Communication scientifique
Session of 19 février 2002

Données neurobiologiques récentes sur le cannabis

MOTS-CLÉS : cannabis. héroïnodépendance. troubles liés substance toxique.
Recent neurobiological data on cannabis
KEY-WORDS : cannabis. heroindependence. schizophrenia.. substance-related disorders

J. Costentin

Résumé

L’inquiétante croissance de l’usage du cannabis suscite un regain d’intérêt pour les mécanismes neurobiologiques qui sous-tendent ses activités diverses et en particulier toxicomaniaques, intrinsèques ou croisées avec d’autres drogues, ainsi que sur les méfaits qui en découlent. On décrit ici les éléments qui authentifient chez l’animal une dépendance psychique commune à toutes les drogues, une dépendance physique, laquelle servait jusqu’à maintenant à qualifier les « drogues dures », effet incitatif que paraît exercer le cannabis vis-à-vis de l’usage d’autres drogues, en particulier de l’héroïne. Enfin seront envisagées les relations étroites qu’entretient le cannabis avec la schizophrénie. Nombre de ces données récentes, loin de relativiser la toxicité psychique du cannabis, soulignent au contraire sa dangerosité potentielle.

Summary

The alarming increase in cannabis abuse has triggered a renewed interest in the neurobiological mechanisms which underlie its effects, particularly as regards its addictive properties either intrinsic or when crossed with other narcotics as well as its subsequent damage. We here report an evaluation of experimental data which reveal in animals a psychological dependence, common to all addictive drugs ; a physical dependence, which is considered up to now as the characteristic of « hard addictive drugs » ; the incentive effect that cannabis should exert on the inclination to abuse other addictive drugs, especially heroin ; and finally the close relationships which seem to exist between cannabis and schizophrenia. Most of these recent data are far from reassuring as regards cannabis psychotoxicity. Furthermore they underline its potential danger and prompt increased caution.

* Correspondant de l’Académie nationale de médecine.

Unité de Neuropsychopharmacologie, UMR 6036 CNRS, Faculté de Médecine et Pharmacie, 22 Bd Gambetta — 76183 Rouen cedex 1.

Tirés-à-part : Professeur Jean Costentin, à l’adresse ci-dessus.

Article reçu le 31 décembre 2001, accepté le 14 janvier 2002.

INTRODUCTION

Le cannabis était utilisé en Chine, il y a 5 000 ans, comme une panacée. Depuis lors, on en trouve l’usage dans diverses indications diversement justifiées, voire manifestement erronées (paludisme par exemple). Ces usages reculèrent au rythme de l’avènement, dans ces indications, de molécules de synthèse aux effets plus spécifiques et plus puissants. Le constat d’une dépendance consacra son déclin et conduisit à sa prohibition (convention de Genève de 1925).

L’accroissement actuel de la consommation de cannabis, qualifiée d’irrésistible en raison de la faiblesse des dispositifs qui devraient la contenir, le propulse sur le devant de la scène. Pour en relativiser les dangers on se réfère à l’usage fréquent qui est fait, dans des sociétés sans alcool, de produits faiblement dosés en delta-9- tétrahydrocannabinol (THC), le principe actif majeur du cannabis. Pourtant l’environnement dans notre pays est à divers égards différent.

Tableau 1. — Le cannabis au cours du temps 3 000 ans avant J.C., en Chine :

description d’usages thérapeutiques (justifiés ou fantaisistes) ;

xixe siècle : regain d’intérêt thérapeutique ;

xxe siècle : le déclin ;

— 1925 : sa prohibition ;

— 1964 : découverte du delta-9-tétrahydrocannabinol, son principe actif majeur ;

— 1988 : clonage du récepteur CB ;

1 — 1992 : l’anandamide : l’éthanolamide de l’acide arachidonique, considéré comme le ligand endogène de CB ;

1 — 1993 : clonage du récepteur CB ;

2 — 1995 : sélection d’un antagoniste CB , le SR 141 716A ;

1 — 1999 : création d’une lignée de souris privées du récepteur CB .

1 Parmi les nombreuses questions que soulève la toxicomanie au cannabis nous focaliserons notre propos sur les éléments qui authentifient chez l’animal la dépendance psychique ainsi que la dépendance physique à cette drogue ; nous évoquerons les relations qui pourraient relier l’usage du cannabis à celui de l’héroïne, ainsi que celles pouvant exister entre le cannabis et la schizophrénie.

