Rapport
Séance du 17 février 2004

Contenu en sel de l’alimentation et hypertension artérielle

MOTS-CLÉS : chlorure sodium. hypertension artérielle.. sodium alimentaire
Salt intake and blood pressure
KEY-WORDS : hypertension.. sodium, chloride. sodium, dietary

Michel Bourel et Raymond Ardaillou

Résumé

De nombreux arguments sont avancés en faveur du rôle délétère de l’excès de sel et, plus généralement, du sodium dans l’alimentation. Les premiers dits « observationnels » montrent qu’il existe une relation positive entre la consommation habituelle de sel et la pression artérielle dans les populations étudiées et que les déplacements de population avec changement des habitudes alimentaires s’accompagnent de modifications de la pression artérielle. Le deuxième type d’arguments dits « interventionnels » montrent que les réductions de la consommation de sel aussi bien aiguës que chroniques entraînent la diminution de la pression artérielle à la fois chez l’Homme et l’animal. A ces arguments s’ajoute l’opinion que la consommation actuelle de sel parait inadaptée à notre patrimoine génétique, tout en remarquant que la sensibilité au sel (réponse de la pression artérielle au changement d’apport) est variable avec les individus. La consommation de sel en France a été évaluée à partir de la mesure de l’excrétion urinaire de sodium et à partir d’enquêtes alimentaires. Elle peut être estimée à 7-10 g en moyenne par jour à comparer à des besoins physiologiques qui n’excèdent pas 3 g par jour. Le sel est pour l’essentiel présent dans le pain, les laitages et fromages, les charcuteries, les plats cuisinés et les conserves industrielles. Le sel de table qui constitue une des sources de l’iode alimentaire représente une faible fraction du sel ingéré. Pour cette raison, il est difficile aux consommateurs de modifier la quantité de sel qu’ils ingèrent. La prévalence de l’hypertension artérielle est élevée dans la population française et le Programme National Nutrition Santé s’est fixé comme objectif de réduire de 10 mm Hg la pression artérielle systolique de l’adulte en 5 ans en proposant une hygiène de vie adéquate dont la réduction de la consommation de sel chez les gros consommateurs. Comme il est difficile de cibler ce groupe, il parait plus adéquat, en accord avec l’AFSSA, de s’adresser à l’ensemble de la population de manière à diminuer progressivement la consommation de sel de 20 % en 5 ans. Pour cela, l’Académie propose les mesures suivantes : 1 — des négociations avec les artisans et industriels de l’alimentation en vue de réduire la teneur en sel des aliments préparés ; 2 — l’étiquetage avec indication de la teneur en sel des aliments pré-emballés, 3 — l’information du public sur l’inutilité de l’ajout de sel de table ; 4 — la mise en œuvre de mesures permettant le maintien d’un apport alimentaire suffisant d’iode, comme l’enrichissement en iodure du sel à usage industriel ; 5 — la mise en place d’ outils épidémiologiques pour juger des résultats de cette politique sur la consommation de sel et la prévalence de l’hypertension artérielle.

Summary

Evidence for a relation between salt (and more generally sodium) intake and blood pressure has accumulated over the last years. First, cross-country epidemiologic studies showed that blood pressure is higher in populations with a high salt intake and that blood pressure increases after migration from rural zones to cities when associated with changes in the alimentary habits. Second, many trials show that lowering salt intake acutely or chronically lowers blood pressure both in man and in animals. To these arguments, one may add the point of view that there is a clear discrepancy between our genes and our present-time diet although it is noteworthy that sensitivity to salt (blood pressure response to changes in the sodium diet) varies in individuals. Salt intake in France has been evaluated from measurement of urinary sodium excretion and alimentary inquests. It can be estimated to 7-10 g per day as a mean, thus markedly higher than the physiological requirement which does not exceed 3 g per day. Salt is essentially present in bread, cheeses and dairy products, pork-meat products and processed food. Discretionary salt which is one of the vectors of alimentary iodine represents a small fraction of salt intake. It is thus difficult for individuals to modify their salt intake. High blood pressure prevalence is elevated in the French population and the Nutrition Health National Program has for objective to reduce by 10 mm Hg systolic blood pressure in adults over a five year period by proposing an appropriate mode of life, in particular the reduction of salt intake in heavy consumers. Since it is difficult to focus the intervention only on this group, it seems more adequate to privilege a population approach in order to diminish salt intake by 20 % over 5 years. To this aim, the National Academy of Medicine recommends : 1 — cooperation between government and food industry to ensure a stepwise reduction of salt in commonly consumed processed foods ; 2 — appropriate labelling about salt content in pre-packaged products ; 3 — information of the consumers on the risk of a high salt intake including the advice to suppress table salt ; 4 — maintenance of a sufficient iodine intake by addition of iodide to salt utilized in processed food ; 5 — epidemiological studies to evaluate the results of this policy on the salt intake and on the hypertension prevalence in the French

