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Session of 17 janvier 2012

Conséquences médicales des variations de la température ambiante et des variations climatiques

MOTS-CLÉS : allergènes. changement climatique. maladies auto-immunes. maladies virales. thermorégulation du corps. troubles dûs à la chaleur
Health consequences of environmental temperature and climate variations
KEY-WORDS : allergens. autoimmune diseases.. body temperature regulation. climate change. heat stress disorders. virus diseases

Bernard Swynghedauw *

Résumé

Le réchauffement climatique et l’effet de serre et leurs origines anthropogéniques ne font actuellement plus de doute (Rapport de l’Académie des sciences) et il est directement responsable de la fréquence des événements climatiques extrêmes. Chez l’homme, l’homéothermie est assurée plus par son comportement (vêtement, habitat) que par des régulations purement biologiques. La climatisation et l’aménagement des locaux jouent en la matière un rôle essentiel. La vague de chaleur d’août 2003 n’a pas été la seule dans ces dernières années, mais la mise en place d’un dispositif de prévention (Le Plan Canicule) semble avoir

Summary

Recent climate change is a consequence of the greenhouse effect and human activity, and is directly responsible for extreme events such as heatwaves (see report of the French Acadé- mie des Sciences). Human thermoregulation depends more on behavior than on biology. Air conditioning and building structure play an essential role. The 2003 heatwave was not a unique event. Preventive measures reduced mortality during subsequent heatwaves. Most deaths were due to heat stroke associated with dehydration. During strenuous exercise, especially during military training, heat stroke requires specific treatment. Temperature/ global mortality and temperature/cardiovascular mortality curves are both U-shaped. Usually, global mortality increases winter and is linked to temperature. During summer, global mortality increases only when heatwaves occur. Climate change participates in the spread of infectious diseases. Nevertheless, in continental France, for the moment, climate change is not a major factor in the incidence of infectious diseases, despite the fact that several bacteria, viruses and vectors are temperature-sensitive. The situation in Reunion, French Polynesia and French Departments of America is more complicated, due to their geographic heterogeneity. Some areas are more exposed to the climatic risk and could act as a gateway for new infections and mutations. The dramatic loss of biodiversity is partly a consequence of climate change. It increases the transmissibility of some pathogens and can also potentially lead to an increase in autoimmune diseases and obesity. Climate change plays a important role in allergic diseases, through changes in the diffusion and composition of pollens. These modifications are being monitored by several observatories. Six different veterinary diseases, including several zoonoses, are of particular concern.

INTRODUCTION

Il y a entre le changement global du climat auquel nous assistons et l’augmentation de la fréquence et de la gravité des événements extrêmes (comme les pluies excessives, les sécheresses et les vagues de chaleur) une relation de cause à effet maintenant solidement établie 1. Ce travail a pour objet l’analyse des conséquences médicales prévisibles de ce type de changements qu’ils soient progressifs ou subis et en se restreignant aux changements de la température externe. Les prédictions sont aussi difficiles en matière médicale qu’elles le sont en matière climatique et une telle analyse n’est évidemment possible qu’en se basant sur ce que l’on peut observer pour le moment lors des variations saisonnières courantes ou imprévues de la température externe.

Nous nous sommes, à dessein, limités ici aux conséquences médicales des variations climatiques en France. Nos conclusions sont limitées par le fait que les experts sur le sujet sont rares, tout au moins en France, et que les connaissances sur l’évolution même du climat comportent encore une large part d’incertitude.

Les origines anthropogéniques du changement climatique que nous subissons actuellement ne sont plus guère contestables mais ce changement n’est, à l’évidence, pas le seul élément de notre propre environnement que l’activité humaine contribue à modifier, un changement d’une telle rapidité n’ayant jamais été expérimenté jusque là dans l’Histoire de la Vie. D’autres paramètres qui ont des incidences sur la santé publique inter-réagissent de façon complexe avec le paramètre climatique, comme la diminution de la biodiversité, les événements climatiques extrêmes 2, l’acidification des océans et la pollution atmosphérique. D’une manière plus géné- rale, il s’agit des conséquences de ce qu’André Lebeau a appelé « l’enfermement planétaire » [1]. Néanmoins les ressources de notre planète ont des limites que nous commençons à percevoir. L’activité humaine n’a pas eu que des effets délétères, elle est aussi responsable d’une diminution des infections pathogènes, d’une plus grande disponibilité des aliments et, finalement, de l’augmentation continue de l’espérance de vie 3.

