Rapport
Session of 8 février 2005

Demande d’autorisation d’exploiter en tant qu’eau minérale naturelle, telle qu’elle se présente à l’émergence, après transport à distance et après mélange, l’eau des captages « Saint Julien » et « Saint Jean-Baptiste » situés sur la commune de Roquebillière (Alpes-Maritimes)

MOTS-CLÉS : eau minéralisée. roquebillière (alpes-maritimes). source saint jean-baptiste.. source saint julien

Jean-Pierre Nicolas, au nom de la commission XI

RAPPORT au nom de la Commission no XI (Climatisme — Thermalisme — Eaux minérales)

Sur la demande d’autorisation d’exploiter en tant qu’eau minérale naturelle, telle qu’elle se présente à l’émergence, après transport à distance et après mélange, l’eau des captages « Saint Julien » et « Saint Jean-Baptiste » situés sur la commune de Roquebillière (Alpes-Maritimes)

Jean-Pierre NICOLAS*

CONTEXTE GÉNÉRAL DE LA DEMANDE

Trois sources thermales ont été autorisées à Berthemont-les-Bains en 1878 :

« Saint Jean-Baptiste », « Saint Julien » et « Saint Michel ». Seule la source « Saint Jean-Baptiste » est exploitée mais aucune n’est actuellement en règle sur le plan administratif.

Des recherches de nouvelles ressources thermales ont été engagées à partir de 1987, elles ont abouti à la rénovation de « Saint Julien » et « Saint Jean-Baptiste » et à la réalisation de trois nouveaux forages dont « Saint Charles » et « Gabrielle ».

En 1990 et 1994, des dossiers d’autorisation de régularisation ont été déposés pour les forages et les sources thermales « Saint Charles ». Ces dossiers n’ont pas abouti à ce jour.

En attendant la réalisation complète de l’équipement et des pompages du forage « Saint Charles » qui se poursuivent, en accord avec la DRIRE PACA, il a été décidé de relancer la procédure d’un nouveau dossier complet pour les sources « Saint Julien » et « Saint Jean-Baptiste ».

CALENDRIER 26 Mars 1990 : Demande d’exploiter, après transport à distance et après mélange, l’eau des captages « Saint Julien » et « Saint Jean-Baptiste ».

6 Juin 1991 : Avis favorable de la DRIRE.

25 Octobre 1991 : Avis favorable conjoint de la DDASS et du Conseil

Départemental d’Hygiène.

3 Novembre 1992 : Mise en évidence par le Laboratoire National de la

Santé de streptocoques fécaux (« Saint Julien »).

10 Décembre 1992 et 13 Janvier 1993 : Demande du Préfet, d’études complémentaires pour améliorer la protection des points de captage.

Proposition de travaux.

20 Octobre 1995 : Procès-verbal de récolement de la DRIRE concernant le constat des travaux d’amélioration effectués.

29 Octobre 1996 et 11 Mai 1998 : Mise en évidence par le Laboratoire

National de la Santé de coliformes thermo-tolérants (Escherichia coli ) (« Saint Jean-Baptiste ») et de

Pseudomonas, fluorescens et aeruginosa (« Saint Julien »).

16 Novembre 1998 : La Direction Générale de la Santé fait savoir à l’exploitant, en raison des mauvais résultats des analyses et de la concision du procès-verbal de récolement de la DRIRE, de ne pas poursuivre l’instruction du dossier en l’état.

30 Novembre 2001 : La commune de Roquebillière rachète les Thermes, les terrains environnants, ainsi que les sources thermales et les droits qui y sont rattachés. Réalisation de travaux d’équipement, de transport et de stockage des sources « Saint Julien » et « Saint Jean-Baptiste » (et partiellement forages « Saint Charles » et « Gabrielle »).

11 mars 2002 : Demande d’autorisation d’exploiter en tant qu’eau minérale naturelle, telle qu’elle se présente à l’émergence, après transport à distance et après mélange, l’eau des captages « Saint Julien » et « Saint JeanBaptiste », présentée par le Maire de la commune de Roquebillière.

2 mai 2002 : Complément au procès-verbal de récolement de travaux du 20 octobre 1995 de la DRIRE.

19 octobre 2004 : Avis de l’AFSSA.