population.

Le rôle que l’excès de sel (chlorure de sodium) et, plus généralement de sodium, dans l’alimentation peut avoir sur la santé fait toujours l’objet d’un débat. Alors que les scientifiques ou médecins pris à titre individuel ont des opinions souvent contradictoires, les institutions publiques et les associations médicales internationales, étrangères ou françaises qui se sont saisies de ce problème ont constamment conclu à la nécessité de restreindre l’apport quotidien de sel alimentaire. C’est le cas de l’Organisation Mondiale de la Santé
(OMS) [1], du « Scientific Advisory Committee on Nutrition » [2] au Royaume Uni, du « Nutrition Committee of the American Heart Association » aux EtatsUnis [3] et de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments (AFSSA) [4] en France . Tout récemment, les agences de sécurité alimentaires de 16 pays européens (ceux de la Communauté européenne plus la Norvège) ont diffusé un communiqué commun reconnaissant que la consommation de sel s’établissait à un niveau préoccupant et demandant la mise en œuvre d’une politique de réduction significative de cette consommation [5]. Ces prises de position sont basées sur des arguments expérimentaux et épidémiologiques tendant à prouver que le contenu en sel de l’alimentation augmente la prévalence de l’hypertension artérielle dans une population. Le sel alimentaire a été également incriminé en tant que facteur associé d’autres maladies comme l’ostéoporose ou les cancers digestifs. Alors que les données dans le domaine cardiovasculaire sont considérées par l’OMS comme « convaincantes », celles dans les deux autres domaines cités sont de l’ordre du « probable » ou du « possible ». Aussi, le présent rapport ne considérera-t-il que l’influence du sel en pathologie cardiovasculaire. Il analysera successivement les raisons faisant penser que l’excès de sel alimentaire peut être nocif pour la santé et l’état présent de la consommation de sel en France, puis essaiera, à partir de conclusions, de proposer des recommandations. Ce rapport veut être une contribution à l’application de la loi relative à la politique de santé publique actuellement en discussion au Parlement qui fixe cent objectifs dont celui de diminuer la pression artérielle systolique moyenne dans la population hypertendue de 5 mm Hg et dans la population normotendue de 2 mm Hg d’ici 2008 [6].

Arguments en faveur du rôle délétère de l’excès de sel dans l’alimentation

Il existe une relation entre la consommation habituelle de sel et la pression artérielle.

Les populations ingérant peu de sel (moins de 3 g / jour) ont des taux de pression artérielle peu élevés tout au long de la vie alors que le contraire est observé dans les populations ingérant une quantité importante de sel (plus de 20 g / jour), cela indépendamment du développement économique et du niveau de contrainte sociale. Au Japon, la prévalence des accidents vasculaires cérébraux dans les différentes régions du pays était calquée sur le niveau de consommation de sel avant que ce problème soit pris en compte. De même, en Finlande, la teneur en sel de l’alimentation est un facteur prédictif de mortalité globale et de survenue de maladie des coronaires, indépendamment d’autres facteurs de risque, tout au moins chez les hommes [7].