Le changement climatique et son histoire

Le réchauffement climatique actuel

Les conclusions du Rapport de l’Académie des Sciences [2], largement confirmées par une littérature abondante et de qualité (analysée en continu par le GIEC, 1. Comme l’a clairement souligné la dernière mise au point du GIEC (voir « First Joint Session of Working Groups I and II IPCC SREX Summary for Policymakers ») résumée aussi dans Le Monde du 21 Novembre 2011 page 7.

2. Dont le lien avec le changement climatique a fait l’objet de plusieurs mises au point récentes.

3. Un Colloque sur « L’homme peut-il s’adapter à lui-même ? » a été organisé sur ce sujet en Octobre 2010 par Gilles Bœuf (Directeur du MNHN), et deux des membres de ce Groupe de Travail, Bernard Swynghedauw et Jean-François Toussaint.

 

Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat [site Internet]), sont sans ambiguïtés et peuvent se résumer comme suit. — Plusieurs indicateurs indépendants montrent une augmentation du réchauffement climatique de 1975 à 2003. — Cette augmentation est surtout due à l’augmentation de la concentration en CO dans l’atmosphère. — L’augmentation de CO et, à un moindre degré, celle 2 2 d’autres gaz à effet de serre, est due à l’activité humaine. — Le réchauffement climatique entraine une réduction des surfaces glaciaires et une élévation du niveau de la mer, et l’accumulation de CO , une acidification des océans. — Cet ensemble de 2 phénomènes s’accompagne de rétroactions dont la complexité implique le recours aux modèles.

L’histoire du climat en France

Historiquement les réflexions sur les liens entre le climat et la santé publique existent depuis le xviiie siècle. Le socle des archives est formé par les registres paroissiaux et par les archives du Corps médical et de la Société Royale de Médecine 4. On possède des courbes de la température de ces trois cents dernières années. On doit à E. Leroy-Ladurie [3, 4] les premiers exemples d’influence du climat sur la santé publique. L’histoire du climat en France nous apprend qu’il a existé à plusieurs reprises dans notre histoire soit des hivers particulièrement froids, soit des canicules importantes associés à une vague de mortalité dont les causes sont directes (la canicule en 1719) ou indirectes (la disette liée au froid en 1709). La famine de 1693 qui est l’une des plus grandes catastrophes connues de ce type dans notre pays a été causée à la fois par des pluies excessives, par le froid et la canicule et par des semailles à faible productivité (en 1692). Elle s’est accompagnée d’épidémies favorisées par la sous-alimentation, et a, bien évidemment, surtout touché les classes sociales les plus démunies. Elle a causé la mort de plus d’un million de personnes (soit 5,8 % de la population).

La situation s’est améliorée par la suite : les vagues de chaleur ou de froid ont pu être la cause de plus d’un million de morts supplémentaires en 1693. Du fait d’un certain nombre de mesures efficaces, la surmortalité s’est stabilisée et, depuis 1848, les conditions de vie et les progrès de la médecine ont lissé ces grandes variations de la mortalité.

Les conséquences des aléas climatiques sont devenus un facteur important pour la compréhension des fluctuations de la mortalité globale. Les pics de décès de la fin du xixe siècle sont davantage liés aux épidémies et à la guerre. Le recours à une référence lissée mettant en évidence l’effet spécifique du climat indépendamment d’autres paramètres, et fait conclure à une variation annuelle des décès, avec un pic hivernal régulier et des excès réguliers dus aux canicules (voir aussi plus loin la figure 2 et le texte afférent).

4. Archivage et numérisation à la bibliothèque de l’Académie de Médecine.

 

La thermolyse physiologique et ses dérèglements

Il importe d’abord de connaître les capacités d’adaptation biologique de l’homme aux changements de la température et les possibilités éventuelles de les améliorer en rappelant à la fois les données concernant la physiologie de la thermorégulation et celles qui ont trait à ses dérèglements.