DÉPENDANCES PSYCHIQUE ET PHYSIQUE AU CANNABIS

Les deux degrés de pharmacodépendance, psychique et physique, sont désormais expérimentalement établis chez l’animal.

L’épreuve de « préférence de place conditionnée » repose sur le fait que l’animal développe une attirance ou au contraire une répulsion pour un environnement dans
lequel il a préalablement éprouvé respectivement un état de plaisir (effet appétitif) ou au contraire un état d’inconfort, de désagrément, (effet aversif). Dans cette épreuve, et contre toute attente, des aversions de place sous THC ont été constatées chez le Rat [1, 2] et chez la Souris [3]. Cette aversion de place étant prévenue par l’antagoniste de référence des récepteurs CB , le SR 141716. L’existence d’effets dysphori1 ques pourrait expliquer ce résultat inattendu. Le choix des doses aurait pu être inadéquat, comme le suggère le fait que le recours à de faibles doses de THC a permis à Lepore et coll. [4] de mettre en évidence, chez la Souris, une préférence de place.

Le fait d’administrer du THC préalablement aux administrations qui ont été ensuite pratiquées lors du conditionnement a permis de révéler une préférence de place conditionnée pour une dose faible de THC [5]. L’administration préalable pourrait avoir créé une tolérance aux effets aversifs, donnant ultérieurement libre cours aux effets appétitifs. Également chez la Souris, Martelotta et coll. [6] ont pu mettre en évidence l’auto-administration d’un agoniste CB , le WIN 55-212-2.

1 Le cannabis, à l’instar de toutes les drogues, accroît l’activité électrique des neurones dopaminergiques qui prennent naissance dans l’aire de tegmentum ventral du mésencéphale et qui se projettent en particulier sur le noyau accumbens ou le cortex préfrontal. Il agit ce faisant en stimulant des récepteurs CB [7]. Cet effet du THC est 1 partagé par d’autres agonistes directs des récepteurs CB . L’accroissement de la 1 libération de dopamine, dans la coque (« shell ») du noyau accumbens et dans le cortex préfrontal, est un maillon essentiel du « système de récompense » [8, 9]. Ceci apparente la dopamine à l’amine du plaisir [10].

Lors du sevrage du THC, l’activité électrique spontanée des neurones dopaminergiques méso-accumbiques se trouve très diminuée, ce qui correspond à une anhédonie [11]. La survenue de manifestations somatiques lors du sevrage d’une drogue, spontanée ou précipitée par un antagoniste, est le critère jusqu’à maintenant habituel qui permet de classer celle-ci parmi les « drogues dures », donnant lieu à dépendance physique.

Les manifestations cliniques du sevrage chez les consommateurs de cannabis ne sont pas prononcées, sans doute du fait d’une grande rémanence du THC dans l’organisme, en relation avec l’important stockage dans les lipides que permet sa grande lipophilie et la lente libération de ceux-ci. Ainsi les récepteurs CB ne connaissent 1 pas d’arrêt brutal de leur stimulation. Pourtant des manifestations de sevrage ont été détectées chez des fumeurs de cannabis [12-14] ; il s’agit d’anxiété, d’irritabilité, d’anorexie, de gastralgies….

L’avènement d’un antagoniste des récepteurs CB , le SR 141 716, a permis de lever 1 brutalement la stimulation des récepteurs CB opérée par le THC, déterminant chez 1 le Rat [15-17], chez la Souris [18], ou chez le Chien [19], des manifestations de sevrage. Elles diffèrent de celles de l’anandamide (le dérivé éthanolamide de l’acide arachidonique, qui apparaît comme un ligand endogène des récepteurs CB ), qui 1 sont plus discrètes.

A l’arrêt d’une administration chronique aux rats d’un agoniste CB de synthèse, (le 1 WIN 55212-2), survient un syndrome de sevrage, comportant des mouvements d’ébrouement et des frottements de la face. Il n’est alors pas besoin d’administrer un antagoniste des récepteurs CB (tel le SR 141 716) pour que ces manifestations 1 apparaissent [20]. Le syndrome d’abstinence au HU210 (agoniste CB ) précipité par 1 un antagoniste CB (le SR 141 716) s’accompagne d’une libération marquée du 1 Corticotropin Releasing Factor (CRF), et de manifestations d’anxiété à l’identique de ce qui est observé avec d’autres drogues [21]. Les auteurs en concluent que les cannabinoïdes induisent au long cours des processus neuro-adaptatifs qui peuvent engendrer une vulnérabilité à d’autres drogues.