25 Novembre 2004 :

• Lettre de la Direction Générale de la Santé et de la Protection Sociale au Préfet du département des Alpes-Maritimes, de mise en demeure de l’exploitant de réaliser les études, travaux et renforcement de la qualité de l’eau.

• Lettre de la Direction Générale de la Santé — Sous-direction de la gestion des risques des milieux — Bureau des eaux — au Secrétaire perpétuel de l’Académie nationale de médecine.

CONTEXTE HYDROLOGIQUE

Seule station thermale des Alpes-Maritimes, Berthemont-les-Bains est située sur la commune de Roquebillière, à 60 kilomètres de Nice. L’établissement thermal est situé dans la montagne au fond d’un plateau à 1000 m d’altitude.

On y dénombre une dizaine de sources sulfureuses sodiques. Actuellement sont captées les sources « Saint Jean-Baptiste » et « Saint Julien ». Les indications concernent les affections rhumatismales, respiratoires et ORL.

Ces eaux étaient déjà connues des Romains. On raconte que l’Impératrice Cornélie Salonine en 261 vint faire une cure à Berthemont (Rocca alpinaria).

Les résultats furent tels que l’Empereur, son époux, accordera aux autochtones l’autorisation de pratiquer le christianisme sans être persécutés.

Le site de Berthemont-les-Bains se trouve sur les formations du socle (migmatite et gneiss pour l’essentiel) à l’amont du contact de ces dernières avec les terrains sédimentaires de couverture datés du Houiller, Permien, Trias, Jurassique et Crétacé.

Au niveau des captages, les terrains sont constitués de migmatites.

Le contact entre socle et terrains de recouvrement correspond à un grand accident inverse à tendance chevauchante vers le sud-ouest, qui résulte de la poussée des Alpes dans cette direction. Il s’agit d’une zone complexe correspondant plutôt à un couloir de failles qu’à un seul et unique accident. Le couloir de failles a été attaqué par l’érosion, donnant naissance à la vallée de la Vésubie. Au niveau de Roquebillière, ce couloir est occupé par des gypses et cargneules du Trias.

Au sud de Berthemont-les-Bains, l’accident est masqué par des dépôts superficiels épais du Quaternaire, qui constituent le plateau de Berthemontles-Bains.

Les teneurs en 18O montrent que l’infiltration des précipitations, alimentant les captages, s’opère à des altitudes comprises entre 1500 et 1800 m.

Les eaux sulfurées de Berthemont-les-Bains remontent à la faveur des fracturations du socle. (Les fracturations du socle n’offrent jamais de débits importants). Les émergences sont très localisées, les dépôts quaternaires au sud-ouest pouvant masquer certaines d’entre elles.

La circulation profonde des eaux est attestée par la présence d’éléments tels que la silice (57 à 60 mg/L) et le fluor (13 à 13,4 mg/L). La température atteinte par l’eau en profondeur serait de 95 fi 10° C. Les teneurs en 3H montrent qu’il
s’agit d’eaux d’âge relativement ancien et au moins supérieur à 40 ans et qu’il n’y aurait pas de mélange avec les eaux des ruisseaux dont les teneurs en tritium sont 5 fois supérieures. Les teneurs en 2H traduisent une remontée lente de l’eau (absence de choc thermique). L’analyse du 34S montre que les sulfures ne proviendraient pas des formations triasiques qui affleurent au niveau de la vallée de la Vésubie mais d’indices miniers sulfurés (Cu et/ou Fe, Zn, Pb).

ANALYSE DU DOSSIER DE LA DEMANDE

Constitution des captages

Les captages « Saint Julien » et « Saint Jean-Baptiste » sont des émergences naturelles, à l’intérieur de grottes, dues à la fracturation du socle cristallin.

La source « Saint Julien » est située au fond d’une galerie d’environ 10 mètres de long, de 3 mètres de large et de haut. Elle est captée à environ 1 m au-dessus du sol et est alimentée par deux venues séparées, une haute et une basse. Elles sont recueillies dans des canalisations séparées. Suite aux différentes contaminations observées, il a été démontré que les eaux de la venue basse étaient polluées épisodiquement lors de fortes pluies . Ces eaux sont maintenant envoyées directement à la décharge. Les eaux de la venue haute sont captées dans une boîte inox isolée des infiltrations des eaux superficielles.