Physiologie de la thermorégulation

L’homme est un être vivant homéotherme [5], mais cette propriété est assurée plus par son comportement (vêtement, habitat) que par des régulations strictement biologiques. L’homéothermie ne s’applique qu’au noyau de l’organisme et la chaleur produite dans ce noyau est transportée à travers « l’écorce » (les vêtements) jusqu’à l’extérieur. Le maintien de la thermogenèse est assuré par le métabolisme basal. Dans les échanges entre l’écorce et l’ambiance, la conduction est négligeable à coté de la convection naturelle (fonction du comportement) ou forcée (elle-même dépendant du vent), de la radiation et de l’évaporation. L’immersion dans l’eau multiplie les pertes par un facteur 25. La température de confort thermique dans l’eau est, au repos, de 33-34°C et à l’exercice de 26° C. il y a peu de possibilités de thermorégulation si la température de l’atmosphère environnante est supérieure à celle de la peau. L’évaporation d’un litre de sueur consomme 580 kcal.

On peut augmenter la thermolyse par (i) la vasodilatation massive due à une inhibition des mécanismes adrénergiques et (ii) par l’évaporation qui met en jeu un mécanisme cholinergique. Il existe par ailleurs une thermorégulation au long cours qui est mise en jeu soit en augmentant l’utilisation de l’ATP, soit en réduisant l’efficacité de sa synthèse grâce à une protéine de découplage, la « uncoupling protein » , UCP [5, 6]. La recherche actuelle sur la thermolyse est presque inexistante.

L’entraînement physique améliore les capacités sudorales et hypertrophie les glandes sudoripares. Chez l’homme, les ajustements comportementaux portant sur les vêtements et sur l’habitat sont essentiels. Il y a des preuves que la mortalité est accrue chez les sujets les plus âgés lors des épisodes extrêmes ; mais, sur un plan strictement physiologique, il n’y a pas de données qui établissent un déficit dans la thermorégulation des sujets âgés. Les capacités de thermorégulation au chaud ne semblent pas dépendre directement de l’âge, mais plutôt du niveau d’activité physique et du seuil de déclenchement de la soif [7].

Les mécanismes physiologiques d’adaptation aux contraintes thermiques sont limités chez l’homme et les réponses socio-comportementales y sont essentielles.

Performances physiques et température

Plusieurs observations récentes utilisant les résultats chiffrés des meilleures performances sportives mondiales ont montré qu’il existait un lien très significatif entre les maxima physiologiques et la température externe [données de l’IRMES 2009]. Cette relation est analogue à celle qui existe entre mortalité et température externe [8, 9].

Les plus grands marathons mondiaux sont, par exemple, organisés autour des optima de température (en avril et en octobre). En analysant les vitesses de course de leurs vainqueurs [10], on peut montrer qu’il existe une relation forte entre température et vitesse en endurance (courbe en n, avec un optimum autour de 10° C). Cette valeur, basse quand on la compare aux optima de morbi-mortalité, tient aux conditions particulières d’hyperthermie (39° C à 41° C de température corporelle) qui caractérisent les premiers arrivants de ces épreuves [11]. En cas de forte chaleur la distribution des arrivants s’en trouve affectée. La température externe exerce donc une contrainte majeure, directe et mesurable sur tous les organismes, quel que soit leur niveau, et pas seulement sur les élites. Cette relation est analogue à celle qui concerne les variations saisonnières de la mortalité globale.

Le coup de chaleur

Tous les records de chaleur ont été battus en France en août 2003. Cette augmentation de la température a entrainé un surcroit de mortalité, dû en grande partie aux coups de chaleur (CC) [12]. Le CC est lié à une élévation de la température centrale au-delà de 40° C avec apparition d’une encéphalopathie qui engage directement le pronostic vital 5. Les sujets à risque sont les personnes âgées, les personnes souffrant d’affections chroniques antérieures sous-jacentes notamment psychiatriques ou cardiaques ou encore celles qui prennent certaines médications (diurétiques, psychotropes…) [13, 14]. La température extrême supportable par un organisme humain est d’environ 42° C pendant 1 à 8 h. Le coup de chaleur résulte d’une altération de la thermorégulation, à l’origine d’une mort cellulaire neuronale, en relation directe avec l’hyperthermie, d’une réaction inflammatoire systémique excessive de défense et d’une coagulation vasculaire disséminée. Le tableau clinique associe une hyperthermie (de 40° C à 47° C), une peau sèche et chaude et des signes neurologiques centraux allant du syndrome confusionnel au coma. Il évolue vers la défaillance multi-viscérale. Le traitement est basé sur le refroidissement corporel externe (au besoin par voie endovasculaire), la réhydratation massive et la réanimation symptomatique. Une récupération neurologique ad integrum ne peut s’envisager que chez les patients pris en charge précocement et dans de bonnes conditions.