RELATION ENTRE LA DÉPENDANCE AU CANNABIS ET CELLE À D’AUTRES DROGUES

Le blocage des récepteurs CB , par le SR 141 716, s’oppose à l’établissement de la 1 préférence de place qu’aurait dû induire la cocaïne [2]. Pourtant tous les effets appétitifs de la cocaïne ne semblent pas passer par les récepteurs CB puisque les 1 souris privées de ces récepteurs (« knock out CB = CB -′- = délétion du gène codant 1 1 ce récepteur) manifestent une préférence de place en réponse à la cocaïne [22] et continuent de s’auto-administrer celle-ci.

Chez le Rat, le blocage des récepteurs CB1 par le SR 141 716 diminue la consommation de sucre et d’alcool [23, 24]. A l’opposé la stimulation de ces récepteurs accroît l’appétence pour les boissons alcoolisées (la bière chez le Rat) [25]).

Les relations avec les systèmes opioïdergiques sont particulièrement importantes à considérer pour expliquer le fait que la grande majorité des toxicomanes à l’héroïne ont été préalablement des utilisateurs du cannabis.

Le blocage des récepteurs CB inhibe le comportement de préférence de place 1 conditionné par la morphine [2].

Tanda et coll. [9] ont constaté que le THC et l’héroïne exercent des effets similaires sur la transmission dopaminergique mésolimbique, via la mise en jeu de récepteurs opioïdes de type mu (µ1). Ceci fait dire aux auteurs que si leurs résultats ne constituent pas la preuve directe d’une relation de causalité entre la consommation de cannabis et celle d’héroïne, ils sont néanmoins en accord avec cette possibilité.

Les souris dépourvues de récepteurs CB ne s’auto-administrent plus de morphine.

1 En revanche, elles continuent de s’auto-administrer de la cocaïne, comme on l’a dit, ainsi que de l’amphétamine et de la nicotine [26].

Chez ces mêmes souris CB -′- la morphine n’induit plus de libération de dopamine 1 dans le noyau accumbens [27] ; ses effets analgésiques persistent ; une tolérance à ceux-ci peut toujours se développer à la faveur d’administrations répétées, mais l’auto-administration de morphine est très notablement diminuée. L’intensité du syndrome d’abstinence à la morphine, précipité par la naloxone, est significativement diminuée sur 7 des 9 expressions explorées [28]. Cette importante étude
souligne que l’administration au long cours d’un antagoniste CB , mimant en cela 1 ce qui est observé chez les souris privées de ce récepteur, pourrait être un moyen de prévention d’une dépendance aux opiacés….

Manifestant encore les relations qui existent entre les systèmes cannabinoïdergiques et les systèmes endorphinergiques, Navarro et coll. [29] ont constaté que chez le Rat rendu dépendant à la morphine l’antagoniste CB , le SR 141 716, induisait un 1 syndrome de sevrage. De plus, chez le rat rendu dépendant aux cannabinoïdes par des administrations répétées d’un agoniste CB , (le HU210), l’antagoniste préféren1 tiel des récepteurs opioïdes, de type mu, la naloxone, induit un syndrome qui ressemble à celui du sevrage morphinique.

Chez les souris CB -′-, on n’observe pas la sensibilisation aux effets excito1 locomoteurs de la morphine, qui se développe à la faveur d’administrations répétées chez les souris normales, CB +′+ [28, 27]. Ce phénomène de sensibilisation, c’est-à- 1 dire d’accroissement progressif de la réponse locomotrice en réponse à une même dose de drogue, est l’opposé d’une tolérance. Il s’observe avec divers agents toxicomanogènes. Gorriti et coll. [30] ont constaté que l’administration chronique de THC induisait une sensibilisation aux effets psychomoteurs de l’amphétamine chez le Rat.

Dans le même esprit il a été montré que l’administration semi-chronique d’un agoniste CB de synthèse (le WIN 55212-2), modifiait considérablement les effets de 1 l’héroïne. Alors que celle-ci suscitait, chez les rats témoins, une catalepsie (équivalent du syndrome extrapyramidal humain), elle induisait au contraire chez les animaux prétraités par le WIN une hyperactivité locomotrice et des stéréotypies [31].