Cependant, si les différences entre très faibles et très forts consommateurs paraissent évidentes, il est plus difficile d’établir une relation pour les consom-
mations intermédiaires qui sont celles habituellement observées. Les deux études les plus fréquemment citées sont « Intersalt » et « Cardiac ». L’étude « Intersalt » [8] a comparé chez 10079 sujets appartenant à 52 communautés dispersées dans le monde entier la pression artérielle à la quantité de sodium excrétée dans les urines de 24h. La conclusion principale fut que la pente d’élévation de la pression artérielle avec l’âge était corrélée positivement à la consommation de sel. L’étude « Cardiac : Cardiovascular Diseases and Alimentary Comparison » [9] entreprise par l’OMS est calquée sur la précé- dente puisqu’elle compare la pression artérielle à l’excrétion urinaire quotidienne de sodium chez un nombre égal d’hommes et de femmes (3500 environ) répartis dans 60 communautés de 25 pays. Cette étude montre, après ajustement pour l’âge et l’index de masse corporelle, une corrélation entre pression artérielle systolique ou diastolique et excrétion urinaire de sodium chez les hommes et chez les femmes après la ménopause. En plus de son influence sur la pression artérielle, la consommation de sel semble être un facteur indépendant d’hypertrophie ventriculaire gauche comme l’ont montré plusieurs études dont celle du groupe de A. Mimran [10].

Les changements des habitudes alimentaires liés aux déplacements de populations s’accompagnent de modifications de la pression arté- rielle.

Il est habituel de constater une élévation de la pression artérielle dans les populations rurales migrant dans de grandes cités et passant ainsi d’une alimentation pauvre en sel à une alimentation riche en sel [11]. On doit cependant considérer que cette modification de la teneur en sel de l’alimentation n’est qu’un élément parmi d’autres facteurs nutritionnels et comportementaux associés à la migration.

Les changements aigus de la consommation de sel peuvent modifier la pression artérielle.

De nombreuses études ont montré que la restriction en sel chez les hypertendus s’accompagnait d’une diminution de la pression artérielle. La plus connue est celle de Kempner [12] qui, en 1948, traita 500 hypertendus par un régime contenant essentiellement du riz et des fruits et apportant moins de 0, 5 g de sel par jour. Ce traitement eut un effet bénéfique (chute de la pression artérielle moyenne d’au moins 20 mm Hg) chez 62 % des patients. Il fut considéré, malgré sa difficulté d’application, comme un des rares traitements efficaces de l’hypertension artérielle avant l’usage des diurétiques. Les études ultérieures ont comporté une restriction en sel moins draconienne, habituellement de 10 à 5 g / jour pendant quatre semaines. Elle s’est accompagnée quasi constam-
ment de diminutions de la pression artérielle systolique et diastolique entre 2 et 6 mm Hg.

Si l’effet de la restriction sodée chez les hypertendus apparaît ainsi certain, les résultats sont moins clairs chez les sujets ayant une pression artérielle normale. Deux méta-analyses récentes [13, 14] des effets observés chez plus de 2000 individus après restriction du sel alimentaire de 4,6 g en moyenne concluent à une diminution discrète de la pression artérielle systolique et diastolique entre 2,03-1,26 et 1,14-0,97 mm Hg, respectivement. L’étude expérimentale la plus complète appelée « DASH : Dietary Approaches to Stop Hypertension » [15] est un essai multicentrique comparant les effets de trois niveaux d’apport de sel (8, 6 et 4 g/jour) chez 412 sujets normo- ou hypertendus au bout de 30 jours, l’observance du régime étant vérifiée par la mesure du sodium dans les urines de 24h et la prise en compte des aliments ingérés. Les sujets consommaient soit leur alimentation habituelle, soit un régime riche en fruits et légumes et pauvre en graisses. Les conclusions de cette étude sont la diminution significative de pression artérielle systolique et diastolique lorsqu’on compare les sujets ingérant 8 et 4 g de sel / jour. Le régime « végétarien » accroît l’effet de la restriction en sel. Ces résultats furent observés chez les normo- et les hypertendus, mais furent plus nets chez ces derniers.

D’autres études ont montré que l’effet hypotenseur de la restriction sodée s’appliquait également aux enfants. Toutes ces études ont, cependant, le défaut de porter sur des durées relativement courtes.

Les réductions prolongées de l’apport en sel modifient la pression artérielle.

