentes : parfois limitées au temps de la prise d’ecstasy, elles peuvent évoluer sur un mode chronique vers un authentique trouble panique avec syndrome dépressif et conduite d’évitement [6]. La survenue d’un syndrome dépressif majeur est plus rare ;

— l’apparition de troubles psychotiques secondaires à l’utilisation de MDMA a été décrite. Les phénomènes hallucinatoires sont rares, les idées délirantes dominent essentiellement à thèmes de persécution, référence, grandeur, transformation corporelle. Elles sont accompagnées d’une angoisse importante. Ces troubles évoluent souvent sur un mode chronique ;

— l’apparition de troubles des perceptions avec anxiété de durée brève, se répétant à distance de la prise du produit est moins fréquente qu’avec le LSD. Cependant ces phénomènes de flashback sont tout à fait comparables ;

— le risque de survenue de troubles cognitifs est souligné par les différents auteurs.

Des cas d’altérations cognitives sévères (touchant la mémoire) ont été rapportés.

Dans une étude rétrospective portant sur 150 sujets consultant pour des troubles addictifs et ayant consommé au moins une fois de l’ecstasy, Schifano et al [5] retrouvent des troubles cognitifs dans 52 % des cas. Dans cette étude, les troubles cognitifs sont significativement liés à l’importance et à la durée de la consommation d’ecstasy. Ils sont aussi significativement plus fréquents chez les sujets consommateurs d’alcool.

Quelle est la responsabilité de l’ecstasy dans ces désordres ?

Plusieurs points sont à souligner :

— le délai de survenue des troubles par rapport à la dernière prise d’ecstasy varie de quelques heures à plusieurs mois ;

— par ailleurs il ne semble pas exister de lien entre l’apparition des troubles, la fréquence de l’utilisation du produit et l’importance des doses ingérées ;

— de plus les sujets prennent conjointement de multiples substances (alcool, cannabis, benzodiazépines, LSD, cocaïne, amphétamines) susceptibles d’induire divers troubles ;

— enfin la question se pose de savoir si la MDMA peut induire de novo un trouble psychiatrique ou si elle agit comme facteur déclenchant ou précipitant sur terrain déjà vulnérable.

Globalement, il semble que la susceptibilité individuelle aux effets toxiques de l’ecstasy soit extrêmement variable. Se pose alors la discussion des facteurs de vulnérabilité, sachant que les conditions environnementales et les produits associés jouent un rôle certain.

LE LSD

Le LSD ou diéthylamide de l’acide lysergique est obtenu à partir de l’ergot de seigle.

Il est présenté sous la forme d’un buvard, d’une micropointe ou sous forme liquide.

Il entraîne des modifications sensorielles intenses avec hallucinations, fous rires, délire. Les troubles affectifs sont importants, le plus souvent ils vont dans le sens d’une exagération de l’humeur préexistante.

Ces effets durent entre 5 et 12 heures. La redescente peut s’accompagner d’angoisse, de crise de panique, d’état paranoïaque, de bouffées délirantes. Les complications psychiatriques peuvent être graves et durables. La réapparition de sensations identiques à celles vécues, à la suite de la prise sous forme de flash-back, peut se produire durant des mois voire des années [6].

La survenue de psychoses chroniques est décrite par de nombreux auteurs. Dans une série de 142 patients ayant développé ce type de troubles, ceux-ci troubles ont été rapportés après une prise unique dans 30 à 50 % des cas.

La symptomatologie de ces psychoses associe le plus souvent troubles de l’humeur, hallucinations visuelles, idées de grandeur, délire mystique.

La question se pose de difficultés psychiatriques antérieures et de l’imputabilité du LSD. Il semble que l’usage de LSD soit un facteur précipitant de l’apparition d’une schizophrénie chez certains sujets.

LA KÉTAMINE

Il s’agit d’un anesthésique destiné à l’usage vétérinaire. Détournée de son usage elle est vendue souvent associée à de l’éphédrine ou de la sélégiline. Elle a des effets hallucinogènes ; elle entraîne un état dissociatif et est souvent utilisée dans des expériences de « voyage aux confins de la mort sous l’appellation de « vitamine K » ou « spécial K ». Son usage est particulièrement dangereux avec risque de perte de connaissance, d’arrêt respiratoire et de défaillance cardiaque.

LE GAMMA OH ou GHB

Le gamma OH est utilisé en anesthésie. Il est consommé à des fins non médicales depuis une dizaine d’années environ. Les usagers recherchent son effet euphorisant, pseudo-ébrieux. Utilisé sur le plan festif mais aussi criminel (viol) en raison des propriétés de la molécule [3] : amnésie, état ébrieux, délai d’action très court, difficultés de dosage en raison d’une élimination rapide. C’est pourquoi il est recommandé de ne pas quitter des yeux ses consommations sur les lieux festifs.

LE PROTOXYDE D’AZOTE

Le protoxyde d’azote est un gaz enmployé dans l’industrie. Il fut utilisé en anesthé- siologie et connu pour ses effets euphorisants (gaz hilarant). Détourné de son usage, il est vendu et inhalé sous forme de ballons. Il entraîne : troubles de la conscience, sédation, euphorie, distorsions visuelles et auditives. Les effets sont fugaces.

LES POPPERS

Les poppers sont des vasodilatateurs, dérivés nitrés. Détournés de leur usage, il sont sniffés avec des effets quasi immédiats et brefs (2 minutes) : sensation de chaleur intense avec sensualité exacerbée. Ils peuvent provoquer des vertiges, des céphalées, une augmentation de la pression intraoculaire. A forte dose on peut observer une dépression respiratoire.

CONCLUSION

Il faut insister sur la polyconsommation qui est une caractéristique essentielle des usagers actuels. De plus la consommation déborde aujourd’hui le cadre festif « techno », s’étend aux boîtes de nuit, aux soirées privées, aux lieux de loisirs. Dans les centres spécialisés on voit apparaître des sujets dépendants.

L’augmentation de l’utilisation des drogues de synthèse chez les jeunes amène diverses interrogations :

— quelles stratégies de prévention développer ?

— quel est le risque de développer une maladie psychiatrique au long cours ?

— quelles prises en charge proposer pour les jeunes sujets dépendants ?

BIBLIOGRAPHIE [1] Laure P., Richard D., Senon J.L., Pirot S. — Psychostimulants et amphétamines. —

Revue

Documentaire Toxibase , 1999, 1 , 1-16.

[2] Velea D., Hautefeuille M., Vazeille G., Lantran-Davoux C. — Nouvelles drogues synthétiques empathogènes. Encéphale , 1999, 25 , 508-514.

[3] Drogues d’aujourd’hui : usages et risques.

Interdépendances , 2000, 37 , 25-32.

[4] Bailly D. — Troubles neuropsychiatriques liés à la MDMA (ecstasy).

Encéphale, 1999, 25, 6, 595-602.

[5] Schifanof, Di Furial, Forzag, Minicucin, Bricolor — Characteristics and psychopathological consequences of MDMA Drug and alcohol dependence, inter. Ectasy conference, Bologne, Italy, nov. 1996.

[6] Abraham H.D., Aldridge A.M. — Adverse consequences of lysergic acid diethylamide.

Addiction , 1993, 88, 1327-1334.

Bull. Acad. Natle Méd., 2002, 186, no 2, 339-344, séance du 19 février 2002