L’intrication des systèmes cannabinoïdergiques et endorphinergiques, révélée par ces expériences récentes, sans encore accéder au niveau de la certitude, donne une base mécanistique au constat que la plupart des héroïnomanes ont préalablement abusé du cannabis. Selon une métaphore empruntée à la teinturerie, le cannabis mordancerait la fibre sur laquelle l’héroïne se fixerait avec une plus grande facilité.

Le THC préparerait le toxicomane à percevoir d’emblée, et sur un mode accentué, le « plaisir » qu’il éprouve lors des premiers usages d’héroïne, conduisant à leur répétition, avec l’extrême détérioration qui en résulte.

RELATIONS ENTRE LE CANNABIS ET LA SCHIZOPHRÉNIE

Les effets psychotropes du cannabis sont variés, ils empruntent pour plusieurs d’entre eux au registre des expressions psychotiques. Parmi les principaux effets caractérisés, citons : une euphorie aiguë, une discordance idéique, une désorientation temporelle, de possibles hallucinations, des troubles de la coordination, des perturbations de la mémoire opérationnelle, des modifications des temps de réaction, une diminution de l’attention sélective, des perturbations de la formation des concepts [32-34]. Il existe donc diverses similitudes avec la schizophrénie.

Le fait qu’un nombre important d’usagers du cannabis développe des manifestations psychotiques aiguës, bien identifiées dans les classifications internationales des maladies mentales (DSM-IV, CIM 10) ainsi qu’une enquête française montrant que 36 % des schizophrènes hospitalisés étaient ou avaient été dépendants au cannabis, redoublent l’intérêt de rechercher le lien pouvant exister entre cannabis et schizophrénie.

A l’hypothèse qui prévalait dans les années 70, d’une psychose cannabique intrinsèque [35-40], alors que la schizophrénie demeurait au plan neurobiologique complètement mystérieuse, tend désormais à se substituer un modèle dans lequel le schizophrène manifesterait une appétence particulière pour le cannabis. Celui-ci corrigerait les manifestations déficitaires de la maladie, (anhédonisme, dysthymie, cataplexie…) en relançant l’activité du système dopaminergique mésocortical, l’hypoactivité de celui-ci étant la conséquence tardive (à l’adolescence et au-delà) d’un trouble neuro-développemental, dont les prémices seraient pergravidiques.

La consommation de cannabis ayant aussi pour effet d’activer le système dopaminergique mésolimbique déterminerait alors des manifestations positives de la schizophrénie, décompensant un état latent, ou aggravant les troubles, ou créant une résistance aux traitements antipsychotiques [41]. « L’ivresse cannabique » survient pour de fortes doses de THC (300-500 µg/kg), soit environ dix « joints » (i.e.

cigarettes associant au tabac ou bien la marijuana = « herbe », correspondant aux feuilles, tiges et sommités fleuries séchées, soit la résine de la plante = « shit »). Cela peut correspondre à un nombre moindre de « joints » quand ils sont confectionnés avec des produits « surdosés » en THC, hélas désormais disponibles. Cette « ivresse » est en fait une expérience psychotique transitoire, comportant une dissociation de la pensée, des convictions délirantes, des illusions et hallucinations. En fonction des manifestations prévalentes, des formes où domine l’excitation, des formes délirantes, des formes pseudo-autistiques ont été distinguées [42].

Plusieurs études montrent sans ambiguïté que l’abus du cannabis précède l’apparition de la schizophrénie [41-46].

Dans une étude longitudinale de 45 000 conscrits suédois, Andreasson et coll. [47] ont montré que le risque de développer une schizophrénie était six fois plus élevé chez les sujets qui avaient fumé plus de cinquante fois du cannabis. Il a été établi très récemment en outre une relation entre l’usage de drogues, dont le cannabis, qui prédomine dans le sexe masculin, et le mauvais pronostic de la schizophrénie [48].

Il existe quelques substrats neurobiologiques à ces interrelations morbides, en fonction des interactions mises en évidence entre la transmission dopaminergique (pierre angulaire du processus psychotique) et les systèmes endocannabinoïdergiques/anandamidergiques [49, 50]. On notera encore qu’il existe chez les schizophrènes une anomalie du métabolisme de l’acide arachidonique, précurseur de l’anandamide [51] et que le taux de ce dernier est anormalement élevé dans le liquide céphalo-rachidien des schizophrènes [52].