La source « Saint Jean-Baptiste » est captée à l’intérieur d’une galerie de près de 5 mètres de longueur, 3 mètres de largeur et 3 mètres de hauteur. Elle sourd au fond de la galerie et est récupérée dans une cuvette en maçonnerie, munie d’une trappe en inox, à même le sol.

Production des captages

Les débits artésiens des captages « Saint Julien » et « Saint Jean-Baptiste » sont identiques, de l’ordre de 0,6 à 1,8 m3/h pour chaque émergence. Ces débits sont suivis de façon journalière grâce à deux débitmètres à ultrasons posés sur les canalisations de transport.

(Les forages de reconnaissance « Gabrielle » et « Saint-Charles » ont permis d’obtenir des débits plus importants : 6 à 8 m3/h).

Protection de la ressource

Des travaux sollicités en particulier par le BRGM en 1994 sont toujours à l’étude : toiture à l’émergence à « Saint Julien », carrelage des sols des galeries des deux émergences, assainissement d’une bergerie et d’une vacherie. Les périmètres sanitaires d’émergence des deux captages sont matériali-
sés par une clôture grillagée sur leurs abords. Les conditions de captage aux émergences sont propices aux infiltrations d’eaux superficielles (eaux de pluie et/ou eaux de ruisseaux).

— Captage « Saint Julien » : Situé en contrebas d’une cascade, son lit a été bétonné, pour minimiser les infiltrations et la cascade aménagée pour éviter le captage. Un périmètre sanitaire d’émergence entoure le captage sur lequel devrait être interdit en particulier le pâturage mais la commune ne dispose pas des moyens pour cette interdiction car ces parcelles ne lui appartiennent pas.

— Captage « Saint Jean-Baptiste » émerge environ à cinq mètres environ au-dessus d’un ruisseau.

Transport à distance — « Saint Julien » : La longueur du transport est de 360 mètres. Depuis 2001, les travaux concernant la canalisation de transport ne sont toujours pas réceptionnés. En effet, celle-ci est bouchée régulièrement par de la glairine suite à une erreur de conception. La commune a saisi en référé le Tribunal Administratif le 16 mai 2003 pour dysfonctionnements.

— « Saint Jean-Baptiste » : La longueur totale du transport est de 300 mètres.

Elle est équipée d’une décharge mais la situation de la vanne de sectionnement ne permet pas la vidange complète de la canalisation.

Stockage et mélange

On note au niveau du local technique, la présence de sondes pour la mesure du débit, de la température et de la conductivité mais il n’existe pas de centrale d’acquisitions assurant le stockage et la transmission des données.

Après stockage, l’eau du mélange est destinée à alimenter les soins de rhumatologie. À l’arrivée, un picage sur les deux conduites permet d’alimenter directement les soins ORL avec le mélange.

Les analyses physio-chimiques

Conformément à l’article R. 1322-4 du Code de la Santé Publique, le Laboratoire d’Études et de Recherches en Hydrologie de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments a procédé à des prélèvements pour analyses le 15 avril et le 21 octobre 2003.

Composition et caractéristiques de l’eau : la composition de chacune des deux sources les situe dans la catégorie des eaux faiblement minéralisées (résidu sec à 180° C > 50 mg/L et < 500 mg/L) avec un profil de type chloruré sodique. Ce sont également des eaux sulfurées et silicatées. Il faut noter la
présence de concentrations élevées en fluor (13 à 13,4 mg/L) et en ammonium (0,16 à 0,17 mg/L).

Stabilité : entre les deux prélèvements effectués à 6 mois d’intervalle, à l’émergence de chacune des sources, les caractéristiques minérales pour les paramètres mesurés restent constantes.

Le transport des eaux des deux captages ne modifie pas les paramètres mesurés à l’émergence à l’exception d’une diminution de la température.

La composition du mélange issu des deux émergences donne une eau ayant le même profil et les mêmes caractéristiques physico-chimiques. Compte-tenu des similitudes de composition des eaux des captages « Saint Julien » et « Saint Jean-Baptiste », ces eaux peuvent être mélangées en toutes proportions.

Aux points d’usage pour la rhumatologie, il faut noter une nette déperdition de la sulfuration totale, plus importante sur l’eau chaude que sur l’eau froide.