Afin d’évaluer l’impact d’une politique de santé publique visant à diminuer le sel dans l’alimentation, plusieurs pays dont le Portugal, la Chine, la Belgique et le Japon ont comparé sur une longue période des communautés ingérant des régimes différents. Au Portugal, par exemple, une étude d’intervention a été effectuée dans deux villages de 800 habitants consommant au départ environ 21 g de sel/jour et comportant 30 % d’hypertendus. Dans l’une de ces deux communautés, un effort important fut effectué auprès de la population qui aboutit a réduire la consommation de sel à 12 g/jour. A la fin de la deuxième année, la différence des pressions artérielles systolique et diastolique entre les deux communautés atteignait 13 / 6 mm Hg respectivement. Cette différence concernait normo- et hypertendus, les deux sexes et était indépendante de l’âge [16]. Dans l’ensemble, ce type d’études montre que la diminution prolongée de la consommation de sel chez les gros consommateurs est bénéfique par la diminution des niveaux de pression artérielle, elle-même corrélée à l’incidence des accidents cardiovasculaires.

Les expériences chez l’animal confirment les données obtenues chez l’Homme.

Ces expériences confirment largement les résultats obtenus chez l’Homme. Si l’on s’en tient aux primates, les plus proches de l’Homme, une étude a montré que l’introduction de 15 g de sel dans l’alimentation, normalement végétarienne, de chimpanzés pendant 20 mois augmentait la pression artérielle de façon significative chez la majorité des animaux. Cette augmentation était réversible après 6 mois de régime normal [17].

La consommation de sel actuelle est inadaptée à notre patrimoine génétique.

Au début de l’histoire de l’humanité, beaucoup de populations manquaient de sel et de calories. Ont donc survécu ceux et celles dont les gènes étaient les plus appropriés pour retenir le chlorure de sodium et constituer des réserves.

Par la suite, notre environnement a beaucoup changé alors que notre patrimoine génétique s’est peu modifié au cours des 10000 dernières années. La situation actuelle dans beaucoup de pays est ainsi celle d’une population dont les gènes sont inadaptés à l’environnement [18]. L’hypothèse est que le système rénine-angiotensine-aldostérone est, dans l’ensemble, trop actif dans une situation où le bilan du sodium s’équilibre à un niveau élevé.

S’ajoutent à cette donnée générale les variations de la susceptibilité génétique individuelle face à la surcharge en sel. Celle ci est bien connue chez l’animal, en particulier le Rat. Il existe dans cette espèce des lignées d’animaux comme les rats « Dahl » devenant hypertendus lorsqu’on augmente la teneur en sel du régime [19)]. Chez l’Homme, l’hypertension dite « essentielle » est multifactorielle et dépend pour environ un tiers de prédispositions génétiques. Le phénotype de réponse exagérée au sel peut se mesurer par la réponse de la pression artérielle à une surcharge ou une déplétion aiguë ou chronique ; mais ces manœuvres, souvent excessives, ne reflètent pas les changements dans l’apport de sel alimentaire observés en pratique. La sensibilité au sel a un caractère familial [20]. Les polymorphismes génétiques sous-jacents sont multiples et ne sont pas tous connus. Ils concernent des gènes intervenant dans la réabsorption rénale du sodium comme ceux des sous-unités des canaux à sodium, en particulier ENaC (« epithelium sodium channel »), et d’autres transporteurs, d’enzymes jouant un rôle dans la synthèse de l’aldostérone et de protéines cibles de cette hormone, de composants du système rénine-angiotensine et de protéines du cytosquelette. On manque cependant de marqueurs fiables de la sensibilité au sel permettant de déterminer chez quels sujets la restriction en sel sera la plus bénéfique. On sait seulement que la sensibilité au sel est plus fréquente chez les hypertendus que chez les sujets à pression artérielle normale et qu’elle augmente avec l’âge.

Etat actuel de la consommation de sel en France

Consommation globale de sel.

La consommation de sel dans notre pays est connue à partir de deux types d’études : la mesure de la natriurèse de 24h dans des échantillons de la population et les enquêtes de consommation alimentaire.

Les premières de ces études sont peu nombreuses et ne concernent pas des échantillons représentatifs de la population puisqu’elles ont été réalisées en consultation à l’hôpital. Celle de A. Mimran en Languedoc-Roussillon et celle de J. Ménard en Ile-de-France portent sur des malades non traités vus en consultation. Les résultats en sont détaillés dans le rapport de l’AFSSA [4]. A.

