Communication scientifique
Session of 23 mai 2006

Dialogue entre l’angiotensine et le récepteur du facteur de croissance épidermique dans les maladies rénales chroniques : vers une nouvelle approche thérapeutique

MOTS-CLÉS : angiotensines. facteur croissance epidermique. insuffisance rénale
Angiotensin and EGF receptor cross-talk in chronic kidney diseases : towards a new therapeutic approach
KEY-WORDS : angiotensins. epidermal growth factor. renal insufficiency

Gérard Friedlander, Fabiola Terzi

Résumé

L’angiotensine joue un rôle majeur dans la détérioration rénale. L’inhibition du système rénine-angiotensine atténue le développement des lésions rénales dans plusieurs modèles expérimentaux d’insuffisance rénale et retarde la progression des lésions rénales chez des sujets atteints d’insuffisance rénale chronique. Plus récemment, le récepteur du facteur de croissance épidermique (EGFR) a été identifié comme une molécule essentielle dans la progression de l’insuffisance rénale. L’interaction entre l’angiotensine et l’EGF est cependant jusqu’à ce jour mal comprise. Nous montrons que les souris génétiquement modifiées qui expriment un dominant négatif du récepteur de l’EGF sont protégées non seulement des lésions rénales entraînées par une réduction sévère de la masse rénale (néphrectomie des trois quarts mais également des lésions provoquées par la perfusion d’angiotensine II. Le TGFα et l’enzyme qui le clive pour en faire une forme circulante (enzyme de conversion du TNF appelé TACE ou ADAM 17) ont une expression qui augmente lors de la perfusion d’angiotensine. Les lésions induites par l’angiotensine sont réduites de manière significative chez les animaux dépourvus de TGFα et chez ceux à qui l’on administre un inhibiteur pharmacologique de TACE. Lors de la réduction néphronique, l’inhibition pharmacologique de la production d’angiotensine (inhibiteurs de l’enzyme de conversion) ou de son action (antagonistes des récepteurs) empêchent l’accumulation de TGF alpha et de TACE. Ces résultats indiquent que la transactivation du récepteur de l’EGF par l’angiotensine joue un rôle crucial dans la détérioration rénale et suggère que les inhibiteurs pharmacologiques de TACE puissent jouer un rôle thérapeutique stratégique dans la prévention de la progression des maladies rénales chroniques.

Summary

Angiotensin plays a major role in renal deterioration, and inhibition of the renin-angiotensin system slows the progression of renal lesions after nephron reduction both in animal models and in humans with chronic kidney diseases. The EGF receptor (EGFR) has recently been recognized as a key molecule in the progression of chronic renal failure, but the interaction between angiotensin and EGF is poorly understood. We show that transgenic mice harboring a dominant negative form of EGFR are resistant to the progression of renal lesions induced by nephron reduction or angiotensin infusion. TGF-alpha, an EGFR ligand, and its sheddase TACE, are overexpressed after angiotensin infusion, and angiotensin-induced renal lesions are blunted in TGF-alpha knockout mice and by pharmacological TACE blockade. After nephron reduction, angiotensin-converting-enzyme inhibitors and angiotensin receptor antagonists prevent TGF-alpha and TACE accumulation. These results indicate that EGFR transactivation by angiotensin plays a crucial role in renal deterioration and that pharmacological inhibitors of TACE might be useful for preventing the progression of chronic kidney diseases.

INTRODUCTION

Quelle que soit leur cause, la plupart des maladies rénales chez l’homme sont caractérisées par une agression initiale suivie par une phase de progression des lésions rénales qui se poursuit jusqu’à la destruction complète du parenchyme et l’insuffisance rénale terminale [1].

De nombreuses études, tant cliniques qu’expérimentales, ont montré que l’angiotensine II, effecteur majeur du système rénine-angiotensine, joue un rôle important dans le processus biologique qui aboutit à la détérioration rénale. En effet, l’inhibition pharmacologique du système rénine-angiotensine atténue le développement de lésions rénales dans de nombreux modèles d’insuffisance rénale et retarde la perte progressive de la fonction rénale chez des malades atteints de maladies chroniques.

A l’inverse, les sujets dont le fond génétique est responsable d’un tonus important du système rénine-angiotensine ont un risque accru de progression rapide des lésions rénales.

Parmi les nombreux mécanismes invoqués pour rendre compte de l’action de l’angiotensine II, figurent les effets hémodynamiques de cette hormone, la stimulation de la croissance et de la prolifération cellulaire rénale ainsi que le dépôt de matrice extracellulaire. Toutefois, les mécanismes moléculaires qui sous-tendent ces phénomènes restent largement ignorés.