En période de canicule, il est donc important d’éviter l’exposition prolongée à la chaleur, d’assurer une bonne hydratation des personnes les plus à risque et de favoriser le travail dans une atmosphère rafraîchie par de l’air conditionné.

Le coup de chaleur à l’exercice

Régulièrement confronté aux questions médicales posées par la pratique de l’activité physique en climat chaud, le Service de Santé des Armées a fait des conséquen5. Au cours des vagues de chaleur urbaines aux Etats-Unis, des incidences de l’ordre de 15 à 30 cas pour 100.000 habitants ont été rapportées et dans certains pays désertiques, comme l’Arabie Saoudite, l’incidence peut atteindre 250 cas pour 100.000 habitants par an, avec une mortalité de ∼50 % [13].

ces médicales de l’exercice à la chaleur l’une de ses préoccupations majeures [15]. Les propriétés du muscle les plus affectées par l’hyperthermie locale, sont l’endurance musculaire et la fatigabilité. Le muscle devient ainsi moins résistant à la fatigue.

L’exercice physique et la chaleur peuvent perturber l’homéostasie intracellulaire et être responsable d’une rhabdomyolyse avec myoglobinurie et signes rénaux. Ces lésions musculaires dépendent en partie du degré de motivation des sujets et de l’intensité de l’exercice. Le caractère pleïotrope des intermédiaires immunitaires et inflammatoires fait que c’est l’accumulation de productions locales, individuellement banale, qui va déborder les capacités d’ensemble de contrôle de l’organisme [15, 16].

Données épidémiologiques

Il importe de connaître l’influence des variations climatiques normales ou d’exception (les vagues de chaleur récentes) sur la santé des populations, c’est la mission qu’assurent, en France, l’Institut de Veille Sanitaire (InVS) et le Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc) de l’INSERM dont il convient d’analyse les principales conclusions.

Morbi-mortalité globale

Entre 1975 et 2003 la relation entre le taux de mortalité et la température ambiante maximale a la forme d’une courbe en U, avec d’une part des variations importantes aux deux extrêmes et, d’autre part, un optimum thermique variable selon les régions (13°5 en Finlande, 20°6-23°6 à Paris, 36°4 à Madrid) ( Figure 1). La relation mortalité/température pendant les étés permet une modélisation basée à la fois sur l’importance des températures maxima et minima et sur le rôle de la persistance de ces températures élevées pendant plusieurs jours consécutifs. Le modèle a été validé par plusieurs études a posteriori . Parallèlement, l’Institut National de Veille Sanitaire (InVS) et Météo France ont établi un système d’alerte inclus dans le Plan National Canicule mis en place l’été 2004 [20]. Ce plan a été activé en Juillet 2006 pendant 18 jours. Une observation importante a pu être faite à cette occasion : la mortalité observée (+2063) a été de fait inférieure à celle prévue par le modèle (+6453). Cette baisse de vulnérabilité peut être attribuée à la fois aux mesures mises en œuvre par le Plan Canicule, à une prise de conscience de la population et à la mise en place d’un système d’alerte. Elle concerne tout particulièrement les personnes âgées [7].

Il existe, de plus, une relation cyclique entre la mortalité globale et la température minima, avec un pic haut de mortalité début février et un pic bas début juin (Figure 2). Ce pic de mortalité hivernale n’est probablement pas que la conséquence du seul paramètre climatique. Le vieillissement de la population risque d’ailleurs de l’accentuer dans le futur. Par ailleurs, le vieillissement de la population risque aussi très probablement d’accentuer la mortalité hivernale ou celle qui survient lors des vagues de chaleur.

 

Fig. 1. — Le nuage de points représente le taux de mortalité quotidien pour 100 000 habitants de 1975 à 2003 en fonction de la température maximale (Données CépiDc-INSERM, MétéoFrance).

Fig. 2. — La courbe du haut représente la température minimale, celle du bas le taux de mortalité pour 100 000 habitants entre 1984 et 1990, période où il n’y a pas eu de vagues de chaleur (Données CépiDc-INSERM, Météo-France).

