Communication scientifique
Séance du 23 mars 2010

Contraception après cancer gynécologique et mammaire

MOTS-CLÉS : contraception. tumeurs de l’appareil urogénital. tumeurs du sein
Contraceptive methods after gynecological and breast cancer
KEY-WORDS : breast neoplasms. contraception. urogenital neoplasms

Bernard Blanc, Alexandre Lazard, Jean-Philippe Estrade, Aubert Agostini **, Brice Gurriet ***

Résumé

Grâce à l’évolution et à l’efficacité des techniques de dépistage et de traitement des cancers, les femmes bénéficient de plus en plus de traitements conservant leur fertilité. Environ 10 % des cancers gynécologiques et mammaires touchent des femmes de moins de 40 ans, encore en âge de procréer. En France, on estime que plus de cinq mille femmes atteintes de cancer du sein sont âgées de moins de 45 ans. Si la contraception hormonale est contre indiquée en cas d’antécédents de cancer du sein ou de l’endomètre, elle semble protectrice pour le cancer de l’ovaire. Même si une grossesse après un cancer n’est pas contre indiquée, elle doit absolument être plannifiée. Pour toutes ces femmes, la prescription d’une contraception adaptée est une nécessité.

Summary

With earlier diagnosis and more effective treatments, more and more women are receiving fertility-preserving cancer therapy. Approximately 10 % of breast and gynecological cancers occur in women under 40, and more than 5 000 French women under 45 develop breast cancer each year. While hormonal contraception is contra-indicated for women with a history of breast or endometrial cancer, it seems to have a protective effective in ovarian cancer. Although pregnancy is not contra-indicated after cancer, it must be planned in a timely manner, meaning that appropriate contraception is necessary in the meantime.

INTRODUCTION

La responsabilité des œstrogènes dans la carcinogenèse des cancers gynécologiques et particulièrement mammaires est suspectée depuis la fin du xixe siècle. C’est comme facteur de croissance ayant un rôle promoteur dans la croissance des cancers infra-cliniques préexistants et non en tant qu’agents initiateurs de la cancérogénèse que les hormones sexuelles semblent agir. Toutefois, la pilule œstroprogestative est classée par le CIRC comme substance cancérigène.

L’hormonodépendance de certains cancers du sein s’exprime par la présence de récepteurs hormonaux spécifiques des hormones sexuelles. Les données in vitro sur lignées cellulaires ou in vivo chez l’animal sont difficilement extrapolables à l’homme. Les stéroïdes contraceptifs ont une très forte affinité avec les récepteurs hormonaux et une demi-vie plus longue que celle des stéroïdes naturels. Ces composés ont donc un effet propre différent des stéroïdes naturels et nécessitent des études spécifiques.

CONTRACEPTION ET CANCER DU SEIN

Les contraceptions hormonales

Contraception œstroprogestative et cancer du sein

La méta analyse du « Collaborative group », toujours d’actualité depuis 1996, a suggéré un effet promoteur de la contraception hormonale sur les tumeurs du sein [1]. Le risque relatif de développer un cancer du sein serait légèrement augmenté chez les utilisatrices d’une contraception orale (RR= 1,24). Le risque semblerait plus important en cas de prise avant vingt ans (RR=1.22). Après dix ans d’arrêt, il serait similaire aux patientes n’ayant jamais eu de contraception hormonale (RR= 1,01). Ces résultats sont toutefois discutés et des études cas témoins plus récentes ne retrouvent aucune élévation du risque [2-4].

Dans ces différentes études, le risque néoplasique n’ est pas différent en fonction du type de contraception œstroprogestative ou progestative. Mais il semblerait que les tumeurs lobulaires soient surreprésentées sous ce type de contraception [5]. Toutefois, aucune mastopathie bénigne ne contre-indique la pilule oestro-progestative, contrairement aux néoplasies lobulaires (hyperplasie lobulaire atypique, carcinome lobulaire in situ …).

Contraception hormonale et patiente à risque élevé de cancer du sein

Dans la littérature, on ne retrouve pas de lien statistique entre la contraception hormonale et le cancer du sein chez des patientes présentant des antécédents familiaux.

Les gènes suppresseurs de tumeurs BRCA 1 & 2 semblent impliqués dans la réparation des lésions cellulaires induites par le signal prolifératif œstrogénique. Il existe un risque désormais connu de cancer du sein chez les femmes porteuses de la mutation BRCA1/2 (RR : 1,47). Il pourrait exister un sur-risque de développer un cancer du sein chez les patientes mutées pour le gène BRCA1 et utilisatrices d’une contraception hormonale par rapport aux non utilisatrices. Les cancers associés à la mutation BRCA1 ne sont pourtant généralement pas hormonodépendants. Selon Narod [6], il existerait chez les patientes mutées BRCA1 une légère augmentation du risque de développer un cancer en cas de prise d’une contraception orale (OR=1,2, 1,02-1,40). Chez ces patientes BRCA1 mutées, le risque augmenterait de 3 % en cas de prise d’une contraception œstroprogestative avant trente ans [7]. Il n’existerait pas de diminution de ce risque après l’arrêt de la contraception orale. Selon Ursin [3], un effet « durée de la prise de contraception OP avant la 1re grossesse à terme » semble exister (OR=7,3). Ces résultats sont souvent critiqués en raison du faible effectif de l’étude et d’un intervalle de confiance très important (IC :1-54,9).