L’angiotensine II agit en se fixant sur des récepteurs membranaires dont deux types ont été identifiés, AT1 et AT2 [2]. Les cellules rénales expriment de manière prédominante les récepteurs AT1 par l’intermédiaire desquels l’angiotensine exerce
la majorité de ses effets. Ces récepteurs AT1 activent une phospholipase C qui aboutit à l’augmentation du calcium intracellulaire et à la stimulation de la protéine kinase C. Il a, de plus, été montré que l’activation des récepteurs AT1 aboutit à une phosphorylation sur des radicaux tyrosines, à une stimulation des protéines kinases activées par des mitogènes (MAP-kinases) et à une prolifération cellulaire. Les voies intracellulaires impliquées dans ces effets de l’angiotensine II sont mal connues mais des éléments expérimentaux récents suggèrent qu’une transactivation du récepteur du facteur de croissance épidermique (epidermal growth factor, EGF) puisse être impliquée.

La question de savoir si l’angiotensine II est un stimulant indirect de la voie de l’EGF est d’importance dans la mesure où cette voie de signalisation joue un rôle crucial dans la détérioration rénale. En effet, le récepteur de l’EGF, pour lequel plusieurs ligants ont été identifiés (EGF, TGF-α, HB-EGF, amphiréguline, épiréguline, bêta-celluline et épigène) est intimement lié à la progression des maladies rénales comme le montrent les arguments suivants : d’une part, au cours de la réduction néphronique expérimentale, il existe une activation globale de ce système avec une augmentation d’expression du récepteur de l’EGF, de l’EGF et du TGF-α, et une activation du facteur de transcription AP-1 [3-6] ; d’autre part, la surexpression du récepteur de l’EGF induit une hyperplasie tubulaire et le développement de kystes rénaux chez des animaux transgéniques. A l’inverse, l’expression d’une isoforme dominante négative du récepteur de l’EGF dans des tubules proximaux inhibe la prolifération cellulaire et l’accumulation de collagène dans l’interstitium, ce qui conduit à une réduction des lésions rénales qui suivent une réduction néphronique [1, 5-8].

D’autres approches génétiques et pharmacologiques ont confirmé le rôle du récepteur de l’EGF dans la formation des kystes tubulaires et la prolifération cellulaire au cours de la maladie polykystique et dans la fibrose rénale dans un modèle d’hypertension artérielle. Ces résultats suggèrent que le récepteur de l’EGF pourrait être un déterminant majeur dans le développement des lésions rénales possiblement en stimulant la prolifération cellulaire et le dépôt de matrice extracellulaire.

Un ensemble de manœuvres expérimentales, utilisant des animaux génétiquement modifiés et des inhibiteurs pharmacologiques a permis de mettre en évidence que l’inhibition de la voie de l’EGF empêche le développement de lésions rénales induites par l’angiotensine II [9]. Ces données montrent également que la protéine TACE (tumor necrosis factor-alpha converting enzyme, également appelée ADAM 17) et le TGF-α sont des intermédiaires cruciaux entre le signal angiotensine et la transactivation du récepteur de l’EGF dans les maladies rénales.

Le récepteur de l’EGF est requis pour que l’angiotensine produise des lésions rénales

La perfusion pendant deux mois d’angiotensine à des souris entraîne des lésions rénales sévères composées d’une glomérulosclérose, d’une atrophie et de dilatations

FIG. 1. — Représentation schématique de l’interaction entre l’angiotensine et le récepteur de l’EGF.

des tubules avec une formation de petits kystes, d’une fibrose interstitielle modérée et de foyers d’infiltration mononucléée. Ces lésions sont réduites de manière spectaculaire lorsque l’administration d’angiotensine est effectuée chez des souris porteuses d’une forme dominante négative du récepteur de l’EGF. La protéinurie induite par l’angiotensine est fortement réduite chez ces animaux. De manière frappante, l’hypertension artérielle et l’hypertrophie cardiaque consécutives à l’administration d’angiotensine sont comparables quelle que soit la souche de souris. Cela démontre que l’activation du récepteur de l’EGF plutôt que l’hypertension artérielle rend compte du développement de lésions rénales au cours de la perfusion d’angiotensine.

L’angiotensine II induit la coupure du TGF-alpha par TACE

L’étape suivante a consisté à élucider les mécanismes par lesquels l’angiotensine II transactive le récepteur de l’EGF dans les maladies chroniques rénales. Des arguments expérimentaux plaidaient en faveur d’un rôle clé du TGF-α dans la détérioration rénale et faisaient de ce liguant du récepteur de l’EGF un acteur majeur de ce processus. Cependant, pour agir à distance de son lieu de sécrétion, le TGF-α nécessite d’être coupé et de passer d’une forme membranaire à une forme circulante.

Cette étape est assurée par une enzyme de conversion appelée TACE.