 

Température externe et mortalité cardiovasculaire

Les variations climatiques ont une influence bien connue sur la morbidité et la mortalité cardiovasculaire surtout chez les sujets âgés. La relation est comparable à celle observée pour la mortalité globale et forme une courbe en U avec surmortalité aux deux extrêmes et ce malgré de nombreux facteurs confondants. Le niveau normal de la pression artérielle (PA) est soumis à des variations saisonnières, il s’élève en hiver et s’abaisse en été. Les variations de la PA des hypertendus sont plus prononcées [17]. Les accidents vasculaires cérébraux sont soumis à des variations circadiennes. Le maximum des ruptures d’anévrismes s’observe en juin et septembre lorsque la pression atmosphérique est basse [18]. Enfin, de nombreuses études concordantes, comme par exemple celle de Michelozzi et al. [19], ont démontré l’existence d’une augmentation en hiver du nombre des accidents coronariens aigus et des hospitalisations pour le même motif ou pour insuffisance cardiaque,.

Vagues de chaleur

En France, on entend par vague de chaleur au moins trois jours consécutifs avec une température minima et maxima supérieure, respectivement, à 17,3° C et 30,0° C. La vague de chaleur d’août 2003 en France, s’est accompagnée d’une surmortalité spectaculaire. La vague de chaleur de l’été 2003 n’a pas été la seule en France et d’autres vagues ont pu être identifiées, accompagnées à chaque fois d’une surmortalité, toujours corrélée à la température. Dans l’ensemble, cette surmortalité semble due, surtout en 2003, non seulement à l’aggravation par l’excès de chaleur de maladies antérieures mais aussi au coup de chaleur survenant sur des personnes présentant ou non une affection préexistante.

L’effet dit de moisson ( harvesting effect ), c’est-à-dire le rattrapage de la mortalité sous forme d’une sous-mortalité qui fait suite à une surmortalité survenue au cours de la vague de chaleur, dépend de la période où il est enregistré. L’effet moisson, analysé sur les vingt journées qui ont suivi la vague de chaleur, était présent en 1976 (-696 décès) et en 1990 (-1 224 décès). Il était absent en 2003 (+754 décès) [20-22].

La climatisation

Une affirmation répandue est que la climatisation généralisée permettrait d’éviter des drames comme celui de 2003. L’AFSSE a publié un rapport sur ce sujet dont on peut tirer certains enseignements [23, 24]. Lors de vagues de chaleur, la climatisation ne peut en effet que compenser des erreurs de conception et de gestion d’un bâtiment. Une évolution des concepts architecturaux concerne en premier lieu les constructions neuves, mais aussi la rénovation du parc existant. Il faut mettre en œuvre une politique de gestion des ouvrants et, d’abord, utiliser les locaux naturellement rafraîchis, et assécher les pièces humides pour faciliter l’évaporation et la transpiration. Si on ne peut pas faire autrement que de climatiser, il faut alors bien dimensionner l’installation pour une utilisation économe à long terme, avec des appareils au rendement énergétique élevé pouvant fonctionner au-delà de 35° C, prévoir, dès la construction, les passages d’air et de fluides correctement dimensionnés et ne pas faire descendre la température trop bas (une température de 7° C inférieure à la température extérieure est acceptable en période de canicule). Il faut enfin prévoir l’entretien de ces installations qui, s’il est mal fait, peut générer des risques infectieux et allergiques ainsi qu’une pollution sonore.

Maladies infectieuses

Les maladies infectieuses sont devenues une cause de mortalité plus secondaire, tout au moins dans les pays développés comme le nôtre où les causes majeures de mortalité sont le cancer et les maladies cardiovasculaires. L’apparition récente de nouvelles maladies infectieuses (comme le SIDA) et le vieillissement de la population imposent néanmoins un maintien des dispositifs de surveillance 6 en France métropolitaine comme dans les départements et pays d’outre-mer. Le changement climatique pourrait-il modifier ces données de façon notable?

Climat et maladies infectieuses : en a-t-on trop dit ou pas assez ?

Une multitude de rapports existe sur les effets du changement climatique sur l’incidence et la distribution de nombreuses maladies infectieuses. Entre 1990 et 2000, plusieurs travaux ont scénarisé, en fonction des variations prévisibles, les distributions de nombreuses maladies infectieuses à transmission vectorielle en fonction des variations du climat. Ces scénarios proposaient alors des aires de distribution géographique des espèces vectrices, sous forme d’enveloppes approximatives et probablement exagérées. De rares études portant sur la dengue ou sur le paludisme [25] ont tenté de modéliser les interactions vecteur-agent pathogènehabitat où peuvent exister des effets de seuil, conduisant à des interprétations plus réalistes. Ces études ont mis en exergue la simplification outrancière avec laquelle le thème climat-maladie infectieuse a été, ou est, souvent abordé. Depuis, plusieurs variables bioclimatiques et écologiques ont été identifiées. Pour le paludisme, les précipitations mensuelles et la densité de la population semblent les plus importantes et la simple élévation de la température externe ne vient qu’en dixième position.