Mimran a observé une consommation moyenne de 9, 7 g de sel/jour chez les hommes et de 7, 4 g chez les femmes. Chez 40 % des hommes et chez 20 % des femmes la consommation de sel était supérieure à 10 g/jour. Les consommateurs au dessus de 12 g/jour représentaient 23 % chez les hommes et 10 % chez les femmes. L’étude de J. Ménard effectuée d’abord en 1976-1978 a été renouvelée en 1998-2000. La natriurèse moyenne lors de la première phase correspondait à une consommation quotidienne de 6,7 g de sel chez les femmes et de 8 g chez les hommes. Les sujets consommant plus de 12 g de sel / jour atteignaient 12 %. Les résultats obtenus 20 ans plus tard ne mettent pas en évidence des changements très significatifs encore qu’une tendance à l’augmentation du pourcentage de forts consommateurs semble se dessiner à l’image de ce qui se passe aux Etats-Unis [21].

Il existe deux études françaises de la consommation alimentaire de sel basées sur des enquêtes, INCA (Enquête Individuelle de Consommation Alimentaire) et SU.VI.MAX (Supplémentation en Vitamines et Minéraux Antioxydants) dont les résultats sont détaillés dans le rapport de l’AFSSA [4]. La première a porté sur 1985 adultes représentatifs de la population française et 1018 enfants ou adolescents. Elle a duré 11 mois et a consisté à colliger tous les aliments consommés sur un carnet par périodes de 7 jours. Les calculs ont été faits à partir d’une table de composition des aliments. Les moyennes observées sont de 9,1 g de sel consommé par jour pour les hommes et de 6,9 g pour les femmes. Les forts consommateurs (>12 g/jour) représentent environ 8 %. Ces valeurs sont sous-estimées parce qu’on n’a pas tenu compte du sel rajouté à la cuisson et à table. L’étude SU.VI.MAX regroupe 12535 sujets adultes sains dont les consommations alimentaires sont enregistrées pendant 24h tous les deux mois sur une période de quatre ans. Hors sel ajouté, les consommations moyennes sont de 7,5 g / jour chez les hommes et 5, 5 g / jour chez les femmes.

Sources alimentaires de sel

Pour les deux enquêtes citées plus haut, les principales sources de sel dans notre pays sont le pain (25 à 30 %), les charcuteries (11 à 13 %), les fromages (9 à 11 %), les soupes industrielles (8 à 10 %) et l’ensemble des plats cuisinés et des conserves industrielles (5 à 8 %). Les principaux aliments vecteurs de sel chez les gros consommateurs sont les mêmes que ceux dans l’ensemble de la population. Une grande partie du sel retrouvé dans tous ces aliments a été ajouté lors de leur préparation pour des raisons multiples : techniques parce que, comme pour le pain, il améliore la maniabilité de la pâte, hygiéniques parce que le sel est bactériostatique et permet la conservation, organoleptiques parce que le sel donne meilleur goût. Le sel de table ne constitue qu’une faible fraction (15 %) du sel ingéré. La perception de la saveur salée par le consommateur est variable d’un individu à l’autre et est très dépendante de l’accoutumance. On s’habitue à consommer salé comme on s’habitue à consommer peu salé. Ainsi, les consommateurs des années cinquante mangeaient-ils un pain beaucoup moins salé qu’actuellement sans se plaindre d’un manque de saveur. La grande majorité des consommateurs n’ont aucune idée de la quantité de sel qu’ils ingèrent quotidiennement et des risques éventuels qu’ils encourent. L’évolution de la société fait qu’une part de plus en plus grande de l’alimentation ne provient plus d’aliments cuisinés à la maison, mais de plats tout préparés achetés chez les commerçants. Actuellement, le consommateur est impuissant à modifier la quantité de sel qu’il ingère parce que ce sel est présent dans des aliments dont il ne contrôle pas la fabrication et dont la composition n’est pas explicite aux points de vente.