Toutefois, en pratique, la contraception orale n’est pas contre-indiquée en cas de mutations (conférence de consensus 2004 [8]).

Contraception orale progestative et cancer du sein

Il n’existe que peu de données en France sur les molécules utilisées dans notre pays.

Une cohorte norvégienne suggère une augmentation du risque relatif de cancer du sein sous progestatifs. L’étude de cohorte NSWLH retrouve le même résultat sous pilules œstroprogestatives (résultats non significatifs). Ce risque serait plus important si ce type de contraception était débuté avant trente-quatre ans (RR : 2,3) [9].

Les résultats de ces études sont non significatifs et ne permettent pas, contrairement à la contraception oestroprogestative, de conclure à un effet néfaste des progestatifs dans l’histoire naturelle des cancers du sein.

DIU au Lévonorgestrel (LNG) et cancer du sein

Le retrait du DIU au Lévonorgestrel (DIU- LNG) devra être envisagé en cas de suspicion ou de diagnostic d’une tumeur hormono-dépendante, notamment en cas de cancer du sein. Dans la littérature actuelle, il n’existe aucune donnée prouvant que l’utilisation d’un DIU à la progestérone augmenterait le risque de cancer du sein [10]. En l’état actuel des connaissances, il n’est pas recommandé de poser un DIU au LNG dans le but de contrebalancer les effets endométriaux du Tamoxifène. Bien que ce DIU soit capable de s’opposer aux modifications bénignes de l’endomètre, il n’existe aucune étude évaluant son impact sur la prévention de l’adénocarcinome.

Chez les patientes ayant un antécédent personnel de cancer du sein, les recommandations officielles prescrivent le retrait de ce dispositif dès la suspicion ou le diagnostic de cancer du sein, et contre-indiquent sa pose en cas de cancer actuel.

Elles soulignent qu’en cas de cancer en rémission depuis plus de cinq ans, les risques théoriques ou avérés l’emportent sur les avantages attendus. Cette méthode de contraception n’est en règle générale pas recommandée sauf cas particuliers et au prix d’un suivi régulier.

Les contraceptions non hormonales

Le dispositif intra utérin au cuivre : la référence

Le DIU représente la deuxième méthode de contraception en France avec un indice de Pearl inférieur à 1 %. En l’absence de contre indication vraie, le stérilet au cuivre doit être la méthode contraceptive de référence chez les patientes atteintes de cancer mammaire, même nullipare. En cas de chimiothérapie neutropéniante, il est conseillé de programmer sa pose à distance de tout risque infectieux. Il est nécessaire d’aborder la question de la contraception avant le début de l’hormonothérapie et de rappeler que le Tamoxifène, en plus d’être un produit potentiellement tératogène (anomalie du tractus génital), est un formidable inducteur de l’ovulation.

Toutefois, chez certaines patientes, cette méthode contraceptive peut entrainer des ménorragies qui, dans le cadre d’une hormonothérapie adjuvante, font toujours craindre la possibilité d’une hyperplasie ou d’un cancer de l’endomètre induit par le Tamoxifène. Dans tous les cas, une surveillance gynécologique pelvienne est indispensable lors de chaque consultation de surveillance après cancer du sein.

Les préservatifs

Cette méthode peut être préconisée lors de la prise en charge initiale de la maladie.

Les préservatifs masculins ou féminins peuvent être ressentis par le couple comme une méthode astreignante susceptible de diminuer la qualité de la relation intime. La perte du contact muqueux peut également générer une angoisse d’échec chez la femme.

Les spermicides

Les spermicides peuvent être une contraception de choix pour les patientes atteintes d’un cancer du sein (taux d’échec entre 0,3 et 15 %). Ils existent sous plusieurs formes galéniques (ovules, éponges, gels, comprimés…). Les plus connus sont le chlorure de benzalkonium et le monoxynol 9. Ils semblent adaptés chez les patientes de plus de quarante ans ayant une activité sexuelle réduite. Les éponges offrent la possibilité d’être laissées en place durant 24 heures et de ne pas interrompre l’acte sexuel en cas de rapports successifs.

La stérilisation tubaire

Elle doit être évoquée en l’absence de désir d’enfant. Elle peut être réalisée par voie coelioscopique, vaginale ou hystéroscopique. Elle est autorisée chez toutes les femmes majeures qui y consentent par écrit, après un délai de réflexion de quatre mois (loi du 4 juillet 2001).