Les schémas de réflexion des rapports entre changements climatiques et maladies infectieuses ont beaucoup évolué entre 1985 et 2005 et le schéma actuel est beaucoup plus complexe car il intègre de très nombreux paramètres dont le changement climatique n’ est qu’un composant parmi d’autres [26].

Le problème posé par les infections virales

Les virus, comme les bactéries, sont, par nature, potentiellement capables de sélectionner des mutations par hasard ou par nécessité, sous l’influence de facteurs externes comme le réchauffement climatique car beaucoup sont thermosensibles à divers stade de leur développement [27]. L’histoire récente du virus du SIDA et celle du coronavirus responsable du SRAS est là pour nous rappeler que la vigilance doit 6. Sans oublier tout le dispositif institutionnel associé à la transfusion sanguine.

rester la règle. Au cours de la deuxième moitié du xxe siècle, beaucoup de virus émergents ont gagné des régions géographiques nouvelles [28]. Dans un récent éditorial, M. Grandadam montre bien que cette évolution continue. C’est le cas d’arboviroses longtemps considérées comme « tropicales ». Les changements climatiques et la dispersion des moustiques vecteurs pourraient fournir « une explication simple et satisfaisante de l’évasion de ces maladies de la zone tropicale » [29]. La dengue, par exemple, n’a cessé de s’étendre en particulier en Martinique et en Guadeloupe et le virus Chikungunya a envahi la Réunion où il a provoqué plusieurs centaines de morts et quelques cas ont été rapportés en métropole. Le virus West Nile existe en Camargue depuis au moins les années 60 et semble être devenu plus envahissant. Ces données épidémiologiques sont certes inquiétantes, mais les changements climatiques ne sont pas, et de loin, les seuls responsables du phénomène.

L’accroissement incontrôlé de la population mondiale, l’urbanisation anarchique, l’augmentation continue des échanges interviennent tout autant, mais les virus ont des capacités adaptatives considérables qui peuvent les rendent potentiellement dangereux dans l’avenir [28].

Biodiversité et changement climatique.

La diminution spectaculaire de la biodiversité à laquelle nous assistons est liée aux changements climatiques par l’intermédiaire des migrations animales ou végétales, de l’acidification des mers et des changements forcés d’habitat [30] mais, bien évidemment, pas à eux seuls. L’une des hypothèses qui rend le mieux compte des effets délétères généraux de la réduction de la biodiversité postule que pour un écosystème donné, plus grande est sa biodiversité, plus grande sera sa résistance aux envahisseurs. De nombreuses études ont démontré que la biodiversité influait directement sur la transmission des parasites et le risque morbide en multipliant les possibilités d’infections du mauvais hôte, c’est l’effet dilution [31] qui se définit comme étant le fait que la transmission de maladies diminue lorsqu’il y a plus d’hôtes incompétents inter-réagissant avec les vecteurs ou capables de rendre les parasites inoffensifs. Plusieurs données expérimentales ont donné corps à cette hypothèse [32].

La biodiversité microbienne est moins bien connue mais il semble bien exister aussi une redistribution récente de la diversité bactérienne au niveau de notre microbiome intestinal [33]. Le microbiome joue un rôle crucial bien connu comme complément métabolique et dans l’établissement du système immunitaire. Les modifications incontrôlées de la flore et de la faune avec lesquelles nous co-évoluons semblent bien être un des facteurs à l’origine de la flambée des maladies auto-immunes à laquelle nous assistons.

La montée des allergies

Le réchauffement climatique est responsable d’une augmentation non seulement de la pollinisation mais aussi du contenu des pollens en allergènes (une élévation de la température de 3,5° C est associée à une augmentation de 30 à 50 % du contenu en pollen d’ambroisie [34]), de plus les inondations dues aux changements climatiques entraînent une prolifération significative des moisissures. La saison des pollens est à la fois avancée et prolongée [35]. Il faut y ajouter les effets directs d’une augmentation du C0 sur le pollen.