CONCLUSION

L’adolescence et les quelques années qui la suivent constituent une étape très sensible, critique, de la vie de tout Homme. Elle comporte des recherches, des incertitudes, des prises de repères, il s’y contracte des habitudes ; c’est le temps fort de la formation aux activités manuelles et intellectuelles, de la culture, des examens, des concours ; c’est l’heure où se structure, s’affirme la personnalité, où s’effectuent des choix déterminants, où le besoin de transgression des interdits ou simplement de désobéissance est fort, où l’esprit grégaire se développe, où l’adhésion aux modes s’opère, où la sexualité se découvre et s’assouvit souvent, dans le contexte des MST ;

c’est la période où hélas, chez un à deux pour cent des individus, se démasque la schizophrénie ; c’est aussi celui des ravages opérés par les accidents de la circulation, des crises existentielles, des suicides, de la découverte et parfois de la submersion dans les drogues ; bref, c’est la période où les espoirs le disputent aux dangers.

Dans cette tranche d’âge la propension à expérimenter le cannabis a littéralement explosé au cours des vingt ans écoulés. Les pouvoirs publics n’ont pas su empêcher sa diffusion et les interrogations concernant sa dangerosité sont évidemment d’une actualité brûlante. Elles ont suscité diverses études visant à y répondre.

Nous avons analysé ici les données qui en sont issues pour répondre aux quelques questions que nous souhaitions considérer. Avec des particularités de diverses natures, il apparaît ainsi que le cannabis :

— suscite une dépendance psychique, ce qui est une caractéristique commune à toutes les drogues. Présente chez l’homme, elle n’a pas été très facile à révéler chez le rongeur, en raison du choix des doses et d’effets aversifs qui ne s’effacent qu’après plusieurs administrations ;

— suscite une dépendance physique, qui a été jusqu’alors le critère servant à caractériser les « drogues dures ». Elle est discrète en raison de la longue rémanence du THC dans l’organisme, assurée par son stockage dans les élé- ments lipidiques. Elle est prouvée chez l’animal en la précipitant par l’administration d’un antagoniste des récepteurs CB ;

1 — entretient avec les systèmes endorphiniques (opioïdes endogènes) des relations étroites qui incitent à croire que le passage du cannabis à l’héroïne n’est pas fortuit ; ce premier constituant une voie d’accès privilégiée à cette dernière ;

— apparaît en embuscade sur le terrain prémorbide de la schizophrénie ; objet d’une appétence redoublée, il donne alors lieu à un usage répété qui précipiterait la décompensation de la maladie.

Ces données, jointes à d’autres non examinées ici, loin de relativiser la psychotoxicité du cannabis le parent de tous les attributs d’une drogue. Elles soulignent qu’il existe désormais des arguments reliant son usage à celui de l’héroïne ; tandis que d’autres montrent les connivences qui relient cet usage à la schizophrénie. Ces
données sont en contradiction flagrante avec le discours lénifiant que tiennent ceux qui, pour s’attacher la considération de la jeunesse (« jeunisme »), prennent le risque en prônant la libre circulation du cannabis de mettre davantage cette jeunesse en danger.

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DISCUSSION

M. Guy DIRHEIMER

Quelle est la demi-durée de vie du Tétra Hydro Cannabinol, en particulier dans le noyau 9 accumbens, après une administration unique ?

Il s’agit là d’une question complexe et importante. Sa complexité est d’ordre méthodologique, car pour prendre toute sa signification fonctionnelle il faudrait accéder, non pas à la concentration tissulaire du THC, que l’on sait très longue ; ainsi dans les tissus à haute teneur en lipide, et le cerveau est de ceux-là, la demi-vie du THC est de l’ordre du mois ; mais à sa concentration extracellulaire, car c’est cette concentration libre qui a vocation à interagir avec les récepteurs CB qui nous intéressent ici. La méthode de 1 microdialyse intracérébrale pourrait peut être répondre à cette question. En fait, les récepteurs CB qui influent sur l’activité des neurones dopaminergiques méso1 accumbiques ne se trouvent ni dans le noyau accumbens , ni dans leur région d’origine, l’aire du tegmentum ventral, mais ailleurs, en amont du point de vue fonctionnel. Faute de savoir où il serait pertinent d’implanter la sonde de microdialyse pour cette détermination, je serais plus tenté de développer une radio-liaison in vivo , aux récepteurs CB1 cérébraux, recourant à un de leurs ligands radiomarqué, administré à dose traceuse par voie intraveineuse, et de déterminer alors pendant combien de temps la capacité totale de sa liaison serait réduite après une administration de THC.

Bull. Acad. Natle Méd., 2002, 186, no 2, 319-329, séance du 19 février 2002