CONTRACEPTION ET CANCER DE L’OVAIRE

Les cas de tumeur maligne de l’ovaire au stade Ia ou de tumeur borderline chez une femme jeune ayant un désir de grossesse sont rares. La patiente peut bénéficier d’une chirurgie conservatrice sous la forme d’une annexectomie unilatérale. Dans ce cas, une contraception oestroprogestative peut être prescrite en attendant une grossesse.

Elle permettra une freination de l’axe hypothalamo hypophysaire et de la fonction ovarienne.

Il est important de rappeler l’effet protecteur de la contraception œstroprogestative sur le cancer de l’ovaire. Cette chimioprotection est également intéressante chez les patientes mutées pour les gènes BRCA1 (OR = 0,56) et BRCA2 (OR = 0,39) [7].

Ainsi la pilule œstroprogestative peut être utilisée en prévention chez les femmes jeunes ou nullipares, mutées et qui refusent l’annexectomie prophylactique. Il semble que la contraception orale soit en fait le principal facteur sur lequel on puisse intervenir dans la prévention du cancer de l’ovaire. Il reste à définir le type de contraception orale le plus adapté pour une prévention optimale de ce cancer.

CONTRACEPTION ET CANCER DE L’ENDOMÈTRE

Les indications de traitement conservateur en cas d’hyperplasie atypique ou de cancer de l’endomètre sont exceptionnelles. Cette technique est réservée aux tumeurs endométrioïdes de stade Ia et de grade I, chez des jeunes femmes désirant conserver leur fertilité. Même si l’idée d’une contraception anti œstrogène locale entraînant une atrophie de la muqueuse endométriale est séduisante (micro progestatifs, macroprogestatifs, DIU-levonorgestrel), toutes ces classes médicamenteuses ont été contre indiquées lors de leur autorisation de mise sur le marché (AMM).

CONTRACEPTION ET CANCER DU COL UTERIN

La contraception orale est considérée comme un cofacteur potentiel du développement du cancer du col utérin. Plusieurs méta analyses concluent à un risque accru de carcinome in situ et de carcinome cervical invasif chez les femmes porteuses d’HPV ayant eu une contraception hormonale. Ce risque de cancer du col utérin serait plus lié à la durée d’utilisation qu’à l’âge de première utilisation. Il n’est toutefois pas recommandé d’interrompre la contraception orale en cas de frottis anormal. Ce risque se normaliserait après huit années d’interruption de pilule. Il existerait en effet un rôle promoteur des œstrogènes qui faciliterait l’intégration du génome viral et la prolifération cellulaire.

Le cancer invasif du col utérin touche le plus souvent des femmes jeunes, parfois nulligestes et ayant un désir de grossesse Dans ce cas particulier, un traitement conservateur peut être discuté. C’est dans ce cadre que la contraception peut prendre sa place.

Que ce soit après traitement chirurgical par conisation (microinvasif) ou après trachélectomie élargie selon Dargent (tumeurs de moins de 2cm, stade IA2 et IB1), une contraception oestro-progestative, micro progestative ou par DIU peut être poursuivie ou débutée selon les besoins du traitement et de la surveillance. En cas d’infection persistante à HPV, l’utilisation prolongée d’une contraception orale (> 5 ans) n’est pas recommandée [11].

Les patientes peuvent préférer une contraception par préservatifs. En effet, le cas particulier de cette pathologie cancéreuse causée par un virus sexuellement transmissible peut faire resurgir l’angoisse irraisonnée d’une récidive ou d’une transmission du cancer au partenaire en cas de rapport non protégés.

CONCLUSION

La contraception après cancer doit systématiquement être discutée chez toutes les femmes en âge de procréer et qui ont bénéficié d’un traitement conservant leur fertilité. Une grossesse non programmée dans ce contexte nécessite une prise en charge souvent très délicate et peut entraîner des complications maternelles et fœtales parfois lourdes de conséquences. Aujourd’hui la prise en charge du cancer doit poser la question de la qualité de vie, notamment sexuelle. Ne pas aborder précocement la question de la contraception avec nos patientes peut entraîner, dans cette période difficile, une renonciation à leur sexualité.

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[12] Smith, J.S. et al. — Cervical cancer and use of hormonal contraceptives : a systematic review.

Lancet , 2003, 361(9364) , p. 1159-67.

<p>* Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine, e-mail : bernard-jl.blanc@nerim.net ** Gynécologie Obstétrique, Hôpital de la Conception, 147 boulevard Baille, 13385 Marseille, France *** Hôpital Ambroise Paré, 1 rue d’Eylau, 13006 Marseille, France Tirés à part : Professeur Bernard Blanc même adresse Article reçu le 11 février 2010, accepté le 15 mars 2010</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2010, 194, no 3, 521-527, séance du 23 mars 2010