2 Il existe aussi une relation directe entre le changement climatique global et l’augmentation de la prévalence et de la sévérité de l’asthme [36] et des rhinites sévères [I. Annesi-Maesano soumis]. Des résultats identiques ont été retrouvés pour les crises d’asthme avec un risque de 1,54 pour une augmentation de 17 grains de pollen de graminées par mètre cube. La pollution atmosphérique est aussi associée à l’aggravation et au développement de phénomènes allergiques et respiratoires.

Depuis 1997, 45 % de la population urbaine de l’Europe a été exposée à des concentrations ambiantes de particules supérieures à la limite fixée par communauté européenne.

Il est indispensable d’élucider pourquoi le changement climatique s’accompagne d’une telle augmentation des maladies allergiques et respiratoires, surtout chez l’enfant. Il faudra pour cela développer un réseau de collaboration international et établir des enregistrements continus des niveaux de production du pollen, des spores fongiques et des concentrations en allergènes correspondantes, mais aussi de la pollution atmosphérique. Enfin, il faut mieux sélectionner les arbres dans les villes, réduire la pollution atmosphérique et adopter des matériaux de construction capables de réduire la prolifération des moisissures.

Médecine vétérinaire

L’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA maintenant ANSES) a réalisé une analyse de risque sur les conséquences prévisibles du réchauffement de la planète en matière d’émergence des maladies animales, en particulier des zoonoses [37]. L’étude a montré que plusieurs affections doivent être surveillées dont quatre zoonoses.

— La fièvre de la vallée du Rift dont la diffusion fait craindre un passage vers le nord de la Méditerranée.

— Quelques observations récentes du virus de la fièvre de West Nile ont été rapportées dans le sud-est de la France, en particulier dans le Var.

— La leishmaniose existe déjà dans le sud de la France et sa zone d’extension naturelle remonte maintenant la vallée du Rhône.

— Le réchauffement climatique pourrait faciliter la diffusion de la leptospirose, en particulier en France, par l’intermédiaire des baignades.

— Le virus de la fièvre catarrhale ovine, transmis par un diptère, a d’abord été découvert en Corse après être apparu en Tunisie, à partir de 2006 il a balayé tout l’Est de l’Europe. La maladie, qui ne touche pas les hommes, touche les bovins, les moutons et les chèvres.

— Le virus de la peste équine est aussi transmis par un diptère. Il n’est connu qu’en d’Afrique à ce jour avec de rares incursions en Europe. Ce n’est pas une zoonose.

— Enfin, une étude récente a montré une bonne corrélation entre l’index température-humidité, ITH, et la mortalité des vaches laitières avec une augmentation de 4 % de la mortalité par degré d’ITH, soulignant l’importance des mesures préventives dans la gestion de ce type d’élevage.

CONCLUSION

L’évolution climatique est dans une phase irréversible et il ne faut pas s’attendre à une quelconque amélioration en ce domaine et les recommandations sont des recommandations de vigilance. Les éléments déjà en place fonctionnent et le Plan Canicule a déjà montré son efficacité, mais il importe qu’il soit maintenu en activité.

Il en va de même pour les structures qui en assurent le fonctionnement comme l’InVS et l’Inserm et les systèmes d’alerte mis au point par Météo France et par les différents observatoires des allergènes. La propagation des maladies infectieuses semble, pour le moment, sous contrôle, mais, là aussi, la vigilance doit être de rigueur, le changement climatique peut en effet avoir des effets imprévisibles aux conséquences incalculables. Si l’on excepte en effet certaines affections, surtout virales, relativement rares et généralement bénignes, il y a probablement peu de chances que les maladies transmissibles les plus répandues comme le paludisme deviennent préoccupantes en regard du changement climatique en France métropolitaine. Ceci souligne à nouveau l’importance des dispositifs de surveillance mis en place dans notre pays. Il existe en médecine vétérinaire une liste d’affections qui doivent rester sous surveillance particulière. La situation des urgences en France en général, dans les grandes villes en particulier, atteint encore très souvent ses limites en période de crises climatiques. Ce sujet est encore préoccupant. Le rapport de l’ANSES sur la climatisation mérite d’être soutenu. L’enseignement de la physiologie de la thermorégulation et de ses dysrégulations et la recherche sur ce sujet sont sûrement un des secteurs qui demande à être développé.

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