Un point à prendre en compte est que le sel de table est une source importante d’iode sous forme d’iodure de sodium ou de potassium, les autres vecteurs étant le lait et ses dérivés ainsi que les produits de la mer. Les besoins nutritionnels en iode d’environ 150 µg / jour chez l’adulte doivent être assurés et une réflexion s’impose à laquelle participe l’AFSSA [22] pour rendre compatible la réduction de la consommation de sel avec le maintien d’un apport iodé suffisant. On doit rappeler qu’un des 100 objectifs de santé publique retenus pour les années 2004-2008 est une réduction de 20 % de la fréquence de la déficience en iode de la population française (6). L’avis de l’Académie Nationale de Médecine du 16 octobre 1990 [23] complété en décembre 1999 [24] et recommandant l’addition d’iode au sel utilisé (15-20 mg iode / kg de sel) sous forme d’iodures pour la préparation des aliments transformés, tout au moins de certains d’entre eux, reste ainsi d’actualité. On doit également rechercher d ‘éventuelles alternatives à l’enrichissement du sel en iode.

Conclusions

La souplesse physiologique de l’organisme humain lui permet, à court terme, de s’adapter aux variations du bilan sodé (apports et pertes) et il est difficile de fixer des « besoins » en sel pour un adulte sain. Cela dépend à l’évidence de l’importance des pertes incontrôlables par la sueur dans une atmosphère chaude. Si l’on s’en tient à l’Europe occidentale qui jouit d’un climat tempéré, les besoins ne dépassent certainement pas 3 g / jour, ce qui est largement inférieur à la consommation moyenne des Français. Il est donc quasi certain qu’une réduction modérée de cette consommation moyenne n’affectera pas la santé de la population. Cette réduction est-elle indiquée ? et, si oui, doit-elle se faire au plan individuel chez des sujets ciblés (les gros consommateurs et les sujets sensibles au sel) ou à l’échelle de toute la population avec comme objectif de déplacer la distribution des pressions artérielles vers des valeurs plus basses, simultanément d’ailleurs avec l’indice de poids corporel ?

La pression artérielle est considérée comme normale chez un sujet adulte jusqu’à la valeur de 140-90 mm Hg. En fait, il est maintenant admis que les valeurs optimales se situent en dessous de ces chiffres [25]. La prévalence de l’hypertension artérielle est élevée dans notre pays chez l’adulte et augmente avec le vieillissement de la population (de 4,2 à 51,8 % selon la tranche d’âge) [26]. De nombreuses études ont montré que l’hypertension artérielle était un facteur de risque important des accidents cardiovasculaires et, en particulier des accidents vasculaires cérébraux. Il existe une relation continue et progressive entre la pression artérielle systolique et la fréquence de ce type d’accidents au sein d’une population donnée. Ainsi, ce qui peut apparaître comme des différences négligeables de pression artérielle ne doit pas être sous-estimé.

Partant de ces données, le Programme National Nutrition Santé mis en place par le ministère de la Santé [27] s’est fixé comme objectif de réduire de 10 mm Hg la pression artérielle systolique chez les adultes sur une période de 5 ans en proposant des règles alimentaires adéquates. Si ce programme n’inclut pas dans les 5 mesures principales recommandées la réduction de la consommation de sel, il la conseille chez les sujets repérés comme gros consommateurs.

Comme nous l’avons montré, il existe un ensemble de publications concordantes qui concluent qu’une réduction sensible de la consommation quotidienne de sel conduit à un chute modeste, mais cependant significative de la pression artérielle dans les populations étudiées (quelques mm Hg). Cette chute est plus marquée chez les hypertendus, les sujets âgés et dans certaines ethnies comme les américains d’origine africaine. Un effort pour diminuer la consommation moyenne de sel paraît ainsi raisonnable. Il apparaît plus simple et plus efficace de faire porter cet effort sur l’ensemble de la population que sur les seuls sujets à risque pour plusieurs raisons : — il est impossible de détecter facilement ces sujets ; — un déplacement vers les faibles consommations de l’ensemble de la courbe de Gauss (nombre d’habitants versus consommation
de sel) intéressera obligatoirement les forts consommateurs et les sujets à risque sans nuire aux faibles consommateurs si la réduction reste dans des limites acceptables ; — le consommateur n’a le plus souvent que peu de contrôle sur la teneur en sel des aliments qu’il achète ou qu’il ingère. A cet égard, un travail récent [28] analysant de façon rétrospective les résultats de l’étude DASH précédemment citée [14] apporte des informations intéressantes.