En combinant diverses approches expérimentales, il a été possible de montrer que l’angiotensine II entraîne une augmentation de la concentration de TGF-α circu-
lante et que la phosphorylation des MAP-kinases induites par l’angiotensine II est prévenue par l’utilisation d’antagonistes du récepteur de l’EGF ou d’un inhibiteur spécifique de TACE. De plus, au cours des lésions rénales induites par l’angiotensine II, le marquage tissulaire par le TGF-α est augmenté de manière massive dans les tubules rénaux. Le rôle du TGF-α comme médiateur de l’effet de l’angiotensine II est encore renforcé par la démonstration que, chez des souris dont le gène du TGF-α a été invalidé par recombinaison homologue, la perfusion d’angiotensine II n’entraîne que des lésions rénales très limitées.

TACE est la cible de l’angiotensine

Au cours de l’administration d’angiotensine II, l’expression de TACE augmente, tant au niveau protéique qu’en ce qui concerne l’abondance de l’ARN messager. Il a été possible, par une approche d’immunohistochimie, de montrer que le marquage de TACE est plus intense et que sa répartition est modifiée par l’angiotensine : sous l’effet de cette hormone, le marquage, cytoplasmique en conditions basales, devient pour partie membranaire et marque plus spécifiquement les membranes apicales.

Grâce à des expériences de colocalisation, il a été possible de montrer que le TGF-alpha et TACE sont principalement présents dans les anses ascendantes de Henle et les tubules distaux, segments du néphron qui expriment la protéine de Tamm-Horsfall.

L’implication fonctionnelle de TACE dans les lésions rénales induites par l’angiotensine II a été démontrée en faisant appel à un inhibiteur spécifique de cette enzyme de conversion. L’administration quotidienne de cet inhibiteur réduit significativement le développement de lésions rénales. En aval du TGF-α, le récepteur de l’EGF est phosphorylé en réponse à l’administration d’angiotensine II, une observation qui ne se produit ni chez des animaux porteurs d’une forme dominante négative du récepteur de l’EGF, ni chez les animaux dont le gène du TGF-α a été éteint par recombinaison homologue.

Rôle de l’angiotensine et du récepteur de l’EGF dans la réduction néphronique

Comme cela a été indiqué plus haut, la réduction néphronique induit une activation de la voie de l’EGF et les lésions rénales secondaires à la réduction de la masse néphronique sont réduites par l’expression d’une isoforme dominante négative du récepteur de l’EGF. L’utilisation d’inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine et d’antagonistes des récepteurs de l’angiotensine fait partie de la thérapeutique de base au cours de l’insuffisance rénale. Nous avons en conséquence évalué l’effet du losartan, un inhibiteur des récepteurs AT1, dans le modèle de réduction de la masse rénale des trois quarts chez la souris. Comme cela était prévisible, le losartan atténue de manière spectaculaire les lésions rénales. L’administration de
losartan entraîne également une diminution de la protéinurie et de l’hypertension artérielle. Alors que la néphrectomie des trois quarts entraîne chez des souris témoins une surexpression du TGF-α et de la protéine TACE, l’administration de losartan diminue à la fois l’expression du TGF-α et de TACE. En revanche, ni la réduction néphronique, ni l’administration de losartan n’ont d’effet sur les niveaux d’expression de l’EGF.

CONCLUSION

Ces données expérimentales ont un double intérêt : d’une part, elles permettent de disséquer les mécanismes moléculaires par lesquels l’angiotensine II induit des lésions rénales et participe à la détérioration du parenchyme après une réduction néphronique ; d’autre part, elles identifient des acteurs clés de la réduction néphronique, en particulier le TGF-α, liguant du récepteur de l’EGF, et la protéine TACE qui transforme ce facteur de croissance de sa forme membranaire en sa forme soluble circulante. Des inhibiteurs spécifiques du récepteur de l’EGF et de TACE sont en cours d’expérimentation ou d’élaboration. On peut émettre l’hypothèse que l’utilisation de ces inhibiteurs en thérapeutique améliorera la stabilisation de l’insuffisance rénale chronique et ralentira la progression vers l’insuffisance rénale terminale.

REMERCIEMENTS

Ces travaux ont été effectués grâce au soutien financier de l’Inserm, de l’Université Paris 5 et de l’association Laboratoire de Recherches Physiologiques BIBLIOGRAPHIE [1] TERZI F., BURTIN M., FRIEDLANDER G. — Early molecular mechanisms in the progression of renal failure : role of growth factors and protooncogenes. Kidney Int. Suppl., 1998, 65 , S68-73.

[2] ARDAILLOU R. — Angiotensin II receptors.