Aux points d’usage de l’ORL, la déperdition de la sulfuration totale est moins marquée que pour la rhumatologie, en raison probablement de l’absence de stockage.

Enfin, il faut noter une très bonne conservation de la sulfuration totale à la buvette, en raison de l’absence de stockage et d’opération de chauffage.

Contaminants : la recherche de métaux n’a pas relevé de seuils élevés. La recherche de composés organiques volatils et BTEX, de pesticides organochlorés, azotés, phosphorés, de phénylurées et d’hydrocarbures aromatiques polycycliques sur les échantillons prélevés, a révélé :

— Lors de la 1ère campagne, en ORL (salle enfants) la présence de bromochlorométhane, de bromodichlorométhane, de chlorodibromométhane et de bromoforme ;

— Lors de la 2nde campagne, à l’émergence des captages « Saint Julien » et « Saint Jean-Baptiste », en rhumatologie et à la buvette, la présence de traces de lindane (à la limite du seuil de quantification de la méthode soit 0,19/L).

Si la présence de lindane est un indicateur d’anciennes pratiques agricoles, la présence d’haloformes indique un processus de désinfection des réseaux, mal maîtrisé.

Radioéléments : les analyses de radioactivité réalisées par l’IRSN le 17 octobre 2003, sur des échantillons prélevés le 16 octobre 2003, appellent les commentaires suivants :

— présence de radon 222, gaz radioactif à courte période, dans l’eau du captage « Saint Julien »,
— aucune activité significative en tritium.

Les activités, alpha et bêta globales, sont inférieures aux valeurs guides respectivement de 0,1Bq/L et 1 Bq/L recommandées par l’OMS.

Ces activités sont conformes aux valeurs fixées par le décret 2001-1220 du 20 décembre 2001, relatif aux eaux destinées à la consommation humaine.

Les analyses bactériologiques

Les analyses bactériologiques effectuées sur les échantillons obtenus à l’émergence, après transport à distance et après mélange des captages « Saint Julien » et « Saint Jean-Baptiste » montrent qu’il y a absence d’indicateurs de contamination bactérienne. Il n’a pas été décelé de germes témoins de contamination fécale, de Pseudomonas aeruginosa , ni de Legionella pneumophila .

CONCLUSIONS

Au vu des informations fournies dans le dossier et des propositions de l’AFSSA du 25 novembre 2004, la Commission XI de l’Académie Nationale de Médecine, réunie le 18 janvier 2005 sous la présidence du Professeur Claude Boudène, estime :

— que la composition chimique,les caractéristiques bactériologiques et physiques des eaux captées répondent aux exigences applicables aux eaux minérales naturelles.

— que le mélange conserve ces mêmes propriétés et répond également à la définition d’une eau minérale naturelle.

— que sa consommation doit obligatoirement se faire sous contrôle médical en raison de sa forte teneur en fluor.

et cependant donne à l’unanimité un avis défavorable et propose de surseoir à la demande d’autorisation d’exploiter en tant qu’eau minérale naturelle à l’émergence, après transport et après mélange, l’eau des captages « Saint-Julien » et « Saint Jean-Baptiste » (Commune de Roquebillière), en raison de la fragilité du site, de la conception et de l’équipement des captages .

Le pétitionnaire devra donc :

— poursuivre l’étude de la mise en évidence en exploitation des forages « Saint Charles » et « Gabrielle » pour les substituer aux captages « Saint Julien » et « Saint Jean-Baptiste » dans un délai à définir par les autorités sanitaires compétentes,
— optimiser ses procédés de désinfection, les résidus de désinfection devant faire l’objet d’une auto-surveillance et d’un contrôle renforcé dans le cadre du contrôle sanitaire.

Dans cette attente :

— les travaux de protection des captages préconisés dans le dossier devront être réalisés dans les plus brefs délais, — un suivi microbiologique et physico-chimique renforcé des eaux devra être mis en place, — ces deux captages devront être exploités uniquement à leur débit d’arté- sianisme.

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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 8 février 2005, a adopté le texte de ce rapport moins une abstention.

* Membre de l’Académie nationale de médecine.

Bull. Acad. Natle Méd., 2005, 189, no 2, 399-406, séance du 8 février 2005