La pression artérielle des sujets ayant participé à cette étude n’a pas répondu de façon reproductible aux variations imposées dans la teneur en sel du régime confirmant ainsi que l’identification des sujets sensibles au sel n’est pas aisée.

Il faut souligner que la diminution de la consommation de sel n’est qu’un composant et, pas forcément le plus efficace, d’une politique globale de lutte contre l’hypertension artérielle, les autres composants bien connus étant la lutte contre l’obésité, la lutte contre le tabagisme, la réduction des graisses d’origine animale contenant des acides gras saturés et l’augmentation de l’exercice physique.

Recommandations

Pour toute ces raisons, l’Académie Nationale de Médecine, en accord avec l’ AFSSA, propose une politique de réduction progressive et modérée de la consommation de sel (20 % en 5 ans) étendue à toute la population selon les recommandations détaillées ci-dessous :

— agir par l’information et la négociation avec les artisans, les industriels et les distributeurs concernés en faveur d’une réduction progressive du contenu en sel des aliments préparés qui soit acceptable aux plans gustatif, technique et sécuritaire. Les mesures réglementaires éventuelles n’interviendraient qu’en dernier recours après une phase suffisante d’observation ;

— informer le consommateur sur la composition d’une alimentation saine et équilibrée et, pour lui permettre de choisir en toute connaissance, inciter à un étiquetage par les industriels du contenu en sel (ou en « équivalent-sel » s’il s’agit d’autres sels de sodium que le chlorure) des aliments pré- emballés. Là encore, une réglementation contraignante ne devrait intervenir qu’à terme pour généraliser cette mesure ;

— expliquer que, compte tenu du sel déjà présent dans les aliments et ajouté lors de la cuisson, l’ajout de sel de table est inutile et peut être nocif et, en conséquence, retirer les salières des cantines scolaires et d’entreprise ;

— maintenir un apport d’iode alimentaire suffisant en additionnant avec de l’iodure de sodium ou de potassium le sel utilisé pour certains produits alimentaires transformés à définir avec les professionnels et en recherchant d’éventuelles alternatives à l’enrichissement du sel en iode ;

— prévoir les enquêtes épidémiologiques appropriées pour juger des résultats de cette politique, d’une part sur l’évolution de la consommation effective de sel dans la population et d’autre part sur la santé des Français en matière d’hypertension artérielle et d’accidents cardiovasculaires.

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Experts Consultés 1 — Michel Beaufils, Praticien Hospitalier, Unité Fonctionnelle de Médecine Interne, Hôpital Tenon, 4 rue de la Chine, 75970 Paris cedex 20.

2 — Gérard Brochoire, Institut National de la Boulangerie et de la Patisserie, 150 boulevard de l’Europe, 76000 Rouen.

3 — Tilman Drueke, Directeur de Recherches à l’INSERM, Unité 507, Hôpital Necker-Enfants Malades, 161 rue de Sèvres, 75743 Paris cedex 15.

4 — Serge Hercberg, Professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers, Unité INSERM 557, 5 rue Vertbois, 75003 Paris.

5 — Joël Ménard, Professeur des Universités-Praticien Hospitalier, Santé Publique et Informatique Médicale, Institut des Cordeliers, rue de l’Ecole de Médecine, 75006 Paris.

6 — Pierre Méneton, Directeur de Recherches INSERM, Unité 367, 17 rue du Fer à Moulin, 75005 Paris.

7 — Albert Mimran, Professeur des Universités-Praticien Hospitalier, Service de Médecine Interne et d’Hypertension, Hôpital Lapeyronie, 34000 Montpellier.

8 — Michel Safar, Professeur des Universités-Praticien Hospitalier, Hôtel-Dieu, 1 place du Parvis Notre-Dame, 75181 Paris cedex 4.

9 — Pierre Valeix, Chargé de Recherches CNRS, Unité INSERM 557, 5 rue Vertbois, 75003 Paris.

10 — Jean-Luc Volatier, Observatoire de Consommation des Aliments, AFSSA, 27-31 avenue du Général Leclerc, BP 19, 94701 Maisons-Alfort cedex .

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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 17 février 2004, a adopté le texte de ce rapport moins six abstentions.

Bull. Acad. Natle Méd., 2004, 188, no 2, 317-329, séance du 17 février 2004