J. Am. Soc. Nephrol., 1999, 10 Suppl 11 , S30-39.

[3] PILLEBOUT E., WEITZMAN J.B., BURTIN M. et al . — JunD protects against chronic kidney disease by regulating paracrine mitogens.

J. Clin. Invest., 2003, 112 , 843-852.

[4] TERZI F., BURTIN M., FRIEDLANDER G. — Using transgenic mice to analyze the mechanisms of progression of chronic renal failure. J. Am. Soc. Nephrol., 2000, 11, S144-148.

[5] TERZI F., BURTIN M., FRIEDLANDER G. — Cellular proliferation and apoptosis in the development and progression of renal diseases : pharmacological interventions in genetically modified animals. Ann. Pathol., 2000, 20 Suppl, S3-5.

[6] TERZI F., BURTIN M., HEKMATI M. et al . — Sodium restriction decreases AP-1 activation after nephron reduction in the rat : role in the progression of renal lesions.

Exp. Nephrol., 2000, 8 , 104-114.

[7] TERZI F., BURTIN M., HEKMATI M. et al. — Targeted expression of a dominant-negative EGF-R in the kidney reduces tubulo-interstitial lesions after renal injury.

J. Clin. Invest., 2000, 106 , 225-234.

[8] TERZI F., BURTIN M., ESSIG M., FRIEDLANDER G. — Growth factors. Role in the progression of renal lesions. Presse Med., 2000, 29 , 800-805.

[9] LAUTRETTE A., LI S., ALILI R. et al . — Angiotensin II and EGF receptor cross-talk in chronic kidney diseases : a new therapeutic approach.

Nat. Med., 2005, 11 , 867-874.

DISCUSSION

M. Jean-Daniel SRAER

Pourquoi avoir choisi l’EGF ou son récepteur comme le centre de la dégradation de la fonction rénale liée à l’AII ? Quels sont les rapports entre EGF ou EGFR sur la synthèse de collagène intra-rénale, carrefour de la progression de l’IR dans tous les types de néphropathies ?

Le choix initial de concentrer nos études sur l’EGF découle d’une analyse de la littérature, de notre raisonnement que nous cherchions un système de signalisation avec des effets mitogènes sur le rein, un système de récepteur à activité tyrosine-kinase reconnaissant plusieurs ligands et dont la synthèse par le rein et l’action sur cet organe étaient établies. Par ailleurs, la transactivation du récepteur de l’EGF par d’autres hormones et médiateurs qui se lient à des récepteurs membranaires couplés aux protéines G avait été démontrée dans plusieurs modèles expérimentaux in vitro . Nous avons montré que, dans un modèle d’atteinte rénale très fibrosant tel que l’ischémie rénale prolongée, l’inactivation de la voie de l’EGF par expression d’un dominant négatif du récepteur EGFR réduit de manière spectaculaire la fibrose. Notre hypothèse est que le tubule proximal, sous l’effet de l’EGF, synthétise des chimiokines qui ont un effet attractif sur les cellules mononucléées et qu’une transdifférenciation de cellules tubulaires en fibroblastes sont des éléments qui aboutissent à la fibrose. Inhiber la voie de l’EGF réduit ces phénomènes.

M. Bernard PESSAC

Y a-t-il des relations entre l’angiotensine synthétisée dans le système nerveux central et le récepteur de l’ ‘‘ EGF ’’ ?

A ma connaissance, il n’y a pas d’études sur ce sujet de l’interaction entre angiotensine et EGF dans le système nerveux central. L’angiotensine synthétisée dans le cerveau y reste localisée et se comporte comme un facteur paracrine important mais la question de savoir si cette angiotensine devient circulante est, à ma connaissance, sans réponse précise.

M. Gabriel RICHET

La protéine de Tamm-Horsfall, ou plus exactement les cellules la sécrétant, interviendrait dans le processus pathogène étudié. C’est un aperçu sur cette protéine dont le rôle est loin d’être clair en physiologie rénale.

Nous avons utilisé la protéine de Tamm-Horsfall comme un marqueur nous permettant de localiser le lieu de synthèse du TGF-alpha et de TACE, l’enzyme qui en fait une forme soluble et circulante. Il est intéressant d’observer que les 2 molécules sont synthétisées dans l’anse de Henle. Quant à savoir s’il existe des liens fonctionnels (et, si oui, quelle est leur nature) entre la protéine de Tamm-Horsfall et la voie de l’EGF dans ce segment de néphron, d’autres études seront nécessaires pour l’affirmer.


* Inserm, U811, Paris, F-75015, France. ** Univ. Paris-5, F-75006, France. *** Inserm, U813, Paris, F-75015, France. Tirés à part : Professeur Gérard FRIEDLANDER, U811, 156 rue de Vaugirard, 75730 Paris cedex 15.

Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, nos 4-5, 927-934, séance du 23 mai 2006